Chapitre 32 - Fin des doutes

Malgré la douleur causée par les différentes blessures parcourant son corps à travers les déchirures de son uniforme laissées par cet elfe, Blanche courut à travers les rues obscures jusqu'à la place.
Y débouchant, elle découvrit un chaos indéfinissable. Les bûchers avaient finalement été embrasés par le sort de manipulation des flammes, plusieurs débris incandescents parsemaient les pavés, des cadavres d'Hommes Blancs, dont l'uniforme continuait à s'imbiber de sang, gisaient ça et là aux côtés de quelques civiles, bien que la majorité ne soit qu'assommée. En revanche, il n'y avait pas trace des Humcréas.
Tous avaient réussi à s'échapper.
Blanche jura en hurlant. Possédée par la fureur, elle frappa avec acharnement contre le mur du bâtiment le plus proche, se blessant les phalanges mais s'en moquant. Elle avait besoin d'extérioriser cette rage brûlante qui faisait bouillir son sang dans ses veines et l'empêchait de raisonner.
Si ces idiots ne l'avaient pas entraînée loin de la place, prétendant qu'il n'y avait plus rien à faire et qu'ils ne pouvaient plus que sauver leur vie, elle aurait pu arrêter ces véritables animaux sauvages. A la place, elle avait été obligée de frapper et jeter au sol plusieurs de ces lâches.
A présent, elle ne savait pas ce qu'elle pouvait faire. Elle ignorait qu'elle direction les fuyards avaient empruntée et il n'y avait aucun Homme Blanc qu'elle pouvait rallier.
Cette situation ne suffisait cependant pas à décourager Blanche. Elle n'avait besoin de rien ni personne pour exterminer les Humcréas et protéger les jeunes adolescentes.
La main serrée autour de la poignée de son épée, la jeune femme s'apprêta à s'engager dans l'une des rues mais pas totalement au hasard. D'après les quelques réflexions qu'elle parvenait à mener,il semblait logique, et même évident, que les fugitifs ne s'étaient pas dirigé vers les Terres Blanches. Les côtes des Terres de Forêt ou des Terres de Fer étaient trop éloignées pour les rejoindre rapidement avec de frêles embarcations. Par élimination, il ne restait plus que les côtes des Terres Intérieures vers lesquelles fuir. Les Humcréas avaient donc dû gagner le port situé au sud de l'île.
Peut-être Blanche pouvait-elle encore les rattraper et les stopper, au moins quelques uns d'entre eux.
A peine se fût-elle engagée dans une rue se dirigeant vers le sud,malgré les ondes de douleur que ses nombreuses blessures diffusaient dans l'ensemble de son corps, qu'un puissant grondement de tonnerre fit vibrer les fenêtres des bâtiments alentours. Une pluie torrentielle s'abattit sur la ville avec tant de force que les gouttes d'eau furent comme des coups contre le corps de Blanche.
La jeune femme se retrouva intégralement détrempée en seulement quelques secondes. Les mèches incolores échappées de son chignon se collèrent à son visage à cause de l'eau.
Le vent hululait en s'engouffrant dans les ruelles et un éclair déchira le ciel. Plus qu'un orage, ça semblait être une véritable tempête qui fondait si soudainement sur l'île. Certainement était-ce de la magie et pas un simple caprice de la nature.
Cette idée fit grincer des dents à Blanche et elle accéléra sous les intempéries déchaînées.
Lorsqu'elle arriva sur le port, elle découvrit toute l'étendue de la tourmente des éléments. Des flots noires s'agitaient furieusement et inondaient partiellement les quais en se fracassant dessus. Les différentes embarcations amarrées étaient secouées en tous sens et quelques unes avaient certainement subi des avaries.
A cause de l'obscurité, la nuit renforcée par la lourde chape nuageuse, elle ne pouvait voir sur plus de quelques mètres autour d'elle mais, grâce à un éclair qui illumina le paysage durant un court instant, elle aperçut la silhouette de plusieurs barques. Les embarcations des fuyards paraissaient être épargnées par la tempête, ce qui confirmait qu'il s'agissait bien de magie.
Les poursuivre dans ces conditions semblait totalement exclu, même Blanche devait le reconnaître.
Dans un cri de rage et de frustration, qui fut englouti par les hurlements de la tempête, la jeune femme jeta son épée au sol.
Encore une fois, Yennaël Lanwil et ses complices lui avaient échappés en emmenant dans leur fuite plusieurs condamnés et elle n'avait rien pu faire. Elle avait été totalement impuissante.
Encore un échec, un de plus. Tous ces revers et, surtout, la profonde frustration qu'ils engendraient, commençaient à la pousser vers la folie. Blanche la sentait pulser dans un recoin de son crâne.
Cherchant à extérioriser toute sa fureur, elle continua à hurler en frappant tout ce qu'elle trouvait autour d'elle, murs, caisses, tonneaux ou sacs de jute.
Une main effleura son épaule sans avoir le temps d'y poser.
Réagissant immédiatement, Blanche se retourna vivement et Milo eut juste le réflexe de s'écarter en glissant sur les pavés mouillés pour esquiver le coup que tenta de le décocher la jeune femme.

« Qu'est-ce que vous voulez ? Lui cria t-elle par-dessus les sifflements de la tempête.

- Nous ne pourrons pas les poursuivre dans l'immédiat. Expliqua Milo en dressant ses paumes ouvertes devant lui en un geste d'apaisement, sachant à quels risques il s'exposait en affirmant cela.

- Fermez la ! Ordonna violemment Blanche.

- Ecoutez, nous devons nous réorganiser, décider de la stratégie à appliquer et aussi avertir tous les postes de cet incident, insista Milo. Nous devons également vous soigner. Venez.

Pour la plus grande surprise de Milo, Blanche se résigna et accepta, non pas qu'elle donnait raison à son subalterne mais car, à force de rage, un profond épuisement retombait sur ses épaules.
Le visage aussi inexpressif qu'à l'accoutumée, la jeune femme ramassa son épée qu'elle rengaina et emboîta le pas à Milo.
Tous deux se dirigèrent vers la forteresse. Sur la place, les bûchers avaient été éteints par la violente pluie.
Lorsqu'ils voulurent pousser la porte, elle résista, apparemment solidement verrouillée.
S'y mettant à deux, ils se jetèrent à répétition contre le battant dans l'espoir de le faire céder. Les plaies de Blanche laissèrent quelques traces de sang sur la peinture blanche mais la jeune femme s'en moqua.
Après plusieurs minutes sans succès, Milo arrêta, l'épaule endolorie alors que Blanche continuait à s'acharner contre la porte, quitte à se briser un os. En voyant Milo cesser de lui prêter main forte,elle alla pour lui ordonner violemment de se remettre à la tâche mais elle s'abstint en le voyant se diriger vers ce qu'il restait des bûchers.
Fouillant dans les débris calcinés, il en tira un rondin long d'un mètre environ dont ils pourraient se servir comme d'un bélier de fortune.
Le comprenant, Blanche l'aida à le soulever sans prononcer un mot.
Après plusieurs coups, les planches qui formaient la porte se brisèrent dans des craquements à peine audibles à cause de la tempête et tous deux entrèrent par la brèche.
Un Homme Blanc, chargé de la surveillance des lieux, se précipita vers Blanche, le regard affolé, et il commença à lui expliquer que lui et ses collègues s'étaient retrouvé enfermés dans la forteresse. Malgré leurs efforts, ils n'avaient pas réussi à ouvrir la moindre issue.
Sans tourner les yeux vers lui, Blanche le saisit par la gorge d'une main,faisant s'étrangler ses paroles. Son crâne heurta la paroi, le sonnant, et il glissa mollement au sol lorsque la jeune femme le relâcha pour s'enfoncer dans l'un des couloirs sans toujours le regarder.
Milo aida le pauvre homme à se relever avant de lui emboîter le pas.
Remarquant que la jeune femme semblait davantage errer dans la forteresse que se diriger vers une pièce en particulier, il se permit de l'amener jusqu'à l'infirmerie que comportait l'édifice.
Se saisissant de bandage, de tissus propres et d'une bouteille d'alcool pur, Milo proposa à Blanche de la soigner.
Toujours silencieuse, la jeune femme retira le haut de son uniforme déchiré,ne gardant que la brassière qu'elle portait en-dessous et exposant ses cicatrices, que Milo prit grand soin à ne pas regarder, et se défit de son épée qu'elle posa à côté d'elle en s'installant sur un tabouret.
Milo entreprit de soigner ses blessures et de les panser.
Pendant qu'il s'en occupait, Blanche réfléchit.
Il lui semblait étrange que Milo aille bien. Il avait été posté à l'extérieur, tout comme elle, or, tous les Hommes Blancs présents sur la place avaient été massacrés par les Humcréas, pourtant, le jeune homme ne souffrait d'aucune blessure, même superficielle. Peut-être avait-il réussi à fuir avant que la situation ne devienne totalement incontrôlable mais Blanche ne croyait guère à cette hypothèse.
La dernière fois que Yennaël Lanwil lui avait échappé, Milo était également présent, comme ce soir où il avait été, comme par hasard, totalement épargné. Par ailleurs, Blanche se souvenait également de l'anxiété qu'il avait manifesté lorsqu'elle interrogeait les Hommes Blancs de Plainiore, qu'elle avait quitté justement pour assister à cette exécution, comme si il craignait d'être repéré.
Cette étrange attitude l'avait alertée et elle se questionnait à ce propos depuis quelques semaines. Plus elle y pensait, plus Blanche interprétait ce comportement comme un aveu silencieux.
Il devint subitement évident pour elle que le traître qu'elle recherchait était son propre bras droit.
Le brasier de sa colère gonfla dans son ventre et alimenta ses veines.
Alors qu'il terminait d'enrouler ses phalanges dans des bandages, elle lui lança de son timbre atone :

- Greydoubter, vous ne m'avez jamais dit ce que pensiez des Humcréas.

- Comment ça ? Frémit le jeune homme.

- Qu'est-ce que vous pouvez penser pour pouvoir trahir votre propre race ? Hurla Blanche.

- J'en avais seulement assez de tous ces morts et de toute cette violence ! »

Se justifia Milo, se sachant découvert.
A une vitesse qui ne lui permit pas de réagir, Blanche bondit du tabouret en s'emparant de son épée.
Milo ouvrit la bouche pour tenter de se défendre mais tout ce qui franchit ses lèvres fut un filet de sang qui coula le long de son menton et goutta sur son uniforme blanc. Sans comprendre, il baissa les yeux sur la lame de Blanche qui lui transperçait la poitrine.
Alors qu'il glissait de la lame pour s'affaisser au sol, une question lui traversa l'esprit : qui allait protéger sa famille à présent ?
Sans manifester la moindre émotion, Blanche essuya son épée sur l'uniforme de Milo, dont les yeux demeuraient fixes, puis elle remit son haut d'uniforme avant de quitter l'infirmerie.
En revenant dans le hall, elle découvrit que Withèr était de retour après avoir été mis à l'abri par ses hommes. Venant à sa hauteur, Blanche lui partagea le constat qu'elle avait pu dresser de la situation et, sachant qu'elle aurait pu être réprimandé pour ce que certains auraient pu qualifier de mort arbitraire, elle précisa qu'un Homme Blanc avait été tué au sein de la forteresse, certainement par les Humcréas, comme tous les autres.
Tenant à se forger lui-même une idée de la situation, Withèr inspecta lui-même le bâtiment avant de s'installer à son bureau pour commencer à réorganiser les choses et prendre les mesures nécessaires mais, avant toute chose, il fit venir Blanche.
La jeune femme ne s'était pas encore changé et était encore en piètre état en se présentant devant son supérieur.

« Navré pour Greydoubter, il était directement sous vos ordres, commença Withèr. Je vais prendre les dispositions pour que sa famille soit prévenue.

- Très bien.

- Je voudrais en profiter pour vous rappeler quelque chose. Quel que soit ce dont on soupçonne un Homme Blanc ou ce dont on l'accuse, celui-ci doit être jugé suite à une enquête approfondie. L'exécution sommaire est interdite et celui qui s'en rendrait coupable serait considéré comme un simple meurtrier.

- Je le sais.

- Et n'avez-vous rien remarqué sur la mort de Greydoubter ?

- Non.

- Les Humcréas n'ont pas semblé s'intéresser à la forteresse. Ils sont partis dès qu'ils l'ont pu. En plus, il est rentré avec vous après la fuite des Humcréas. Il a été retrouvé dans l'infirmerie. Vos blessures ont été soignées récemment, très récemment.

- Et alors ?

- Que de surprenantes coïncidences. Blanche, votre comportement ne cesse de se dégrader. J'ai été tolérant tout ce temps parce que vous êtes efficace mais c'est la dernière fois. Est-ce clair ?

- Très clair. »

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