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Après s'être préparées et avoir pris quelques affaires, elles partirent vers la forêt.

Elles ne faisaient qu'un avec leur habit bleuté recouvert de quelques vêtements simples à retirer.

Irène avait pris soin de préparer des vivres pour la journée, et de laisser Roby s'occuper de Brutus le temps de leur absence. Le chien avait eu du mal à les laisser partir, mais fut vite convaincu par quelques morceaux de viande.

Une fois dans la forêt, Lyssa sentit ses sens se mettre en éveil. La douce caresse des rayons du soleil traversait l'Égide pour atteindre sa peau. La brise lui chatouillait la nuque en agitant ses cheveux, et la sève riche sortant de l'écorce de quelques arbres enivrait de son parfum.

Irène marchait avec certitude, comme si elle avait toujours vécu entre ces bois et que chaque arbre était un repère. Les deux jeunes filles la suivaient en silence, profitant des bruits légers que la nature offrait au-delà du craquement sous leurs pieds.

Angela avançait doucement à l'arrière, sentant le parfum de son amie se mélanger à toutes les senteurs environnantes. Elle discerna son coeur battre un peu plus vite et ses joues rougir :

Lyssa sentait si bon.

La jeune fille fit taire ses remarques silencieuses en secouant la tête, avant de demander encore gênée :

- On est encore loin ?

Irène répondit doucement :

- Parle moins fort, s'il-te-plaît. Il ne faut pas déranger les créatures qui vivent ici. Encore quelques minutes avant d'atteindre le lieu où j'ai l'habitude de méditer.

Elles continuèrent leur marche quelques instants, avant de déboucher dans une magnifique clairière. Au milieu, un petit étang reflétait la lumière du soleil et l'ombre des grands arbres de la forêt.

Lyssa aperçut au loin un petit animal à quatre pattes, recouvert d'un pelage brun court tacheté de blanc. Ses pattes fines se terminaient par des sabots. L'animal les regarda de ses grands yeux noirs entourés de pelage clair, et sautilla rapidement en direction de la forêt.

La jeune fille était stupéfaite par la beauté de cette créature et entendit Irène préciser :

- C'était une petite biche. Il y a tout un troupeau qui vit dans cette zone. Il vaut mieux pour eux qu'ils s'enfuient, surtout si l'une de nous se transforme en tigre.

La vieille dame jeta un coup d'oeil espiègle à Lyssa qui baissa les yeux.

- Ne t'en fais pas ma chérie, je te promets que je vais faire de mon mieux pour que tu apprennes à te contrôler. Tu seras libre de choisir si tu veux te transformer ou non, indépendamment de tes émotions. C'est mon objectif.

Irène déposa ses affaires au sol et commença à enlever les vêtements qui recouvraient l'Égide. Les deux jeunes filles l'imitèrent en silence.

- Alors pour commencer, il faut comprendre que nous sommes liées à la nature. Peu importe que ce soit nôtre côté humain ou animal, la nature vit en nous et nous vivons en elle. En acceptant votre véritable instinct, vous arriverez à mieux vous contrôler. D'après ce que j'ai compris Angela, tu as pu te transformer parce que tu le voulais, tu avais conscience de ce que tu étais. Quant à toi Lyssa, tu t'es éveillée dans un contexte de douleur et de colère. Ce sera difficile de changer tes conditions d'éveil, mais on va y travailler.

Lyssa se tenait le bras avec malaise. Elle ferait de son mieux pour apprivoiser son corps, mais envisager de se retransformer à nouveau ne l'enchantait pas du tout. Irène s'adressa à Angela :

- Allez ma chérie. Montre-moi ce que tu sais faire.

La jeune fille s'exécuta. Elle prit une grande inspiration et ferma les yeux, les bras tendus le long du corps.

Après une dizaine de secondes sans aucune réaction, la couleur de la peau d'Angela commença à foncer par endroits et à briller par d'autres. Son visage s'allongea progressivement laissant place à un bec robuste. Le regard le jeune fille commençait à s'entourer de plumage et à devenir de plus en plus perçant. Ses bras se recouvrirent de plumes réagissant avec la membrane de l'Égide qui semblait disparaître sous la nouvelle apparence de la jeune fille. Ses pieds devinrent deux serres aiguisées prêtes à agripper n'importe quelle proie. Doucement, son corps la força à changer de posture pour donner celle d'un oiseau fier.

Une fois terminé, Angela leva les yeux vers son amie et Irène qui la regardaient époustouflées :

Elle dépassait Lyssa de deux têtes.

Cette dernière ne savait pas quoi penser : Elle était à la fois émerveillée et apeurée parce qu'il se passait. Elle avait déjà vu son amie sous forme chimérique, mais la transformation était encore plus impressionnante.

Irène s'esclaffa :

- Je ne sais quoi dire, Angela. Tu es magnifique !

En guise de réponse, la jeune fille déploya ses ailes et d'un battement se retrouva dans les airs, infligeant une rafale de vents à ses deux acolytes restées à terre. Celles-ci la regardèrent voler sans un mot, émerveillées.

Angela revint au sol et après de longues secondes ressentit son corps s'allonger progressivement, ses plumes disparaître au profit de sa peau, et l'habit bleu la recouvrir. Elle était revenue à la normale, un énorme sourire aux lèvres.

- Vous avez vu ? J'ai plutôt bien réussi ma transformation, même si je mets encore du temps.

La vieille dame lui répondit avec énergie :

- Totalement ! C'était splendide, merci pour ce spectacle. On peut effectivement travailler sur ta vitesse de transformation. Certains Dioscures arrivaient à se transformer en une seconde. C'est primordial de se métamorphoser rapidement en cas d'urgence. Et dis-moi Angela, est-ce que tu arrives à utiliser tes sens hors transformation ?

L'intéressée répondit :

- Pas tellement... Je sais que c'est possible. Mon frère arrivait à détecter une proie de très loin lorsqu'il partait chasser dans la forêt même sous forme humaine, et je ne pouvais pas faire de bêtises quand j'étais dans la même pièce que lui.

- Ce n'est pas étonnant. Les aigles ont une vision perçante et un champ de vision plus élargi que le nôtre. Tu verras, ça te sera utile.

Irène se tourna vers Lyssa qui redoutait son tour :

- Est-ce que tu te sens de te transformer ?

La jeune fille voulut répondre non. Mais en ayant vu son amie, elle se dit que ça avait l'air facile de se contrôler, sans penser aux heures de pratique d'Angela en amont.

Elle ferma les yeux et se concentra.

Lyssa sentit ses sens à l'affût, et chercha au fond d'elle cette sensation qu'elle avait eue en se transformant. Ce mélange d'énergie et de colère qui lui avait permis de changer de forme.

Elle respira doucement, se rappelant parallèlement le moment horrible qu'elle avait vécu, revivant chaque instant comme si elle y était encore. Sans s'en rendre compte, sa respiration était très rapide et bruyante, si bien qu'Irène essaya de l'interrompre :

- Lyssa, calme-toi ma chérie. Tu n'es pas obligée de te transformer tout de suite. Je voulais juste vous apprendre à vous...

La vieille dame n'eut pas le temps de finir sa phrase. Lyssa ne l'entendait plus.

Perdue dans ses souvenirs, la jeune fille sentit ses muscles se gonfler de puissance, son ossature s'allonger et se consolider. Sa mâchoire remplie de dents aiguisées s'étendit progressivement, et ses ongles laissèrent leur place à des griffes. Les yeux toujours fermés, elle sentit sa peau se recouvrir d'un pelage doux et chaud par-dessus un cuir solide et robuste.

La jeune fille ne contrôlait rien, deux émotions envahissant son corps : la colère et la peur. Elle rouvrit les yeux. Irène la regardait, apeurée, et Angela s'était décalée d'un pas tout en essayant de lui parler. Lyssa n'entendait rien :

Qui étaient ces personnes qui lui faisaient signe ? Étaient-elles dangereuses ? Voulaient-elles lui faire du mal ?

Dans le doute, elle recula, et se mit à rugir en guise d'avertissement. Son rugissement résonna si puissamment que les deux humaines face à elle restèrent figées par la peur. Sentant qu'elle prenait le dessus, elle s'avança doucement.

Des proies. Ces deux créatures étaient des proies.

Elle s'approcha d'Angela qui était tétanisée. La Chimère grognait en regardant la jeune fille avec colère et appétit, lorsqu'elle se plongea dans son regard vert effrayé.

Lyssa s'arrêta net.

C'était son amie. Angela, celle avec qui elle s'était enfuie.

La colère laissa place au dégoût et la peur s'intensifia. Elle était un monstre. La jeune fille baissa les yeux vers ses pattes imposantes.

Elle voulait redevenir normale !

Son corps lui obéit. Lyssa sentit ses muscles perdre de leur puissance, son corps rétrécir et le pelage disparaître au profit de sa peau recouverte de l'Égide. Elle était redevenue humaine.

La jeune fille s'écroula au sol, pétrifiée et éclata en sanglots douloureux :

- J'ai failli te tuer. J'ai failli te tuer. Je suis un monstre...

Elle cacha sa tête dans ses genoux, ses mains agrippant ses cheveux. Angela s'agenouilla au niveau de son amie et lui caressa les cheveux doucement en guise de réconfort et de compassion, avant de lui dire doucement :

- Tu n'aurais jamais fait ça. J'ai confiance en toi, Lili.

Irène s'approcha également de la jeune fille et ajouta :

- Je m'excuse ma chérie, il y a eu une incompréhension entre nous deux. Nous apprendrons à te contrôler, tu n'auras plus à vivre ça.

Lyssa s'énerva :

- À me contrôler ? Je ne me transformerai plus jamais ! Regardez-moi ! C'est une malédiction, je n'ai pas demandé à être comme ça.

Le visage d'Irène s'assombrit :

- Fais attention à ce que tu dis, jeune fille. Respecte le combat de tes ancêtres. Je ne tolérerai personne qui osera dire une chose pareille en ma présence.

La prestance d'Irène avait changé, pour laisser place à une aura froide et sans pitié. Lyssa se sentit figée par la remarque de la vieille dame. Toutes les émotions qu'elle avait ressenties laissèrent place à de la honte :

- Je suis désolée... Je ne voulais pas dire ça. Seulement, je ne me transformerai plus.

Elle fixait le sol avec émotion. Angela était toujours aux côtés de son amie pour la réconforter et regardait Irène d'un regard plein de reproches.

Après quelques instants d'un silence pesant, Irène proposa de rentrer pour que Lyssa puisse se remettre de ses émotions. Elle promit de préparer un gâteau au chocolat pour se faire pardonner.

Sur le chemin du retour, Lyssa s'était calmée. Doucement, elle commença à poser des questions à Irène sur sa véritable nature.

Celle-ci semblait plus ouverte à la discussion à ce sujet, sans trop en dire pour autant. Au milieu d'explications, elle s'attarda quelques instants sur la lignée des Tigres.

- Les Tigres représentaient une famille fière. Ils étaient peu nombreux à l'époque des guerres. Mais l'un d'eux, Achille, était le chef des Dioscures et le plus puissant d'entre eux. C'est lui qui les a dirigés, qui a permis la fin des combats, laissant la paix et l'harmonie s'installer sous le regard alors bienveillant de Gabriel. Les Tigres restent la famille qui a le plus protestée face à Gabriel et sa folie qu'il réveilla contre les Dioscures. Malheureusement, les Tigres ont tous été tués. Enfin, c'est ce que je pensais avant de te rencontrer.

Irène se tourna doucement vers Lyssa en lui adressant un sourire entendu.

Elle poursuivit son récit pour répondre aux questions silencieuses d'Angela :

- Je ne sais pas grand-chose sur les Aigles. Ils étaient très réputés car très utiles pour repérer les ennemis et pour le transport aérien. Je ne sais pas ce qui leur est arrivé. Je suis désolée ma chérie.

La jeune fille rassura la vieille dame : Cela faisait bien longtemps qu'elle avait abandonnée l'idée de retrouver ses parents. Seul son frère importait.

***

Une fois arrivées à la maison d'Irène, les jeunes filles montèrent dans leur chambre pour se reposer un peu.

Irène avait quelques livres qui intéressaient Lyssa sur la botanique et certains remèdes qu'elle n'avait pas vus en cours.

Soudain, elle sentit ses sens se réveiller et se redressa brusquement : des bruits de pas. Elle entendait des bruits de pas qui venaient de loin et Brutus aboyer avec énergie.

La jeune fille se précipita pour prévenir Irène, mais celle-ci avait pris les devants. Elle chuchota aux deux amies depuis l'escalier :

- Surtout restez là-haut si vous voulez vivre !

Le coeur battant, les jeunes filles fermèrent la porte de leur chambre à clé.

Lyssa entendit grâce à son ouïe développée les pas s'approcher. Elle arrivait à distinguer la démarche de quelques androïdes et l'avancée lourde d'une personne en armure, se rapprocher de la maison d'Irène.

Quelqu'un toqua à la porte. Elle entendit la vieille dame s'avancer et ouvrir. Une voix grave comme elle n'en avait jamais entendue raisonna. Il devait s'agir de la voix d'un homme :

- Bonjour dame Irène, notre seigneur m'envoie pour plusieurs raisons. Puis-je entrer ?

Irène répondit froidement :

- Entre Achos. Mais j'exige que tes androïdes restent à l'extérieur de ma maison.

- Bien sûr, madame. Je ne suis personne pour contredire une Immortelle.

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