Le souvenir d'une mère

Sa silhouette fine et svelte s'avançait dans le noir à mesure que Marinette tentait de le suivre. Elle s'arrêtait des fois, reprenait sa route, un être totalement imprévisible qui laissait le destin faire les choix qui donnait vie au sentier de son passage sur Terre.

La silhouette qui se dessinait dans le noir de ce tunnel ne faisait aucun bruit. Ses pieds nus embrassaient silencieusement le sol et le vent seul frémissait à travers l'antre long aux parois épaisses. Marinette ne pouvait se résoudre à arrêter sa filature.

En s'endormant cette nuit-là, elle n'aurait jamais imaginé que ses rêves l'emmèneraient dans l'inconscient d'une autre personne à nouveau. Si, la première fois que ça lui était arrivé, Maître Fu ne lui avait pas suggéré cette éventualité dans le pouvoir réparateur du Miraculous fortuné, Marinette n'aurait jamais pensé à prendre ce songe au sérieux. Mais là, dans cet espace onirique, un être marchait doucement et ne cessait d'observait le sentier qui s'ouvrait devant lui.

Le cœur de Marinette commençait à battre de plus en plus vite. Au bout de ce couloir, qu'elle avait nommé sans qu'il ait de raisons de l'être, une lumière douce et pâle luisait. Peu à peu, comme si la réalité se filait progressivement à travers les enchevêtrements de ce songe, des bruits signifiants arrivèrent à ses oreilles. Lorsque la jeune héroïne s'en rendit compte, elle les frôla afin d'embrasser ce filament de réalité de plus près. Ses lobes lui parurent alors aussi glacés que ne l'étaient sûrement les plantes de ses pieds nus.

La silhouette noire et svelte trébucha et un chuchotement sec s'en échappa. Elle ne s'attendait sûrement pas à ce qu'elle soit suivie depuis le début de son trajet. La filature dura un bon moment. Il s'agissait pour Marinette de rester à une distance de telle sorte à ne pas se faire remarquer. Du moins pour l'instant. Elle n'éprouvait encore aucun intérêt particulier à entrer en contact avec la silhouette.

Mais elle ne savait en aucun cas que celui qu'elle poursuivait pouvait détenir un tel pouvoir sur elle. La silhouette s'arrêta soudainement. Son frêle dos s'écrasa contre le mur que Marinette considérait comme une des parois du couloir. Cela faisait plus d'une heure qu'ils marchaient ensembles dans ce passage. Il ne semblait y avoir aucune autre issue que la lumière devant.

La silhouette noire, qui se dessinait devant les rayons incidents d'une source inconnue, s'affaissa contre ce mur et se recroquevilla sur elle-même. Et comme la réalité s'était décidée à revenir au galop, Marinette pouvait entendre, loin d'une quinzaine de mètres qu'elle était, des sanglots impertinemment forts.

C'était un enfant.

Alors, comme si les pensées de Marinette s'étaient mises d'accord pour faire un boucan infernal, la jeune fille rabattit ses paupières brusquement.

Elle était là, à présent, dans l'inconscient d'une personne de Paris. Le Papillon n'avait rien à voir avec cela. Ou peut-être, mais dans ce cas-là, c'était sûrement involontaire de sa part. Depuis peu, les rêves de Marinette s'étaient faits de plus en plus lucides. La jeune franco-chinoise avait ensuite dû faire face aux nouvelles instructions de Maître Fu :

_ Lorsque tu te mets à rêver de manière grisâtre, sache que tu es probablement entrée dans l'inconscient d'un être qui a besoin de ton aide. Ce n'est pas quelque chose que tu peux résoudre dans un espace physique. Il faudra que tu fasses très attention. Et, surtout, si tu ne t'en sens pas capable, abandonne sans faire plus de dégâts.

_ Mais qu'est-ce que je suis censée faire exactement ?

_ C'est simple à expliquer, avait murmuré Maître Fu, mais beaucoup plus compliqué à mettre en pratique. Si tu apparais dans l'inconscient d'une personne, c'est sûrement que cette dernière croit en ta capacité à la sauver. Cela veut dire que ta personnalité en tant que Ladybug lui a donné un espoir de survie dans ses propres cauchemars.

_ Mais si je ne suis pas transformée...

_ J'ai bien dit que rien n'était physique dans les songes qui t'engloutiront. Même si tu t'apparais en tant que Marinette, celui que tu essayeras de sauver te verra en tant que sauveuse. Tu devras alors avoir une apparence réconfortante à ses yeux.

_ C'est troublant, avait commenté Marinette, confuse.

_ Toutes les Ladybugs sont passées par là. Certaines sont tombées dans la folie. Tu peux décider de tout arrêter maintenant.

Maître Fu avait laissé à l'héroïne trois semaines pour ruminer. Et finalement, cette dernière lui avait remis son approbation. Comme toutes les autres Ladybugs avant toi, aurait voulu commenter Maître Fu.

La silhouette qui sanglotait tristement devant Marinette se calmait peu à peu. A mesure que les minutes défilaient moqueuses sous le nez de la super-héroïne, la personne aux traits encore indistincts s'allongeait doucement sur le sol. Misérablement, elle semblait s'endormir, ou du moins s'être perdue dans des pensées beaucoup moins actives et émouvantes.

Encore quelques minutes passèrent avant que Marinette ne se décide à avancer et à voir ce qu'il en était. L'espoir vibrait en elle, Marinette l'optimiste, celle qui tenait éternellement entre ses mains la Torche de l'espérance. Même si ces rêves étranges la secouaient à chaque passage, en quelques mois, la brunette avait fini par s'habituer à ces tracas qui lui tombaient dessus, même quand elle dormait.

La silhouette se révélait être celle d'un enfant. Le visage enfoui dans ses bras croisés à même le sol, la sauveuse de Paris ne put que distinguer quelques attraits physiques. Une chevelure blonde, presque blanchâtre, sûrement due à l'âge ridicule du souffrant. Le garçon, Marinette l'en déduit de la corpulence du gamin, était mince. Très mince quoique toujours pas dans une démarche anorexique. Ses poignets qu'elle entrapercevait à travers les mèches lumineuses demeuraient fins tandis que ses mollets n'avaient pas l'air plus gros.

Marinette s'assit à même le sol, tout près de son ''client du jour''. Il portait une parka bleue sans capuche, un petit jean délavé ainsi qu'une paire de bottes jaunes en caoutchouc sur lesquelles s'inscrivait le nom d'une marque très connue en forme de papillon. Comment avait-il pu se faire si discret et silencieux avec un tel accoutrement ? se demanda, étonnée, Marinette.

Elle passa sa main sur la tête humide du jeune garçon. La chevelure complètement trompée luisait sous la lumière du couloir au bout. L'enfant frémit, gémit légèrement avant de se retourner dans des mouvements qui semblaient douloureux et fatigants à Marinette. Mais ce ne fut en aucun cas la seule perception intrigante qu'elle eut cette nuit-là :

_ Maman..., gémit le petit blond en se frottant les yeux ensommeillés avec vigueur.

La figure adorable de l'enfant envoya une véritable vague à la jeune fille en dirigeant sa perception des choses vers des abords complètement manichéens. Quiconque pouvait faire du mal à cette perle était, sans l'ombre d'un doute, un être sans cœur, sans pitié et sans sentiments. Et alors que Marinette plongeait dans les émeraudes du môme, elle reconnut Adrien, de retour vers les sept ans.

_ Maman..., refit Adrien.

Un sourire béat, encore hésitant, se formait sur ses lèvres. Des larmes perlaient et roulaient sur ses joues. Certaines faisaient escale sur son nez rougi par l'émotion. Avant que la franco-chinoise n'ait pu faire un geste, le blond se jeta dans ses bras et ses sanglots reprirent de plus belle.

_ Oh maman ! Maman...

Les paroles du petit garçon étaient secouées, Adrien s'étouffait, s'étranglait. L'impact de ces simples paroles était dévastateur, autant pour le locuteur que pour l'auditeur.

_ Là...là, tenta doucement Marinette en serrant le bambin dans ses bras.

C'était une vraie poupée en porcelaine. L'épaisse parka bleue rendait les gestes du blond très maladroits mais il n'en demeurait pas moins que ses émotions étaient sincères comme une note claire de musique.

_ Maman. Si tu savais ! Tu n'es plus...malade ?

_ Tout va bien mon grand, répondit délicatement Mari'. Maman est là, ne t'inquiète pas.

_ Maman. Maman ! Maman !

Le petit répétait ces mot, de plus en plus vite, de plus en plus fort. Comme si le prolongement de ce moment d'extase dépendait du nombre de répétition du l'expression. A chaque fois, Adrien serrait encore plus fort celle qu'il pensait être sa mère dans ses bras. Marinette en faisait de même, son cœur ravagé par les émotions que le blond véhiculait.

Un bon moment plus tard, l'âme brûlante d'Adrien se mit à s'amenuiser.

_ Maman, tu reviens avec moi à la maison, n'est-ce pas ? Tu vas faire sourire papa, c'est ça ?

De ce qu'elle savait d'Adrien Agreste, il était orphelin de sa mère depuis l'âge avec lequel il lui était apparu à présent. De longues années d'enfermement à la maison ont fini par éteindre une certaine joie de vivre et le blond dissimulait la lacune dans une courtoisie méticuleuse. Agreste Senior, lui, n'avait rien tenté afin d'éviter cette chute dramatique à son fils. Encore aurait-il fallu que quelqu'un ait remarqué le véritable manque que le blond ressentait.

Oui, car se prétendre désolé lorsque l'on apprend que quelqu'un a perdu un être cher, ce n'était pas réellement réconfortant. Evidemment, avec l'étiquette que Gabriel Agreste avait inculquée à son fils, ce dernier n'allait sûrement pas diriger son chagrin contre les autres.

Mais encore, ce n'était pas juste le trépas de sa mère qui avait dû affecter son fils unique. Aucun adieu, une disparition soudaine, une absence brusque et inexpliquée que le père avait qualifiée de normale à son enfant traumatisé. Et faire semblant que tout allait parfaitement bien n'allait sûrement rien arranger, se dit Marinette.

_ Adrien, tenta Marinette, terriblement angoissée.

Ce dernier releva la tête et fixa sa ''mère'' longuement. Il l'admirait au vu de ses contemplations.

_ Ecoute-moi bien d'accord ? C'est important, souffla la jeune fille en caressant la chevelure du garçon.

Elle l'installa sur ses genoux de manière à garder un contact visuel avec lui. Et ne cessa de lui caresser les mèches blondes tout en l'entourant de manière protectrice. Lui, semblait avoir compris que quelque chose de déplaisant allait l'attendre.

_ Aujourd'hui, maman est venue te voir. Ça n'a pas été facile, il a fallu faire un très long voyage. De la forêt, en passant par la jungle jusqu'à arriver dans cette galerie de mine. C'était très dangereux, et maman ne pourra pas faire ce voyage plusieurs fois.

_ Donc tu vas rester. Pour que ce ne soit plus dangereux.

On aurait pu penser à un ordre tant le ton employé par l'enfant semblait adulte et vide de subjectivité. Si Marinette était à la base folle amoureuse d'Adrien, là, elle ne savait plus quoi faire pour se contenir.

_ De l'autre côté, maman a un travail très important à faire. Et ce travail ne se termine pas, c'est comme une roue qui ne va jamais arrêter de tourner.

_ Donc tu vas devoir y retourner...

Adrien marqua un silence froid, glacial. Sa voix aigüe ne pouvait pas s'allier à des propos aussi sérieux. Comment faisait-il ?

_ Eh bien emmène-nous avec toi. Je te jure, papa sera content de te voir.

_ Papa a le même travail que le mien Adrien. Il doit rester à Paris. Sinon, il pourra se perdre dans le noir. Et toi aussi.

_ Mais non ! Si papa doit rester à Paris, qu'il reste ! On pourra toujours se parler par téléphone !

Marinette se mordit la lèvre. Les poings d'Adrien se serraient de manière monstrueuse sur ses vêtements. Il ne voulait pas la lâcher. Son regard la transcendait, limpide, pur et clair. Ses émeraudes brillaient de mille feux sous les réflexions causées par son chagrin. La lumière au bout du couloir s'assombrissait étrangement. Et les battements de cœur de Marinette s'accéléraient.

_ Là où je travaille, il y a beaucoup de personnes qui m'entourent. Mais ton père, non. Les seules personnes qu'il accepte dans son entourage sont les membres de sa famille. Tu dois rester avec lui. Tu es le seul qui lui reste...

De nouvelles larmes se mirent à rouler dans les yeux du petit blond.

_ Je dois vraiment rester tout seul avec lui ?

N'y tenant plus, Marinette serra le bambin dans ses bras et enfouie sa tête dans le creux de son torse :

_ Adrien. Ne pleure pas ! Tu es un garçon courageux. Très courageux. Et ne t'inquiète pas, tu auras pleins d'amis. Personne ne pourra te mépriser petit ange.

_ Maman...ne t'en va pas maintenant...

_ Je suis là, souffla doucement Marinette. Je suis là.

Un nouveau silence secoua cette section du couloir. Doucement, la lumière au bout s'intensifia. Comme par instinct, Marinette hissa l'enfant dans ses bras, se redressa et marcha le long de l'allée exigüe. Ses pas claquaient comme si elle courrait sur un pavé humide avec des souliers neufs. Le vent se remit à souffler, dans la même direction que la jeune fille.

Sur ses bras, Adrien observait ce qui restait derrière. Son point de départ était obscur, effrayant et très angoissant. Il calla doucement sa tête contre l'épaule de Marinette et rabattit ses paupières. La marche ne fut pas longue. Une centaine de mètres plus tard, la sortie semblait se rapprocher. Mais à mesure qu'ils dépassaient les kilomètres, rien ne changeait. Il fallait qu'Adrien y aille seul.

Marinette se figea sur place, l'enfant dans les bras. Surpris par la pause soudaine, le blond releva la tête et scruta le paysage autour de lui. Lorsque son esprit eut compris où la situation semblait se diriger, il se mit à fixer Marinette.

Sa respiration était constante, silencieuse. Les joues d'Adrien laissaient paraître les traces antérieures de larmes mais son nez en avait cessé avec les rougeurs. Marinette esquissa un sourire et étreignit le môme.

_ Ne t'inquiète pas. Tout ira bien !

Adrien ne répondit pas. Il baissa le regard, le souffle lourd. Mais Marinette ne put se résoudre à rester plus longtemps, malgré toutes les facettes de ses émotions qui l'attiraient au-delà de son temps limite. Le temps lui était compté. Les heures avaient galopé et elle devait faire au plus vite.

L'angoisse l'étouffa. Si elle faisait n'importe quoi, Adrien lui-même pourrait ne pas se réveiller et rester perdu dans le noir de ce couloir sans fin. Elle se mordit les lèvres. S'il y avait bien des personnes dans ce monde qu'elle ne voulait blesser d'aucune manière, Adrien était en haut de la liste. En fermant les yeux, deux larmes perlèrent, traduisant toute la peur qui se mettait à la ronger de l'intérieur, comme un rat noir et pervers qui s'en donnait à cœur joie.

Une petite main chaude lui frôla alors la joue. La bouche entrouverte, Adrien s'était rendu compte du mal qui aspirait l'âme de sa ''mère''. Il avait mal lui aussi. Mal de voir sa génitrice verser des larmes devant lui, à cause de lui. Le bambin ressentit de nouvelles chaleurs au niveau de ses yeux, mais les larmes ne pouvaient le mener qu'à un seul endroit, celui où il se trouvait à présent.

_ D'accord, prononça-t-il à regret. Je vais retourner chez papa tout seul.

Marinette sentit son ventre se serrer de manière douloureuse. Avait-elle brisé l'enfant ? Cette poupée en porcelaine qu'elle tenait entre ses bras. Cette vigoureuse brise qu'elle espérait tant pour garder au chaud. La franco-chinoise se sentit défaillir. Elle ne pouvait pas avoir fait cela.

Cependant, au cœur de toutes les nouvelles larmes qui déferlaient des iris jades d'Adrien, un sourire frais apparut. Un sourire qui était adressé à tous ceux qui se laissaient emporter par la limpidité de ses paroles. Un sourire encore faible, encore frêle. Tout chétif. Mais une esquisse qui brillait et qui donna à la porteuse du Miraculous de la coccinelle le courage d'étreindre cet enfant dans ses bras puis de le poser, délicatement, au sol.

Le blond lui offrit un dernier regard, plein d'espoir et d'espérance. La transparence des émotions véhiculées brûla violement alors que la flamme vitale d'Adrien se réveillait, peu à peu.

Le petit garçon à la parka bleue, au petit jean délavé et aux bottes jaunes prit ensuite la route de la sortie. Marinette fila lui agripper la main. Aucun regard ne fut plus échangé. La marche s'ensuivit d'un calme chaleureux.

Ils traversaient doucement l'inconscient d'Adrien, un chemin triste, exigu et effrayant dont la sortie renfermait cependant un espoir de progrès. A mesure qu'ils avançaient, les deux se mirent à disparaître en poussière. En fragments lumineux qui virevoltèrent un instant avant de s'immoler dans une extase brusque et fine.  

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