Prologue
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Des gouttelettes de sueur perlent le long du visage de Madeline. Dans ce wagon à bestiaux, il fait aussi chaud que dans un four. Sa transpiration se mélange avec ses larmes. Elle n'est pas la seule à pleurer. De l'autre côté de ce fourgon, il y a une femme à peine plus âgée qu'elle. Elle est couchée à même le sol. Elle laisse échapper des sanglots aussi forts que le bruit des roues ferroviaires sur les rails. À ses côtés, une jeune fille d'une quinzaine d'années la console. Il y a moins d'une heure, Madeline tenait sa petite fille de trois ans par la main. Celle-ci chantait une petite mélodie qu'elle lui avait apprise. Tous les autres enfants reprenaient ce chant en chœur. Ils marchaient en direction du train, les plus jeunes avec le sourire et les adultes avec un filet d'inquiétude dans le regard.
Les soldats les avaient fait arrêter juste avant de passer les grilles du camp de Pithiviers. Les hommes étaient déjà à l'extérieur, prêts à embarquer dans les hangars. Des camions étaient soudainement arrivés de nulle part et une cinquantaine de soldats en étaient descendus. Les femmes ne comprenaient nullement la situation, jusqu'à ce qu'un homme se présente devant elles. Il tenait une lettre dans sa main. Les hommes, intrigués par l'étrange circonstance, avaient également cessé toute activité.
Ils avaient maintenant le regard dirigé vers le groupe de femmes et d'enfants entouré par ces nombreux soldats. L'homme tenant la lettre se racla la gorge. Il se mit à la lire, expliquant que par manque de wagons, tous les enfants de moins de douze ans devaient rester dans le camp et attendre leur prochaine déportation. Les femmes devinrent hystériques. Madeline prit sa petite dans ses bras, terrifiée. Il ne lui restait plus qu'elle. Sa douce enfant qu'elle chérissait plus que tout. Elle la serra le plus fort possible contre sa poitrine, comme pour la protéger. Les soldats commencèrent à séparer les adultes des plus jeunes enfants. Ils les arrachèrent à leur mère. Un soldat entreprit de prendre la petite des bras de Madeline. Un second la poussait et lui donnait des coups dans le ventre, mais Madeline ne lâchait pas prise. C'était sa chair, son sang. Elle faisait partie d'elle. La petite prénommée Liliane larmoyait entre le soldat et sa mère. Madeline hurlait. Elle ne pouvait pas s'imaginer abandonner sa petite fille entre les bras d'une poignée de soldats allemands. Les femmes autour se débattaient pour garder leur enfant près d'elles. L'une d'elle gifla un soldat tentant de prendre son garçon. Celui-ci rétorqua avec une série de coups dans le ventre. Elle tomba raide sur la terre sèche. Les hommes se déchaînaient sur la grille. Ils voulaient défendre leur femme. Le soldat finit par empoigner Liliane et à l'attirer contre le gré de sa mère. Ne sentant plus sa fillette dans ses bras, elle accourut vers elle. Un soldat l'attrapa avant même qu'elle rejoigne Liliane et la ramena de force dans le groupe de femmes.
Les soldats formèrent un rang pour les séparer. Madeline était au désespoir. Elle ne voyait plus Liliane. Un vent de panique monta en elle. Elle tenta de se lancer dans la rangée d'hommes, mais une autre femme eu cette idée. Trois coups de feu se firent entendre. C'était cette femme qui les avait reçus. Droit dans le ventre. Le silence s'abattit sur le camp. Les hommes qui criaient se turent également. La femme qui venait d'être abattue portait un enfant dans son ventre. Un homme hurla de terreur. C'était sa femme et son enfant. Il s'agenouilla et hurla de nouveau. Après cette scène effroyable, les soldats ordonnèrent aux femmes de rejoindre les hommes. Le corps sans vie de la mère fut le seul qui y resta. Madeline jeta un dernier coup d'œil derrière elle. Malgré sa vision embrouillée par la peine, elle vit sa petite se tenant bien droite avec les autres enfants. Elle semblait également la regarder avec ses petits yeux enfantins. Ce fut plus fort qu'elle, Madeline s'écria :
- Maman t'aime ma chérie ! On se retrouve très bientôt.
La petite sembla comprendre puisqu'elle hocha la tête. Elle avait séché ses larmes depuis un moment. Elle leva sa petite main et fit un signe à sa maman. Un soldat poussa la mère pour la faire avancer plus vite. Madeline regrette de ne pas avoir expliqué à Liliane que son père est mort le 16 juillet 1942. Un mois plus tard, Liliane pense toujours que son papa se cache dans leur maison. Hélas, il n'en est rien. Maintenant, Madeline repense à tout ça dans ce wagon vers une destination inconnue. Ce qu'elle ressent est indescriptible. Beaucoup de rumeurs circulent. Des bonnes et des affreuses. Elle ne sait pas si elle va revoir Liliane un jour. Elle essaie de se rassurer en se disant que les enfants rejoindront bientôt les adultes. Du moins, c'est ce que disait la lettre. Madeline ne le sait pas, mais à quelques centaines de kilomètres d'elle se trouve le camp d'extermination d'Auschwitz. Ce lieu où toutes les atrocités sont permises. Heureusement que dans ce camp, tout n'est pas noirceur et malheur. Un jeune soldat SS nommé Standartenführer * Kurt Seeger se dirige en voiture vers les portes principales d'Auschwitz. Les gardes soldats l'interceptent et lui demandent ses papiers. Il leur tend poliment et leur sourit comme s'ils se connaissaient personnellement.
- Tout se passe bien là-dedans ? demande l'un d'eux en se pinçant le nez. Il y a une de ces odeurs.
Les gardes feuillettent rapidement ses papiers avant de les lui remettre.
- Tout se passe comme prévu Herr**, répond Kurt en hochant la tête pour confirmer ses dire.
Les soldats lui ouvrent les grilles et il poursuit sa route à l'extérieur d'Auschwitz.
Il y a quelques minutes, il affirmait avoir tué un jeune juif polonais. Celui-ci est présentement vivant et caché dans le coffre de sa voiture. Cette semaine, Kurt a fait sortir un prisonnier à chaque fois qu'il rentrait chez lui. Celui qui se cache dans sa valise n'a pas plus de quinze ans. Son poste ne lui permet de sauver que les hommes, puisqu'il est affecté pour superviser le camp des hommes. Il a lui-même choisi de sauver les plus jeunes, jugeant qu'il serait plus difficile pour eux de s'en sortir.
* Équivalent du grade de colonel dans l'armée française
** Équivalent du mot français « Monsieur »
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