Chapitre 22 - Errance divine
Retenir ses larmes de frustration devenait de plus en plus difficile pour Aïonn.
Après s'être téléporté loin de sa sœur dans une panique irrationnelle, il n'avait su que faire, perdu, et s'était réfugié dans les catacombes d'une capitale au hasard, se moquant de savoir où il se trouvait exactement, par défaut.
Il ne savait pas quoi faire.
Sa mission était de retrouver sa jumelle disparue, ce qu'il avait réussi à faire sans beaucoup de difficultés, et de la ramener mais, pour cette étape, il s'était heurté à un mur plus solide que tout ce qu'on aurait pu imaginer. Sa sœur s'était révélé être amnésique et elle n'avait pu comprendre la nécessité d'accompagner Aïonn ni ce qu'il voulait.
Peut-être n'aurait-il pas dû jouer les arrogants comme il l'avait fait avec elle mais il n'avait pu s'en empêcher en s'apercevant que, pour la première fois depuis toute son existence, il avait l'ascendant sur l'un de ses semblables et pas n'importe lequel, sa sœur. Il avait voulu en profiter et continuer à savourer cette sensation aussi inconnue que délicieuse.
Sans compter qu'il n'aurait tout de même pu se permettre de révéler toute la vérité à sa jumelle devant de simples mortels, même si ça aurait peut-être pu briser la relation inappropriée qu'elle entretenait avec le descendant de Mirévoyk.
De tous les mortels avec lesquels elle aurait pu s'amuser, elle avait choisi le pire et c'en était en plus entiché. C'était inimaginable !
Aïonn se demandait d'ailleurs pourquoi on la laissait ainsi avilir toute leur communauté de la sorte alors que, dans son cas à lui, le moindre écart de conduite, même le plus insignifiant, lui était systématiquement reproché. Tout lui avait toujours été interdit. C'était injuste.
Quelle qu'en soit la raison exacte, il avait raté sa chance de ramener sa sœur et n'avait même plus Laadsri'll à ses côtés pour le guider jusqu'à elle.
Tout n'était cependant pas perdu. Il pouvait encore réussir à la localiser. Sans compter qu'elle lui avait dit qu'elle comptait se rendre aux Terres de Sang, ce qui réduisait grandement le champ de ses recherches.
Il semblait qu'il ait encore de bonnes probabilités de la retrouver à nouveau mais il n'était pas certain que c'était réellement ce qu'il souhaitait. Plusieurs choses le retenaient.
Pour commencer, les arguments qu'il avait tenté d'employer, même si ils étaient probablement trop peu nombreux et trop vagues, faillibles, certainement car il s'était efforcé d'en révéler le moins possible, n'avaient absolument pas fonctionné et il doutait fortement d'être capable d'en trouver de plus efficaces.
Il y avait également et surtout le fait que sa jumelle tenait à lui faire rencontrer leur géniteur mortel, ce qu'il refusait catégoriquement.
C'était bien davantage qu'une intolérance dirigée contre sa propre nature de sang-mêlé. Il s'agissait de la peur viscérale de se réduire encore davantage lui-même dans le regard de tous les autres si il semblait reconnaître et accepter sa partie vampirique. Il jouissait déjà de si peu de considération que, si, il avait fait la moindre action susceptible de lui en faire perdre encore, ça aurait été comme disparaître complètement.
Cette idée le terrifiait bien trop pour qu'il prenne le moindre risque de se confronter à ce géniteur. Il ne pouvait donc pas se résoudre à rejoindre sa sœur aux Terres de Sang mais il refusait également de rentrer.
Revenir les mains vides aurait été pire que tout, surtout si il avouait qu'il s'était tenu face à sa jumelle mais qu'il avait néanmoins échoué.
Il entendait déjà les commentaires sur le fait qu'il n'était qu'un incapable.
La seule qui n'aurait probablement pas fait de remarques en ces circonstances aurait été son autre sœur.
Même si elle ne lui avait jamais manifesté un soutien direct, jamais elle ne l'avait enfoncé ou critiqué, à l'inverse des autres, et elle lui adressait même régulièrement de discrets sourires bienveillants. Certainement était-ce dans la nature de la déesse de la vie d'accepter tout le monde.
Elle ne lui rendait pourtant pas visite dans son triste domaine, retenue par la même interdiction que sa jumelle et, plus raisonnable que cette dernière, elle ne l'avait jamais bravée.
De toute manière, tout cela était secondaire pour l'instant puisqu'il ne comptait pas rentrer prochainement, tant qu'il n'aurait pas résolu la situation.
En attendant de savoir que faire, déchiré entre son besoin de prouver qu'il était capable de remplir cette mission malgré les difficultés qui se présentaient et son refus primordial de s'approcher de ce géniteur, il errait dans ces catacombes, n'ayant rien d'autre à faire ni nulle part où aller mais ça devenait dur pour lui de rester dans ces galeries.
Cette difficulté ne venait pas du fait qu'il peinait à subvenir à ses besoins dans cette ville souterraine. Heureusement d'ailleurs qu'il n'avait pas besoin de manger ou de dormir car sa situation en aurait été encore davantage compliquée.
Le problème était qu'il ne supportait pas de fréquenter tous ces stupides mortels qui se permettaient d'être inconscients de qui il était.
Personne ne le remarquait lorsqu'il arpentait les galeries. Certains le bousculaient même. Tous se moquaient de son existence alors qu'il leur était infiniment supérieur. Pour qui se prenaient-ils pour ne pas se soucier de lui ?
Même lorsqu'il s'était rendu dans une galerie où avaient été aménagés de nombreux petits sanctuaires dans des niches creusées dans les parois, il avait subi une déception qui lui avait fait l'effet d'un violent coup. Aucun ne lui était dédié. Personne ne voyait l'utilité de lui en consacrer un. Personne ne se préoccupait de lui. C'était à peine si on le connaissait.
D'ailleurs, il avait pu donner son véritable nom sans que personne ne se souvienne qui était celui qui le portait et sans faire le rapprochement avec le panthéon elfique. Tous avaient eu cette moue d'ignorance et ne s'y étaient pas davantage attardé, s'en moquant. En un sens, cela l'arrangeait car il n'avait pas eu à s'inventer un faux nom, ce qui n'aurait pas contribué à stimuler la mémoire de Richa, et il n'avait pas à craindre qu'on soupçonne sa véritable identité, ce qui aurait exigé de lui des explications qu'il n'était pas disposé à donner, encore moins à des mortels, mais il en était surtout particulièrement blessé.
Il était tellement insignifiant que personne n'était capable de connaître son nom et de l'associer à la divinité qu'il était.
C'était cette terrible constatation qui lui faisait monter des larmes de rage aux yeux alors qu'il se tenait recroquevillé dans un recoin peu fréquenté des catacombes.
Comment tous ces ridicules mortels pouvaient-ils se permettre de le traiter de la sorte, lui, un dieu ? Il les détestait tellement et ils méritaient tous qu'il les remette à leur place !
Un sanglot monta de sa gorge mais, refusant de le laisser sortir et de manifester sa faiblesse en pleurant, il se mordit la lèvre inférieure pour le retenir. Une exclamation de douleur remplaça le sanglot qui nouait son œsophage et il ouvrit la bouche par réflexe.
Les sourcils froncés, il porta deux doigts à sa lèvre douloureuse et les retira légèrement tachés de sang.
Il comprit qu'il venait de se percer la lèvre d'une de ses canines. Ses crocs avaient profité des derniers jours pour repousser, créant une dentition qui se rapprochait bien trop de celle des vampires à son goût. Il avait beau les limer régulièrement, ils ne cessaient de repousser en ces dents de prédateur. C'était comme si elles venaient lui rappeler sa nature de demi-vampire alors qu'il luttait de toutes ses forces pour la repousser.
Si il les limait, c'était justement pour tenter de faire oublier son sang impur. Les avoir aussi longues que celles de Richa, par exemple, ou d'un vampire ordinaire, lui signalait qu'il ne serait jamais considéré que comme un demi-elfe insignifiant car il ne pourrait jamais se débarrasser de ce sang de vampire.
C'était pour la même raison qu'il gardait ses cheveux courts, contrairement à la mode elfique. Pour camoufler ses crocs, il pouvait les limer. En revanche, il ne pouvait dissimuler le noir intense de sa chevelure, couleur qui n'existait pas chez les elfes, et il préférait la porter courte pour éviter qu'elle ne soit trop remarquable et ne le désigne trop comme un pauvre sang-mêlé.
Secouant la tête de gauche à droite, Aïonn s'efforça de chasser ces pensées. Il n'allait tout de même pas s'apitoyer sur son sort durant encore des heures, même si c'était tout ce qu'il avait véritablement à faire parmi tous ces maudits mortels.
Essuyant ses yeux violets, il effaça les dernières traces des larmes qu'il avaient ravalées puis se releva pour gagner des galeries plus fréquentées.
Alors que les autres Humcréas qu'il croisait l'ignoraient totalement sans lui adresser un seul regard ou même le bousculaient, il serrait les poings avec l'envie de les abattre sur tous ces mortels autour de lui en leur hurlant qui il était pour qu'ils ne puissent plus se permettre de ne pas se soucier de lui.
Soudainement, il perçut un regard assez insistant sur lui. Quelqu'un l'aurait-il enfin reconnu ?
Pour s'en assurer et son ego piétiné depuis sa naissance gagné d'un regain de vie, Aïonn regarda autour de lui, fébrile et tremblant presque.
Rapidement, il avisa un dragon aux écailles d'un vert bouteille et dont la membrane d'une des ailes était marquée d'une large cicatrice, comme si elle avait été percée. Se tenant légèrement en retrait de la foule, à proximité de la paroi de gauche, immobile et les bras croisés sur la poitrine, il dévisageait Aïonn de ses yeux aux pupilles allongées, les sourcils froncés.
A en juger par son attitude, il ne l'avait pas identifié comme une divinité et le détaillait pour une tout autre raison.
S'agaçant qu'il se permette de le fixer ainsi avec autant d'insistance et d'impolitesse, alors qu'il aurait mérité que tous ces stupides mortels s'agenouillent devant lui en lui manifestant leur respect, Aïonn lui lança un regard belliqueux lui demandant ce qu'il lui voulait.
Sans le quitter des yeux, le dragon décroisa les bras pour s'avancer jusqu'à Aïonn en se frayant un passage à travers la foule des passants.
Lorsqu'il vint lui faire face, Aïonn découvrit qu'il était bien plus imposant qu'il ne lui avait semblé, grand et musclé.
Ne se démontant pour autant pas, les yeux rivés sur le dragon en gardant le menton dressé, hautain et arrogant, Aïonn lui demanda en utilisant la langue commune des Humcréas, agressif :
« Que me veux-tu ? Aurais-tu un problème dont tu voudrais me faire part ?
- C'est étrange mais...tu ressembles beaucoup à une fille qui est passée par ici y a quelques temps...
- Et alors ? Ne me fais pas perdre mon temps.
- Juste...la ressemblance est vraiment folle, ça peut pas juste être un hasard !
- Et alors ? Répéta Aïonn, s'impatientant.
- J'ai entendu dire qu'elle cherchait des informations sur sa famille. Peut-être que tu en aurais, alors...
- Parce que tu crois qu'elle a besoin de toi ? Tu crois que ma famille a besoin de toi ? Pour qui te prends-tu pour penser que des gens comme nous auraient besoin de quelqu'un comme toi ? Reste à ta place et ne fais pas comme si tu étais autre chose qu'un inutile minable.
En achevant sa phrase, Aïonn adressa un regard méprisant à son interlocuteur, lui manifestant toute l'ampleur du dédain qu'il avait à son égard.
Estimant que ce ridicule mortel ne méritait pas qu'il gaspille davantage de son précieux temps avec lui et qu'il lui avait déjà accordé un trop grand honneur en lui parlant, il fit volte-face et alla pour s'éloigner en le laissant sur place sans plus s'intéresser à lui.
Le dragon ne le lui permit cependant pas, refusant de se faire traiter de la sorte. Lui aussi était orgueilleux et cet orgueil le poussait à faire payer ces paroles à Aïonn.
Le saisissant par l'épaule en lui broyant la clavicule, il le retint et le plaqua violemment contre la paroi de la galerie la plus proche. La force de l'impact vida tout l'oxygène des poumons d'Aïonn.
Se reprenant bien plus rapidement qu'une personne ordinaire, n'en étant pas une, ce dernier baissa son regard violet sur la main écailleuse qui le maintenait contre le mur.
Une grimace de rage déforma les traits du demi-elfe.
Saisissant le dragon par le poignet, il lui tordit le bras avec une force incroyable, celle d'un dieu. Les os craquèrent et le dragon poussa un râle de douleur.
- Comment oses-tu ? »
Siffla Aïonn avec fureur en le forçant à reculer, se détachant de la paroi de roche.
Les dents serrées sous la douleur, le dragon ploya face à Aïonn, ses jambes cédant.
Un sourire arrogant fendit le visage du demi-elfe. Enfin depuis son arrivée parmi les mortels, il pouvait prouver à ceux-ci à quel point ils lui étaient inférieurs et se venger pour l'indifférence et l'irrespect dont ils n'avaient cessé de faire preuve à son égard.
Les passants commencèrent à stopper dans leur marche pour observer l'empoignade.
Avoir des spectateurs galvanisa Aïonn encore davantage. Non seulement il allait apprendre à ce dragon à lui montrer la déférence qu'il lui devait mais il allait également pouvoir démontrer sa supériorité et sa valeur à tous ces autres mortels ridicules.
Soudainement, on le saisit par derrière pour le tirer violemment en arrière, l'obligeant à libérer le dragon. Ce dernier se massa le poignet en se redressant.
Aïonn se débattit avec force en ordonnant à ceux qui le tenaient de le lâcher. Comment ces mortels osaient-ils défendre ce dragon alors que ce dernier l'avait humilié ? Et comment osaient-ils se liguer contre lui ? Ils n'avaient aucune idée de qui ils provoquaient.
Grâce à sa force physique, Aïonn se dégagea et un seul coup de poing à la mâchoire lui suffit pour neutraliser un élémentaire de feu.
Sa supériorité sur eux était écrasante mais, même en possédant la puissance d'un dieu, il ne pouvait se battre seul contre plus d'une dizaine d'adversaires.
Ayant reconnu le champion des combats de ces catacombes dans cette empoignade, les Humcréas alentours venaient lui prêter main forte contre un inconnu véhément et imbu de lui-même.
Avec une force et une vitesse déconcertantes et une parfaite maîtrise des arts du combat, Aïonn se défendit farouchement en envoyant plusieurs personnes au sol et esquivant de nombreux coups.
Malgré cette vive résistance, il commença à ployer et céder sous le nombre.
Le tenant à plusieurs, ses attaquants parvinrent à l'immobiliser malgré ses ruades et sa seule défense ne fut plus que les insultes qu'il crachait sur tous ces mortels.
S'avançant jusqu'à lui alors que ses sympathisants le gardaient ainsi entravé, le dragon saisit Aïonn par les cheveux pour lui tirer la tête en arrière et lui relever le visage. Furieux de la manière si hautaine dont il se comportait, il lui cracha dessus et la salive coula le long de la joue du demi-elfe, qui hurlait à tous qu'ils allaient le regretter et qu'ils ne savaient pas qui il était.
L'ayant à sa merci, le dragon le frappa sous le sternum, lui coupant le souffle, et enchaîna avec d'autres coups sans lui laisser le temps de retrouver sa respiration.
D'autres suivirent son exemple et ce fut une véritable pluie de coups de pieds ou de poings qui s'abattit sur Aïonn.
La douleur lui brouilla la vue malgré sa résistance naturelle à cause de l'accumulation et il lui céda peu à peu jusqu'à se retrouver recroquevillé au sol sous ce déchaînement de violence.
Il ne sut combien de temps cela dura mais le groupe de ses attaquants finit par se disperser et les passants reprirent leur chemin sans plus se préoccuper d'Aïonn gisant à terre.
Ce dernier se redressa sur ses bras en crachant une glaire sanglante et s'essuya le coin des lèvres avec un rictus de rage.
La douleur s'estompa rapidement et ses blessures, internes comme externes, se résorbèrent d'elles-mêmes mais l'humiliation continuait à le blesser atrocement.
Comment ces mortels avaient-ils osé le traiter de la sorte ? Pour qui se prenaient-ils ?
Mais, surtout, pourquoi avait-il été incapable de lutter et comment s'était-il fait battre ? Ce n'était que des mortels, il aurait normalement pu triompher d'eux, quel que soit leur nombre. Il était un dieu ! Mais il fallait croire que ça ne suffisait finalement pas.
Même si il était un dieu, il semblait qu'il ne pouvait surpasser les mortels.
De nouvelles larmes de rage et de frustration, comme les précédentes, lui brûlèrent les yeux.
Refusant qu'on le voie les libérer et d'augmenter ainsi son humiliation, il se releva et se pressa de se rendre dans une galerie isolée sous les moqueries et les insultes de ceux qui avaient assisté à la brutale empoignade.
Comme il aurait aimé pouvoir leur tordre le cou à tous !
Lorsqu'il se fût réfugié loin de tout témoin potentiel, il s'écroula en sanglotant.
Il se détestait d'être si faible.
Parmi les dieux ou parmi les mortels, ça restait du pareil au même. Il demeurait toujours aussi pathétique.
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