Chapitre 26 - Sombre tombeau

La salle des départs semblait banale au premier abord. C'était une salle entièrement vide au sol et aux murs de pierre. Les élèves se tenaient rassemblés devant des hommes et des femmes en toges blanches, que Céleste reconnaissait pour être des agents de l'Institut des Portes. Plongée dans une hébétude singulière, elle sortit de ses pensées lorsque les agents se répartirent tout autour de la pièce. Ils tendirent les bras de chaque côté de leur corps, fermèrent les yeux et commencèrent à murmurer des formules dans une parfaite synchronisation. Cet étrange spectacle dura de longues minutes avant que les agents ne cessent soudainement leur activité. Alors, la pièce s'illumina soudain de milles et une couleurs, et des fissures qui semblaient faites uniquement de lumière apparurent aux quatre coins de la pièce. Les élèves se répartirent devant chaque Porte en fonction de la zone qui leur avait été attribuée.

Céleste sortit son dossier sur lequel était écrit à l'encre noire : « Nocé, Normandie ». Étant donné qu'ils effectuaient leur première mission, chacun s'occupait d'un petit territoire, qui était souvent un petit village ou un hameau. Elle vit alors une femme en toge blanche s'avancer vers elle.

— Tu ne sais pas quelle porte prendre ? lui demanda-t-elle. Puis-je t'aider ?

— Oh, non, merci, répondit la jeune fille, gênée Je n'ai pas besoin d'emprunter une Porte pour changer de monde.

La femme la contempla longuement, bouche bée. Elle cligna plusieurs fois des yeux avant de se ressaisir.

— Tu es une Sans-Frontières ? C'est... un don extrêmement rare. Je n'en avais jamais vu de mes propres yeux. À croire que toute cette histoire était une légende... Eh bien, bon courage !

Céleste la remercia, avec la fort désagréable impression d'être une bête de foire. « À croire que toute cette histoire était une légende... ». Euh... Quelle histoire ? Chassant ses incessants questionnements intérieurs, la jeune fille prit une profonde inspiration et se laissa tomber dans le néant. Elle se sentit tourbillonner dans l'obscurité, tiraillée par une force invisible qui l'emportait loin, très loin, toujours plus loin. Elle percuta soudain brutalement l'asphalte d'une route serpentant au milieu de la campagne environnante. Elle était bordée d'arbres et de pâturages où paissaient paisiblement des vaches. Au loin, la jeune fille apercevait un tranquille village illuminé par les couleurs rouges-orangées du soleil couchant. Plongée dans sa contemplation, elle n'entendit pas la voiture arriver. Un puissant bruit de klaxon l'alerta et Céleste bondit sur les bords de la chaussée, manquant de justesse de se faire écraser. Elle atterrit douloureusement dans un fossé pleins de ronces et d'orties, qui lui écorchèrent les bras et les jambes. Avec un juron, elle se releva et poursuivit son chemin.

En arrivant aux premières maisons du village de Nocé, la jeune fille enjamba la barrière bordant le bas-côté et s'éloigna au milieu des champs. Elle s'adossa enfin à un arbre après avoir vérifié que personne ne pouvait la voir, bien à l'abris du feuillage. Céleste sortit aussitôt son dossier et entreprit de le lire en diagonal. Le premier habitant à aller voir était un certain M. Michel, qui était d'un âge plus ou moins avancé et se couchait donc dans les environs de vingt et une heures. Sa demeure se trouvait aux abords d'un parc.

Céleste se mit donc en route. Lorsqu'elle fut arrivée au pieds d'une première habitation, elle sortit de sous sa cape une longue corde qu'elle noua de sorte à ce qu'elle ressemble à un laçaut. Elle la fit tourner au dessus de sa tête à la manière d'un cow-boy et la lança de toutes ses forces en direction du toit. La corde atteignit aussitôt sa cible, venant s'accrocher autour d'une girouette en forme de coq. La jeune fille prit alors son courage à deux mains et monta à la corde, comme elle l'avait appris à son cours de Gymnastique, dans le silence le plus parfait. Lorsqu'elle fut en sécurité sur le toit, Céleste décrocha le lien puis le rangea avant de poursuivre son chemin. Elle slalomait entre les antennes électriques et les cheminées avec agilité, enchaînant roues, rondades et multiples pirouettes dans un parfait silence. Elle arriva enfin aux abords du Manoir de Courboyer, qui, comme l'indiquait sa carte, se trouvait à quelques mètres seulement de la maison du vieillard.

Lorsqu'elle fut sur le toit de celle-ci, Céleste descendit sur une terrasse surplombant un petit jardin fleuri et entretenu avec soin et harmonie. Elle fit tourner sa clef universelle dans la serrure de la porte-fenêtre qui n'émit aucun cliquetis compromettant et entra dans la demeure. C'était une maison coquette et confortable, meublée de maints fauteuils et canapés en velours, ainsi que d'une modeste table de bois vernie. Le noble buffet sculpté était recouvert de paperasse et d'objets multiples et variés à l'utilité douteuse. Les murs étaient couverts d'articles de journaux encadrés sur lesquels on trouvait toujours la photo d'un homme, qu'elle supposa être M. Michel, à des âges différents. C'était un homme souriant aux yeux doux et bienveillants, qui avait dut être beau durant sa jeunesse avec sa tignasse brune, mais qui avait perdu sa beauté en vieillissant, la calvitie faisant petit à petit disparaître sa belle chevelure.

Dévorée par la curiosité, Céleste poursuivit sa visite dans les différentes pièces de l'habitation, passant par une immense bibliothèque qui l'avait laissée béate durant plusieurs minutes. Au troisième étage, la jeune fille entra dans une chambre d'enfant. Elle fut d'abord surprise, ne s'attendant pas à en trouver une dans la demeure d'un si vieil homme, mais bien vite, la curiosité repris le dessus. Elle promena son doigt sur une étagère et son index se teinta de gris en rencontrant le nuage de poussière qui la recouvrait, comme elle recouvrait chaque meuble de la pièce. Au-dessus d'un petit lit à baldaquin rose, la jeune fille découvrit une photo dans un cadre, représentant une fillette tout sourire aux magnifiques cheveux roux, des tâches de rousseur parsemant son nez et son front. L'on pouvait voir dans ses yeux bleus une lueur espiègle et rieuse.

Soudain, Céleste entendit le parquet grincer devant la porte de la chambre. Tremblante, les mains moites, elle rassembla le flux de magie qui circulait dans tout son corps. Ne sachant pas exactement ce qu'elle était en train de faire, elle se laissa guidée par son instinct, et sentit une puissance incroyable fourmiller dans son être entier. Et soudain, Céleste devint invisible. Juste à temps, car au même moment, M. Michel pénétra dans la pièce. Il la parcourue du regard, et ses yeux s'arrêtèrent sur la photo de la petite fille, des yeux sombres, noirs, emplis de mélancolie. Il jeta un dernier regard circulaire à la chambre avant de sortir. La jeune fille soupira de soulagement en réapparaissant. Incapable de s'expliquer ce qu'il venait de se passer, elle prit la décision d'écarter cet étrange coup du destin, désormais mêlé à l'incident commis chez Justine quelques semaines plus tôt.

C'est alors qu'un détail attira son attention. Sur le lit, un bouquet de roses rouges avait été déposé, ainsi qu'un papier plié en deux, vraisemblablement un message. Céleste ne pût s'empêcher de l'ouvrir et lut les mots qui y étaient inscrits. Elle chancela en laissant tomber la missive et s'adossa à l'un des piliers soutenant le baldaquin. Son sang se glaça dans ses veines lorsqu'elle repensa aux mots inscrits sur le papier :

« Des roses, rouges comme le sang qui a coulé.
Car la vie est éphémère,
Le temps nous est compté.
Des yeux bleus comme la mer,
Des cheveux roux comme le soleil.
Je t'aime.
Arthur »

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top