Le Syndrome du Machaon
Un stylo dans la main, suspendu au-dessus d'une pile de feuilles, l'esprit ailleurs, il ne parvenait pas à travailler. Il était obsédé tout simplement. Et le problème dans cette histoire était qu'il n'avait aucune idée de comment se débarrasser de cette obsession. Si encore il pouvait identifier précisément la chose qui envahissait son cerveau et l'empêchait de penser à quoi que ce soit, ça l'arrangerait. Mais non. La seule chose qu'il avait, c'était une odeur.
Un parfum.
Mais il ne savait pas où il l'avait senti. Et il ne savait pas à qui il appartenait.
Tout ce qu'il pouvait dire, c'était que lorsque ce léger nuage était arrivé jusqu'à lui et qu'il l'avait respiré à plein nez, l'odeur s'était ancrée dans son esprit, dans tout son être.
Désormais il ne pensait plus qu'à cela.
Il avait fait quelques recherches, curieux de savoir si ce qu'il ressentait était normal et était tombé sur un site internet, à l'apparence peu fiable, il devait l'avouer, mais qui mettait un possible nom sur ce qu'il vivait actuellement.
Le Syndrome du Machaon.
Pendant le court laps de vie d'un papillon, celui-ci choisissait son âme-sœur grâce à la première odeur qu'il sentait. A partir de ce moment, les autres n'auraient pas d'importance pour lui et il ferait tout ce qui lui serait possible pour attirer le porteur de l'odeur et rester avec jusqu'à la fin, très proche, de sa vie.
Ici, le Syndrome du Machaon fonctionnait à peu près de la même manière bien qu'il ne s'agissait pas forcément du premier parfum senti. Mais quoi qu'il en soit, un jour, le porteur du syndrome était destiné à capter une odeur qui appartiendrait à son âme-sœur et qui l'obséderait jusqu'à ce qu'il la retrouve.
Si tout ceci était vrai, la réponse à son problème était donc d'une simplicité enfantine.
Foutaise.
Allait-il devoir faire le tour de la ville, tous les jours, en espérant sentir cette fameuse odeur et en priant pour que sa fameuse âme-sœur ne fut pas simplement de passage dans la ville ? Ça n'avait aucun sens. Il y avait trop de facteurs qui jouaient clairement contre lui.
Pour commencer, est-ce que cette fameuse âme-sœur était une femme ou un homme ? Même si la réponse en elle-même lui importait peu, cela lui permettrait d'éliminer au moins la moitié des possibilités.
Ensuite, est-ce que cette personne travaillait dans cette ville ou était-elle seulement de passage ? La première solution était la meilleure, si on considérait qu'une ville de plusieurs millions d'habitants soit un champ de recherche de taille réduite.
Puis qu'est-ce qui lui garantissait que, même si par le plus grand des hasards il retrouvait cette fameuse personne, celle-ci soit aussi attirée par lui ? Ca soulevait d'ailleurs une nouvelle question. Est-ce que le syndrome était réciproque ? Si lui était obsédé par l'odeur de son âme-sœur, est-ce que l'inverse était vraie ? Ou allait-il, en plus de cela, devoir se battre pour séduire cette personne ?
Décidément, il n'arriverait à rien aujourd'hui.
Heureusement pour lui, il n'avait plus d'autres rendez-vous de la journée, il allait pouvoir partir plus tôt. Il se leva, attrapa la veste de costume qu'il avait posée sur le dos de sa chaise et l'enfila. Il rangea quelques dossiers dans sa serviette, songeant qu'il pourrait, peut-être, travailler dessus dans la soirée, avant de se pencher sur le téléphone.
— Un problème Mr Kim Min Gyu ? entendit-il sortir du combiné.
— Je rentre chez moi. Tu peux faire de même Jun Hui.
Il raccrocha et sortit de son bureau.
— Est-ce que vous avez besoin que je vous raccompagne ? lui demanda Jun Hui qui sortit de son bureau au même moment.
— Non, ça ira. Rentre.
— Bien Monsieur. Demain, vous avez un rendez-vous avec notre nouveau partenaire à neuf heures. Votre chauffeur sera là pour 7h30. Le contrat est prêt à être signé et se trouve dans la pochette verte qui se trouve sur votre bureau. Une réservation a été faîte au restaurant pour 12h15. Est-ce bon pour vous ?
— Parfait, comme toujours. Maintenant, tu vas me faire plaisir et rentrer chez toi pour retrouver ton cher petit fiancé qui doit me haïr pour toutes les soirées où je t'ai retenu ici. Ce soir, profitez.
Il vit son assistant bafouiller avant de repartir dans son bureau pour récupérer ses affaires. Arrivés dans le hall du bâtiment, il le regarda partir, un petit sourire aux lèvres, et ne put s'empêcher de sourire à son tour. Jun Hui était son assistant depuis des années, depuis le jour où il avait pris les rênes de l'entreprise, ce qui n'avait été une surprise pour personne puisqu'ils avaient, chacun, été élevés pour cela. Ils étaient amis, bien que l'autre jeune homme s'obstinait à le considérer comme son supérieur même en dehors du boulot.
Min Gyu soupira. Il devait l'avouer, il enviait Jun Hui de pouvoir rentrer chez lui pour retrouver la personne qu'il aimait. Lui, s'il rentrait maintenant, retrouverait qui ? Son chat uniquement, si celui-ci décidait de ne pas le snober, et rien de plus. Alors à la place, il décida de faire un tour par le café qui se trouvait accolé à son entreprise.
L'Antea'Clea.
Amoureux de leurs cafés, Min Gyu avait même proposé au patron de l'établissement de faire construire une seconde entrée qui donnait directement sur le hall de l'entreprise pour que ses employés puissent prendre leurs pauses ici. Sûrement une des meilleures idées qu'il ait eu, même si celle-ci ne lui avait rapporté aucun bénéfice financier.
Il ouvrit la porte vitrée, faisant tinter la clochette, inspira rapidement l'odeur de café et de pâtisseries qui régnait ici et s'approcha du comptoir.
— Bonjour Mr Kim, le saluèrent les employés.
— Qu'est-ce que je peux vous proposer aujourd'hui ? lui demanda l'un d'entre eux.
— N'importe quoi contenant de la caféine.
— Très bien ! Votre table habituelle est libre, je viens vous apporter ça.
Min Gyu s'installa à la place la plus éloignée de l'entrée. Il aimait s'installer ici parce qu'ainsi, il était moins visible par les autres personnes. Il pouvait à la fois les observer et ces derniers pouvaient agir comme si leur patron n'était pas là.
Il observa autour de lui et apprécia la quiétude du moment. Les employés passaient et repassaient entre les tables comme s'ils dansaient un ballet qu'ils connaissaient par cœur.
Ils étaient au nombre de quatre.
Yoon Jeong Han, le demi-patron, était un joli jeune homme qui cachait une véritable poigne de fer. Désireux de toujours proposer le meilleur à ses clients, il était intraitable sur la qualité du service qu'ils proposaient et n'hésitait pas à reprendre les autres employés à la fin du service pour leur expliquer, gentiment mais fermement, ce qu'ils devaient améliorer.
Jeon Won Woo, qui possédait l'autre moitié du café, était lui aussi très charmant. Pour tout avouer, ils l'étaient tous et c'était bien une des raisons initiales du succès de ce café. Plus calme que Jeong Han, sa spécialité, si Min Gyu avait bien compris, était la recherche de nouvelles saveurs, de nouveaux grains qui finiraient sur le menu. Jamais inactif, dès que Min Gyu passait prendre un café, il voyait le jeune homme tester des boissons et prendre des notes sur un calepin qui devait renfermer une mine de trésor.
Le suivant était leur maître pâtissier, Choi Seung Chul. Ses gâteaux étaient à tomber par terre et pendant très longtemps, Min Gyu s'était demandé pourquoi celui-ci ne travaillait pas dans un endroit plus prestigieux ou n'avait pas monté sa propre pâtisserie. Il avait fallu qu'il le croise, tard le soir, sortir du café main dans la main avec Jeong Han pour qu'il en comprenne la raison, ce qui, soit dit en passant, l'arrangeait grandement parce qu'il aimait énormément leur tartelette au citron et que leur Paris-Brest était un excellent moyen d'adoucir les collaborateurs un peu récalcitrants.
Le quatrième se nommait Lee Seok Min et était un véritable rayon de soleil. Chargé, jusqu'à présent, du service afin de soulager la charge de travail des trois autres, il portait sur lui un sourire qui ne semblait jamais le quitter. Vif mais quelque peu gaffeur, il n'était pas rare de voir l'un des patrons le surveiller du coin de l'œil afin d'être sûr qu'il était toujours debout sur ses deux jambes. Mais sa joie de vivre était un énorme plus pour ce café et malgré ses étourderies, il semblait être un bon employé.
Ce fut d'ailleurs lui qui lui apporta sa commande.
— Tenez Mr Kim. Won Woo vous a préparé un Bucaramanga, un café Colombien très aromatisé. Et je vous ai pris une tartelette au citron.
— Merci Seok Min, c'est parfait.
Le jeune homme repartit derrière le comptoir, tout heureux comme lorsque n'importe quel client l'appelait par son prénom.
Min Gyu attrapa sa tasse et sentit le café qu'on venait de lui apporter. Il n'avait aucun doute sur le fait qu'il devait être délicieux, cela faisait un moment maintenant qu'il avait appris à avoir une confiance aveugle en Won Woo dans le choix de sa boisson, mais ce qui lui plaisait encore plus aujourd'hui était de se rendre compte que les effluves atténuait quelque peu son obsession envers le parfum inconnu.
Il prit son temps pour savourer sa boisson, et comme prévu elle était excellente, et picora sa tartelette, très peu désireux de perdre toutes ces saveurs et revenir de retrouver son problème. Pourtant, les vas et vient de l'équipe le titillait quelque peu et lorsqu'il les vit fermer les portes du café, il ne put s'empêcher de demander.
— Vous fermez plus tôt ?
— Oui, nous devons faire un très gros inventaire avant ce week-end. L'hiver approche et nous allons changer une partie de la carte des boissons en fonction de ce qu'il nous reste.
— Je me dépêche et vous laisse donc tranquille.
— Ne vous inquiétez pas Mr Kim, prenez votre temps et partez lorsque vous avez fini.
— Mr Kim peut peut-être nous aider Jeong Han, proposa Won Woo sortant d'une pièce derrière le comptoir. Si ça ne vous dérange pas bien entendu.
Min Gyu ne put s'empêcher de remarquer qu'il avait très peu entendu la voix de Won Woo depuis que le café avait ouvert. C'était assez dommage, celui-ci ayant un timbre profond et chaleureux qui lui plaisait bien.
— Comment je peux vous aider Won Woo ?
—Vous avez bu tous les cafés que nous proposons ici, votre avis pourrait nous aider. J'ai beau connaître mes cafés sur le bout de la langue, mon avis n'est pas objectif. D'autant plus que mon palais n'est habitué qu'aux grains que nous proposons ici, contrairement à vous qui devait consommer des boissons venant d'ailleurs.
Bien qu'il savait que ce n'était qu'un constat, Min Gyu se sentit presque coupable de boire des cafés ne venant pas de l'Antea'clea.
— Ce n'est pas un reproche ! Désolé si ça sonnait comme ça, s'inquiéta Won Woo. Ce que je veux dire c'est qu'en consommant dans plusieurs endroits, votre palais n'est pas conditionné à notre café. C'est juste pour avoir deux opinions différentes.
Won Woo paraissait gêné et bafouilla même sa dernière phrase. Min Gyu le rassura et accepta même son offre. Qui était-il pour passer à côté d'une telle opportunité et ainsi s'assurer que ses boissons préférées restent au menu ?
Sa réponse sembla faire plaisir au barista qui lui offrit même un de ses rares sourires. Il lui demanda de l'attendre un instant et partit dans la pièce attenante au comptoir. il en ressortit un bonne minute plus tard, un plateau entre les mains sur lesquelles se trouvaient différents pots en verre qui semblaient contenir des échantillons de café. Il le posa sur la table, face à Min Gyu, avant de s'installer à son tour à une chaise.
— J'ai déjà éliminé certains grains de café soit parce qu'ils n'étaient vraiment pas de bonne qualité, soit parce que le prix d'importation a bien trop augmenté. Il est hors de question de faire de l'Antea'clea un endroit au-dessus des moyens de nos clients.
Son air déterminé fit sourire Min Gyu qui reprit très rapidement un visage neutre quand il croisa le regard d'incompréhension de Won Woo.
— Très bien, donc comment voulez-vous que l'on procède?
— On va commencer par sentir les grains, ça nous permettra de voir de quelle manière ils conservent leurs arômes. Tenez la liste des grains, il faudrait que vous notiez à côté de chacun d'entre eux sa caractéristique. S'il paraît fort, doux, fruité, chocolaté et tout autre sorte d'adjectif qui vous viendraient à l'esprit.
— Je ne suis pas un expert comme vous.
— C'est justement tout l'intérêt. Si votre impression correspond à la réalité, alors nous sommes sur un grain fidèle. Essayez avec le premier.
Il attrapa un des pots en verre, en retira le couvercle et le tendit vers Min Gyu qui se pencha légèrement pour sentir son contenu.
— Tu crois que Won Woo essaye de pécho Mr Kim ? entendirent-ils alors pas très loin.
— Ignorez Seok Min, vous verrez, vous vous porterez mieux, lui dit simplement Won Woo avant d'amener le pot à lui et de le sentir à son tour.
Mais déjà Min Gyu avait l'esprit ailleurs. Il pensait à son âme sœur, dont l'odeur était à présent annihilée par celle du café. Allait-elle revenir ? Ou bien ce qui lui était arrivé était seulement une sorte d'illusion ? Après tout, il n'était même pas sûr de la réelle existence du Syndrome du Machaon.
— Mr Kim ? le sortit de ses pensées Won Woo.
— Oh désolé. Vous disiez ?
— Si vous êtes occupé, vous pouvez parfaitement partir.
— Absolument pas ! Surtout si comme je l'espère, vous m'offrirez un café à boire après ça.
— C'est un rencard ou je m'y connais pas.
Won Woo et Min Gyu se retournèrent vers Seok Min qui se trouvait désormais à la table voisine et les observait avec un grand sourire.
— Seok Min ... tu es sûr de ne rien avoir à compter ? S'il nous manque quelque chose lors de nos rendez-vous commerciaux, ce sera déduit de ta paye, tu en es conscient j'espère ?
— J'y retourne tout de suite.
Il partit rapidement, un air faussement effrayé sur le visage qu'il effaça rapidement au profit d'un petit sourire. Won Woo leva les yeux au ciel avant de retourner son attention sur les grains de café sur la table et sur Min Gyu face à lui.
— Je vous propose de sélectionner quelques grains susceptibles de rester et j'irai les préparer pour qu'on les goûte ?
— Avec plaisir.
Ils se sourirent et Min Gyu se surprit à penser un instant qu'il était confortable de rester dans ce café, en compagnie de Won Woo et sa passion, Seok Min et son humour taquin, Jeong Han qu'il voyait du coin de l'œil surveiller ce qu'il se passait et Seung Cheol qui passait régulièrement derrière son compagnon pour détourner son attention à coup de pâtisseries.
Et sans qu'il ne s'en rende compte, la soirée avança et la nuit tomba. Du café dans les veines, Min Gyu se sentait plus en forme que jamais et surtout, il n'avait absolument pas vu le temps passer. Ce fut même à regret qu'il annonça son départ.
— Vous voulez continuer demain ? demanda Won Woo alors qu'il l'accompagnait jusqu'à son taxi. Ce n'est pas une obligation, c'est juste que ...
Il sembla chercher ses mots et Min Gyu se voyait mal refuser son offre.
— Peut-être pas aussi tôt qu'aujourd'hui, mais ça doit être possible.
— Génial. Je dois recevoir un échantillon de grains et aussi quelques thés. Je souhaite étoffer notre offre de thé puisque nous avons de plus en plus de grands consommateurs et la préparation du thé est aussi intéressante que celle du café ... vous aimez le thé Mr Kim ?
La question le prit presque au dépourvu. Mais s'il avait compris quelque chose ce soir, c'était que derrière son aspect calme et réservé, Won Woo pouvait se montrer très entreprenant lorsqu'il s'agissait de son métier.
— Je n'en bois pas beaucoup, je vous l'avoue, mais pourquoi pas ?
— Génial ! Enfin, je veux dire ... très bien. Alors nous nous disons à demain Mr Kim ?
— Min Gyu.
Won Woo fronça les sourcils, peu sûr de comprendre.
— Je vous appelle par votre prénom, alors autant que vous utilisiez le mien. Mais oui, à demain Won Woo. Bonne soirée.
Il entra dans le taxi sans jeter un regard supplémentaire au barista. Pas qu'il ne le voulait pas, mais il ne savait pas trop ce qu'il lui avait pris en lui demandant d'utiliser son prénom. Le temps d'un instant, il avait eu l'impression que la présence de Won Woo devenait intime. Il ne saurait l'expliquer mais là, dans la nuit, un vent frais les entourant et pour seul bruit de fond le son des voitures qui passait, il avait eu la sensation que l'atmosphère avait gardé la chaleur du café. Une chaleur qui ne les entourait que tous les deux. Sûrement une trop grosse consommation de caféine.
Il avait passé une bonne soirée. Instructive et agréable. Mais maintenant qu'il s'éloignait du café et par conséquent de son entreprise, son problème initial refaisait peu à peu surface.
L'odeur du café quittant peu à peu son esprit et son nez, il avait l'impression que le parfum qui l'avait obsédé toute la journée se rappelait à lui. Et surtout avec beaucoup plus de force.
Bon sang.
Le trajet jusque chez lui fut tout simplement insupportable. A chaque mètre parcouru, il se sentait de plus en plus tremblant, comme un toxico en manque. Si la situation empirait à chaque fois un peu plus jusqu'à ce qu'il trouve son âme sœur, la situation risquait de devenir invivable. Travailler allait même être un calvaire... à moins qu'il ne bouge son bureau derrière le comptoir de l'Antea'Clea. Là, il aurait peut-être un moyen de ne pas devenir fou.
Lorsqu'il arriva chez lui, il fonça sous la douche, peu désireux de repousser l'heure du coucher, avant d'attraper une boîte de somnifères et d'en avaler un et de se coucher. Il espérait seulement que la nuit, à défaut de lui porter conseil, ne vienne apaiser ces sensations. Même un petit peu.
Loupé.
Le lendemain matin, il avait l'impression qu'un bus lui était passé dessus et avait fait marche arrière pour être sûr de l'achever une dernière fois. Sa tête allait exploser et il était à deux doigts d'appeler son patron pour se faire porter pâle. Sauf qu'il était le patron et qu'il avait un rendez-vous très important aujourd'hui.
Il regarda l'heure et soupira. S'il ne se levait pas maintenant, il était fichu. Surtout s'il voulait passer au café avant de monter dans son bureau. Il donnerait tout pour revivre la même sensation que la veille au soir lorsque son cœur ne faisait pas de rallye et que sa tête n'était pas adepte de sports de combat. Même nouer sa cravate se révéla être un défi.
Il finit par abandonner, rangea le morceau de tissu dans sa serviette et sortit de chez lui pour rejoindre sa voiture. Il devrait penser à remercier Jun Hui d'avoir prévenu son chauffeur. Jamais il ne se serait senti capable de prendre le volant dans son état. Les sensations étaient pires que lors des cuites qu'il avait pu se prendre lorsqu'il était étudiant.
Lorsque son chauffeur lui annonça qu'ils étaient arrivés, il le remercia, regarda sa montre et soupira de soulagement en voyant qu'il avait le temps de passer au café, priant tous les dieux qu'il pouvait connaître pour que les effets de la caféine soient aussi efficaces que la veille. Il passa la porte de l'Antea'Clea, envoyant au passage un message à Jun Hui pour le prévenir, et avança directement vers le comptoir.
— Bonjour Mr ... Min Gyu. Qu'est-ce que je vous sers ?
Min Gyu leva la tête et vit face à lui un Won Woo un peu plus rayonnant que d'habitude et qui surtout, l'avait appelé par son prénom, comme il le lui avait demandé la veille.
— Un robusta à emporter s'il vous plaît Won Woo, lui répondit-il, se rappelant de quelques infos que le barista lui avait appris. Sous n'importe quelle forme du moment qu'il soit fort en caféine.
— Je vous prépare ça.
Il partit dans la réserve pour en revenir avec un sac de grains qu'il fit sentir à l'autre homme tout en lui expliquant sa particularité. Apaisé par l'odeur du café, Min Gyu écouta les paroles de Won Woo avec un petit sourire. Il ne savait pas comment il avait fait pour considérer le jeune homme comme quelqu'un de très calme et très réservé. Même s'il était peut-être réellement comme ça, ce n'était pas le cas lorsque ça parlait café. Même avec toutes les choses qu'il avait pu lui raconter la veille, il arrivait à avoir des dizaines de nouvelles choses à lui apprendre.
— Et voilà pour vous. Passez une bonne journée.
— Merci. Vous aussi Won Woo.
Il attrapa le gobelet, paya et regagna son entreprise. Il salua à droite, à gauche, quelques employés qui le reconnaissaient et prit l'ascenseur, l'esprit bien plus calme qu'à son réveil. Dieu qu'il allait garder sa boisson le plus longtemps possible pour pouvoir respirer les senteurs caféinées jusqu'à la fin de la journée si ça pouvait l'aider à résister au Syndrome.
Il but quand même une gorgée du breuvage, curieux du choix du barista et découvrit au passage une trace noire sur le gobelet. Il le leva devant ses yeux et y vit un message.
« Prenez soin de vous. Laissez tomber pour ce soir si ça va mal. Bonne journée. »
Et la journée fut effectivement plutôt bonne. Le contrat fut signé et au lieu d'apporter une douceur au nouveau collaborateur, il l'invita à l'Antea'clea ... sans arrière-pensée bien entendu, pour la simple et bonne raison de déguster une pâtisserie accompagnée d'un café que Won Woo leur aurait personnellement choisi. Ce n'était pas du tout pour venir calmer cette horrible sensation qui avait refait surface pendant sa réunion. Mais même avec ce mensonge, Min Gyu ne pouvait nier qu'il était heureux d'avoir convaincu l'autre homme de venir ici.
— Eh bien Mr Kim, si je n'avais pas déjà signé notre contrat, je l'aurais fait maintenant rien que pour cette tartelette citron à tomber.
— Ah ça, Mr Kwon, c'est ce que l'on pourrait appeler mon sortilège de réussite. Je n'ai encore vu personne rester de marbre face aux pâtisseries que nous propose Mr Choi.
— Je veux bien vous croire. Cet endroit est divin.
Ils se saluèrent peu de temps après à l'entrée de l'entreprise où un chauffeur attendant l'homme d'affaire, avant que Min Gyu ne retourne dans le café.
— Vous auriez dû nous prévenir que vous veniez, lui dit Jeong Han. Nous vous aurions préparé votre table en avance.
— Oui, désolé Jeong Han si ça vous a dérangé que l'on vienne comme ça. Je vous avoue que pour aujourd'hui, je n'avais pas très envie de rester dans le bureau à siroter un café sans savoir de quoi il s'agissait.
— Vous êtes devenu accro à Won Woo, Mr Kim ? s'exclama Seok Min qui passait, comme par hasard, par là.
Min Gyu ouvrit grand les yeux et ouvrit la bouche pour répliquer ... à moins que ce ne soit pour recommencer à respirer. Heureusement pour lui, Seong Cheol, qui avait assisté à la conversation, intervint en donnant une tape à l'arrière de la tête du serveur.
— Mais je parle du café ! réagit-il. Il était là hier, ils ont parlé café et maintenant, il ne peut plus se passer de son expertise ! Vous comprenez toujours mal ce que je dis.
Il se mit alors à bouder et partit dans l'arrière-boutique, faisant y sortir Won Woo qui s'approcha d'eux un air interrogateur sur le visage.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? Pourquoi j'ai vu Seok Min marmonner des choses sans queue ni tête comme un enfant de six ans qui aurait été grondé ?
— Rien du tout. Un petit ... malentendu, lui dit précipitamment Min Gyu qui, pour une raison qu'il ne comprenait pas, n'avait pas très envie que le barista apprenne la vérité. Bon, je vais rejoindre mon bureau, on ... se voit plus tard.
Sa phrase sonna presque une question à laquelle Won Woo répondit par l'affirmative, lui annonçant qu'il avait reçu la commande qu'il attendait et qu'il ne l'avait pas encore ouverte, attendant leur rendez-vous pour ça. L'aveu fit plaisir à Min Gyu, même s'il ne l'avouerait sûrement jamais. Il avait l'impression de partager quelque chose avec cet homme qui vivait sa passion.
Alors c'était avec une joie non feinte qu'ils enchaînèrent ces soirées de dégustations, de discussions et de débats. C'était une bouffée d'air frais et caféiné que Min Gyu appréciait énormément. Ces soirées lui avaient aussi permis de calmer son obsession. Il ne savait pas de quelle manière exactement cela fonctionnait, peut-être la surconsommation de café avait eu raison du syndrome, mais il s'était senti serein. Pas de palpitations incontrôlables, pas d'esprit ne parvenant pas à se concentrer.
Rien.
Min Gyu s'était même demandé si tout ceci n'avait pas été une simple fabulation de sa part. Peut-être qu'il avait été surmené et que ralentir le rythme lui avait fait du bien. C'était sûrement ça.
Enfin ...
Il le crut pendant encore une semaine, jusqu'à ce qu'il ressente à nouveau cette odeur et que son cerveau implose sous l'amas de sensations qui lui revenaient en force. C'était comme si, pendant ces semaines de répit, son corps avait accumulé les effets de cette obsession et que ce trop plein avait besoin de sortir maintenant que l'odeur réapparaissait. Et le pire dans tout cela était qu'il avait senti ce parfum devant les escaliers qui menaient à son entreprise. Cet.te inconnu.e était passé.e devant son travail il y a peu.
Il fut alors contraint, une douce contrainte s'il devait être sincère, de passer plus de temps au café, luttant à chaque fois un peu plus pour garder consistance. Et le pire arriva lorsqu'il dut partir en voyage d'affaires. Le voyage ne dura que deux jours et pourtant, dans sa tête, il en passa une infinité de plus.
A son retour, il ne perdit donc pas une seule seconde avant d'intimer son chauffeur de se rendre devant son entreprise. Celui-ci tenta de l'en dissuader mais il ne l'écouta pas. Ce qu'il ressentait n'était plus un besoin mais une obligation. Il lui fallait rejoindre le seul endroit où son esprit acceptait de le laisser en paix.
Mais lorsqu'il arriva devant les portes closes de l'Antea'clea, Min Gyu se maudit. Il jeta un coup d'oeil à sa montre et découvrit qu'il était encore bien trop tôt. Il laissa sa tête retomber sur la porte du café et ferma les yeux d'épuisement.
— Min Gyu ? Qu'est-ce que vous faîtes là ?
Le susnommé se retourna et vit Won Woo s'approcher de lui. Même dans l'obscurité, il percevait son air étonné et inquiet.
— Je voulais prendre un café à mon retour de voyage d'affaires ... je n'ai pas fait attention à l'heure. Je repasserai.
— Ne racontez pas n'importe quoi. Puisque je suis là, je vais vous préparer quelque chose de costaud. J'ai bien l'impression que vous en avez besoin.
Il s'avança à nouveau, obligeant l'autre homme à se décaler. La porte enfin ouverte, Won Woo s'engouffra dans le café sans perdre une seconde, presque comme si leur proximité était un problème. A son passage, il provoqua un courant d'air qui vint frapper de plein fouet le visage de Min Gyu qui, d'un réflexe qu'il ne put contrôler, attrapa le bras du barista pour l'attirer à lui.
— Min Gyu ? Je ... que ...
Il ne continua pas sa phrase et observa Min Gyu qui vint coller son front contre le sien, sa main qui tremblait enserrant toujours son bras comme s'il avait peur qu'il s'enfuit.
— C'était toi ... depuis le début ...
— Moi ? Mais ...
— Cette odeur ... elle me fait perdre la tête et depuis le début, elle était juste à côté de moi ?
— Une ... alors toi aussi tu la sens ?
Min Gyu releva la tête et riva son regard dans celui presque larmoyant de Won Woo. Ce dernier se détacha de son étreinte avant d'attraper sa main et de le tirer à l'intérieur du café. Il le fit s'asseoir à leur table habituelle et partit derrière le comptoir.
Quelques minutes plus tard, il revint avec un plateau sur lequel reposaient deux tasses de café et une boîte. Il déposa les tasses, d'une main que Min Gyu découvrit presque aussi tremblante que les siennes, avant d'attraper la boîte, de l'ouvrir et de la tendre à Min Gyu.
— Sens. Ca calmera les pulsions de ton cerveau.
— Comment tu le sais ? demanda Min Gyu en obéissant malgré tout.
— Le Syndrome du Machaon ...
— Tu ...
— Une plaie. Et le café est la seule chose qui puisse atténuer le bordel qui est créé par une simple odeur. Je pensais que c'était à sens unique.
— Alors toi aussi tu as la même chose ?
Won Woo secoua la tête et resta pensif un petit moment.
— Quand on cherchait un local pour ouvrir le café avec Jeong Han, on n'avait pas du tout imaginé s'installer ici. A l'origine, on voulait une petite rue isolée, tranquille. Puis en passant par ici, j'ai senti ton odeur. Je savais pas encore que c'était la tienne, j'ai mis du temps à le découvrir. Entre temps, j'ai compris que le café m'aider à calmer cette obsession qui me faisait presque perdre contrôle de mon propre esprit. Tu aurais dû voir mon état avant ça, un vrai drogué en manque. Puis, un jour, je suis repassée devant l'entreprise et l'odeur était encore là. Le lendemain, j'ai voulu faire un test et je suis revenu devant et l'odeur était à nouveau là. Alors on a loué le local collé à l'entreprise.
Won Woo vivait donc avec ce syndrome depuis tout ce temps ? Comment avait-il fait pour ne pas devenir fou ? Lui le supportait pas alors qu'il vivait avec depuis moins longtemps.
— Pourquoi je ne t'ai pas senti plus tôt alors ? Vous vous êtes installés depuis un moment ... j'aurais dû sentir ton odeur avant !
— Depuis que nous sommes quatre, j'ai fini par adapter mes heures. Je n'ai plus besoin d'arriver aussi tôt ... alors mon odeur est plus présente à l'entrée de l'entreprise quand tu arrives. Et lorsqu'on se croise, mon odeur est camouflée par celle du café. La tienne le devient lorsque tu passes plus d'une heure ici.
Alors pour lui aussi, le café était comme un lieu de calme et de paix où son corps mettait en pause cette horrible obsession ?
— Et Jeong Han, il est au courant ?
— Oui ... il a fallu que je lui explique pourquoi nous devions nous installer ici. C'est d'ailleurs pour ça que le café s'appelle ainsi. Anticléa était l'épouse de Machaon, personnage de la mythologie grecque.
— Pourquoi ne pas t'être éloigné le plus possible lorsque tu as compris d'où venait l'odeur ?
— Qui serait assez fou pour fuir la personne qu'on nous a désignée comme âme sœur ?
Min Gyu ricana. C'était vrai. Qui serait assez fou pour cela ? Lui peut-être ... sûrement même. Il aura même mis des milliers voire des millions de kilomètres entre cette foutue odeur et lui s'il avait été assuré que cela aurait tout arrêté. A dire vrai, la seule présence du café l'avait aidé à rester. Sans cela, il aurait sûrement monté une nouvelle branche de son entreprise et y aurait installé son siège là-bas.
— En plus ... Rien ne garantissait que le syndrome ne s'aggrave pas de cette manière.
— Et maintenant ? Qu'est-ce qu'on fait ? Tu m'as trouvé, je t'ai trouvé, il paraît qu'on est âme-soeur ... alors quoi ? On se marie, on fait des enfants et la vie est belle ?
Min Gyu avait l'impression d'être acariâtre mais il y avait quelque chose dans cette histoire qui le mettait hors de lui. Est-ce qu'il devait écouter ce que les gens appelaient le destin ? Une force inconnue lui faisait vivre un enfer pour trouver son âme sœur et il devait s'en contenter ?
— Maintenant, on va juste continuer notre vie tranquillement.
— Quoi ... c'est tout ? On vit un enfer et maintenant qu'on s'est trouvé, c'est fini ?
Oui, il était peut-être assez hargneux ce matin, mais en plus du manque de sommeil, il se sentait vraiment agacé par l'idée d'oublier tout ce qu'il venait de se passer.
— Bah ... ça dépend en fait. Je ne sais pas du tout ce qu'il va en être du syndrome désormais. Est-ce qu'il suffit qu'on se reconnaissent pour le calmer ? Ou bien doit-on être ..., dit-il en les pointant successivement du doigt.
Ensemble ... c'était sûrement ce que Won Woo voulait dire.
— Si vous voulez, continua-t-il, on pourrait continuer nos soirées café et continuer à apprendre à se connaître ... surtout qu'une force a voulu que nos chemins se croisent, chuchota presque Won Woo qui avait repris le vouvoiement de gêne.
— Tu veux dire d'autres cafés ensemble ?
— Oui ...
— C'est ce que tu veux ?
Won Woo hocha la tête en déviant son regard. Mais Min Gyu, était-ce ce qu'il voulait ? Laisser sa vie être dictée par une force du destin inconnue ? Et en même temps, perdre l'opportunité qu'on lui donnait de se rapprocher encore de celui qu'on lui qualifiait d'âme soeur n'était-il pas un trop gros risque de ne jamais connaître le bonheur ?
A dire vraie, Min Gyu aurait pu tergiverser des jours et des jours, voire des semaines avant de trouver une réponse à ces questions s'il n'existait pas une donnée dans l'équation qu'il se devait de prendre en compte.
Une donnée qui s'appelait Won Woo, avec qui il avait passé des soirées à parler café et thé et parfois même un peu d'eux, à rire et ne pas voir les heures défiler. Ils s'entendaient bien, c'était indéniable, et il devait se l'avouer, à plusieurs reprises, il n'avait pu s'empêcher de trouver Won Woo agréable aussi bien pour son physique que sa personnalité.
Alors était-il prêt à leurs donner une chance de se rapprocher encore ?
— Eh bien d'accord. Faisons ça. Mais pour ça, recommençons du début d'accord ? Je suis Kim Min Gyu, PDG de l'entreprise où se trouve ton café et si j'en crois ton odeur, il semblerait que nous soyons âme sœur.
Won Woo pouffa avant de serrer la main que lui tendait l'autre homme.
— Jeon Won Woo, je suis barista et copropriétaire du café où nous nous trouvons. Et ça tombe bien, parce que ton odeur me dit la même chose. Je crois que ça s'appelle le Syndrome du Machaon ... on pourrait peut-être faire des recherches ensemble autour de quelques cafés ?
— Avec plaisir. J'adore le café.
— Parfait ... et si nous commencions dès aujourd'hui ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top