Breath.

La rue principale était presque déserte. Les faibles néons des quelques lampadaires présents permettaient d'éclairer le chemin de tout à chacun.

Le grincement d'un rideau d'acier déchirant le calme qui s'était imposé, fit s'envoler les quelques oiseaux qui, perchés sur un câble électrique, observaient la vie en bas.

Après avoir fermer la porte de la petite boutique à double tour, Améthyste s'élançait de sa petite démarche à travers la nuit.

Elle était épuisée. Comme tous les soirs où elle assurait la fermeture.

Elle était sur trois jours par semaine, tandis que ses deux collègues s'étaient partagés les autres. Et malgré sa fatigue, elle en était ravie.

La librairie était son moyen de ressource. Là, au milieu des étagères, elle avait l'impression d'être à sa place. Comme si les livres, dotés d'une quelconque intelligence, créaient une barrière protectrice autour de ses démons.

C'est pourquoi elle mettait tout son coeur et son énergie pour garder cet endroit en bon ordre. Chaque livre avait sa place. Elle connaissait leurs emplacements, et attachait beaucoup d'importance à les conserver. Elle s'activait toujours à bien nettoyer toutes les étagères, s'assurant que ce soit parfaitement fait. Parfois, elle s'accordait même une petite heure, ouvrait un ouvrage, et le savourait, son éternel sourire au coin des lèvres.

S'imaginer une vie idyllique et utopique était son passe-temps favori. Elle aimait rêver, s'immerger dans ses songes, bien au-delà de la réalité. Elle s'était créé tout un monde d'étranges et de merveilles sur lequel elle avait un pouvoir absolu. Là où, pour une fois, elle n'était pas sous l'emprise de ses cauchemars.

Un soupir de soulagement s'échappait de ses fines lèvres tandis que sa main, gelée par le froid automnale, poussait le portillon de fer d'une des grandes maisons de la rue. Par petites enjambées, elle se précipitait à l'intérieur de ce nid chaleureux qu'était cette grande maison, qu'elle ne partageait pour l'instant qu'avec son frère.

"Ah, Améthyste!"

Elle n'avait eu le temps de déposer ses affaires que déjà Adonis se trouvait devant elle, se battant avec son noeud de cravate.

D'un geste doux, elle lui prit le tissu des mains et s'activait à lui placer correctement.

"Une soirée étudiante ?" Elle questionnait.

"Soirée restaurant avec Rachel. Ses parents seront là aussi."

Rachel était la petite-amie d'Adonis depuis bientôt un an. Une grande blonde qui n'avait d'amour que pour elle et sa carrière dans le mannequinat. Elle avait ce côté égoïste qu'Améthyste détestait profondément. Sans parler de son écoeurante habitude qu'elle avait de rabaisser son entourage, ou bien ceux qui avaient le malheur de croiser son regard.

Améthyste relâchait finalement le tissu, observant son frère. Elle acquiesçait d'un mouvement sûr. Elle ne portait pas spécialement cette Rachel dans son coeur, mais si Adonis l'appréciait, alors elle se contenterait de faire un effort.

"Je ne rentrerai pas tard. Il prit soin d'enfiler sa veste avant de saisir le visage de sa petite soeur dans ses mains. Si il se passe quoi que ce soit, quoi que ce soit que tu ne puisses pas gérer, je ferai en sorte d'être là dans les minutes qui suivent."

D'un geste tendre, il déposait un baiser sur le front d'Améthyste avant de franchir le seuil de la porte d'entrée, plongeant la jeune femme dans un profond silence.

Depuis l'accident d'Améthyste , Adonis avait développer une sur-protection envers elle. Et même s'il faisait tout pour ne pas le montrer, elle le voyait bien.

Elle ne lui en voulait pas pour ça. Elle savait que si Adonis avait eu cet accident à sa place, elle aurait sans doute réagi de la même manière.

De plus, le décès de leur aîné les avait considérablement rapprocher. Il ne restait à Adonis que sa petite soeur, et il était hors de question qu'elle disparaisse à son tour. Il s'était promis, dès qu'Améthyste avait ouvert ses yeux, ce jour-là, de ne jamais la laisser se briser de nouveau. Peu importe le temps, peu importe les directions, peu importe les différences.

D'un pas lourd, la jeune femme s'avançait vers la cuisine ouverte sur la pièce principale.

Elle n'avait pas spécialement faim, mais pour le principe, une salade ne pourrait pas lui faire de mal. Elle ne mangeait presque plus depuis son accident. Ses repas étaient courts, et peu copieux. Elle savait que cela inquiétait Adonis, mais elle ne ressentait aucune envie dans ses plats, dans les aliments qu'elle pouvait voir, sentir, ou même goûter. L'appétit s'était tout bonnement envolé.

Elle se saisit de son assiette, non sans une moue mitigé à la vue de son plat, et se laissait tomber sur le sofa du salon. Elle allumait le téléviseur sur un des programmes du soir, et entamait sa salade.

Les yeux rivés sur le petit écran, ses pensées dérivaient sur son après-midi à la librairie. Ces livres, ces lecteurs, cet homme. Ce français, d'apparence pourtant bien britannique, soulevait bien des questions en elle. Maintenant qu'elle était seule avec elle-même, avec ses pensées, elle prenait son temps pour se remémorer sa rencontre.

Elle l'avait trouvé très charmant, dans son costume et son long manteau parme. Son noeud papillon pour le chic, elle se demandait quelle place pouvait bien avoir cet homme pour avoir à s'habiller de manière aussi classe. Ses cheveux relevés sur un côté, tombant parfaitement devant ses yeux à chaque petit mouvement de tête qu'il exécutait, lui donner un air enjôleur qu'elle aimait beaucoup.

Mais ce qui ressortait en lui, était son aura de confiance. Comme un halo éblouissant, elle l'entourait tout entier, et semblait se répandre au travers des esprits qui s'ouvraient à sa connaissance.

Si son comportement quelque peu étrange aurait dû l'inquiéter, il avait soulevé en Améthyste une curiosité insatiable.

~

Devant la maison de la jeune femme, sur le trottoir d'en face, une cabine de police bleue trônait fièrement.

En son intérieur, l'homme au noeud papillon ne cessait de remercier sa machine pour lui avoir faciliter sa recherche.

Il fallait dire que le TARDIS (c'est comme cela qu'elle s'appelait) était plutôt maligne. Elle avait deviné l'appel de détresse de la jolie jeune femme de la librairie, et avait traduit la langue du Seigneur du Temps en un magnifique français dans son esprit. Et en lui adressant la parole, l'homme au noeud papillon avait évidemment confirmer ses pensées: il était au bon endroit.

À présent, il ne lui restait plus qu'à déceler le problème et aider la jeune femme à s'en défaire.

"Améthyste." Le prénom de la jeune femme s'échappait des lèvres du Seigneur du Temps en un doux murmure.

Il l'avait lû sur son badge. Il aimait beaucoup ce prénom. Il le trouvait différent, poétique, comme une histoire à raconter. Cela l'intriguait.

Il se remémorait alors son visage. La douceur de ses traits, son sourire si beau et à la fois si triste, ses yeux si bleus, semblant dénués de leur lueur de vie. Il se demandait comment une femme si jeune, pouvait avoir un regard si triste.

D'un soupire, il passait une main sur son visage. Tout semblait si calme. Il n'aimait pas ça, le calme. Il avait besoin de bouger, d'être en continuel mouvement. C'est ce qu'il faisait, il courrait. Constamment. Et tout semblait si calme à présent !

Comme une réponse à ses pensées, le vrombissement du TARDIS se fit entendre par dessus un bip continu s'échappant d'un de ses écrans de contrôle. Il semblait y avoir du mouvement dans la maison sur le trottoir d'en face.

La poitrine compressée, la gorge sèche et son esprit rempli de mauvais souvenirs, Améthyste avait l'impression d'imploser. Des perles d'eau salée au coin des yeux, ses supplications étaient silencieuses. Sa respiration semblait se bloquer au creux de sa gorge, sans espoir de sortie. Ses membres refusaient de bouger, de coopérer avec son envie.

Elle avait besoin d'air.

Ses yeux se fermaient si fortement que des larmes dévalaient rapidement ses joues rosis par la haute température qu'elle émanait. Elle avait l'impression d'étouffer.

Elle était dans cette voiture, son dos maintenu par le toit de cette dernière. Elle ressentait chaque bout de verre autour d'elle, s'enfoncer dans sa chair, la faisant hurler de douleur. La terre tournait autour d'elle, encore, et encore. Elle sentait ses forces l'abandonner peu à peu. D'un dernier effort, ses yeux croisaient ceux d'Athéna, vidés de toute vie. Et d'un cri de rage et d'effroi, elle priait que quiconque ne lui vienne en aide.

Une paire de bras la souleva finalement. Elle tentait de se débattre, son regard toujours ancré dans celui de sa soeur. Elle n'avait pas besoin d'aide. Sa soeur en avait besoin. Elle souhaitait qu'on l'aide, qu'on la sauve, qu'on la sorte de la situation dans laquelle elle les avait entraîner. Car Améthyste le savait, elle était seule responsable de ce passé.

Bientôt, ses poumons s'emplirent d'air. L'air frais de la nuit automnale la frappait brutalement, la ramenant à la réalité. Elle sentit qu'on la déposait sur un des canapés du jardin. Sa respiration était saccadé. Son corps entier tremblait. Ses larmes s'étaient changés en de gros sanglots, qu'elle était incapable de taire. Elle aurait donné n'importe quoi pour que l'on apaise son chagrin.

Alors, lorsque deux bras réconfortant l'entouraient, elle se laissait tomber sur un torse protecteur, dans l'espoir d'alléger sa souffrance.

Combien de temps était-elle rester dans cette position ? Elle n'en avait aucune idée. Mais le rythme qu'elle entendait là, était tout ce qu'elle avait espéré. Il ne lui avait suffit que de quelques secondes pour se calmer complètement. Et lorsque le silence l'avait gagné de nouveau, elle s'était concentré sur ce rythme régulier qu'elle appréciait.

Un rythme nouveau, différent. Un rythme doux, calme, et bienveillant. Un rythme de... deux coeurs ?

Son petit visage pâle, humide des larmes de ses cauchemars se releva finalement pour rencontrer les yeux de son protecteur du soir.

Elle crû tomber du canapé lorsqu'elle vit ceux qu'elle avait eu l'occasion d'observer à la librairie, l'après-midi même.

"Vous êtes... Vous- vous-" Elle tentait, les membres encore tremblant.

"Tout va bien. Sa voix était douce, calme, rassurante. Je suis là pour vous aider."

Il l'observait de ses yeux intrigués, inquiets, comme s'il tentait d'y déceler tous ses secrets. Il voulait l'aider. Elle lui avait semblé si vulnérable, si triste et démuni qu'il aurait donné tout ce qu'il avait pour la faire se sentir mieux.

D'un geste doux, Améthyste approchait sa main du torse du Seigneur du Temps. Sa paume contre son coeur, elle sentait ce rythme si particulier se répandre au travers de son corps, l'apaisant presque immédiatement.

" Votre coeur." Sa voix était presque un murmure.

"Mon coeur ?" L'homme répètait, un sourire au coin des lèvres.

"Il bat bizarrement." Ses yeux se plongeaient dans ceux du jeune homme.

D'un léger rire, il s'approchait doucement du visage de la jeune femme, et d'un murmure, la défiait.

"À quoi pensez-vous, Améthyste ?"

Elle l'observait, les sourcils relevés, intriguée.

"Vous- Elle semblait hésiter. Vous avez deux coeurs."

"C'est exact !" Il s'exclamait, comme fier de ses deux organes.

"Mais c'est impossible. Les yeux de la jeune femme se fermaient lentement. Elle pensait rêver. Comment pouvez-vous posséder deux coeurs ? C'est incensé."

Un léger rire la prit, bien qu'elle n'en ressentait aucune envie. Elle n'avait pas le goût de rire, pas en ces circonstances.

"Eh bien, différent est plutôt le terme que j'emploierai pour me qualifier, mais incensé se trouve probablement aussi dans la liste."

"Vous êtes un sacré numéro. Améthyste secouait la tête, incrédule. Comment êtes-vous entré, d'ailleurs ?"

"Mon tournevis sonique." Comme pour appuyer sa réponse, il sortit de la poche de son manteau un petit objet métallique et le fît tournoyer entre ses doigts.

"Votre... tournevis sonique. La situation devenait de plus en plus ridicule. Dîtes-moi, vous en avez d'autres des comme ça ?"

"Je ne vous mens pas, Améthyste."

Il appuyait finalement sur un bouton et l'objet qu'il tenait entre ses mains émit un signal sonore aiguë en même temps qu'une petite lumière verte. La jeune femme ne le quittait pas des yeux, abasourdi.

"Écoutez, je sais que cela paraît difficile à croire, mais je suis là pour vous aider. Sa voix se voulait rassurante au possible. J'ai reçu un message sur mon papier psychique. Un appel de détresse. Vos crises, elles sont fréquentes ?"

Améthyste l'observait, sans dire un mot. Elle avait du mal à croire aux histoires de cet homme, pourtant, quelque part dans ses yeux, elle sentait qu'il lui disait la vérité.

Il l'avait aidé, ce soir, il avait calmé ses crises si rapidement qu'elle avait eu l'impression de ne plus raisonner correctement. Devait-elle pour autant lui accorder sa confiance ?

Un soupire s'échappait de ses lèvres fines, se mêlant à la fraîcheur du temps. Ce n'est que lorsqu'elle sentit le manteau de l'homme à ses côtés se poser sur ses épaules, que cette fraîcheur la frappa de plein fouet.

Après un petit moment d'hésitation, elle tournait finalement son regard en sa direction.

"Elles sont présentes chaque nuits, depuis cinq ans. Ses paupières se fermaient de nouveau, luttant contre quelques souvenirs menaçant. Je suis incapable de bouger, mon souffle se bloque, refuse de se laisser aller comme si- Elle marque une légère pause. Comme si j'avais oublié comment respirer."

Elle attachait soudainement son regard, ses yeux embués de larmes, à ceux remplis d'inquiétude de l'homme au noeud papillon.

C'était tout nouveau pour lui. Aucun alien à problème à l'horizon, aucune population à sauver, seulement une âme perdue, emprisonnée dans un tourbillon infernal de sentiments et une pincée de crises d'angoisses. Qu'était-il censé faire ?

"Que vous est-il arrivé ?" Sa question fût presque inaudible, un murmure mélangé au doux vent de la nuit.

Améthyste l'observait, soudainement méfiante.

"Qui êtes-vous, au juste ?"

"Le Docteur." Il répondit simplement.

"Un docteur ? Ses sourcils se fronçaient légèrement. Je n'ai pas besoin de vous, vous savez, je vois déjà un spécialiste."

Elle s'apprêtait à se lever, agacée par cette conversation. Une main sur son poignet l'arrêta de tout mouvement.

"Non, je ne suis pas ce genre de docteur. Un sourire faible fendit ses lèvres. C'est le nom que je me donne, c'est un titre, en quelque sorte."

"Quoi ? Vous n'avez pas un prénom ? Un nom ?" Elle s'assit de nouveau, intriguée.

"Je suis juste, Le Docteur."

"Vous m'intriguez." Elle lâchait dans un murmure.

"C'est là tout l'intérêt." Il avait parlé sur la même intonation, un sourire toujours pendu aux lèvres.

"Vous devriez y aller. Elle se défit du manteau qu'il lui avait prêté quelques temps plus tôt et lui tendit. Mon frère va bientôt rentrer et je risque de me faire passer un savon si vous êtes toujours dans les parages."

"Mais- Il protestait. Je ne sais toujours pas comment vous aider!"

Elle lui adressait un faible sourire et se résignait à entrer dans sa maison. Le jeune homme la suivit de près, ne perdant pas son objectif.

"Écoutez, je peux trouver un moyen de vous aider. De faire taire vos crises." Il semblait si concerné, sa voix la suppliait presque.

"Docteur, vous devriez vraiment y aller. Elle ouvrit la porte d'entrée, lui désignant du doigt la rue principale. De toute manière, je doute que vous puissiez m'offrir ce dont j'ai besoin."

"Dîtes-moi. Il l'observait, attentif. Je souhaite vraiment vous aider, Améthyste."

"Voir le monde. Elle lâchait d'un soupire. Sortir de ma routine, de ma vie bien rangée. Mais c'est impossible, n'est-ce pas ? J'ai un travail, des études à terminer et par-dessus tout, un frère sur-protecteur qui veille à me garder aussi proche de lui que possible. Alors merci à vous, mais maintenant, vous devriez vraiment partir."

Et sur ces mots, elle fermait la porte d'entrée sur le Docteur qui, perché sur une des marches du perron, souriait bêtement.

"Et à bientôt." Il murmurait, une idée encombrant déjà la totalité de ses pensées.

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