Son histoire achevée, Nof s'éloigna un goût amer dans la bouche. Les spectateurs se séparant en silence. Un parent déclarant :

-Vous avez eu une sacrée chance ! Je n'ai pas souvent entendu ce conte. Si l'on savait que Nof l'a récité il ne verrait pas le mois prochain...

Un enfant s'était séparé du groupe pour interroger Nof.

-M. le conteur ! Conteur ! D'où connaissez-vous l'histoire de Kat Abriel ?

-Il était de ma famille. Il était de mon sang.

Le conteur s'éloigne en silence le visage fermé pour retourner jusqu'à sa tente. Le peu d'espace ne permettant évidemment pas un ameublement complet, on y trouve cependant une petite table de bois sur laquelle repose un éclat de métal blanc, un carnet et une peinture encadrée. Entre les mains de Nof, les objets passent les uns après les autres. L'éclat de métal reflète la couleur caramel de sa peau et le bord tranchant se teint de pourpre. Le carnet quant à lui est doux au toucher, mais la matière est trop semblable à la peau humaine pour ne pas donner un sentiment de malaise. Le titre est gravé dans un écho douloureux : mémoire de Kendall Bahamut. A., il renferme le passé, l'avenir, les idées de son auteur. Enfin, sur l'image, est représenté un adolescent le sourire aux lèvres. Ses cheveux bruns, un peu trop longs lui cachent les yeux. Les yeux sont les fenêtres de l'âme, dit-on. Les prunelles bleu azur, d'une pureté éclatante ne laissent aucun doute quant à la personnalité du garçon.

-Kat...

Les souvenirs enfouis ressurgissent. Leur famille. Son petit frère, adorable, son père violent et brutal, sa mère absente qui n'est plus que l'ombre d'un sourire dans son lit froid. Et lui, le médiateur, celui qui a essayé d'éviter la catastrophe finale. Kendall a cédé à l'appel du pouvoir, il a donné son corps à un artefact maléfique. Un pacte avec le diable : un pouvoir, un talent pour la mort incommensurable en échange du peu d'esprit sain qu'il possédait encore. Les cas de possession démoniaque sont connus et racontés. De nos jours, encore beaucoup de personnes sont envahies ou persécutées par un démon. D'ailleurs, de nombreux médiums et autres charlatans peu scrupuleux n'hésitent pas à se faire de l'argent sur ces pauvres victimes. Nof fut l'une d'entre ellee en cherchant à comprendre.

Ce n'est pas son père qui tue de manière désinvolte caché dans un corps écailleux lui-même protégé dans la capitale de Q.A.

C'est ce qu'il veut croire en tout cas.

C'est pour cela qu'il raconte cette histoire. Embellie un peu, c'est l'apanage des contes. Pour se débarrasser du lien. L'abandonner.

Parfois, il se demande s'il ressemble à son père. Ce serait facile. Mais Kat n'a pas choisi la facilité alors il souhaite suivre son exemple.

C'est lui l'aîné après tout.

Le survivant.