▪️Une pensée pour @laetitiadlgn ▪️

- ... Et c'est ainsi que le monde fut sauvé, que notre Système harmonieux actuel fut créé, sous le regard bienveillant de notre Sauveur Gabriel.

Lyssa était au fond de la classe, à moitié avachie et endormie.

Elle en avait marre de cette constante adoration pour Gabriel le Sauveur, le Purificateur, le Grand Miséricordieux, l'Élu... Tous ces adjectifs qui transpiraient la prétention la rendaient malade.

Le poing contre la joue, la tête lourde, elle sentait qu'elle combattait le sommeil, mais n'avait pas envie de se prendre une énième remontrance de la part de la gérante Magie.

En ce mardi ordinaire, Lyssa subissait des cours d'histoire du Système, de sciences médicales, médicinales et de littérature sainte. La seule matière qui lui provoquait un semblant d'intérêt concernait les sciences.

Bien que cette matière n'était enseignée que dans le but de pouvoir subvenir aux besoins possibles de Gabriel ou des nobles, elle permettait d'apprendre plus de choses sur le fonctionnement du corps. Que ce soit dans la confection d'arrangements aromatiques médicinaux, de pommades ou de gestes de premiers soins, Lyssa trouvait ce savoir utile en comparaison avec tout le reste. Elle avait aussi appris que la vie était donnée sous deux formes principales : homme ou femme.

Chaque forme avait un rôle dans la transmission de la vie et le maintien du peuple. Seuls les personnages nobles d'Olympia avaient accès à l'immortalité, les autres devaient assurer leur survie par la reproduction.

Les Terrariens du secteur Jupiter et Cérès pouvaient se reproduire. Les uns afin de perpétuer leur savoir mis au service du peuple et les autres pour décupler leur main d'oeuvre utile au travail de la terre.

Les Sacrifiés du secteur Mars étaient la plupart du temps des anciens habitants de Cérès, donnés par leurs parents pour servir Gabriel.

Bien sûr, les servantes n'avaient en aucun cas droit à aspirer à la reproduction ou à l'immortalité.

Cependant, dans la bibliothèque du domaine, circulait l'histoire d'une servante divine dont un noble s'était épris. Comme il était immortel, il avait choisi d'accorder la vie éternelle à sa concubine pour qu'elle reste à ses côtés pour toujours.

C'était intimement le souhait de beaucoup de jeunes filles du domaine, mais pas celui de Lyssa, qui ne voyait dans l'immortalité qu'une malédiction condamnant à un ennui infini.

Les résidentes n'avaient pour la grande majorité jamais vu d'hommes de leur vie. Parmi les âmes vivant dans le domaine, il n'y avait que des femmes. Aucun représentant du sexe opposé n'était autorisé à poser les pieds à Vesta.

Au-delà de son cours de sciences, Lyssa ne voyait aucune utilité à ses autres matières, dont l'histoire du Système.

À force d'entendre rabâcher les mêmes informations, elle connaissait les grandes lignes : Le Système avait cent-six terracycles. Il était la nouvelle ère qui succédait à un monde de chaos et de désordre dans lequel la guerre et la famine constituaient le quotidien de chaque être humain.

Les cours d'histoire ne s'attardaient pas sur l'Avant. Il était simplement dit que "le monde avait couru à sa perte", que les catastrophes naturelles, la mauvaise gestion de la population et des ressources avaient entrainées d'innombrables guerres sur toute la surface de la Terre.

"Heureusement", Gabriel, un humble agriculteur de l'époque, avait construit un nouveau Système, fondé sur la solidarité, le partage et l'entraide.

Il avait ainsi réussi, en distribuant ses cultures, à rassembler les hommes et les femmes et à construire progressivement un monde qui ne connaissait ni la faim, ni la guerre.

Pour protéger son peuple qui l'adorait, la Barrière fut construite ainsi que les différents secteurs.

Cette énorme muraille entourait le Système même au niveau des frontières maritimes. Elle avait plusieurs buts : éloigner les Égarés qui ne connaissaient pas la miséricorde du Sauveur, protéger des raz-de-marées et des tempêtes de sables. 

En plus, même si ce n'était qu'officieux, la Barrière empêchait quiconque de sortir du Système.

Lyssa se méfiait depuis toujours de ces enseignements qu'on lui prodiguait. Bien que les cours de sciences étaient fondés sur des faits et avaient prouvé plus d'une fois leur véracité, les cours d'histoire ou même de géographie n'étaient qu'une succession d'informations que Lyssa avait du mal à assimiler.

Comment croire quoi que ce soit quand on ne peut pas voir le monde extérieur de nos propres yeux ? Comment croire en la bienveillance d'une personne qui vous enferme et vous impose une voie que vous n'avez pas choisi ?

La jeune fille avait donc appris pendant les dix derniers terracycles à faire bonne figure.

Au début, elle apprenait comme toutes les autres résidentes. Elle buvait les paroles comme une enfant se doit de le faire.

Mais au fur et à mesure du temps, son esprit critique s'était développé. Lyssa voyait de plus en plus d'incohérences dans les récits inlassablement répétés, que ce soit ceux enseignés en classe ou ceux de la bibliothèque.

Personne ne voulait répondre à ses questions sur l'autre côté de la Barrière, sur l'Avant, sur leur interdiction de sortir du domaine, sur leur avenir. Elle sentait au fond d'elle que quelque chose de très louche se préparait derrière cette mascarade adulatrice.

Elle voulait partir à tout prix.

La jeune fille avait maintes fois essayé d'expliquer à Émilie pendant les moments rares sans leur androïde, mais sa soeur était trop naïve, trop gentille et trop reconnaissante d'avoir été élevée ici.

Cette dernière considérait la gérante Magie comme une figure maternelle, malgré sa froideur et son adulation exagérée envers Gabriel.

Lyssa avait passé le dernier terracycle à se résoudre à partir sans sa petite sœur, même si c'était extrêmement difficile à accepter.

Elle avait également imaginé plusieurs scénarios d'évasions. Tous impliquaient le sabotage des androïdes, car elle ne voyait pas d'autres solutions.

Malheureusement, la jeune fille n'avait pas eu le courage de passer à l'action. Elle attendait le bon moment, sans vraiment savoir s'il y en aurait un jour.

 En attendant, elle profitait de sa soeur le mieux possible tant qu'elle le pouvait encore.

- ... Je vous laisse la joie de lire tout le verset de L'Écrit numéro 4 page 255 pour demain. Il est d'une beauté rare et réjouissante. Nous en discuterons pour comprendre comment Gabriel a mis en place l'architecture d'Olympia. Vous pouvez vous lever.

La gérante Magie avait terminé son cours. Toutes les élèves de la classe de onzième niveau se levèrent et s'inclinèrent en silence.

- Votre prochain cours aura lieu dans cette salle. Je vous autorise à y laisser vos affaires.

Magie laissa partir progressivement les élèves de la classe. Au moment où Lyssa allait passer la porte, elle l'arrêta :

- Lyssa, j'ai à te parler.

La jeune fille ne fut pas tellement surprise par cette annonce, mais soupira intérieurement avant de se diriger vers le bureau du professeur.

- Ton comportement m'inquiète, Lyssa. Tu es en onzième niveau, le terracycle prochain devrait être ton dernier entre ces murs avant de devenir servante et d'accéder à la capitale. Mais je ne vais pas te le cacher, tes appréciations sont mauvaises, tes notes également. Il se pourrait que tu te retrouves à Jupiter s'ils veulent de toi, à Cérès si tu en as la force, ou pire... Tu as les plus bas résultats du domaine, et je ne dis vraiment pas ça pour te rabaisser, c'est une réalité.

Lyssa écoutait en silence.

Elle avait toujours voulu s'enfuir et ne pas rester entre ces murs, sachant qu'elle ne serait jamais servante.

La jeune fille avait également conscience de tout ce que lui disait la gérante Magie, qui était de loin la plus gentille de tout le domaine malgré sa froideur.

Si personne ne voulait d'elle, elle finirait comme Sacrifiée à protéger la Barrière.

Elle ne souhaitait aucun de ces scénarios : ni être servante, ni travailler sur Jupiter ou sur Cérès et encore moins servir comme Sacrifiée dans le secteur Mars. Elle ne savait pas ce qu'elle voulait.

Ce dont elle était sûr en revanche, c'est qu'elle allait s'enfuir. Loin de ce monde de fourbes et d'adulateurs qui la faisaient vomir. Loin de ce Système qui leur imposait des voies régies par une sélection idiote et sans fondements.

Elle répondit simplement :

- On verra ce que je deviendrai. Ce ne sera plus votre problème d'ici un ou deux terracycles, ne vous en faites pas pour la réputation de votre établissement.

Magie soupira :

- D'accord, tant que nous y trouvons notre compte. Tu es libre de choisir ce que tu veux pour toi-même.

Lyssa ne put s'empêcher d'esquisser un rictus sarcastique.

Choisir pour elle-même ? Elle n'avait jamais pu le faire.

Est-ce que choisir entre différentes prisons signifiait avoir le choix ?

Elle baissa la tête en guise de salutation, et franchit la porte pour rejoindre le réfectoire.

***

La semaine passa, les jours se ressemblant comme toujours.

Lyssa passait plus de temps avec sa soeur à jouer aux jeux de sociétés. Petits chevaux, échecs, jeux de cartes en tout genre...
Les androïdes comptaient les points et présentaient les règles de jeux auxquels elles n'avaient pas joués depuis longtemps.

Cela faisait un bon moment que les deux jeunes filles ne s'étaient pas abandonnées à ce genre de passe-temps.

Étrangement, cette semaine fut plus agréable que beaucoup d'autres. Le temps était clair, les cours de sciences particulièrement intéressants et Lyssa n'avait été reprise qu'une fois ou deux sans être condamnée au jeûne.

Il ne manquait plus qu'à conclure cette semaine par une soirée sur le toit, à admirer le coucher de soleil.

Le dimanche arriva plutôt rapidement.

Lyssa passa son week-end à concocter des pommades cicatrisantes, apprises au cours de sciences. Elle était satisfaite d'en avoir une réserve personnelle, car il lui arrivait de s'érafler lorsqu'elle montait sur le toit.

Ce soir-là, elle monta donc avec ses nouveaux pots. 038 venait juste de partir, il n'y avait pas une minute à perdre. La jeune fille se hissa rapidement sur le bord de la fenêtre et se mit à grimper sur les briques habituelles. Une fois en haut, elle chantonna un air qu'elle avait elle-même inventé.

Elle respira un grand coup et s'avança vers son petit fauteuil de fortune, toujours à sa place, avant de se pencher vers le petit recoin où étaient cachés les objets. La jeune fille voulait y déposer ses petits pots de pommade.

D'un coup, elle se figea.

Les objets avaient disparu.

Lyssa passa sa main à nouveau pour palper tous les contours du recoin, et fouilla ainsi sans retrouver ni l'appareil noir, ni le livre d'images, ni le porte-clés.

Elle découvrit à la place un petit mot : C'était un morceau de serviette en papier, sur lequel était écrit :

"Qui es-tu ? Rejoins-moi devant les douches N°13 un matin"

Lyssa avait le souffle coupé, haletante.

Elle était terrifiée.

Qui avait pu monter sur le toit et prendre les objets ? Était-ce une résidente ? Un piège des gérantes ou des humanoïdes pour la découvrir ?

Non, ça ne pouvait pas être cette dernière option.

L'inscription était sur une serviette en papier, comme si la personne qui avait voulu lui faire passer le message l'avait fait dans le plus grand secret.

Mais alors, était-ce la propriétaire des objets ? Ou une voleuse ? Non, le coussin et les quelques affaires de Lyssa étaient encore présents.

Elle prit place sur son fauteuil, le coeur battant désordonnément de stupeur. Des dizaines de questions se bousculaient dans sa tête, elle ne savait pas quoi faire.

Devait-elle ignorer ce message et ne jamais remonter sur le toit ?

C'était trop risqué, la bâche et le coussin provenaient de sa chambre, et elle ne pouvait pas les ramener sans que 038 ne se pose des questions.

La jeune fille n'avait en aucun cas envie de se faire taper une nouvelle fois avec une règle en bois, de subir un jeûne forcé pendant une journée, ou sûrement pire.

Elle devait découvrir qui était cette personne.

Le problème était que Lyssa prenait sa douche le matin dans les n°11 avec les filles de sa partie du bâtiment. Il lui fallait donc une bonne excuse pour aller vers les douches n°13.

Si la personne qui l'attendait en cette zone était mal attentionnée, elle saurait immédiatement que c'était elle, Lyssa, la personne sur le toit. Il fallait donc agir en toute discrétion.

Elle eut alors une idée, qu'elle allait s'empresser de mettre en application.

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