Chapitre 15 - Petit être d'obscurité et de lumière

Céleste était assise sur la branche d'un arbre aux feuilles jaunes et blanches lactescentes et au tronc d'une obscurité abyssale, les jambes dans le vide. Elle trouvait entre ses bras entremêlés un refuge rassérénant, rassurant, et parmi les rainures fines de son écorce sombre et les nervures de ses feuilles luminescentes, semblait percer un sourire.

Rapidement, elle parvint à calmer les émotions débordantes qui l'assaillaient de plus en plus fréquemment, son organisme potentiellement instable depuis tous ces changements perturbants. Elle ressentait une honte perceptible de s'être ainsi énervée contre sa mère et son amie, et regrettait amèrement son accès de colère, craignant d'avoir endommagé leur amitié naissante à jamais.

Mais elle fut rapidement rassurée lorsque Lise et Lætitia s'engagèrent dans le jardin d'un pas hésitant. L'adolescente arborait un air sincèrement peiné et compréhensif, accentuant le sentiment de culpabilité de la brune. Cette dernière sauta au pied de l'arbre, honteuse, et s'apprêtant à leur adresser ses excuses, mais sa mère la devança :

— Écoute, Céleste... Je suis désolée, sincèrement, de ne pas tout te dire mais... C'est... C'est tellement compliqué ! Depuis que tu es là, j'ai l'impression de tout faire de travers, de... De ne pas te rendre heureuse alors que c'est ce que je désire au plus profond de mon cœur ! Je...

Lisæ Wonderline laissa sa phrase en suspens, la surprise la figeant momentanément sur place, avant qu'elle ne réponde finalement à l'étreinte spontanée de sa fille.

— 94,999, c'est... C'est énorme ! murmura-t-elle avec une pointe de fierté dans les cheveux de la jeune fille. Mais quelque part, cela ne m'étonne pas... Étant donné que tu les as développées très jeune, je veux dire.

— Ne parlons plus de ça, la coupa à nouveau Céleste dans un souffle, peu désireuse de poursuivre encore une fois la conversation sur sa différence.

Elle se détacha finalement des bras de sa mère pour se tourner vers Lætitia.

— Écoute, je..., commença-t-elle d'une voix hésitante. Je suis très à cran, en ce moment, et...

Bien que honteuse, Céleste conservait une certaine rancœur vis-à-vis de la jeune fille et, même si elle ne lui en voulait pas le moins du monde, elle devait bien s'avouer que s'excuser relevait d'un effort impossible !

Heureusement, Lætitia vola à nouveau à son secours – augmentant au passage le malaise et le regret de la brune –, la coulant d'une voix assurée dans laquelle perçait l'un de ses inimitables sourires.

— Ce n'est rien, je comprends. Je ne sais pas ce que tu as vécu ni qui tu es réellement pour le moment, mais je suis certaine que nous apprendrons rapidement à nous connaître. Oublions tout ça, on ne va tout de même pas se cacher notre première soirée ensemble, ainsi que notre première soirée officielle en tant qu'apprenties Archivistes, ne l'oublions pas !

— Ça c'est bien vrai, renchérit Lise en frappant dans ses mains. Et vous savez quoi ? Ça me donne une furieuse envie de faire la cuisine !

Céleste sourit malgré elle à l'entente de ces sages paroles qui lui rappelaient tant le temps jadis. En cette époque-ci, Lisæ Wonderline ne se mettait aux fourneaux que lorsque le cœur y était, et cuisiner était pour elle sa façon bien particulière d'exprimer sa joie de vivre, l'un de ses jours futiles de bonheur volage.

***

Le lendemain matin, Céleste s'éveilla sous le regard puissant et éclatant des étoiles. Grimaçant, elle songea que jamais elle ne pourrait se faire à ces réveils en pleine nuit. Car Noctis, surnommé la Nuit par ses habitants, portait bien son nom ! Il n'y faisait jour que lors de quelques heures de la journée, et le reste du temps, les galaxies qui embrassaient les cieux de leurs couleurs chaudes et chatoyantes éclairaient les rues, perçant à travers la canopée de leurs rayons puissants, éclairant presque autant la cité qu'un soleil éveillé.

Peu apte à se lever alors qu'elle reposait si confortablement sous ses édredons légers, elle sourit légèrement en ressassant la soirée qu'elle avait passée en compagnie de sa mère et de son amie. Elle y avait appris bien plus qu'elle n'aurait osé l'espérer, mais pourtant encore trop peu au goût de la jeune fille. Elle pouvait sentir perçait une légère résistance de temps à autre dans la voix de Lisæ, et, bien qu'elle ne le soulignât en aucun cas, elle devinait que certains sujets demeuraient encore bien trop enfouies, n'attendant qu'à être déterrés. Mais si sa mère ne se décidait pas à les faire émerger, Céleste serait bien forcée de se saisir d'une pelle et d'une pioche pour creuser de ses propres moyens !

Mais au moins, un point positif, elle était désormais capable de se situer sur une carte – ce qui n'était pas peu dire ! –, ayant appris qu'elle se trouvait actuellement à Titania, la capitale nocturne, et même en son centre puisque les Archives du Monde – alias la Ruche, surnom gracieusement trouvé par les Archivistes y travaillant – en étaient le cœur.

Elle fut également quelque peu rassurée en apprenant que les récoltes de souvenirs ne s'effectuaient plus passé le cap des dix-neuf ans. Ainsi, son destin n'était pas figé dans les glaces comme elle l'avait craint, mais bel et bien entre ses mains. Simplement, les compétences des Pupilles s'atténuant très légèrement au fil des ans, ils profitaient des capacités élevées des enfants jusqu'à leur majorité afin de récolter les souvenirs terriens, avant de venir les entreposer, par un procédé qui lui échappait encore, aux ADM. De plus, c'était lors de l'adolescence que les Pupilles se développaient avec plénitude et acquéraient ainsi leur niveau le plus puissant.

Soupirant, un regard à la pendule à quarante-quatre chiffres lui apprit que Lætitia serait là d'une minute à l'autre, afin de les accompagner, tel que proposé par Lisæ, effectuer les achats nécessaires à leurs très prochaines obligations. Mais comment diable avait-elle pu dormir si longtemps ? Sautant sur ses jambes, animée par une adrénaline et une excitation nouvelle à l'idée de découvrir plus en détail cette ville peu ordinaire (du moins pour elle qui avait vécu les premières années de son existence sur Terre) et cet univers encore bien trop imprécis en son esprit.

Céleste pénétra dans la pièce adjacente, laissant tomber son pyjama sur le sol carrelé, et se glissant sous une douche fraîche, dont l'eau pure et douce s'écoulait d'un bicoque gigantesque, acheminée par un réseau de bambous le long du mur de carrelage bleuâtre, pour finir sa course en une singulière symbiose, se fusionnant avec les branches qui avaient prises la salle de bain d'assaut, pénétrant par la fenêtre dépourvue de vitre pour venir embrasser les parois en de gracieuses courbes et arabesques qui couraient le long des murs, apportant une touche de verdure bienvenue à ce tableau hors du commun.

Les gouttelettes qui glissaient sur sa peau nue eurent un effet bénéfique sur son esprit, et avec l'eau furieuse disparurent dans la bonde ses tourbillons d'idées noires et ses tempêtes déchaînées d'émotions contrariées. Sachant pourtant bien qu'elles n'attendraient que le moment opportun pour prendre à nouveau possession de son cœur meurtri, l'adolescente avait pris la décision de mettre un instant ses démons de côté.

Ouvrant en grand les battants de l'armoire monopolisant à elle seule un coin de sa chambre, elle se mit à farfouiller parmi les indénombrables quantités de vêtements, à la recherche d'un ensemble qui lui conviendrait. Optant finalement pour un pantalon de tissu large et noir, cintré d'une bande verte au niveau de sa taille, et un t-shirt blanc moulant dont le col parcourait son cou et sa nuque, souligné par un léger décolleté en V, elle tressa ses boucles rebelles, attrapa son duffle-coat violet pastel traînant sur le dossier de sa chaise de bureau, et descendit au rez-de-chaussée.

Lise, sifflotant, était en train de disposer sur la table des plats d'étain fumant à l'odeur alléchante.

— Oh ! Tu es réveillée ! sourit-elle en se retournant, une poêle contenant des pancakes parfaitement dorés à la main. J'hésitais à aller te réveiller, mais je me suis dit que tu avais sûrement besoin de dormir. Ton amie ne devrait plus tarder, ajouta-t-elle après une rapide œillade en direction de sa montre.

Et, comme pour appuyer ses propos, la sonnette choisit cet instant propice pour retentir. Céleste bondit de sa chaise et s'empressa d'ouvrir à une Candy ravissante et resplendissante, dont les yeux mordorés s'emplirent d'envie à la vue des mets de choix disposés sur la table de la salle à manger.

Et après un petit-déjeuner pour le moins copieux, les deux jeunes filles s'élancèrent sous les arbres bordant la rue inférieure, alors que Lisæ leur faisait ses dernières recommandations et leur donnait rendez-vous pour le déjeuner.

La jeune fille avait beau haïr le shopping depuis toujours, elle dut admettre que faire les magasins à Titania accompagnée de Lætitia était une expérience à ne pas manquer ! Les articles mandés par la liste de Mme. Loriana étaient tous plus singuliers les uns que les autres, et c'est sans compter les vêtements à la dernière mode nocturne qui fleurissaient derrière les vitrines des boutiques bondées. Visiblement, Lætitia était fort à jour sur les goûts vestimentaires nocturnes, portant une combinaison-short rose clair, dont le col lui enserrait le cou, aux manches bouffantes, au-dessus d'un collant rayé noir et blanc dans des bottines grises ornementées chacune de deux pompons rouges.

Ce fut donc les bras chargés de paquets en tous genres et de sacs en papier qu'elles pénétrèrent dans une boutique déserte, aux murs blancs partiellement couverts de hautes étagères dans le moindre espace vide était comblé d'un objet biscornu à l'apparence n'évoquant rien de connu. S'avançant péniblement, ployant sous la charge de ses achats, Céleste se dirigea jusqu'au comptoir derrière lequel un homme vêtu d'une blouse blanche était assis sur un tabouret, les yeux dans le vague.

— Excusez-moi ? le sortit-elle de sa torpeur. Pouvons-nous jeter un coup d'œil aux animaux ?

D'après Lise, il était de coutume d'offrir son premier animal de compagnie à une Pupille entrant aux Archives, et, de toute manière, en posséder un était obligatoire afin que les apprentis puissent mener à bien leur étude de la faune et de la flore. Connaissances qui leur permettraient de puiser une aide précieuse dans les végétaux et les animaux.

L'homme hocha gravement la tête et se leva. Il possédait une carrure imposante, et sa tête touchait presque le bas plafond. Il leur manda de le suivre d'un signe de tête, et ouvrit à l'aide d'une clef de bronze une épaisse porte de bois blanc. Celle-ci débouchait sur un sas. Le vendeur referma la porte et ouvrit précautionneusement celle qui se découpait face aux deux adolescentes.

Céleste ouvrit alors de grands yeux ébahis et ne parvint à retenir une exclamation d'extase. Elle se trouvait dans une parfaite reproduction d'un bosquet sauvage et exotique. Des plantes extravagantes se dressaient de parts et d'autre, exhibant fièrement leurs magnifiques fleurs aux couleurs surprenantes et inattendues. Et pour clore le tout, le soleil traversant la canopée offrait au paysage une lumière tamisée et féerique.

Mais Céleste n'eut guère le temps de s'ébahir plus longtemps que, surgissant d'un buisson épineux, une adorable et minuscule biche pas plus grosse qu'un lapin se précipita vers l'adolescente et se mit à lui lécher affectueusement la main, manquant de la faire tomber à la renverse sous le coup de la surprise. Si elle eut d'abord un mouvement de recul, la jeune fille se laissa rapidement faire, immédiatement séduite par le petit animal. C'était une petite créature au pelage bleu moucheté de gris. Deux petites cornes annonçaient leur présence entre ses oreilles, et ses grands yeux violets fixaient la jeune fille d'un air mélancolique et empli de larmes qui serra aussitôt le cœur de Céleste, figée devant sa beauté indéfinissable.

L'homme s'avança et caressa le dos de l'animal, un air bienveillant transparaissant derrière son air peu engageant.

— Il me semble évident que cette Soléria vous a choisi, mademoiselle ! dit-il très sérieusement en enfonçant son regard profond dans celui de la jeune fille, qui baissa aussitôt les yeux, prise de vertige, alors qu'un fragment de souvenir semblait vouloir forcer ses barrières mentales.

Dire qu'elle était impatiente à l'idée d'apprendre à maîtriser son pouvoir était un euphémisme !

Quelques instants plus tard, Céleste et Lætitia s'échappèrent de l'atmosphère exotique de l'animalerie, replongeant corps et âme dans le capharnaüm des grands boulevards, avec désormais à la main une cage rectangulaire contenant leurs animaux de compagnie respectifs. Boucles d'Or était tombée en pâmoisons devant un Ptéréo, un cousin éloigné du toucan dans les plumes bleues nuit étaient parsemées d'éclats d'or, se fondant parfaitement dans la voûte céleste.

Et, pour la première fois de sa vie, Céleste goûtait à l'air émotionnel que respirait la ville, aspirée par les senteurs acides et douces de tous ces paradoxes dont seules les grandes cités détiennent la recette. Les terrasses de cafés pleines à craquer, les éclats de voix, les soupirs, les musiciens de rue qui partageaient leur passion sur le trottoir, auréolés d'une multitude de spectateurs éphémères. La rumeur grandissante qui s'élevait bien au-delà de la canopée, s'élançant vers les cieux avec l'espoir fleurissant d'une étoile naissante. Partout, c'était le chaos, les effusions, les paniques, les rires, les pleurs, la colère, la joie, la tristesse, l'excitation. Tant de sentiments qui s'entremêlaient, se rencontraient, fusionnaient et offraient une ambiance mitigée, anxieuse, presque maladive...

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