Chapitre 33 - Utopie

— Il... Il faut que je sorte...

Ses amis fixaient la jeune fille d'un regard horrifié. Céleste laissa tomber la lettre de son père au sol et sortit en trombe de la petite chambre. Le monde tournait sous ses yeux tandis que son corps était secoué de spasmes. Elle chancela un instant dans le couloir du troisième étage et s'appuya au mur en tentant de reprendre contenance.

Lorsqu'elle eut repris un semblant de conscience, Céleste partit en courant vers l'escalier principal, des larmes ruisselant sur son visage brisé par la douleur. Ignorant les appels de ses camarades et des formateurs, qui lui intimaient l'ordre de s'arrêter en cette heure si tardive, la jeune Pupille se précipita dans la cour déserte des Archives. Elle se laissa alors tomber dans l'herbe auprès de l'un de ces ruisseaux artificiels et put enfin pleurer tout son soûl sans craindre d'être vue. Elle avait l'impression d'avoir épuisée toutes les larmes contenues dans son corps tant elle avait pleuré ces dernières semaines, et lorsque celles-ci furent étanchées, elle avait l'impression d'être vidée, de n'être plus qu'une coquille vide. Céleste ne comprenait plus rien, et, de toute manière, elle ne voulait rien comprendre.

Les mots écrits de la main de son père repassaient en boucle dans sa tête, tel un titillant refrain qui ne vous quitte plus et vous trotte dans l'esprit des jours durant. Qu'est-ce que cela signifiait ? Sa mère lui aurait donc menti ?

Non, se résonna-t-elle, bien sûr que non. Elle n'allait tout de même pas croire les propos tenus par l'Homme Noir, qui privilégiait avant tout le mensonge et la corruption. Il désirait sûrement ardemment donner tort à Lisæ et ramener sa fille de son côté en racontant des ignominies sur sa mère et son père adoptif. Mais Céleste ne se laisserait pas prendre au piège, oh non, pas après avoir été témoin du traitement que son père biologique infligeait à sa sœur et à Éric Wonderline. Toute cette histoire avait assez durée, c'en devenait ridicule, car elle-même n'y comprenait plus le traitre mot.

« Il est temps d'en finir ». Cette phrase en particulier inquiétait la jeune fille, sans qu'elle sache exactement pourquoi. Il ne faisait aucun doute qu'Émile parlait là du règne des Magiciens.

« Poursuivons ce que nous avons commencé »... Était-il possible que Lise ait eu le même objectif que son premier amant ? Était-il possible qu'elle ait un jour voulu nuire aux Magiciens ? Si c'était le cas, alors elle avait considérablement changé de point de vue en quelques années.

Et enfin, l'Homme Noir évoquait ce qu'il appelait "l'Oiseau" comme étant convoité par Lisæ. Mais de quoi s'agissait-il ? Céleste ignorait tout ce que ce cirque pouvait bien vouloir signifier, mais ce qu'elle n'ignorait pas et qui était réel dans les propos de son père était que sa mère lui avait bel et bien menti. Peut-être avait-elle eu de bonnes raisons de le faire, mais toujours était que Céleste était blessée et offusquée à l'idée que Lise ait pu lui cacher des faits d'une importance primordiale.

La jeune fille s'étendit de tout son long dans l'herbe humide et contempla la voûte qui s'étendait, irréelle, au-dessus d'elle. Chaque étoile semblait unique et différente, mais chacune paraissait soutenir une part du ciel. Chacune d'elle semblait avoir une place dans l'univers, une place importante qui ferait s'effondrer toutes les autres si elle venait à manquer au devoir. Mais si chaque particule, chaque élément possédait une place distincte et définie, pourquoi Céleste n'en posséderait-elle pas ? Pourquoi n'aurait-elle aucune raison d'être ? Elle en avait une, c'était une évidence, seulement devait-elle la trouver et la découvrir par elle-même. Mais avant cela, elle devait impérativement venir en aide à ses amis et à sa famille. Ou peut-être les deux étaient-ils liés ? Peut-être était-elle là, sa raison d'être, dans un espace reclus et indéfini, dans un non-lieu de son être où elle n'attendait qu'à être révélée au grand jour. Pour cela, Céleste savait que ses amis l'y aideraient.

Ses amis... Hugot était un ami, et ils ne faisaient rien pour le retrouver. Ils se contentaient d'attendre un miracle, un miracle qui n'arriverait jamais s'ils ne tentaient rien. Le jeune homme avait toujours été là pour elle, mais la jeune fille ne lui offrait rien en retour. Elle lui devait bien cela, elle lui devait de lui venir en aide, alors qu'il était peut-être perdu partout et nul part à la fois.

À la pensée d'un Hugot terrifié et perdu au milieu d'une terre désolée, Céleste sentit les larmes menacer de poindre à nouveau. Aussi ferma-t-elle les yeux pour s'enfermer dans un espace de la conscience qu'elle seule pouvait visiter. Dans son utopie, aucun sentiment ne l'atteignait, que ce soit de la tristesse ou de la joie. Dans cette espace hors du temps, elle n'était plus rien qu'un fragment de conscience, elle semblait faire corps avec le néant, tandis que les particules de son corps se mêlaient avec celles de chaque élément, physique ou psychique. Elle faisait partit de tout et de rien. Elle n'était plus que poussière et atomes, elle n'était plus qu'éléments insécables et que vide, un vide qui résumait à lui seul le cœur qu'on lui arrachait ou le garçon disparu. Ciel et terre, plus rien n'existait, et plus rien n'avait d'importance. Tout n'était plus qu'un mélange indistinct, sombre et clair, obscur et lumineux. Et au milieu de tout cela, Céleste se sentait puissante. Elle avait la nette impression qu'elle pouvait tout y contrôler, que le fait de faire corps avec les éléments qui l'entouraient lui permettait d'agir sur ce monde inexistant à sa guise. Elle pouvait sentir la frontière entre ces deux univers, ou le psychique jouxtait au réel, et elle savait qu'en cet endroit précis, elle pouvait agir sur le réel depuis l'irréel. Cette impression lui était familière, alors qu'elle aurait dû lui sembler nouvelle.

La jeune fille rouvrit précipitamment les yeux, prise de vertige. Était-ce vraiment possible ? Pouvait-elle agir sur l'univers réel uniquement par la force de son esprit ? Si elle s'en tenait à l'exploit lui ayant permis de lire la lettre de son père, alors elle dirait que oui. Mais lui était-il possible d'effectuer un autre phénomène par l'intermédiaire de la pensée ? Pour le savoir, elle devrait renouveler l'expérience. Elle remit pourtant cette idée à plus tard, car elle avait plus important à accomplir.

Elle devait retrouver Hugot

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