~Chapitre 10: Une~
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Dès que les wagons à bestiaux s'immobilisent, les SS exécutent leur train-train habituel et se précipitent pour ouvrir les portes coulissantes. Des prisonniers installent des planches de bois pour faciliter la sortie des enfants. Ils sont des milliers à descendre un à un. Ce spectacle fend le cœur de Kurt. Il se reprend en attrapant les mains des plus petits pour les aider à sortir de leur prison pour être enfermés dans une nouvelle. Une petite fille aux cheveux courts et bruns suce son pouce lorsque Kurt l'agrippe. Un jeune garçon d'à peu près dix ans pleurniche et essuie ses larmes sur ses manches. Un bébé rit dans les bras d'une fillette qui le berce.
Les SS sont agréables avec les enfants. Plusieurs d'entre eux les amusent en tirant leur chapeau ou en les prenant dans leurs bras.
Kurt jette un coup d'œil à Madeline. Elle hoche la tête négativement et poursuit sa recherche. Elle ne se sent pas bien. Plein de questions lui traversent l'esprit la faisant douter : Et si Liliane n'était pas dans ce convoi ? Et si elle n'était plus de ce monde ? Et puis, elle voit tous ces enfants. Ces enfants qui n'ont plus de mère... Elle a des nausées en pensant à tous ses enfants qui vont...
- C'était une petite souris, qui gambadait dans les champs d'épis. Elle attendait la venue de son papa attendu. Elle mangeait toute la journée du blé, sans se douter que son papa allait très bientôt rentrer...
Les enfants chantent tous ensemble cette chanson si familière aux oreilles de Madeline. Elle se retient de ne pas lâcher un cri de joie. Liliane est proche. Sinon, comment les enfants connaîtraient-ils cette mélodie qu'elle a elle-même inventée ? Les enfants... Tout à coup, elle se sent terriblement égoïste. Elle se dit qu'elle n'a pensé qu'à elle. Tous ces enfants ont des mères, des pères, des tantes, des oncles... Qui ont été exterminés et qui ne peuvent pas les aider. Madeline le peut. Elle peut sauver sa fille.
Les enfants de Pithiviers ont tous des émotions, des réactions différentes. Deux garçons s'amusent à se pousser. Trois gamines pensives se tressent les cheveux entre elles. Les plus jeunes pleurent ou sourient. Les plus vieux sont inquiets de ne pas voir leurs parents, mais de voir des adultes avec des pyjamas rayés et d'autres avec des costumes d'officier. Mais la plupart ne s'en occupe pas.
- Avez-vous hâte de retrouver votre maman les enfants ? demande l'un des soldats avec un fort accent. Les enfants répondent en cœur que oui. Aussitôt, un ronflement de moteur en marche qui s'approche résonne.
Une panique monte à l'intérieur de Madeline. Où est Liliane ? Elle parcourt les visages des enfants sans trouver celui de sa fille. Elle veut crier son nom. Elle croise le regard de Kurt qui demeure à l'affût d'un signe.
Les camions se stationnent. Des soldats mettent en oeuvre l'embarquement. Les enfants sont contents de monter dans les camions. Dix... Neuf... Huit... Sept... Madeline s'affole. Il ne reste plus que six enfants à l'extérieur des camions. Cinq... Quatre... Trois... Deux... Un. Une. Elle porte un manteau rouge tachés par la saleté des wagons. Elle semble perdue, tâchant de placer ses petites mains devant elle. Kurt empoigne son bras fragile. Il en a oublié les SS.
Ça se passe très vite pour Madeline. Elle voit Kurt tirer sa petite de force loin des camions. Un soldat l'interrompt et lui demande ce qu'il fait. Par chance, les autres sont occupés par les enfants énervés. Madeline voit le Standartenführer donner un ordre au soldat, qui s'exécute immédiatement et s'en retourne. Puis, il y a comme un bond dans le temps. Elle ne se souvient pas bien comment, mais elle se retrouve dans la baraque de la veille. Ses bras sont enroulés autour du petit corps de sa fille.
- Maman ?
Liliane mouille ses petites joues enfantines et sa mère tremble de tout son être. Elle lui baise les pommettes. L'agresse de ses étreintes interminables. Elle prend son visage entre ses mains et plonge son regard dans le sien à plusieurs reprises pour s'assurer qu'elle est bien là, qu'elle n'est pas qu'une illusion. Liliane est là. Vivante.
- Liliane. Ma petite. Ma raison de continuer à vivre.
La petite pleure de joie. Elle reste muette à toutes ces caresses que sa mère lui offre. Madeline est chamboulée. Elle laisse glisser son trop plein d'émotions en laissant couler quelques larmes.
- Maman ! Tu es là ! Maman ! Je n'ai presque pas eu peur Maman ! J'ai été forte sans toi.
Entre ses larmes, la jeune mère éclate d'un petit rire. Sa fille n'a que trois printemps. Elle a encore de la difficulté à prononcer quelques mots et prend un temps considérable pour prononcer correctement ses phrases. Elle couine comme une petite souris, d'où son surnom.
- Oui ma petite souris. Tu as été forte. Tu sais que je t'aime.
- Je t'aime moi aussi Maman. Tu étais partie où Maman ?
Elles se serrent à nouveau sous les yeux du Staf ému.
- Nous sommes ensemble maintenant. C'est cela qui compte.
Liliane se sépare de sa mère et balaie de ses yeux vides l'intérieur de la baraque. Elle s'écrie :
- Où est Papa ?
Madeline porte sa main à la mâchoire de Liliane et fait pivoter son visage pour voir ses doux yeux bleus. Elle doit lui dire.
- Tu te souviens de la chanson que je t'ai apprise ? La chanson de la petite souris ?
Liliane fait un mouvement de tête affirmatif.
- Tu veux bien qu'on la chante ?
Elles chantent toute les deux cette mélodie. Leurs voix se mélangent et créent une ambiance joyeuse dans la baraque.
- C'était une petite souris, qui gambadait dans les champs d'épis. Elle attendait la venue de son papa attendu. Elle mangeait toute la journée du blé, sans se douter que son papa allait très bientôt rentrer...
Madeline baisse la tête et empoigne la petite main de sa fille.
- Papa ne rentrera pas. Papa est parti très loin. Il est parti en voyage... Dans le ciel. Il est parti rejoindre le soleil.
Comment une enfant de trois ans peut-elle comprendre le sens du mot Mort ? La petite secoue la tête.
- Alors, quand va-t-il venir nous rejoindre ?
Les larmes chaudes de Madeline ne cessent d'inonder son visage. Elle a un point à la poitrine qui se contracte et qui la fait souffrir le martyr. Elle est sur le point de dire ce mot : Jamais. Elle va le dire, mais Kurt s'interpose :
- Il faut y aller.
Le Standartenführer était resté patient devant les retrouvailles de Madeline et sa fille. Elles parlaient une langue qu'il ne connaissait pas, mais qu'il avait déjà entendue sortir de la bouche de Madeline le jour de son arrivée.
Madeline se redresse, dépose un dernier baiser sur la chevelure de sa fille, puis elle se tourne vers Kurt.
- Que devons-nous faire maintenant ?
Kurt extrait une grande valise d'un tas de tissus et la dépose sur le sol. Quand Madeline réalise l'idée de Kurt, elle se pince une lèvre avec ses dents et descend son visage pour qu'il soit à la hauteur de sa fille.
- Écoute moi bien Liliane. Tu m'écoutes bien ?
La petite secoue la tête de haut en bas.
- Je veux que tu m'obéisses. Il le faut. D'accord ?
Liliane secoue à nouveau sa tête.
- À ta gauche, il y a Kurt. Il est notre ami. Il va nous aider à retourner à la maison.
La petite dérive son regard vers le jeune Staf. Ses petits yeux cherchent dans le vide pendant un moment et reviennent sur Madeline.
- Il faudra que tu lui fasses confiance. D'accord ? Je veux que tu embarques dans cette valise qui est près de notre ami sans dire un mot et que tu y restes jusqu'à ce que qu'elle se rouvre .
- Et toi Maman ? Tu vas où ?
- Je vais te rejoindre plus tard. Ne t'inquiète pas. Nous allons nous revoir dans...
Madeline cherche ses mots. Quand vont-elles se revoir ? Dans deux heures ? Dans deux jours ? Quand Kurt pourra-t-il revenir pour elle ? Liliane ne veut pas se séparer de sa mère. Elles sont deux à souffrir de la peur.
Elles s'étreignent une dernière fois et ensuite, Madeline la prend dans ses bras et la dépose dans la grande valise brunâtre. Elle est sur le point de la refermer, lorsque Liliane lui attrape la main.
- À bientôt Maman. Je t'aime.
Une larme perle à la pointe de l'œil de la petite. Madeline agrippe à son tour la main de sa fille avec un léger sourire. Elle lui souffle avec une impression de déjà-vu :
- Sois forte ma petite souris. Je t'aime Liliane. On se retrouve très bientôt.
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- Soldat Angerman...
- Staf Seeger...
La valise contenant Liliane est déposée à la place passager de l'automobile de Kurt. Le soldat Angerman est seul gardien qui sécurise l'entrée. Il y a quelques instants, il a accouru du camp pour venir remplacer les deux gardes qui s'y trouvaient. Comme d'habitude, le Standartenführer lui tend ses papiers et lui offre un sourire amer. Étrangement, le soldat lui renvoi son sourire. Ce sourire donne l'impression qu'il retient un ricanement démoniaque. Il feuillette rapidement ses papiers et les lui redonnent. Kurt est étonné de ne pas entendre le soldat lui demander de fouiller sa voiture.F
- Vous êtes un homme intrigant, Staf. J'ai réellement cru que vous alliez amener cette sale Jüdin aux chambres à gaz. Je ne vous croyais pas si... Faible.
Kurt est stupéfait devant la déclaration d'Angerman. Il les a suivis, lui et Madeline, hier après que Helga Ackert ait condamné à mort Madeline.
- Puis je vous ai vu sauver cette gamine et la mettre dans cette valise.
Il prend grand soin de pointer du bout de son doigt la grande valise posée à côté de Kurt. Le soldat savoure ce moment de gloire. Ses lèvres portent un sourire cruel. Quant à Kurt, il est pétrifié. Angerman s'approche de la voiture et lui murmure :
- Oui. Vous êtes dans le pétrin.
Kurt démarre sa voiture, les yeux ronds de frayeur. Maintenant, le soldat Angerman a toutes les preuves qu'il faut pour l'accuser d'être le sauveur de jüdisch .
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