Chapitre 11
Kieran
Décidément, depuis deux jours, venir au boulot était une plaie, et cette fois-ci n'y fit pas exception. En plus de tout faire pour éviter les situations gênantes avec Sitjaq, je devais tenter de retrouver la fille-pierre grâce à la description que Blake m'en avait faite : grande avec des cheveux noirs. Quand on savait que le noir était la couleur de cheveux la plus répandue au monde, j'étais mal barré. La taille aurait pu m'aiguiller, sauf chez les Stratton où la moyenne pour les femmes était d'un mètre soixante-treize, soit la fourchette dans laquelle Blake estimait notre cible. Donc, à moins de palper toutes mes collègues pour vérifier la température de leur peau – ce qui, en plus de me poser un problème moral, était un exercice auquel je ne survivrai pas puisque la première me tuerait sur-le-champ – j'étais un peu coincé.
Je n'aimais pas ça.
Comme à mon habitude, une fois au sous-sol, je rejoignis le bureau de Sitjaq avant toute chose. Même si j'évitais d'être seul avec lui, je ne voulais pas le fuir non plus, sans oublier que ça nous permettait de faire le point sur la soirée à venir et de régler les derniers détails avant le briefing. Je toquai sur la porte entrebâillée puis entrai. Je me figeai aussitôt devant une femme rousse debout face à mon supérieur, habillée d'une veste en tissu à l'imprimé tartan, d'un jeans et de baskets. Ce visage, je l'aurais reconnue entre mille.
— Elizabeth Hastings ! Je suis un de vos plus grands fans, m'ébaudis-je en lui serrant la main. J'ai dévoré votre dernier roman en deux jours !
— J'en suis vraiment heureuse. Vous auriez dû l'apporter, je vous l'aurais dédicacé.
— C'est sa faute, balançai-je Sitjaq en le pointant du doigt.
Il écarta les bras en signe d'aveu non sans esquisser ce sourire que j'aurais pu contempler des heures sans m'en lasser.
— Tu voulais tous les apporter, Kieran.
— Y'aurait eu le dernier dans le lot, répliquai-je de mauvaise foi.
— N'essaie pas de retourner la situation à ton avantage et reste sérieux. Kieran Daley, voici l'héritier exclusif du groupe : Shane Stratton.
J'avais été si focalisé sur Elizabeth que je n'avais pas du tout remarqué l'homme assis derrière elle. Quand il se leva, il me fut impossible de le louper ; c'était une bête, mais sexy en diable. Début de trentaine, un mètre quatre-vingt-dix à vue de nez, pas loin des quatre-vingt-dix kilos, il n'était fait que de muscles pourtant ses mouvements étaient fluides et son pas léger comme celui d'un grand félin. Ce fut intimidé que je lui serrai la main et que je soutins son regard incisif qui décorait à merveille son visage racé. Ce type était une bombe !
— Kuptana et moi en avons fini, dit-il. On vous laisse vous préparer pour ce soir.
En le regardant sortir, mon attention tomba sur Elizabeth et cet air sans ambigüité qu'elle m'adressait : merde, elle avait compris. J'aurais paniqué s'il ne se dégageait d'elle ni moquerie, ni jalousie, ni défi, seulement quelque chose de bienveillant, de confiant. Tout le monde la disait brillante. Sa réputation ne semblait pas volée.
Enfin seul avec Sitjaq, je m'assis dans mon fauteuil attitré.
Tiens, mon chef semblait contrarié.
— Bel homme, lâcha-t-il.
Minute... Il était jaloux ?
Et pourquoi ça me faisait autant plaisir, d'abord ?
— Carrément, approuvai-je en m'accoudant sur son bureau. Cependant, il y a une différence entre attirer l'attention et la garder.
Il aurait fallu le faire exprès pour manquer le sens de ma phrase. Sitjaq s'apaisa un instant, avant de paraître mal à l'aise. Il se redressa dans son fauteuil et se passa une main sur la nuque.
— On n'a pas vraiment parlé depuis l'autre soir...
— Te prends pas la tête avec ça, c'était rien.
— Tu le penses vraiment ?
Il y avait une pointe de reproche dans sa question. Après analyse de ma réponse, je compris pourquoi.
— Non, confessai-je.
Ça représentait beaucoup pour moi. Pour lui aussi, sans doute. Malgré tout, ça nous gênait l'un comme l'autre.
— Ce que je veux dire, c'est qu'on devrait juste faire confiance au temps pour tasser tout ça. Ce qu'il s'est passé, ce que je t'ai avoué ce soir-là, ça fait tellement longtemps que c'est là, avouai-je en pointant mon cœur, que ça ne changera pas demain, ni après-demain.
— C'est ça le problème, soupira-t-il en baissant la tête.
Ses doigts glissèrent dans ses courts cheveux noirs, puis il se leva pour arpenter le bureau.
— J'y arriverai pas, Kieran.
Il avait l'air de souffrir. Je n'aimais pas ça.
Je me levai à mon tour et m'approchai de lui.
— À faire quoi ? m'enquis-je.
— À faire semblant que tu n'es rien pour moi.
Il y a parfois des moments, dans la vie, où quelques mots suffisent à balayer toutes vos convictions, tous vos efforts, la moindre parcelle de votre raison. Ceux de Sitjaq brisèrent jusqu'à la dernière bribe de mon courage de le tenir loin de moi pour le préserver de ma véritable nature.
Je l'embrassai.
Ce baiser qu'il me rendit n'avait plus rien de timide ni de sage. Il était à l'image du brasier qui brûlait en nous, de ces sentiments que nous contenions depuis si longtemps.
Je libérai ses lèvres sans m'en éloigner. Accoudé d'un bras contre le mur, ma main libre caressa son visage glabre. La chaleur de sa peau était un cocon duquel je ne voulais pas sortir.
Alors que je me perdais dans cet instant de bonheur, une pensée désagréable m'en extirpa d'un seul coup : comment pouvais-je affirmer l'aimer alors que je lui cachais tellement de choses ? Me rejetterait-il vraiment s'il me savait Surnaturel ? De plus, lui transmettre mes informations sur la femme-pierre permettrait aux Stratton de la trouver bien plus vite que moi.
Le moment était peut-être venu de demander de l'aide.
Je reculai un peu afin de le regarder dans les yeux.
— Sitjaq...
Quelqu'un frappa à la porte. Je me rejetai en arrière et mon coéquipier se redressa juste au moment où un collègue entrait.
— Yo, Kieran, me salua Warren en frappant son poing sur le mien. Chef, on est prêts pour le briefing.
— On arrive.
Le nouveau venu nous regarda tour à tour.
— Ça va ?
— Ouais, on discutait juste de la mission, enchaînai-je.
Afin de couper court à l'instant dérangeant, nous suivîmes Warren jusqu'à la salle de réunion, abandonnant dans le bureau tout ce que nous n'avions pas eu le temps de nous dire.
Le calme de notre soirée de patrouille nous permit de rentrer au QG vers quatre heures du matin et de finir le débriefing quelques minutes plus tard. Les nuits comme celles-ci étaient les plus fatigantes car nous les passions à attendre sans adrénaline pour nous aider à tenir. Ce fut pourquoi personne ne traîna pour partir, à part Sitjaq. J'allai le voir, même si j'avais conscience d'être trop épuisé pour lui parler à cœur ouvert maintenant. La porte de son bureau fermée, je ne nous fis pas perdre davantage de temps.
— J'aimerais te parler, ce soir.
— Au son de ta voix, ça a l'air important.
— Ça l'est, c'est pour ça que je préfère dormir avant.
— Il t'arrive quelque chose ?
— Pas vraiment. Je t'expliquerai.
Devant son air inquiet, je ne trouvai rien d'autre à faire que sourire pour le rassurer. Cela sembla fonctionner difficilement. J'y ajoutai un baiser qui eut un bien meilleur effet. Puis nous nous séparâmes.
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