Chapitre 33 - Wolramf [1/2]

Yennaël s'écroula sur les pavés. Richa et Liam eurent le même réflexe de se précipiter pour le rattraper et le soutenir.
Si se téléporter par magie avec une personne s'avérait très difficile, en emmener deux avait conduit le jeune homme au bord de l'évanouissement.
Malgré le danger de ce voyage, ils avaient préféré prendre ce risque plutôt que de s'attarder aux Terres de Fer. Après ce qu'il s'était passé durant la réception, ils avaient supposé que des recherches allaient être menées dans tout Ferdale et ils avaient donc jugé préférable d'être loin de la ville aussi rapidement que possible or, seul le sort de téléportation leur permettait cette fuite efficace.
L'effet aurait été moins intense pour Yennaël si Liam avait pu effectué le sort pour lui-même mais il n'en possédait pas la capacité et c'était donc deux personnes que le jeune homme roux avaient dû transporter à la capitale des Terres de Forêt.
Chancelant, Yennaël s'agrippa à Liam qui le soutint de son mieux. Aidé par Richa, il adossa le jeune homme contre l'un des murs de la venelle dans laquelle ils venaient d'apparaître.
L'endroit semblait manquer de soin et d'entretien. Le dallage était plus que sporadique avec des pavés usés épars, de longues lézardes remontaient sur les murs couverts d'une fine mousse vert vif. Ce qu'il restait des peaux huilées ayant obstrué les fenêtres flottait mollement aux ouvertures. Certaines portes avaient disparu et seules des planches témoignaient de leur présence passée. La ruelle paraissait avoir été abandonnée depuis plusieurs années déjà.
Même si la désolation des lieux était extrême, ce décors ne surprenait pas réellement Richa car Yennaël choisissant habituellement ce genre d'endroits pour pratiquer la magie, des lieux isolés et déserts où personne ne risquait de le surprendre.
Laissant Yennaël se remettre, Liam s'éloigna de lui pour se poster en retrait et fait le guet.
Depuis la veille et l'étrange dispute entre les deux jeunes hommes, qui avaient refusé d'en dire le moindre mot, Liam paraissait profondément culpabiliser, ce qui tendait à confirmer qu'il s'agissait de quelque chose de bien plus important qu'une simple querelle entre amis mais Richa ignorait de quoi il retournait exactement. Quelque chose lui échappait, comme l'Eurydice qui avait été évoquée. Malgré sa curiosité et ce qu'elle refusait de reconnaître comme de la jalousie, Richa se répétait que tout cela ne la concernait pas.
De toute manière, l'affaire semblait close comme les deux principaux intéressés s'abstenaient soigneusement de revenir sur le sujet.
Ce matin, dans l'arrière-salle du cabaret, Yennaël avait feint que rien ne s'était produit, ce que démentait l'inquiétude dans son regard d'orage, et il s'était arrangé pour esquiver toutes les questions de Richa.
Quant à Liam, il avait passé la nuit ailleurs. Jamais il n'avait rapporté la boisson promise à Yennaël. Il les avait rejoints au lever du jour sans explication sur l'endroit où il avait passé la nuit, durant laquelle il n'était pas resté seul de toute évidence. Tout comme Yennaël, il n'avait pas prononcé un mot au sujet de la dispute pourtant, la façon dont il esquivait les yeux de ses deux compagnons en gardant le menton baissé indiquait qu'il en était affecté mais se taisait en culpabilisant.
Lui, habituellement si présent pour Yennaël, il n'osait même plus s'approcher de lui.
Ce qui frustrait Richa n'était pas seulement la curiosité insatisfaite mais également l'incompréhension qu'elle ressentait face à ces comportements et à ce qui les causait ainsi que son impuissance devant cette situation.
Celle-ci ne la concernait cependant pas, comme elle ne se cessait de se le répéter. Tant que Yennaël la conduisait à ce Wolramf susceptible de lui donner des informations, elle se moquait du reste. Ce nom lui était d'ailleurs pas inconnu mais elle peinait à se souvenir de l'endroit où elle l'avait déjà entendu.
Extirpant la jeune fille de ses pensées, Yennaël se releva avec difficultés en s'aidant du mur poussiéreux. Avant qu'il ne s'affaisse à nouveau, Richa se pressa de venir le soutenir en passant l'un de ses bras autour de ses épaules.
Soucieuse de le sentir si faible contre elle, elle lui conseilla :

« Peut-être qu'on ferait mieux d'attendre encore un peu.
- Non, ce n'est pas la peine. Inutile de perdre du temps. Plus tôt nous en aurons fini, plus tôt je pourrai m'écrouler dans un coin.
- La plaisanterie me fait plus m'inquiéter pour toi que rire. En plus, je te porte à moitié mais je sais absolument pas où je dois aller.
- Moi, je sais. C'est par là, suis-moi.

Ordonna Liam en se dirigeant vers la sortie de la venelle, guidant Richa pour ne pas risquer de s'approcher de Yennaël, n'osant pas davantage que précédemment.
Maintenant Yennaël debout comme elle le pouvait en chancelant, le jeune homme s'appuyant involontairement sur elle de tout son poids, elle suivit Liam. Sa petite taille ne l'aidait pas à supporter la carrure de Yennaël.
Progresser à la suite de Liam dans ces conditions n'était pas des plus évidents mais elle parvint à avancer dans Forèliore.
La cité ne correspondait guère à l'image dont on se représentait une capitale de royaume. Richa trouvait qu'elle se rapprochait davantage de la ville fantôme. Beaucoup des habitations avait été abandonnée, depuis visiblement des années pour certaines. La grande majorité des échoppes était fermée et celles encore ouvertes présentaient des étales partiellement vides.
Les quelques habitants qu'ils croisèrent paraissaient éprouvés, le regard terne. C'était comme si ils n'étaient plus que des spectres, des souvenirs étiolés et grisâtres des individus qu'ils avaient été.
Quant aux rues et aux bâtiments, ils possédaient une apparence fort proche de la ruelle dans laquelle ils étaient apparus suite au sort de Yennaël, comme si il n'y avait plus suffisamment de monde pour les entretenir et maintenir un semblant de vie dans la ville.
Cette désolation, qui s'était infiltré dans chaque fissure et paraissait s'insinuer dans les poumons des passants, faisait frissonner Richa.
Comment se faisait-il qu'une capitale ait cet aspect ? Il s'agissait d'une question qu'elle s'était déjà posé lors de sa première visite de la cité.
Elle ne croyait pas se souvenir d'avoir entendu que les Terres de Forêt étaient pauvres au point d'être obligées de laisser sa capitale tomber lentement en ruines.
Remarquant son regard circonspect sur ce délabrement alentours, Liam lui expliqua sans s'arrêter ni se retourner vers la jeune fille, sachant que Yennaël n'était nullement en état de s'en charger :

- Les Terres de Forêt partagent une frontière avec les Terres de Sang, c'est donc d'ici que la Flamme Blanche lance ses offensives mais la situation stagne depuis des années. Le front à la frontière est devenu permanent et le royaume est épuisé à cause de ça. Les gens s'en vont vers les Terres Intérieures pour fuir les combats et ceux qui restent sont découragés.
- Effectivement, c'est pas la joie.

Reconnut Richa en réajustant le bras de Yennaël dans son dos. Avec ses paupières closes et ses pas lourds effectués par automatisme, le jeune homme paraissait plus inconscient que conscient.
Poursuivant leur progression en silence, ils débouchèrent sur une place située sur le point culminant de la cité. L'endroit présentait une meilleure allure que le reste de la ville dans un effort d'entretien. Les pavés, bien que fendus, occupaient tous leur place et la fontaine trônant au centre fonctionnait encore dans un chant clair d'écoulement d'eau. Le trop-plein était évacué du bassin par une rigole qui traversait la place pour ensuite s'enfuir dans une des rues desservant l'endroit.
Le côté surélevé du lieu offrait un excellent point de vue sur les kilomètres alentours. Par-delà les toits et les rues de Forèliore, Richa apercevait la Forêt Claire de l'autre côté de la frontière avec les Terres Intérieures vers l'est puis, vers l'ouest, le scintillement du Frios, interrompu par le miroitement du lac Téianne. Juste derrière s'étendait une immensité de pins, la Forêt Vermeille, tout ce que Richa pouvait distinguer des Terres de Sang.
Ne permettant pas à la jeune fille d'observer le paysage plus longtemps, Liam continua son chemin en longeant la rigole dont les parois étaient tapissées d'une fine couche de mousse verte à cause de l'humidité. Toujours à sa suite, Richa lui emboita le pas en trainant Yennaël.
Ils arpentèrent quelques rues en suivant toujours la rigole jusqu'à arriver à une large grille par laquelle s'écoulait le filet d'eau. En la découvrant, Richa soupira, devinant déjà parfaitement ce que cela signifiait. Il allait falloir qu'ils descendent dans les égouts de la ville.
Yennaël lui avait révélé que les sous-sols de chaque capitale abritait un réseau de contrebande de culture humcréa mais elle n'avait pas pensé que ce Wolramf s'y cachait également.
La suite de ce trajet ne l'enthousiasmait guère. Elle détestait évoluer sous terre, elle s'y sentait piégée et les possibilités dans les choix de directions étaient bien trop réduites pour satisfaire son besoin de liberté, mais elle allait devoir se résigner si elle souhaitait obtenir des informations.
Croisant les doigts après avoir vérifié qu'aucun témoin ne risquait de le surprendre, Liam utilisa la magie pour soulever la grille et la déplacer sur le côté. Cette simple action suffit à faire perler la sueur à son front, qu'il essuya d'un revers de la manche, mais Richa n'en fut pas surprise. Après tout, lui-même se qualifiait de magicien médiocre.
Ne pouvant pas porter Yennaël pour descendre, Richa secoua brutalement le jeune homme en l'appelant. Dans un sursaut, il revint à lui en regardant les parages, quelques peu déstabilisé.

- ça ira pour descendre ? S'enquit Richa.
- Il faudra bien. Répondit Yennaël dans un haussement faible des épaules.
- On va pas prendre le risque. »

Décréta Liam puis, surpassant sa honte et sa culpabilité, il hissa Yennaël sur son dos, libérant Richa qui étira son dos ankylosé.
Si la magie n'était pas le point fort de Liam, il compensait par la force physique et il n'éprouvait aucune difficulté à porter Yennaël de la sorte. Il ne parut pas en rencontrer davantage lorsqu'il s'engagea dans le passage libéré par la grille.
Richa l'y suivit en grommelant. Aucune échelle, même rouillée, ne facilitait la descente. A la place, certaines pierres dépassaient du mur pour former des prises. A cause de l'eau de la rigole qui continuait à s'écouler sur leur crâne, elles étaient glissantes et rendaient la descente dangereuse. Craignant d'en échapper une, Richa crispa les doigts dessus si bien qu'elle avait les mains douloureuses en atteignant le sol.
Usant d'un nouveau sort, Liam referma l'ouverture en replaçant la grille au-dessus de leurs têtes puis déposa Yennaël à la demande de ce dernier. Le rouquin tituba et se rattrapa au mur humide à leur droite.
Avec surprise, Richa constata que les sous-sols paraissaient presque mieux entretenus que la ville au-dessus. Malgré l'humidité et l'inévitable courant charriant les déchets de la capitale, l'endroit était salubre. Des niches avaient été aménagées à intervalles réguliers pour accueillir des torches qui éclairaient les lieux de leurs flammes orangées. Ces quelques indices semblaient indiquer que le réseau le plus puissant de toute cette contrebande se situait ici.
Reprenant la tête du groupe, Liam commença à remonter la galerie. A sa suite, Yennaël préféra s'appuyer contre le mur que sur Richa, pour ne pas littéralement peser sur elle, et la jeune fille ferma la marche, prête à soutenir le rouquin si jamais il chancelait.
La rumeur des activités qui se menaient secrètement dans ces sous-sols leur parvint rapidement, seulement après quelques mètres, puis ils découvrirent ensuite les sources de ces sons, avec des vendeurs présentant leurs marchandises sur des draps, des plateaux de jeux installés dans des coins et chacun ne se mêlant que de ses affaires, exactement comme dans les autre sous-sols.
Ne s'y attardant pas, Liam et Yennaël poursuivirent leur route sans ralentir ni jeter un regard sur les objets proposés à la vente.
Après plusieurs galeries, ils croisèrent bien moins de monde, les Humcréas semblant préférer rester dans le secteur qu'ils venaient de quitter, comme si ils souhaitaient l'éviter ou qu'ils en avaient peur. Ce fut en tous cas la sensation qu'eut Richa lorsqu'elle perçut sur eux les regards des badauds qui suivirent leurs déplacements.
Quelque chose était étrange à propos de cette partie des égouts.
Richa comprit quoi lorsque, arrivant à un élargissement de la galerie aménagée comme un genre de salle de trône, plusieurs lames se pointèrent sur eux.
Menacés par cinq Humcréas, ils se retrouvaient cernés par un nain, une harpie, un inccube, un huldre et un homme pourvu de longues oreilles noires de cheval qui se dressaient entre eux et cette partie meublée.
Richa dégaina sa dague et bondit sur l'attaquant le plus proche, l'inccube, avant que Yennaël, qui ouvrait la bouche, ne puisse formuler une syllabe. Usant de sa vélocité, elle esquiva aisément le coup imprécis que tenta de lui porter la harpie et la faucha. Basculant au sol avec elle, la jeune fille l'immobilisa à terre en appuyant ses genoux sur ses ailes pour l'empêcher de s'en servir et elle pressa sa dague sur sa gorge.
Les lames des autres se tournèrent immédiatement vers la jeune fille mais personne n'osa agir, craignant que leur action ne menace directement la vie de leur compagne.
La situation aurait rapidement pu dégénérer alors que Liam s'apprêtait à dégainer son épée et que Yennaël commençait déjà croiser les doigts, si une voix autoritaire ne s'était élevé pour constater d'un ton tranquille :

« Tiens, mais ne serait-ce pas Yennaël Lanwil. Ça faisait longtemps. Allez, baissez vos armes.

Tous obéirent et rengainèrent leurs armes en s'éloignant du petit groupe d'intrus. Ne se pliant pas à cet ordre, Richa continua à menacer la harpie de sa lame durant encore plusieurs secondes puis, évitant d'envenimer la situation et tirée en arrière par Liam, elle accepta de la libérer et recula.
Ne se relâchant cependant pas, elle étudia soigneusement ceux lui faisant face, évaluant leur potentiel de dangerosité et lequel il lui faudrait neutraliser en premier si les choses recommençaient à dégénérer, avant de s'arrêter sur celui qui semblait détenir l'autorité en ces lieux et qui avait ainsi commandé aux cinq Humcréas.
La jeune fille écarquilla les yeux en découvrant qu'il ne paraissait pas avoir plus de dix-sept, pourtant, sa carrure impressionnait. Il devait aisément atteindre le mètre quatre-vingts et on devinait la forme gonflée de ses muscles sous sa chemise dont le col, pourtant déboutonné, semblait peiner à contenir son large cou.
Son visage correspondait à ce corps imposant avec des mâchoires fortes et carrées, des lèvres fines, un nez droit, un front étroit et des yeux noirs étirés. Pour rajouter à la force de ses traits, ses cheveux châtains foncé rasés sur les tempes avant de tomber souplement sur ses épaules.
La façon dont il s'appuyait négligemment contre l'accoudoir du profond fauteuil installé comme un trône indiquait que c'était lui qui y siégeait.

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