Chapitre 16 - Prophètes
Lise apparut alors, émergeant de la foule dense, tout sourire, et se dirigea avec entrain vers Céleste et Lætitia. Tout en leur demandant comment s'était passée leur matinée, elle les conduisit à la terrasse d'un restaurant à l'auvent bleu et blanc sur lequel on pouvait lire : « La mésange bleue ». À peine se furent-elles installées autour d'une table marbrée qu'un majestueux paon atterrit gracieusement devant elles. Céleste réprima un hoquet de surprise en constatant qu'il était vêtu d'un tablier noir et que sur son aile droite reposaient en équilibre un plateau et un bloc-notes. Par respect pour le volatile et compte tenu des mines indifférentes de sa génitrice et de son amie, elle s'abstint de tout commentaire et réussit même l'exploit de conserver une voix neutre et atone tout le temps qu'il fallut à l'oiseau pour prendre leur commande.
Une fois le singulier serveur avalé par les portes battantes du bistrot, Céleste laissa place à son air interloqué.
— Euh... Suis-je la seule à être surprise par la prise de parole des oiseaux en cette ville assez... particulière ? demanda-t-elle timidement.
Lise sourit et Lætitia ne dit rien. La brune lui avait en partie dévoilé son passé fructueux, en omettant certains détails qu'elle ne lui dévoilerait que lorsqu'elle pourrait considérer cette amitié comme infaillible, et son amie comme suffisamment digne de confiance. Après tout, elles ne se connaissaient que depuis la veille !
— Ce ne sont pas de simples oiseaux. Ce sont des Prophètes, Céleste, lui apprit Lisæ. Dès sa naissance, un habitant de Noctis se retrouve lié à l'un d'eux, et seule la mort est apte à les séparer. Ce sont bien sûr deux individus différents qui peuvent vivre leur vie chacun de son côté, mais le lien qui nous unie à notre Prophète est unique. Il permet de nombreuses choses...
Elle n'acheva pas sa phrase, laissant planer dans l'atmosphère détendue un relent de suspens, et sirota quelques secondes sa limonade en silence.
— Il me semble que tu as déjà fait la connaissance d'Élania..., poursuivit la mère de Céleste.
Cette dernière fronça imperceptiblement les sourcils, fouillant dans sa mémoire fructueuse qui avait été quelque peu sollicitée ces derniers temps avec les méandres d'informations qui lui avaient atterris en pleine figure. C'est alors qu'une bribe de souvenir lui revint, ne datant que de quelques jours, mais qui lui paraissaient tellement lointains ! L'image du grand oiseau blanc ayant fait irruption dans sa petite chambre, afin de prendre de ses nouvelles, occulta soudain ses pensées incandescentes.
— Oh...
Ce fut tout ce qu'elle put prononcer durant quelques secondes, exprimant laconiquement sa surprise, tandis que les pièces du puzzle s'emboîtaient soudainement sous sa boîte crânienne, faisant ressurgir la vision d'horreur de cette minuscule plume blanche reposant paisiblement sur le parquet de la chambre de ses parents, dernier fragment de sa mère disparue durant quatre longues années.
— Mais, remarqua-t-elle, pour une humaine et un oiseau censés être liés à vie, vous ne paraissez pas très... proche, si je puis me permettre... Enfin, ce que je veux dire, c'est que je ne l'ai pas vue une seule fois depuis que je suis arrivée à Noctis.
— Comme je te l'ai très justement expliqué, si ces deux êtres sont liés à vie, cela ne signifie pas forcément qu'ils doivent partager le même foyer, ou ne jamais se quitter. Les enfants grandissent avec leur Prophète, en général, mais lorsqu'ils atteignent l'âge adulte, leurs vies se séparent en deux segments divergents. Je suis encore très amie avec Élania, mais celle-ci vit sa vie de son côté, et moi du mien. Voilà tout !
Céleste ne répondit rien, prenant le temps de bien digérer ces informations, comme désormais chaque nouvelle révélation difficile à avaler. Elle acquiesça en se tournant lentement vers Lætitia, qui n'avaient pas prononcer le moindre mot durant toute la durée de leur discussion.
— Et toi, tu... tu es rattachée à un Prophète ? hésita la fille de Lise.
— Mmh, mmh ! répondit simplement la blonde avec un hanchement de tête assez explicite. Une petite chouette avec qui je m'entends très bien.
Elle qui paraissait toujours sûre d'elle, elle semblait cette fois-ci étrangement... Mal à l'aise.
— Et... Je suppose que je ne suis liée à aucun Prophète, n'est-ce pas ? interpréta Céleste. Ce qui est assez logique, puisque je ne suis pas née à Noctis...
Elle se surprit elle-même par le ton légèrement amer sur lequel elle acheva sa tirade, alors qu'une triste résignation s'emparait de son esprit délaissé. Encore une fois, elle se sentit mise à l'écart, seule, abandonnée, et avec personne à qui se rattraper pour ne pas sombrer.
Mais ses sombres constations furent rapidement balayées par le rictus malicieux que Lisæ Wonderline ne parvint à camoufler.
Céleste remarqua alors un tuyau de bronze émergeant de la terre des parois, entre deux racines de plantes grimpantes, et sauta sur l'occasion afin de changer de sujet. Ayant observé le même objet sur chaque bâtiment bordant la chaussée, elle s'empressa de questionner sa mère sur la nature du sujet.
— C'est un récepteur... Une boîte aux lettres, si tu préfères, mais qui fonctionne dans les deux sens et ne nécessite pas de facteur !
Elle désigna alors les légères excroissances de chaque côté du tuyau sur lesquelles se découpaient des chiffres délavés.
Et, comme pour appuyer ses dires, un grondement se fit entendre, semblant émis par le mur lui-même. Un instant plus tard, une lettre fût éjectée du récepteur par un puissant souffle d'air, et atterrit doucement sur leur table. Lisæ la prit entre ses mains et entreprit de la décacheter soigneusement.
Elle la parcourut brièvement et blêmit brusquement, avant de la glisser discrètement dans son sac à main, pensive. Céleste se demandait ce que pouvait bien contenir cette missive, d'autant plus que Lisæ arborait désormais une mine neutre, indéchiffrable. La curiosité est un vilain défaut, disait-on. Peut-être était-ce vrai, mais cela ne l'empêchait pas d'être un défaut fort répandu. La jeune fille refusait de succomber à son appel. Céleste chassa la lettre de sa tête. Ou plutôt, elle tenta de la chasser de son esprit. Son image revenait sans cesse dans l'esprit de la jeune fille. Un combat s'engagea au fin fond de son crâne. La réaction qu'avait eu sa génitrice l'inquiétait, et celle-ci ne paraissait pas prête à lui livrer le moindre détail.
— Hum... Maman, demanda-t-elle, nonobstant ses bonnes résolutions, cette lettre... Enfin... Tout va bien ?
Lisæ fronça imperceptiblement les sourcils, avant de se détendre, malgré son visage ayant pris une délicate teinte blanchâtre.
— Quelle curiosité ! dit-elle en riant, espérant visiblement détendre l'atmosphère et faire baisser la tension.
Mais elle ne répondit guère, confortant Céleste dans ses sombres conjectures.
***
— Il ne nous reste plus que les graveurs ! constata Lætitia, après un léger coup d'œil à sa liste parcheminée. Dois-je appeler Sinelma ?
— Ton prophète ? s'étonna Céleste.
Mais elle n'eut aucune réponse.
— Mmmh, fit Lisæ, oui, oui ! Appelle-la maintenant...
Lætitia ferma les yeux de longues minutes. Lorsqu'elle rouvrit ses paupières, ses iris avaient troquée leur habituelle teinte mordorée pour une vert pomme.
— Sinelma ? appela-t-elle, les yeux dans le vague. Rejoins-moi à la Fabrique dans une demi heure, veux-tu ? Merci !
Le dernier mot prononcé, ses prunelles reprirent leur couleur coutumière.
Elles arrivèrent au pied d'un haut bâtiment à l'aspect ancien dont l'enseigne indiquait : "Orphelinoiseau". Aussitôt entrées, un homme, le front plissé, l'air passablement préoccupé, se dirigea vers elles.
— Bonjour mesdames, fit-il. Veuillez me suivre, je vous prie.
Il les entraîna à travers maints couloirs, leur fit gravir une douzaine d'escaliers en colimaçon, avant de parvenir sur le seuil d'une petite porte en bois verni. Il poussa le battant. Céleste écarquilla les yeux en découvrant une vaste et circulaire pièce qui faisait office, de toute évidence, de salle de jeu. De nombreux oisillons, que Céleste conjectura comme étant de jeunes Prophètes, s'y divertissaient. Trois petits Arras rouges jouaient à la poupée, deux mésanges faisaient un jeu de société... Et tout au fond de la pièce, à moitié camouflée derrière une pile de livres, une perruche bleue lisait calmement un roman.
L'homme leur manda de patienter quelques instants et se dirigea vers elle. Il lui dit quelques mots à l'oreille et la perruche lâcha son précieux ouvrage, le bec entrouvert, les yeux écarquillés, dans lesquels une lueur à la fois surprise, émue et folle de joie éclairait ses profondes iris noirâtres.
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