Chapitre 34 - Véritable identité
La nuit était tombée sur le palais Vervaïl et Sangaliore.
Richa était revenue après des semaines d'absence.
Aïonn le savait puisque la jeune fille était venue le voir, du moins, lui parler à travers la porte qu'il gardait close et contre laquelle il était perpétuellement assis, ayant à peine bougé depuis qu'il s'était enfermé dans cette chambre.
Maîtrisant sa frustration au mieux, elle lui avait demandé ce qu'il attendait exactement en se comportant de la sorte.
Mis au pied du mur par cette question, Aïonn avait crié à sa sœur qu'il l'ignorait lui-même, qu'il n'en avait pas la moindre idée, puis il lui avait ordonné dans un hurlement de partir et de le laisser tranquille avant de s'écrouler en larmes contre la porte.
Inquiétée par cette vive réaction, qu'elle n'avait pas prévue, Richa avait insisté, appelant Aïonn, cognant contre la porte ou s'acharnant contre la poignée, en vain. Aïonn n'avait plus rien dit et, même en restant plusieurs minutes contre le battant, elle n'avait rien entendu.
Comprenant donc qu'elle n'aurait rien obtenu de plus de la part de son frère, Richa s'était résigné et avait préféré lui obéir. Avant de s'éloigner, elle avait affirmé à Aïonn que, si il en avait besoin, elle était là, tout comme Sarrion, puis le son de ses pas s'était estompé dans le couloir.
Le pire pour Aïonn avec cette phrase était qu'il avait parfaitement perçu qu'elle était sincère. Des gens venaient s'assurer qu'il allait bien, s'inquiétant pour lui, se préoccupaient réellement de lui, lui offraient une véritable place, pas seulement un recoin inutilisé, du moins, souhaitaient le faire.
C'était à cause de cela, ce sentiment d'avoir une importance, d'être vraiment une personne à part entière, qu'il avait hurlé sur Richa, car il était perdu, troublé, perturbé et ne savait pas comment réagir face à tout cela.
Il avait été tout aussi démunis lorsque que, au cours des dernières semaines, Sarrion était venu lui tenir compagnie à travers la porte, assis dans le couloir contre le battant, passant ainsi de longues heures, même si il avait pourtant bien d'autres choses qui réclamaient son attention, mais il avait affirmé à Aïonn que ses responsabilités de souverain restaient secondaires par rapport à lui, son fils.
Le vampire avait tenté d'instaurer le dialogue, de communiquer avec Aïonn, mais ce dernier lui avait répondu par le silence la plupart du temps ou par des propos méprisants et blessants, comme précédemment. Sa véhémence était néanmoins allée décroissante au fil des jours.
Le silence était donc devenu son unique réaction pourtant, Sarrion avait continué à venir régulièrement, des heures durant, parlant seul. Aïonn avait fini par lui demander pourquoi il s'obstinait à gaspiller son temps ainsi alors qu'il ne faisait jamais que s'écraser contre un mur à chacune de ces tentatives. En réponse, Sarrion lui avait expliqué, et Aïonn avait entendu le sourire dans la voix du vampire, que c'était tout simplement pour être auprès de lui, pour partager quelques instants avec lui, son fils.
En réaction, Aïonn avait pleuré, comme avec les mots de Richa dans la journée, touché mais également dépassé et submergé.
Jamais on ne lui avait manifesté de pareilles attentions, jamais on ne s'était à ce point soucié de lui, jamais on ne lui avait fait sentir qu'il comptait et qu'on tenait à lui, jamais on ne s'était montré bienveillant à son égard, aussi patient que l'était Sarrion, car jamais ce dernier ne lui avait reproché son comportement, pourtant inadmissible, dont beaucoup de domestiques se plaignaient à cause des insultes désobligeantes qu'il leur adressait.
En un mot, jamais il n'avait eu le sentiment qu'on l'aimait et qu'on lui créait une véritable place cependant, c'était justement ce qui le plongeait dans une telle détresse.
Personne ne l'ayant justement jamais traité comme un réel individu, avec sa sensibilité, il ignorait comment réagir lorsque Sarrion, ou même Richa, se préoccupaient à ce point de lui. Il s'en trouvait déstabilisé et totalement perdu. Quelque part, il en était également effrayé car tout cela lui était inconnu et le laissait particulièrement démunis. Sa seule défense face à cet inconnu était de dresser une barrière derrière laquelle se protéger en repoussant avec agressivité tous ceux qui cherchaient à l'approcher.
Sans compter qu'il n'oubliait pas pourquoi on l'avait envoyé parmi les mortels. Il avait une mission à remplir et possédait d'ailleurs tous les éléments pour l'accomplir.
On le traitait mieux dans l'Enclave et son père lui transmettait une profonde affection, même à travers une porte close, contrairement à sa mère, mais il nourrissait toujours l'espoir, certainement vain,que ramener sa jumelle avec lui lui vaudrait une amélioration de sa condition. Grâce à ça, il pourrait peut-être s'attirer la reconnaissance et les félicitations de ses semblables. Au fond de lui, il se doutait pourtant que ça n'arriverait jamais.
Il ne pouvait cependant pas accepter de s'établir au palais et de se mêler aux mortels. Ça aurait été l'ultime lâcheté, une fuite qui aurait prouvé qu'il n'était effectivement qu'un être pathétique. Sans compter que, si il commençait à vivre dans l'Enclave, il devrait se comporter comme tous ses habitants sans pouvoir montrer à tous à quel point il leur était supérieur de part sa nature divine or, c'était le seul moyen qu'il possédait pour ne pas sombrer et se procurer l'illusion qu'il pouvait valoir quelque chose.
Aïonn se sentait déchiré entre sa tentation de rester au palais, où on l'acceptait et se souciait de lui, et son conditionnement vieux de plusieurs décennies qui le poussait à simplement obéir et à remplir sa mission, même si il savait pertinemment que tout ce qui l'attendait chez lui était les réprimandes, le dédain et l'indifférence générale.
Il ignorait que faire, ce qu'il désirait et ce qu'il attendait en restant cloîtré dans cette chambre, d'où son explosion à la question de Richa. Peut-être voulait-il seulement réfléchir à sa situation mais il n'y parvenait pas.
Tout ce qu'il pouvait faire était se lamenter, se morfondre et hésiter. Il était vraiment pitoyable.
Reniflant, il essuya ses joues encore humides. Il se sentait tellement mal, cette nuit encore plus que les précédentes.
Plutôt que de macérer dans sa misère, il aurait mieux fait de prendre un peu l'air. Ça aurait pu l'aider à s'éclaircir les pensées. De toute manière, il ne risquait pas grand chose à s'aventurer hors de sa chambre pour la première fois depuis son arrivée à Sangaliore. A cette heure de la nuit, il ne croiserait probablement pas grand monde et il lui suffirait d'esquiver les patrouilles des gardes.
Sa décision prise, le jeune homme poussa le divan qu'il avait placé devant la porte pour la bloquer et la déverrouilla pour se glisser dans le couloir noyé par l'obscurité.
Sa vision nyctalope lui permettait de s'y déplacer sans difficulté, il le remonta en arpentant au hasard le palais, se cachant où il le pouvait lorsque quelqu'un approchait. Il ne voulait voir personne ni s'expliquer.
A force de déplacements sans but, il arriva dans une pièce qui lui plût immédiatement. La salle, plus longue que large, était remplie de dizaines d'instruments ainsi que de plusieurs étagères débordant de partitions.
Les yeux d'Aïonn s'écarquillèrent. Cette pièce ressemblait à un rêve pour lui. Il avait toujours beaucoup aimé les instruments et la musique mais, n'ayant jamais eu réellement le droit de posséder quelque chose qui ne provenait pas de son domaine, il n'en avait jamais eu à lui.
Sans y réfléchir, il s'installa au piano et, préférant improviser, il ignora la partition posée sur le pupitre pour plutôt laisser ses doigts courir instinctivement sur les touches, les paupières closes.
Les accords s'élevèrent harmonieusement pour former une mélodie mélancolique et triste mais quelques notes lumineuses surgissaient de temps à autre au milieu de cet air sombre. La musique exprimait plus justement que des mots ce qu'il ressentait et l'aidait à délier ses pensées. Peu à peu, il se fit plus serein.
Il ne sut combien de temps il joua, plongé dans les notes, mais il fut soudainement extirpé de cette véritable transe lorsqu'il perçut une autre présence dans la pièce.
Cessant sa prestation en gardant les doigts au-dessus du clavier, il se tourna vers l'entrée de la salle pour découvrir Richa qui l'observait, la tête légèrement penchée sur le côté et l'air quelque peu surprise, toujours accompagnée de Laadsri'll.
Une ombre de sourire passa sur ses lèvres alors qu'elle lançait, sur un ton où perçait l'agacement, en contradiction avec son sourire :
« T'as fini par sortir.
Ne répondant pas, Aïonn se détourna en baissant le menton, se concentrant sur le piano, en une attitude honteuse. De toute manière, il ne savait pas que dire ni comment interpréter la remarque de Richa.
Cette dernière le rejoignit au piano où elle s'assit avec lui, le forçant à se décaler sur le tabouret pour lui laisser une place.
Sans le regarder, ignorant elle aussi comment se comporter, la jeune fille constata :
- Tu sais jouer du piano (Aïonn acquiesça). Tu crois que tu pourrais m'apprendre. Je suis pas fan du prof de musique du palais.
- Moi ? T'apprendre quelque chose ?
- Bah oui, c'est si étonnant que ça ? Tu sais jouer d'autres instruments dans ceux qui sont ici ?
- Tous. Répondit Aïonn sans se vanter.
- Tous ? Sérieusement ? C'est incroyable ! Je suis admirative ! Moi aussi j'adore la musique, tu sais !
- Si on m'avait un jour dit que quelque chose comme ça arriverait...
- Quoi ? Pourquoi ça arriverait pas ?
- Eh, tu veux toujours connaître ce que je sais sur toi ?
- Evidemment ! Bondit Richa, néanmoins prise de court par ce brusque changement de sujet et par l'attitude d'Aïonn, qui se montrait soudainement calme, comme éteint, et particulièrement triste.
- Tu es sûre, vraiment ?
- Oui ! Ça fait des années que je cherche les réponses à mes questions alors crache le morceau !
- De ce que j'ai compris, tu penses être peut-être une fille de Kall'ghan liée à Kaëv'ah.
- Cette hypothèse perd un peu de sens à cause de ma parenté avec Sarrion mais ça continue à sembler être l'hypothèse la plus convaincante que j'ai.
- Et bien c'est une mauvaise piste.
- Ah vraiment ? Bah tu vois, quelque part, ça me rassure.
- Tu n'es pas liée à Kaëv'ah. Tu es Kaëv'ah. »
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top