Chapitre 26

Kieran

Sitjaq et moi flânions en ville lorsque je reçus un texto de Shane nous demandant, à Blake et à moi, de le rejoindre à la clinique Nemeton. L'affaire concernait Sanna. J'envoyai donc un message à ma sœur pour la prévenir du rendez-vous. Elle me confirma sa présence quelques minutes après. C'était la première fois en cinq ans qu'elle passait la nuit dehors sans que je sache où elle était, c'était étrange. Il me faudrait m'y réhabituer, surtout parce que je m'envolerai bientôt loin d'elle. J'avais accepté le poste proposé par Shane à la condition que je prenne mes fonctions après le retour officiel de Blake. Je ne voulais pas la laisser affronter ça seule.

Ce fut plein de questions sur le déroulement des prochains jours que je me rendis à la clinique. Blake était déjà là, à m'attendre devant l'entrée. Je lui fis une brève accolade.

— Tu vas bien ?

J'avais peur qu'elle soit restée seule depuis la veille. C'était la dernière chose dont elle avait besoin.

— Oui.

— Tu n'es pas rentrée, hier.

Elle croisa les bras et me lança un regard réprobateur.

— Je suis majeure, Kieran.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire.

— Je sais, je te taquine ! Je n'étais pas seule, j'étais avec quelqu'un qui m'a écoutée et comprise. Ça fait du bien.

— Merci...

Ce n'était pas comme si j'avais tout fait pour la soutenir ces dernières années.

— Quelqu'un d'autre que mon frère. Je t'adore, mais j'ai besoin de diversifier mes contacts humains, si tu vois ce que je veux dire, conclut-elle sans ambigüité.

Oh... Oui, je voyais. Dans ce cas-là non, en effet, je ne lui servais à rien.

Elle était incroyable, ma petite sœur. À peine relevée de sa chute, elle remontait déjà en selle. Finalement, je m'inquiétais peut-être trop pour elle. Après tout, rien ne lui avait jamais résisté, il n'y avait pas de raison pour que ça change maintenant.

Sur le chemin qui nous mena au sous-sol de la clinique réservée aux Surnaturels, je tentai d'obtenir le nom de son compagnon d'un soir, sans succès. Un peu déçu, j'abandonnai sans insister car malgré ma curiosité, ça relevait de sa vie privée.

N'empêche, c'était quand même frustrant.

Sur place, nous fûmes envoyés vers une chambre où se trouvaient déjà Shane et Elizabeth. Sanna était là aussi. Son apparence avait encore changé : elle avait maintenant un visage et l'on commençait à distinguer la forme de ses bras et de ses mains. Elle parut heureuse de nous voir, détail qui poussa Blake à la prendre dans ses bras pour lui témoigner son soutien. Lorsqu'elle la libéra, Shane posa deux photos devant Sanna. Deux portraits de femmes inuites que notre camarade sembla reconnaître. Elle caressa le papier.

— Ce sont elles, affirma-t-elle de sa voix minérale.

— Aputikâ et Alasie, révéla Shane en montrant chaque fille. Dix-sept et vingt ans. Elles étaient sœurs.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? demandai-je.

— Violence du petit ami Blanc d'Alasie qui avait sa sœur en charge. Il les a toutes les deux mortellement blessées. Il était gendarme, ses collègues l'ont couvert. L'assassinat est devenu une attaque de loups.

— Amarok n'a pas dû apprécier l'accusation, commenta Blake. Ça ne m'étonnerait pas qu'il ait aussi aidé Tekkeitsertok pour cette raison.

Un silence suivit sa phrase. Sanna ne lâchait pas les clichés des yeux.

— Et maintenant ? demanda-t-elle.

— Une enquête est ouverte et du nettoyage est en train d'être fait dans le poste, expliqua Shane. L'homme était connu de tous pour être violent, il n'échappera pas à la prison.

Sanna secoua la tête comme pour prendre conscience que ces deux jeunes femmes seraient bientôt vengées. Du soulagement passa sur son visage, avant d'être terni par un voile de doute.

— Et moi, qu'est-ce que je vais devenir ?

— La directrice m'a dit que tous les Surnaturels mourants encore conscients avaient accepté de te donneur leur âme, et qu'à ce rythme-là, tu serais humaine d'ici un mois.

— Mais je ne pourrai pas revenir dans le groupe.

— Non, confirma Shane.

— On ne va pas t'abandonner aussi facilement, intervint Elizabeth, captant toute l'attention de Sanna.

— Comment ça ?

— On a peut-être une possibilité d'emploi pour toi, reprit Shane. Ça te demandera de te former une nouvelle fois.

— D'accord !

L'empressement de notre camarade étonna Shane. Il finit par sourire, amusé.

— Tu ne sais même pas ce qu'on te propose.

— Je vous fais confiance.

Une Surnaturelle qui faisait confiance à un héritier Stratton ? C'était une première. Il fallait dire que ni Shane ni Sanna ne correspondaient aux schémas classiques de ces deux engeances. Ceci expliquait peut-être cela. Le plus important demeurait la nouvelle opportunité offerte à Sanna.

Doucement, les choses se mettaient à leur juste place.


Deux jours passèrent durant lesquels nous préparâmes le retour de Blake dans les moindres détails avec l'aide de Shane, parti depuis, ainsi que de Jeanna Rowe et de Warren Alvarado. Ma sœur apprit son rôle et ses répliques par cœur tout en étant briefée sur le déroulé de ce genre d'événement au niveau légal. Quant à la presse, elle se débrouillerait très bien seule pour la gérer. Mais avant de réveiller la bête, nous avions des adieux à faire.

L'intérieur de l'aéroport était bruyant, comme toujours. Les gens allaient, venaient, certains stressés, d'autres détendus. Il y avait les habitués, les premières fois, les retrouvailles, les au-revoir et au milieu de tout ça, un lutin qu'aucun humain n'avait la capacité de voir. Rala regardait ce monde avec curiosité et crainte tout en restant collé au mollet de deux vampires que Blake me présenta comme étant Sorata et Eagle, les fameux amis de Shane, ceux qui avaient secouru ma sœur lorsqu'elle s'était fait tirer dessus, et qui l'avaient prévenue de la perte définitive de notre côté volé.

L'un comme l'autre étaient impressionnants, et pas seulement parce qu'ils étaient plus grands que moi ou d'une beauté insolente. Il se dégageait d'eux quelque chose de complexe, comme si leur comportement pouvait devenir amical ou dangereux en l'espace d'une seconde. Ressenti que je n'avais pas du tout l'intention de confirmer ou d'infirmer. De toute façon, j'étais là pour Rala. Il nous suivit un peu à l'écart. Afin de ne pas passer pour des gens bizarres aux yeux des passants, je collai mon smartphone à l'oreille pour parler tranquillement au lutin.

— Alors, impatient ?

— Et comment ! Je suis désolé de t'avoir crié dessus, l'autre jour.

— Tu m'as traité de sac à puces, lui rappelai-je.

— J'ai fait ça ?

— Tu m'as donné la piste de l'inukshuk, on est quitte.

— Pas tout à fait.

Il claqua des doigts, et Blake parut surprise. Elle plongea une main dans la poche de son jeans et en sortit une pièce en or.

— Un sou de lutin, ça porte bonheur et ça exauce un vœu. Si jamais vous passez dans le sud de la France, venez dans mon petit village.

— On n'y manquera pas.

Blake enroula un bras autour du mien et s'appuya contre moi.

— Dis-lui qu'il va nous manquer.

— Je crois bien que vous aussi, vous allez me manquer. Et ce gros ours de Teddy, aussi.

— Qu'est-ce que tu vas faire, de retour au pays ? s'enquit Blake.

— Retrouver la prêtresse qui m'a ressuscité par erreur et lui coller mon pied aux fesses ! Si jamais vous voyez une femme avec un manteau noir et un masque blanc, fuyez !

— On s'en souviendra. Tu devrais y aller, conseillai-je. L'embarquement est pour bientôt.

Rala nous sourit une dernière fois, claqua des doigts et se volatilisa pour réapparaître près de son escorte, devant la zone de contrôle. Il nous fit un grand signe de la main, puis il disparut dans la foule. Je m'apprêtais à faire demi-tour quand je remarquai le regard de Blake qui s'attarda sur Sorata. Je crus qu'il ne la verrait pas, mais il leva la tête au dernier moment et lui fit un clin d'œil. Ce simple geste rendit ma sœur heureuse, et je compris enfin pourquoi.

— Attends, c'était Sorata, ton coup d'un soir ?

Elle me lança un regard torve.

— T'es jaloux ?

— Si y'avait pas eu Sitjaq, carrément !

Elle ne s'était pas attendue à cette réponse et partit dans un éclat de rire spontané. Ça faisait du bien de la voir enjouée. Ce n'était pas plus mal qu'on ait attendu quelques jours avant de la jeter dans la fosse aux lions, cela lui avait donné le temps de se rappeler qui elle était. Tant mieux, car avec la déferlante en approche, elle devrait être solide.

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