Chapitre 21 - Une bien étrange Inspectrice
Lorsque Céleste s'éveilla, elle n'ouvrit pas tout de suite les paupières. Sa tête était aussi lourde que du coton, et un sifflement aiguë chantait contre ses tympans. Elle pouvait sentir le sang battre à ses tempes, et tous les sons lui semblaient amplifiés, à commencer par les battements réguliers de son cœur. Des murmures parvenaient à ses oreilles. Elle reconnut sans peine la voix de Maître Fowl et d'une femme qu'elle supposa être l'infirmière, compte tenu de ce qu'il s'était passé précédemment.
— ... étrange, très étrange. Je n'ai jamais vu une chose pareille chez une Pupille. À moins, bien sûr, que ce soit...
Maître Fowl parla tellement bas que Céleste ne parvint à entendre la fin de sa phrase. Ce fut au tour de l'interlocutrice de son formateur de prendre la parole :
— J'ai fait une analyse, comme vous me l'aviez demander, et les résultats sont formels...
— Alors Céleste Wonderline... commença Maître Fowl.
— N'est pas humaine.
Que... Mais qu'est-ce qu'ils racontent, bon sang ?!
La jeune fille fut soudainement prise de nausée. Alors qu'elle était prise d'un haut-le-cœur, elle ouvrit brusquement les yeux et se redressa subitement sur son lit, le corps agité de soubresauts violents. Les deux adultes la dévisageaient avec inquiétude.
***
Lorsque la jeune fille s'échappa de l'atmosphère confinée aux écœurants relents d'alcool et d'antiseptique de l'infirmerie, elle fit aussitôt part de ce dont elle avait été témoin durant sa convalescence à ses deux amis. Roméo et Lætitia était tous deux estomaqués par cette nouvelle, bien que l'un comme l'autre furent catégorique : c'était tout bonnement impossible et, il fallait l'avouer, parfaitement ridicule.
— Mais qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda Céleste. Vous étiez là, vous, vous avez bien vu ce qui est arrivé, non ?!
— Eh bien, commença Roméo en échangeant un regard nerveux avec Lætitia, c'était très... très effrayant.
— Tu as... poursuivit son amie sur un ton hésitant. Tu as... Hum... Pris feu. Littéralement parlant. Tu étais entourée d'un halo de flammes. C'était vraiment impressionnant !
Mais la jeune fille se moquait parfaitement – et littéralement parlant – de l'impression qu'elle avait pu produire. Elle était inquiète.
— Génial... Je vais encore passer pour le monstre de service, commenta-t-elle d'une voix âpre.
— Bien sûr que non, tentèrent de la rassurer Lætitia et Roméo.
— Vous plaisantez ?! explosa la jeune fille en s'arrêtant net. Non mais, sérieusement, qu'est-ce que vous croyez ? Que tous les apprentis ayant été présents pendant le cours de Maîtrise vont faire comme si de rien n'était ? Comme s'ils n'avaient rien vu ? Eh bah vous vous leurrez, mes pauvres ! Je suis parfaitement bien placée pour savoir quelle est la réaction de tout être humain face à une anomalie. Parce que je suis une anomalie ! C'est ce que j'ai toujours été : une erreur de la nature. Et on me l'a rapidement fait comprendre, à coup d'insultes, de « jamais tu n'aurais dû naître ! » ! Et c'est peut-être vrai, au fond... J'ai été assez stupide pour croire que ce serait différent, ici, que j'y trouverais des personnes comme moi, des personnes qui pourraient enfin me comprendre ! Mais si même ici, je fait tâche, alors elle est où ma place ? Hein ? Elle est où ?
De rage d'ainsi être délaissée et incomprise, des perles salées achevaient lentement leur descente le long de ses joues jusqu'à son menton. Elle donna un violent coup de pied dans le mur, qui n'eut d'autre mérite que de lui casser un ou deux orteils. De fureur et de douleur, elle se détourna pour ne pas offrir à ses camarades le spectacle de ses larmes. Elle s'était suffisamment humiliée comme ça !
— Au fond, Maître Fowl a probablement raison, murmura Céleste d'une voix hachée entre deux sanglots. Si je ne suis pas humaine, je ne suis rien. Et c'est sûrement mieux comme ça. Je ne suis rien et je ne serais jamais, jamais, comme tout le monde !
Une main se posa sur son épaule, et deux bras puissants vinrent l'étreindre dans un halo de chaleur rassurante.
— Bien sûr que tu ne seras jamais comme tout le monde, Céleste, murmura la voix chaleureuse et rassurante de Roméo. Et c'est pour ça qu'on t'aime.
La jeune fille n'eut pas la force de se dégager – ni l'envie, sûrement –, et Lætitia vint doucement s'ajouter à leur étreinte. Céleste sentit les battements de son cœur s'accélérer et son corps s'embraser d'une flamme de reconnaissance.
Elle renifla en hochant péniblement la tête. Elle aurait voulu les remercier, mais son corps grésillant refusait de lui obéir. Son amie lui fit signe de ne rien dire et ils restèrent là, plantés au milieu du couloir, durant quelques minutes qui semblèrent durer des années, et lorsqu'ils se défirent enfin les uns des autres, leur amitié était scellée à jamais, comme si cela faisait déjà un nombre incalculable de décennies qu'ils se connaissaient.
***
Cette après-midi, là, Céleste laissa de côté son marasme, et ignora les regards interloqués de ses futurs collègues lui collant à la peau. Ces derniers fur et beaucoup moins pénibles et insistants que ce qu'elle avait imaginé, à moins que ce ne soit la présence de Lætitia et Roméo à ses côtés qui ait forgé un bouclier dans leur amitié. Elle se découvrit rapidement une passion pour la cartographie, durant laquelle il leur fut enseigné l'art du traçage de cartes.
À la fin de la journée, les apprentis portaient sur le dos près de deux kilogrammes de plus qu'à leur arrivée, dus à l'épais dossier qu'ils avaient été contraints de remplir à chaque heure de formation, et qu'ils devaient ensuite rendre à leur inspectrice générale afin que celle-ci dresse un bilan de ce qu'ils avaient retenu, et de ce qu'ils devraient ensuite améliorer.
Ainsi, le trio faisait patiemment la queue derrière la douzaine d'étudiants les précédant, lorsqu'ils parvinrent enfin à la porte du bureau de Mme. Séliary. Céleste s'y avança timidement, hésitante devant le regard acéré de son inspectrice, aujourd'hui rivé sur un exemplaire de journal.
Elle toussota légèrement et déposa son dossier complet sur la pile déjà haute. La femme n'arqua pas un sourcil, ni ne lui adressa le moindre regard, se contentant de tourner avec une exaspérante lenteur la page de sa revue.
— Intéressant..., fit-elle remarquer à voix haute, alors que Céleste tournait le dos.
Cette dernière se retourna lentement, légèrement inquiète, quoique surtout intriguée.
— Pardon ?
Mme. Séliary releva ses yeux d'un bleu glacial sur le visage de son élève, ses longs doigts aux longs ongles arqués teintés d'un obscur vernis rougeâtre caressant ses deux pommettes.
— Vous ne me semblez pas très au fait de l'actualité, ma chère.
Sa voix était claire et haute, aucun tressaillement n'y perçant, et ses paroles presque exagérément articulées.
— Homme Noir ? Ce nom vous dit quelque chose, au moins ?
La brune ne répondit rien, se contentant de fixer son interlocutrice d'un regard perçant, l'incitant à poursuivre, et cherchant à y détecter une once de sentiment. Mais aucune émotion ne semblait désireuse de troubler d'ondes inégales ce visage froid et inhumain.
— Êtes-vous au moins au courant qu'il terrorise les habitants nocturnes, et dans le seul et unique but de leur forcer la main et de les contraindre de suivre sa façon de penser ?
— Pourquoi me dites-vous cela ? questionna prudemment l'adolescente.
Mme. Séliary reposa délicatement son journal sur la table, et, brisant la quiétude et sa carapace de douceur et de calme, elle frappa violemment sur son bureau du plat de la main, faisant effectuer un bond en arrière à son élève. Elle se leva et rejoignit la jeune fille à une vitesse surprenante. Puis, elle pointa un index accusateur sur sa poitrine avant de profondément enfoncer ses ongles dans les épaules d'une adolescente tétanisée et de lui cracher ces mots au visage :
— Mais parce que, petite idiote, je sais parfaitement tout ce que tu caches et ce qui te lie à cet homme ! Tu croies pouvoir me duper, me mentir, mais je sais parfaitement qui tu es, Cælestis Wonderline... Mais le sais-tu seulement toi-même ? Le sais-tu ?!
Tremblant de tous ses membres, et ravalant ses larmes avec difficulté, Céleste secoua la tête, négativement, et la femme la relâcha. Puis, inspirant profondément, elle se retourna et posa ses mains sur le bureau.
— Ne t'es-tu jamais dit qu'on te cachais bien des choses, Cælestis ? murmura-t-elle plus pour elle-même qu'autre chose. Maintenant va-t'en, et fais entrer les prochains imbéciles qui auront la stupidité de me répondre ! Va-t'en !
Céleste ne se dit pas prier et s'enfuit sans demander son reste ; et ce fût la respiration hachée et les mains tremblantes qu'elle tourna la poignée et plongea dans le couloir avec un soulagement qui ne passa pas inaperçu auprès de ses amis. Elle leur sourit afin de les rassurer, tout en hochant la tête, geste qui ici signifiait « je vous expliquerais plus tard ».
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