~Chapitre 2: Cette nuit~

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Madeline se débrouille à parler l'allemand. Elle l'a appris lorsqu'elle était jeune enfant. Avec ses parents, elle était originaire d'Allemagne. Son père possédait une petite maison en campagne. Elle avait été élevée là-bas, dans le calme et la tranquillité des champs bourdonnant de multiples insectes et de fleurs.

Son mariage avec Adam l'avait poussée à immigrer en France. Là où tous les deux croyaient avoir une vie meilleure. Ce fut une erreur. L'idéologie nazie les avait vite rattrapés avec leurs multiples lois racistes. Liliane était née dans un monde dévasté par la peur des nazis.

Cette nuit, Madeline est à Auschwitz. Elle n'a plus de famille. Elle est prête à affronter la mort. À défier les démons qui lui avaient enlevé sa petite fille. Elle les a affrontés en personne. Elle s'est montrée tête haute devant eux, sans broncher. À ce moment, elle ne savait pas ce que ces démons étaient capables de faire. Sans le savoir, elle avait évité la mort de justesse grâce à un SS. Il l'avait sauvée.

Elle est maintenant dirigée avec toutes les autres femmes sélectionnées pour rentrer définitivement dans le camp d'Auschwitz. Elles y ont accès par une ouverture dans les rangées de grillages et de barbelés. Au-dessus de cette entrée se trouvent des inscriptions métalliques. On peut y lire « Arbeit macht frei »*. Madeline réussit à traduire, non sans difficulté « Le travail rend libre». C'est à ce moment qu'elle comprend les paroles du SS. Il faudra qu'elle travaille et qu'elle souffre pour retrouver sa petite fille. Mais elle est prête à tout. Elle reste dans les rangs avec les autres femmes. Elle se dit que si elle reste en vie assez longtemps, elle pourra revoir Liliane en vie. Ce SS avait raison, Madeline se sent forte.

Le camp d'Auschwitz-Birkenau est formé d'interminables rangées de blocs et de séries de baraques de bois. Madeline et les autres sont amenées en troupeau dans un de ces énormes blocs, puis dans une grande salle. Dès lors, des femmes SS ordonnent le silence. L'une d'elle hurle à répétition :

- Schneller, zieht euch aus !**

Madeline prend un temps considérable à décortiquer la phrase afin de la traduire. Puis, elle la comprends. Les autres femmes tournent en rond en se regardant avec des yeux apeurésne sachant quoi faire. Faut-il véritablement se mettre nue ? Les SS les précipitent à se déshabiller. Humiliée, Madeline se dévêt. Les femmes SS font passer les prisonnières dans une seconde salle. L'odeur de désinfectant emplit les narines de Madeline et la nausée la prend d'un coup. Une SS lui assigne un banc où elle s'assoit, tâchant de se cacher du mieux qu'elle peut. Une femme lui attrape la nuque d'une main et de l'autre, lui attrape sa longue chevelure sombre. Elle la tranche avec des ciseaux rouillés. Après, une autre femme lui tend un pyjama rayé gris et blanc souillé de saleté. Elle l'attrape et l'enfile, ne pensant qu'à ne plus être dénudée.

Par chance, les SS qui s'occupent de son groupe de femmes ne sont que de sexe féminin. Elle n'ose pas imaginer l'humiliation d'être complètement nue devant des hommes. Comparée à certaines, Madeline s'en sort bien. Une fille d'à peu près une quinzaine d'années mouille ses jolies joues rosées. Elle est seule, tout comme Madeline. Les autres sont toutes recroquevillées entre elle, pleurant leur désespoir. Madeline est une jeune femme douce et bonne. Elle possède une charité nul égale à personne. Elle perçoit la jeune fille comme une enfant apeurée et séparée de sa mère. Elle s'approche de celle-ci à pas légers. Madeline tente de discerner une familiarité dans ses traits de visage. Ses cheveux coupés grossièrement ne permettent plus la reconnaissance. Madeline n'était pas dans le même wagon qu'elle.

- Tu es seule ? lui demande-elle au bout de quelques instants à ses côtés.

La jeune femme lève légèrement la tête. Elle tremble de tout son corps. Ses tremblements créent des petites vagues sur son pyjama beaucoup trop grand pour elle.

- Oui, répond-elle faiblement. Tellement à voix basse qu'on aurait dit le souffle du vent.

- Avec qui es-tu venue ici ?

- Ma mère et mon père. Ils sont tous les deux montés dans les camions.

Madeline avale sa salive. À son arrivée, elle était fatiguée, comme tous les autres. Dès qu'elle a aperçu ces camions, elle a su qu'il ne fallait pas monter à l'intérieur. Pour elle, ce n'était qu'un pressentiment. Néanmoins, c'est ce pressentiment qui lui a sauvé la vie.

- Comment te nommes-tu ? demande Madeline à la jeune femme.

- Ida.

- Je m'appelle Madeline. Je suis seule, moi aussi.

Ida lève les yeux. Derrière son regard apeuré, Madeline perçoit ses jolis yeux émeraude. Cette jeune femme est fragile. Elle fait une tête de moins qu'elle. Pourtant, elle était assez âgée pour monter dans le convoi des adultes.

Une question persiste dans la tête de Madeline : Où étaient passées toutes les autres femmes qui avaient été envoyées à gauche lors de la sélection ? Et celles qui étaient montées dans les camions ? Madeline ose cette question à la jeune fille. Loin d'être étonnée, Madeline reçoit comme unique réponse un haussement d'épaules.

Elle amasse ensuite tout son courage et se dirige vers une SS. La SS la regarde s'approcher. Elle l'observe d'un regard méprisant, comme un homme regarde une bête.

- Pardonnez-moi Mademoiselle. Savez-vous où sont passées toutes les femmes qui ont embarqué dans les camions et qui ont été sélectionnées à gauche ?

La SS est plus imposante en grandeur que Madeline. Elle porte un uniforme obscur : une veste descendant jusqu'au bas du dos, une ceinture sur laquelle une matraque et un pistolet sont attachés, une jupe qui lui arrive au genoux. Son accoutrement est accompagné d'un petit bonnet de police recouvrant ses longs cheveux bouclés noirs.

- Premièrement, baisse la tête quand tu me parles, sale petite Jüdin.

Madeline obéit à la demande de la SS. Elle décide de garder toute sa colère à l'intérieur d'elle et de lutter contre l'envie de lui cracher au visage.

La SS lui montre du doigt une petite fenêtre salie par une poussière sombre. Une cheminée rejette ses cendres indirectement sur la vitre. La majorité de ces cendres s'élèvent vers le ciel, mais une petite partie plane et s'écrase sur celle-ci.

- Tu vois toute cette crasse sur la vitre ? Eh bien ce sont eux. Maintenant dégage, Du blöde Ziege!***, réplique la SS en s'énervant.

Madeline s'empresse de rejoindre Ida. Elle n'a rien compris à l'explication de la SS.

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Les femmes SS nommées « Les gardiennes du camp » dirigent le groupe de femmes. Des dizaines de rangées de baraquements sont parsemées dans ce camp pour qu'au final, tout cela soit entouré par des kilomètres de grillages et de barbelés. Les gardiennes de camp les mènent dans une immense baraque faite de bois. Une odeur de putréfaction y règne. Mélangée à la chaleur, cette odeur rend l'air irrespirable.

Dans cette baraque immense, des étagères superposées sur trois niveaux sont alignées contre les parois. Quelques unes d'entres elles accueillent déjà des centaines de prisonnières, toutes entassées les unes contre les autres. Elles sont alertés par le bruit des nouvelles arrivantes et par les cris des gardiennes. Madeline a perdu la notion du temps. Il fait nuit. Elle finit par comprendre les instructions des SS et se couche sur ce qui joue le rôle d'un lit.

Elles sont une trentaine à se caser dans chacune de ces alvéoles. Ces lits n'ont aucun confort. Madeline est affamée. Elle n'a pas mangé depuis qu'elle a épuisé ses réserves de nourriture hier dans la journée. Les gémissement des femmes et les tremblements d'Ida l'empêchent de fermer les yeux. Cette dernière est recroquevillée contre elle.

Au bout de quelques minutes, Madeline n'a qu'une envie : sortir d'ici pour pouvoir respirer. À l'instant où elle relève la tête pour se décoincer de ses colocataires de lit, la femme qui occupe la place à sa gauche se lève. Elle file en courant entre les lits superposés pour rejoindre la sortie.

- Nie jedź. Pobyt tutaj****, la prévient une voix de femme.

Hélas, la femme passe le seuil de la porte. Madeline entend le son du dégueulis. Puis, un bruit perçant éclate et résonne dans la baraque. Elle entend la femme s'écraser sur le sol... Et plus rien.

C'est au lever du jour, quand les gardiennes font l'appel des prisonnières et qu'elles sont amenées à l'extérieur, que Madeline voit le corps inerte de la femme, trouée à la tête.  


* « Arbeit macht frei » est une expression allemande signifiant « le travail rend libre ». Cette phrase accueillait les prisonniers des camps de concentration et des camps d'extermination, notamment Auschwitz, Dachau, Gross-Rosen, Sachsenhausen, et à la prison de la Gestapo de Theresienstadt en République tchèque. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Arbeit_macht_frei)

** Équivalent de la phrase « Déshabillez-vous, plus vite ! »

***  Les juifs étaient constamment persécutés par les nazis. Ici, la SS insulte Madeline avec de violentes paroles.

**** Équivalent de la phrase polonaise « Ne pars pas. Reste ici. »

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