Chapitre 31 - Perdue

Céleste désirait ardemment dire quelque chose. Elle voulait parler, prononcer des mots compatissants, mais aucun son ne s'échappait de ses lèvres. Elle ne lui annonça pas qu'elle était désolée, car elle savait à quel point ces mots semblaient creux, égoïstes, faux. Suite à la disparition de sa mère, on ne cessait de le lui répéter, et lorsqu'une personne lui adressait ces paroles, la jeune fille n'avait qu'une envie : lui hurler de se taire, lui dire qu'elle savait qu'il s'en moquait éperdument, et que des excuses n'aideraient en rien à retrouver Lise Wonderline. Alors elle se tut, se contentant de se noyer dans les profonds yeux d'Arthur.

Elle posa une main hésitante, tremblante, sur l'épaule du vieillard, qui tressaillit au contact de la peau neuve de la jeune fille. Elle brûlait de l'assaillir de questions, mais elle n'ignorait pas à quel point ce serait cruel de le faire souffrir d'avantage.

— Mais toi, Céleste Wonderline, qui es-tu, toi ?

Céleste sursauta en entendant la voix du vieil homme. Elle tourna vers lui ses yeux gris, brillants, mais refusant de laisser percer ses larmes.

— Je ne sais pas, dit-elle enfin, avec une franchise étonnante envers un homme qu'elle connaissait à peine mais vers qui elle avait adressé une soudaine confiance aveugle et dont l'origine lui était méconnue. J'ai toujours cru savoir qui j'étais, mais j'avais tort. Je ne me connaissais pas et ne me connaîtrais sûrement jamais. Je n'ai jamais été franche avec moi-même.

— Pourquoi ?

— Parce que ma vie se résume à un ignoble mensonge. Parce que j'ignore en qui je peux avoir confiance. Parce que mon père est un démon, un traitre, un tyran, un meurtrier. Parce que ma sœur jumelle est séquestrée avec mon père adoptif. Parce que ma mère n'est plus rien d'autre qu'une statue de pierre. Parce que j'ignore quel rôle je suis censée jouer dans un monde où l'on m'a imposé ma place. Parce que je n'ai de place nulle part dans cet univers corrompu, cet univers sans queue ni tête que je comprends moins de jour en jour. Je ne sais pas qui je suis, je n'ai qu'un unique nom. Mais que signifie un nom s'il n'est rattaché à aucune personnalité ?

Céleste sentit une larme rebelle glisser lentement le long de sa joue, brûlante, refusant de rester plus longtemps prisonnière d'elle-même. Une larme qui fut suivie d'une autre, puis d'encore une autre ; des larmes contenues depuis bien trop longtemps. Des larmes de désarroi, de chagrin et de douleur. D'une douleur aiguë qui lui compressait la poitrine, qui la faisait tant souffrir, mais qu'elle avait toujours refoulée, refusant de se laisser emporter dans un abîme de souffrance. Elle se maudit intérieurement de ce soudain accès de faiblesse, qui plus est en présence d'un homme qui avait connu un malheur bien plus grand que le sien. Mais qu'est-ce que cela faisait du bien de s'abandonner enfin aux larmes après avoir tant ignorer la douleur, une douleur qui s'était accumulée au fil du temps, devenant insoutenable, jusqu'à enfin la submerger.

La jeune fille cacha son visage dans ses mains, honteuse de dévoiler ainsi ses émotions. Mais Arthur saisit ses mains dans l'une des siennes, une main rugueuse mais d'une infinie tendresse, et de l'autre, il essuya les larmes qui défiguraient le visage fin de Céleste. Elle se noyait dans le profond regard du vieil homme, un regard capable de déchiffrer les émotions qu'elle cachait au plus profond de son cœur. La jeune fille fut troubler en constatant que la seule autre personne capable d'une telle prouesse, capable de percer le mur qu'elle était, de faire tomber le masque, était Hugot.

Hugot... Le garçon lui manquait terriblement. Elle avait plus que jamais besoin de sa douceur et de sa compréhension. Céleste adorait Lætitia, Roméo et Amælie, bien sûr, mais ils n'avaient jamais su la regarder au-delà de ce qu'elle leur montrait. Elle sentit les larmes affluer à nouveau et tenta de chasser la pensée d'Hugot de son esprit. Mais le visage du garçon réapparaissait sans cesse derrière ses paupières. Elle voyait son petit sourire timide, et ce petit air espiègle qui se cachait derrière son visage de garçon modèle ; elle voyait ses yeux sombres et profonds, ses yeux qui la transperçaient et lui procuraient une irrésistible chaleur. Sa gorge se resserra et son estomac se noua. Elle tenta de refluer ses larmes mais celles-ci s'échappèrent à nouveau, incontrôlables. La jeune Pupille fut secouée de sanglots tandis que l'image d'Hugot, de sa mère, de son père, de sa sœur tourbillonnaient, fusionnaient, se mélangeaient dans son esprit dans un tourbillon flou qui correspondait à une définition plutôt exacte de sa vie actuelle.

— Pleure, pleure, dit Arthur d'une voix douce. N'ignore plus tes sentiments, Céleste Wonderline, n'ignore plus tes sentiments et pleure... Pleure...

***

— Céleste ? Mais où étais-tu, bon sang de bon soir !

— Tais-toi, Minéa ! siffla Céleste dans un murmure suppliant.

Mais sa Prophète poursuivait son préambule, l'accablant de reproches sur le fait qu'elle avait osé ne pas l'informer de sa petite escapade improvisée. Il était près de quarante deux heures, et le couloir du troisième étage était plongé dans le silence et l'obscurité. Céleste enfonça la clef de cuivre dans la serrure tout en intimant à Minéa l'ordre de se taire.

— Je t'en supplie, Minéa, ferme-là !

Mais il était trop tard : une porte s'ouvrit à la volée.

— Céleste ! Oh, Dieu merci, tu es là !

Amælie se jeta dans les bras de son amie, manquant de l'étouffer.

— Tu nous as fait une de ces peurs ! poursuivit-elle. Cela fait des heures que l'on te cherche ! Je vais chercher Roméo et Hu...

La jeune fille se tut. Céleste vit un éclair de chagrin se peindre dans les yeux émeraudes de son amie. Elle savait combien Amælie souffrait de la disparition du jeune homme, qui était son meilleur ami de longue date. Elle lui adressa un faible sourire et disparut dans les escaliers, descendant à l'étage du dessous où se trouvaient les chambres des garçons. Céleste entra dans sa mansarde et se laissa tomber sur son lit, son regard rivé sur le plafond, un soupir à la commissure de ses lèvres.

Quelques minutes plus tard, Amælie débarqua dans la chambre, suivie d'un Roméo hystérique.

— Oh, nom d'un pléiade, Céleste ! Mais où étais-tu passée ?! Tu es complètement folle de disparaître comme ça, sans rien nous dire, et ce pendant la moitié de la journée !

Il semblait furieux, mais Céleste pouvait percevoir un léger tremblement dans sa voix.

— Vous n'aviez aucune raison de vous inquiéter, je... commença-t-elle.

Aucune raison ?! On vient de perdre Hugot, Céleste !

— Mais...

— On n'a pas besoin que tu disparaisses à ton tour ! Tu ne te rends pas compte de la peur que tu nous as faite...

— Roméo, je...

— Sur les Trois Stellæ, tu aurais au moins pu nous prévenir, ou...

— JE SAIS !

Le garçon se tut. Il se contenta de fixer son amie d'un air ahuri. Céleste élevait rarement la voix, et ne le faisait que lorsque la situation était critique. Il s'assit donc à ses côtés sur le lit, prêt à écouter ce qu'elle avait à lui raconter, et Amælie fit de même. Céleste prit donc une profonde inspiration et se confia à ses deux amis, leur faisant le récit de son escapade à partir de sa téléportation jusqu'à la fin du récit d'Arthur, dont elle se permit d'omettre quelques détails, jugeant qu'elle n'était pas en droit d'ainsi dévoiler la vie de cet homme à qui voulait l'entendre. Elle se contenta donc de leur raconter que celui-ci avait perdu sa petite fille, qui habitait à Noctis. Arrivée là, elle hésita à se confier davantage. La suite de son récit lèverait le voile sur ses sentiments. Roméo passa un bras autour de ses épaules et Amælie lui pressa l'avant-bras en signe d'encouragement. Céleste voulut ouvrir la bouche pour parler mais ses mots s'étranglèrent dans sa gorge. Elle ferma les yeux pour tenter de se calmer mais, immanquablement, le visage souriant d'Hugot apparut sous ses paupières closes, ne faisant qu'empirer son état. Elle rouvrit donc précipitamment les yeux. Les mots échangés avec Arthur repassaient en boucle dans son esprit, et plus Céleste cherchait leur sens, moins elle ne les comprenait.

Pour la deuxième fois de la soirée, une larme glissa sur la joue de la jeune fille, qui ne tenta rien pour la retenir. Elle les laissa couler une à une, n'ignorant pas que la fatigue n'était pas innocente à ses pleurs. Elle laissa tomber sa tête sur l'épaule de Roméo en sanglotant de plus bel, ne connaissant même pas la raison exacte de ses larmes.

— J'ai besoin d'aide, murmura-t-elle. J'ai besoin d'aide. Aidez-moi, je vous en prie, aidez-moi !

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