Chapitre 18 - Frère et sœur

Alertée par le ton affolé de la voix de Vinciane et par l'essoufflement de cette dernière qui indiquait qu'elle avait couru, Richa se détacha de Jonah pour se diriger vers le couloir et rejoindre son amie.
Pour le rassurer, la jeune fille se tourna vers Jonah pour lui assurer que tout allait bien, qu'elle s'en occupait et qu'il n'avait pas à s'en faire. Assimilant encore ce que Richa venait de lui révéler, il ne songea même pas à réagir alors que la jeune fille quittait le salon.
Elle eut à peine le temps de s'engager dans les escaliers pour descendre au rez-de-chaussée que Vinciane manqua de la percuter, courant sans vraiment regarder où elle avançait sous l'effet de la panique.
Pour éviter qu'elle ne chute en arrière dans les marches à cause de l'impact, Richa la saisit par les épaules.
Elle remarqua ainsi qu'elle tremblait violemment. A cette constatation,elle se fit plus attentive à son amie. Elle releva ses yeux agrandis, probablement sous l'effet du choc, son souffle court qui ne l'était pas uniquement à cause de la course, ses mains agitées de spasmes nerveux et la sueur glacée qui perlait à son front. Quelque chose semblait l'avoir bouleversée, encore.
La situation menait la pauvre Vinciane de choc en traumatisme. Richa aurait vraiment souhaité pouvoir lui épargner tout cela mais elle paraissait incapable de le faire. Que pouvait-il s'être encore produit ?
Tentant d'apaiser la jeune fille, Richa la fit doucement asseoir sur la marche sur laquelle elles se tenaient en gardant un bras réconfortant autour de ses épaules.
Ouvrant la bouche, elle alla pour la questionner sur ce qu'il lui arrivait mais Vinciane la prit de vitesse en s'emportant :

« Faut...faut que tu viennes ! On...on était dans...dans les bois pour parler de...de tout ça mais...mais il...il est apparu, comme...comme vous ! Et il est...il est...comme...comme toi, exactement comme toi ! Y...y a un loup aussi ! Il me fait peur ! Elio et Albane sont restés là-bas mais...mais faut que tu viennes tout...tout de suite !

- Vinciane, calme-toi, je comprends pas ce que tu racontes.

- Je...j'y arrive pas !

- Bon d'accord, c'est pas grave. Essaye juste de respirer profondément. Y a donc quelque chose qui se passe dans les bois (Vinciane confirma vivement). Ok. Si j'ai bien compris, c'est l'arrivée de quelqu'un, c'est ça ? (Vinciane acquiesça frénétiquement). Où est-ce que c'est dans les bois ?

- Le...le passage...

- Là où on est apparu avec Yen ? (Vinciane opina). Tu...tu veux dire que...il serait venu de l'Enclave ?

- Je...je crois mais...mais je sais...je sais pas ! Faut...faut y aller ! E...Elio et Albane...

- Ouais, on y va. Laisse-moi juste quelques minutes. »

Sans perdre la moindre seconde, Richa passa dans sa chambre pour récupérer ses deux dagues. Elle ignorait ce qu'il se passait exactement ou qui était cette personne, les propos tenus par Vinciane ne lui ayant pas permis de tout saisir clairement mais elle préférait être armée.L'affolement que manifestait Vinciane ne lui inspirait pas confiance pour cette rencontre.
Elle en profita également pour appeler l'hôpital et laisser un message à Yennaël sur ce qu'il se passait, même si elle ne put donner que peu de précisions sur le sujet.
Sans s'attarder davantage, elle se pressa de rejoindre Vinciane.
A cause de l'état de cette dernière, elle lui conseilla de rester au restaurant pour se calmer et se tenir loin de toute cette histoire mais la jeune fille refusa. Face à l'insistance de Richa, elle lui expliqua avec toujours cette élocution difficile que ce il, qui qu'il soit, lui avait ordonné de la ramener, ce qui semblait indiquer qu'il souhaitait qu'elle l'accompagne. Par ailleurs, malgré sa peur et son bouleversement, elle tenait à aider Richa et ne voulait pas l'abandonner.
Préférant ne pas perdre de temps en négociations, la demi-elfe l'entraîna à sa suite et son seul commentaire fut de lui conseiller de bien s'accrocher alors qu'elle démarrait sa moto.
Pour éviter de se faire repérer de loin, elles laissèrent le véhicule à l'entrée de la forêt pour terminer le trajet à pied, Richa en tête, une main sur l'une de ses dagues entrecroisées dans son dos, et Vinciane à sa suite, tremblant régulièrement.
Se déplaçant silencieusement entre les arbres, elle atteignit l'endroit du bois où elle était réapparue il y avait seulement quelques jours en compagnie de Yennaël.
Observant avant d'agir d'une quelconque manière, elle demeura en retrait, camouflée par des troncs, Vinciane toujours derrière elle.
D'un large regard, elle voulut évaluer la situation et, surtout, étudier l'individu qui avait tant bouleversé Vinciane et semblait être le problème actuel.
Elle eut seulement le temps de repérer les positions de chacun, Albane et Elio assis contre un arbre et cette mystérieuse personne, visiblement masculine, qui se tenait face à eux, avant que quelque chose ne se rue sur elle et ne la percute en la renversant.
Sonnée, Richa eut besoin de quelques secondes pour comprendre qu'elle gisait à présent à terre, jetée au sol par cette chose. Celle-ci se tenait au-dessus d'elle, installée sur sa poitrine qu'elle comprimait avec sa cinquantaine de kilos, la gardant allongée.
A côté d'elle, Vinciane se plaqua les mains contre la bouche pour retenir l'exclamation de frayeur qu'elle poussa.
Un jappement résonna au-dessus de Richa.
Retrouvant ses esprits, cette dernière tourna le visage pour découvrir ce qui l'immobilisait de la sorte. Debout sur elle, se tenait un énorme loup à la fourrure grise qui la fixait avec ce qui paraissait être de l'affection. Semblant confirmer ce sentiment, la queue de l'animal s'agitait de gauche à droite.
En l'examinant, Richa fronça les sourcils. Ce loup lui était étrangement familier pour une raison inexplicable. Il ressemblait aux membres de la meute des Monts de Fer mais elle ne le confondait pas avec l'un d'entre eux. Elle le connaissait d'ailleurs.
Traduisant, en un sens, ce lien que Richa croyait deviner, le loup donna un coup de crâne contre la main de la jeune fille comme pour réclamer des caresses et il lui lécha la joue. Même si elle ne comprenait pas et que quelque chose lui échappait, Richa lâcha un rire alors qu'elle perdait ses doigts dans l'épaisse fourrure de l'animal.
Se tenant en retrait, toujours aussi craintive, Vinciane demeurait stupéfaite.
Un son de course qui se dirigea vers elles augmenta la peur de la jeune fille et son premier réflexe fut de se cacher vivement derrière les arbres ou dans les fourrées mais elle ne put se résoudre à abandonner Richa, toujours immobilisée au sol par le loup. Hésitante, elle resta donc sans bouger.
L'homme, qui surveillait précédemment Albane et Elio, rejoignit leur position et il se figea en avisant la scène du loup faisant la fête à Richa à terre.
Vinciane vit ses étranges yeux s'écarquiller puis il éclata d'un rire soulagé qui semblait également tirer sur l'hystérie.
A ce rire, Richa se redressa avec quelques difficultés en tenant d'écarter le loup, qui cherchait à monopoliser toute son attention.
Les yeux de la jeune fille s'écarquillèrent encore davantage qu'ils ne s'étaient jamais écarquillés, son teint devint subitement livide,son cœur se bloqua un court instant avant de s'accélérer à lui faire mal, des tremblements nerveux s'emparèrent de ses mains, un nœud bloqua sa gorge, la tête lui tourna, tant de manifestations de l'ampleur de la profonde stupeur qui s'abattit sur elle.
Devant elle, lui faisant face entre les arbres, se tenait ce qu'elle aurait pu prendre pour son propre reflet. Du moins, le reflet d'une version masculine d'elle-même.
L'homme qu'elle observait mesurait vingt centimètres de plus qu'elle et possédait une musculature bien dessinée avec des muscles discrètement galbés.
Les traits de son visage semblaient calqués sur ceux de Richa, bien qu'ils soient plus forts et donc plus masculins. Ses mâchoires et la forme de son visage étaient notamment plus carrés. Pour le reste, il avait, comme la jeune fille, les pommettes marquées, le nez droit et fin, des lèvres pleines bien que légèrement moins charnues que celles de Richa. Ses yeux étaient eux aussi très grands avec une forme en amande mais, au lieu d'un vert intense, ils étaient d'un violet profond.
Cette teinte particulière semblait indiquer une ascendance elfique, ce que confirmaient également ses longues oreilles effilées.
En revanche, ses cheveux aussi noirs que ceux de Richa n'étaient absolument pas typiquement elfiques. Sa chevelure était coupée bien plus court que celle de Richa, encore quelque chose qu'on ne retrouvait que rarement dans la culture elfique, et elle retombait en larges boucles souples sur son front et dans sa nuque. Elles ressemblaient grandement à celles des statues grecques.
Alors qu'il continuait à rire de ce rire inquiétant, sa bouche ouverte dévoilait sa dentition qui, cette fois, différait beaucoup de celle de Richa. Ses canines n'étaient pas longues et acérées. Au contraire, elles se fondaient parfaitement dans l'alignement de ses autres dents et elles n'étaient même pas pointues comme des canines ordinaires mais leurs extrémités étaient lisses, comme si elles avaient été limées.
Sa tenue, qui se composait d'une tunique brune sans manche au large col relevé rehaussée de bordures dorées, plus courte à l'avant qu'à l'arrière, d'une paire de mitaines montant jusqu'à ses biceps assortie à la tunique, d'un pantalon plus clair légèrement bouffant rentré dans des bottes en cuir souple et de deux dagues pendant sur chacune de ses hanches, s'inscrivait dans le plus pur style elfique. Ces vêtements, qui paraissaient particulièrement précieux, indiquaient sans que le doute ne soit réellement permis qu'il venait de l'Enclave, comme le laissait également supposer sa position à proximité du passage créé par Richa.
Les pensées de la jeune fille s'enchaînèrent avec rapidité et sans grande cohérence sous le coup de la stupeur jusqu'à arriver à la conclusion que, pour entretenir une telle ressemblance avec elle, cet homme partageait forcément un lien de sang avec elle et que, d'une manière ou d'une autre, il l'avait retrouvée sur Terre.
Elle comprenait mieux pourquoi Vinciane avait réagi avec autant de panique, de choc, d'affolement et de bouleversement car c'était ce qu'elle-même éprouvait en cet instant.
La tête commença à lui tourner avec encore plus de violence, tant que sa vision se brouillait et que tout ce qui l'entourait se confondait en des taches imprécises de couleurs impossibles à distinguer les unes des autres. Elle n'allait pas tarder à défaillir, elle le sentait, mais, comme si il captait son malaise intense, le loup blottit sa tête contre la sienne en la gratifiant de quelques nouveaux coups de langue, comme pour la réconforter et la soutenir.
La bouche ouverte, les yeux toujours écarquillés en une expression de pure stupéfaction, elle continuait à fixer cet homme qui lui ressemblait comme un jumeau sans savoir que faire.
A l'attitude de l'animal, l'étrange jeune homme s'extirpa de sa crise puis reposa les yeux sur Richa, qui continuait à le dévisager en ignorant comment se comporter, et il parut soudainement très mal-à-l'aise et incertain. Ses joues se teintèrent d'un léger rouge de gêne, il détourna le regard en baissant le menton, se passa une main dans les cheveux, commença à danser d'un pied sur l'autre et marmonna tout bas des choses incompréhensibles. Richa identifia néanmoins une forme d'elfique qu'elle ne se souvenait pas avoir déjà entendu, bien qu'elle lui parut familière.
Les dents mordillant sa lèvre inférieure, semblant fortement hésiter, il tendit timidement la main vers Richa, paume ouverte, certainement pour l'aider à se relever, mais il ramena rapidement son bras vers lui avant d'atteindre la jeune fille, comme si il n'osait pas l'approcher.
Cette fois, Richa comprit ce qu'il grommelait entre ses dents : il se demandait que faire, l'ignorant visiblement totalement.
Il semblait tellement incertain et tendu qu'il fit de la peine à Richa.
Repoussant doucement le loup, cette dernière se releva en fixant toujours le jeune homme et, lui faisant face, elle l'interrogea directement en lui adressant la question la plus évidente en parlant en français :

« Qui es-tu ?

- Tu...tu veux dire que tu ne le sais pas ? S'étonna le jeune homme d'une voix chaude aux quelques accents suaves en adoptant instinctivement la même langue que Richa.

- Si je te le demande. Rétorqua la jeune fille.

- Mais...comment...comment c'est possible ?

- Je suis amnésique.

- Tu ignores tout sur qui tu es et ton passé ? Tu ne te souviens de rien ?

- C'est un peu le principe. Mais, toi, tu vas sûrement pouvoir me renseigner et m'expliquer ! S'exclama Richa.

- C'est moi qui détiens toutes les informations dont tu as absolument besoin, réfléchit le jeune homme. Ça veut dire que je suis en position de force par rapport à toi...

- Euh...ouais, je suppose.

Répondit Richa en fronçant les sourcils, déstabilisée par ces remarques dont les insinuations ne lui plaisaient que moyennement.
Son interlocuteur se fit très pensif, ses yeux s'agitant en tous sens alors qu'ils suivaient sa réflexion. Apparemment, ses pensées s'enchaînaient à toute vitesse suite à l'annonce de l'amnésie de Richa.
Si elle avait tout oublié de son identité et de son passé, elle n'était plus que l'ombre d'elle-même, une demi-elfe ignorant tout de sa véritable puissance. Elle se prenait pour une mortelle. C'était ridicule et pitoyable, presque risible.
De son côté, il était le seul à pouvoir répondre à ses questions, le seul qui possédait les clés pour déverrouiller les mystères qui l'aveuglaient. En un sens, il était son dernier espoir et elle devait se remettre entièrement à lui.
Dans cette optique, il était en position de force.
Il avait l'ascendant sur sa jumelle.
Il pouvait se targuer d'être le plus puissant des deux grâce à ses connaissances.
Pour la première fois de toute son existence, il avait l'avantage sur l'un de ses semblables.
Cette constatation lui fit tourner la tête et l'idée le grisa totalement.
Il avait l'ascendant sur elle !
Sa seule envie était d'en profiter et de continuer à s'enivrer de cette sensation qui le transportait.
Sans l'avoir décidé ni même y songer, il prenait déjà sa sœur de haut. Un sourire supérieur se traça sur ses lèvres et il pencha la tête sur le côté, moqueur.
Face à cette attitude, qui changeait radicalement de la précédente, Richa fronça encore davantage les sourcils. Cet échange lui apparaissait de plus en plus déplaisant et elle détestait cette expression que son interlocuteur adoptait. Qu'il lui ressemble ou non, elle souhaitait lui faire ravaler ce sourire arrogant.
Quelque chose ne lui convenait pas avec cet échange et ce jeune homme. Peut-être était-ce dû à un souvenir oublié profondément enfoui mais elle avait l'intuition inexplicable qu'il y avait quelque chose d'anormal avec cette situation où elle conversait avec cet homme qui lui ressemblait tant. Instinctivement, elle avait la sensation qu'ils n'auraient normalement pas dû se faire face de la sorte. Quelque chose n'allait pas.
Ce sentiment la poussait à se méfier et à rester sur la défensive, tout comme son brusque changement d'attitude.
Sans compter que, même en fouillant chaque recoin de sa mémoire effacée,elle ne trouvait rien au sujet d'un frère, pas même une vague sensation ou l'impression que différentes pièces du puzzle de son passé réussissaient enfin à s'imbriquer les unes dans les autres alors qu'elle le rencontrait. Jamais elle n'avait douté d'avoir un père et une mère, ce qui était plus le fait de la logique qu'une certitude. En revanche, jamais elle n'avait eu l'intuition qu'elle avait un frère – elle aurait été moins troublée de se découvrir une sœur – pourtant, il lui semblait qu'elle aurait dû percevoir, n'aurait-ce était qu'inconsciemment et instinctivement, l'absence de sa présence, surtout alors que, comme leur grande ressemblance le laissait soupçonner, il était probablement son jumeau.
Sans se départir de son attitude hautaine, bien loin de son hésitation gênée précédente, le jeune homme se présenta, le menton dressé :

- Je suis Aïonn.

Son nom évoqua quelque chose à Richa mais elle ne parvint pas à se souvenir où elle l'avait déjà entendu et elle secoua négativement la tête en signe de son ignorance.
Face à cette réaction de la jeune fille, une étrange expression entre la peine et le soulagement se peignit sur le visage d'Aïonn mais il la chassa bien vite pour reprendre son sourire condescendant et poursuivre :

- On m'a envoyé te chercher pour te ramener chez toi.

- Et c'est où, chez moi ? S'enquit Richa, toujours sur la défensive.

- Désolé mais je ne peux pas te le dire, mentit Aïonn, appréciant trop d'être le maître de la situation. Surtout devant ces trois...ces trois-là. Ajouta t-il en désignant Vinciane, Elio et Albane avec un ton et un rictus méprisant.

- Qu'est-ce que ça veut dire, ça ? Se vexa Elio.

- Que vous n'êtes qu'une bande d'humains insignifiants et pathétiques. Lança Aïonn.

- Et toi, qu'est-ce que t'es ? Rétorqua Richa, agressive.

- Ton frère jumeau. Répondit simplement Aïonn.

- Alors pourquoi t'as l'air de rien avoir de vampirique ? Continua Richa, toujours sur la défensive.

- Pourquoi je voudrais avoir le moindre trait physique qui rappelle que j'ai du sang de vampire dans les veines ? Cracha Aïonn. Tu trouves ça si bien d'être un sang-mêlé ? Tout est assez compliqué sans rajouter une nature bâtarde ! Bref, ce n'est pas l'important. Viens. Nous n'avons plus de raisons de nous attarder dans les parages et nous sommes attendus.

- Par qui ? Demanda Richa.

- Je t'ai dit que je ne pouvais pas te le dire, répéta Aïonn. Tu peux pas te contenter de m'accompagner ? Je te rappelle que j'ai toutes les informations que tu pourrais vouloir !

- Des infos que tu veux pas me donner, précisa Richa. Et puis j'ai refusé d'écouter une personne qui disait savoir qui j'étais parce que je voulais rien d'elle.

- Si tu es stupide, ce n'est pas ma faute, lança Aïonn. Maintenant, viens avec moi.

- Pour quoi faire ? Insista Richa.

- Je t'ai dit que je ne pouvais pas te le dire. Combien de fois vas-tu m'obliger à me répéter ?

- Jusqu'à ce que tu me donnes une réponse qui me convienne. Quoi ? Tu crois que je vais te faire aveuglément confiance juste parce que t'es mon frère ? La famille peut être aussi dangereuse que n'importe quel inconnu. Je sais pas qui t'es, je sais pas ce que tu veux et tu veux rien me dire alors pourquoi je te suivrais juste parce que tu me le demandes ?

- Mais parce que je te le demande, justement ! S'emporta Aïonn. C'est quoi ton problème ? Tu devrais me remercier ! Je viens te permettre d'arrêter d'être la personne pathétique et pitoyable que tu es en ce moment en te redonnant ton identité ! Ça devrait te suffire ! D'où je devrais te rendre des comptes ? Tu te souviens même pas de qui tu es !

- Et toi, t'es qui ?

- Quelqu'un qui se souvient de qui il est, rétorqua Aïonn avec ce sourire toujours aussi supérieur. Et le seul susceptible de te rendre ta mémoire. Ça mériterait quand même un peu plus de reconnaissance.

- Là, je pense que la seule chose que tu mérites, ce serait une claque parce que j'ai l'impression que tout ce que tu veux c'est que je m'incline devant toi en te baisant les pieds pour te remercier. Pour qui te tu prends, sérieusement ?

- Encore une fois, pour celui qui peut t'apporter la vérité. Combien de fois faut que je le répète aussi ? Je vais finir par croire que la médiocrité ambiante et la fréquentation de tous ces gens t'ont atteinte mentalement.

- La seule médiocrité que j'ai peur qui m'atteigne, c'est la tienne. Tu crois peut-être que t'es ma seule alternative ?

- Il me semble, oui. Que vas-tu faire si tu ne me suis pas ? Tu vas rester sur Terre, parmi tous ces mortels insignifiants et pathétiques ? Ne sois pas ridicule.

- Richa ?

A cette voix interrogative qui prononça le nom de Richa en une question implicite sur ce qu'il se passait, tous se tournèrent vers sa provenance pour découvrir Yennaël, encore affaibli et se tenant au tronc d'un arbre.
Les yeux écarquillés du jeune homme allèrent successivement de Richa à Aïonn alors qu'il se demandait si il n'était pas victime d'une hallucination à cause de l'épuisement mais les expressions tout aussi troublées et perdues de Vinciane, Elio et Albane lui confirmaient qu'il ne rêvait pas.
Lâchant l'arbre qui le soutenait, il voulut se diriger vers le groupe mais il chancela en menaçant de s'écrouler.
Se détournant d'Aïonn, qui eut le sentiment d'être secondaire, Richa se précipita auprès de Yennaël pour le rattraper. Le tournant délicatement vers elle, elle vérifia son état. Visiblement, le jeune homme avait à nouveau quitté l'hôpital en dépit du raisonnable lorsqu'il avait reçu le message de Richa.
La douceur et la tendresse dans les gestes de cette dernière alors qu'elle s'enquérait de la santé de son amant suffirent à Aïonn pour déterminer le type de relation qu'il existait entre les deux jeunes gens.
Les sourcils froncés, il lança à l'adresse de Richa, railleur et méprisant :

- Ne me dis pas que tu couches avec ce dégénéré ! Tu dois vraiment être tombée encore plus bas que je ne le pensais ! S'amuser avec des mortels, pourquoi pas, mais t'aurais quand même pu choisir un individu moins dérangé et dérangeant. Et, en plus, tu as lié une véritable affection avec lui, c'est honteux ! Je comprends mieux pourquoi les autres disent souvent que tu es ingérable, insensée, irrationnelle et totalement déraisonnable ! On dirait presque que tu cherches exprès des moyens de rabaisser tout ce que les autres représentent, d'avilir et salir ce que tu es ! Quelle est la prochaine étape pour déshonorer ta nature ? Reconnaître et revendiquer fièrement ton sang de vampire en le mettant en avant ? On est tous les deux des bâtards, alors pas la peine d'en rajouter en le montrant encore plus !

Aïonn aurait peut-être pu continuer sa tirade chargée de fiel si Richa ne l'avait pas violemment interrompu en abattant son poing sur le visage de son jumeau. Ce dernier chuta en arrière sous la force du coup, qui le fit abondamment saigner des deux narines.
La paume plaquée sur son nez pour tenter de retenir l'hémorragie, il releva ses yeux violets sur Richa, qui se tenait au-dessus de lui, les poings serrés, écumante de rage.
Certainement était-il allé trop loin dans ses propos, qu'il avait répétés davantage par mimétisme que par conviction et par ivresse de ce sentiment de supériorité.
Cette réaction de Richa semblait également indiquer qu'il ne réussirait pas à la faire venir avec lui et ne tirerait rien de plus d'elle que cette querelle qui prenait de l'ampleur.
Comptant cependant insister, pour une raison ou pour une autre, il reprit son sourire hautain, goûtant à son propre sang qui coulait sur ses lèvres, et alla pour se relever mais il en fut empêché par Laadsri'll.
Se rangeant évidemment du côté de Richa, le loup grogna sur Aïonn, son museau à quelques centimètres de son visage, les babines retroussées, dissuadant le jeune homme de bouger.
Se ruant sur lui, Richa le saisit brutalement par le col de sa tunique, l'étranglant à moitié, pour le forcer à se redresser.
Son visage presque contre le sien ensanglanté, elle cracha :

- Ose dire encore un mot et je t'éclate vraiment la gueule ! Je déteste qu'on se permette de me juger sans me connaître mais que ce soit toi qui le fasses, c'est encore plus rageant et putain d'hypocrite ! T'as l'air de penser que tu vaux mieux que tout le monde pour une raison à la con et tu me prends de haut parce que j'ai le ''mauvais goût'' d'assumer ma nature de sang-mêlé et mon sang partiellement vampirique ! T'es encore pire que tous les enfoirés intolérants que j'ai croisés ! Et tu sais quoi ? Celui qui nous a transmis ce sang de vampire, qui a l'air de te dégoûter, est le seul membre de notre famille, que ce soit la partie que j'ai déjà rencontrée ou celle qu'elle semble être, qui est pas un salaud, le seul membre de notre famille qui mérite du respect et la considération de notre affection ! Après ce que t'as dit sur ton sang de vampire, crois-moi que je vais te traîner jusqu'à lui par la peau du cul pour que tu lui présentes tes excuses ! Ça me fera aussi l'occasion pour moi de lui présenter les miennes...

- Attend, Richa, intervint Yennaël, si tu comptes aller voir Sarrion, ça veut dire que...

- Ouais, confirma la jeune fille sans lâcher Aïonn ni le quitter de son regard furieux, on rentre. »

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