Chapitre 29 - Le faste des Terres de Fer
La salle de réception était démesurée, dans tous les sens du terme.
Les teintes du parquet au sol alternaient pour former une gigantesque étoiles aux branches élancées, à moins que ce ne soit le reflet du motif du plafond qui apparaissait dans le sol poli à l'extrême, difficile de se prononcer.
Une large galerie courait le long des quatre murs, protégée par une balustrade en ébène aux nombreuses incrustations d'or. Elle était soutenue par des colonnes en marbre rouge dont les formes évoquaient des stalactites et des stalagmites en alternance.
Les murs étaient peints de fresques qui représentaient des mines et des galeries, bien plus embellies que l'étaient les véritables réseaux souterrains des entrailles des Monts de Fer. Les représentations de richesses extraites de la terre étaient pour la majorité de réels joyaux intégrés à la peinture.
Au moins, la puissante royauté des Terres de Fer semblait se souvenir de la provenance de sa richesse et ne pas la cacher.
L'imposant lustre devait bien atteindre les cinq mètres de diamètre et était tout en larmes de perles et de cristal, qu'elles forment des guirlandes ou cascadent en groupe. Leurs reflets projetaient la lumière des centaines de chandelles installées en son centre aux quatre coins de la salle. Des pierres brutes, dont on devinait la préciosité sans qu'elles n'aient eu besoin d'être taillé ou poli, de toutes les couleurs en pendaient.
Pour ce qui était de l'ameublement, une quinzaine de tables circulaires se dispersaient dans la pièce. Toutes étaient chargées de mets et de boissons, que des serviteurs faisaient également circuler parmi les invités pour être certains que tous soient sustentés et désaltérés.
Des banquettes et fauteuils profonds occupaient les recoins de la salle dans l'attente d'accueillir des danseurs fatigués.
Pour terminer, une large porte fenêtre s'ouvrait dans le mur du fond en livrant le passage à des jardins intérieurs où la fête se prolongeait.
C'était donc cela, le décors d'une riche royauté de l'Enclave. Richa s'en sentait impressionnée, et même écrasée.
Elle était également impressionnée par la facilité avec laquelle Yennaël et elle avaient pénétré dans le palais en se mêlant aux invités. Peut-être la magie y avait-elle aidé mais Yennaël ne lui avait rien précisé à ce sujet.
Ils s'étaient séparé de Liam à mi-chemin du palais pour se glisser discrètement dans la foule pendant que le jeune homme balafré gagnait l'office des gardes.
La curiosité de Richa se trouvait en ébullition et elle regardait en tous sens en s'attardant sur chaque détails, souhaitant tout relever de ce lieu.
D'après ce qu'elle savait, fondant la majorité de ses connaissances sur les rappelles que lui avait signifiés Yennaël, les Terres de Fer étaient le royaume le plus prospère de l'Enclave, si l'on ne considérait pas les Terres de Sang, ce qui se confirmait avec l'ampleur de cette réception. Cette richesse provenait principalement des mines des Monts de Fer, dont on n'extrayait pas que du fer à en juger par tous les joyaux chatoyants qui attiraient le regard partout dans la salle.
Se faisant discrets, Richa et Yennaël s'esquivèrent sur le côté dès qu'ils furent entrés pour se mêler immédiatement à la masse des convives avant d'être remarqués par leur hôte qui, en venant les accueillir, ne les aurait pas reconnus.
Richa la vit d'ailleurs se rendre auprès des personnes qui se présentaient juste après eux.
Leur hôte, Cyrès Créonne, la reine des Terres de Fer en personne et seule femme à régner parmi tous les souverains de l'Enclave.
Son âge ne semblait que peu affecter son apparence et elle portait magnifiquement ses presque cinquante ans. Aucune mèche blanche ne striait ses abondantes boucles rousses qui cascadaient librement en habillant sa silhouette aussi élégamment que sa somptueuse robe noire et rouge. La couronne aux trois pointes élancées ornées de joyaux qu'elle arborait n'était pas sans évoquer celle sur le blason du royaume.
Richa devait bien avouer que l'aura que dégageait cette femme la poussait à l'admiration.
Non loin de la souveraine se tenait sa fille aînée et héritière, Réhal Créonne. Beaucoup s'étonnaient que, à vingt-quatre ans et avec le royaume le plus puissant comme dot, elle n'ait
toujours pas d'époux, ou seulement un fiancé à son bras, pourtant, elle avait de quoi séduire.
En plus de son rang, sa mère lui avait transmis le flamboyant de sa chevelure, bien que la sienne, actuellement coiffée en chignon tressée dans lequel luisaient des pinces en or, soit plus claire. Sa robe, dont le dégradé de jaunes évoquait un lever de soleil, soulignait sa silhouette. Son visage, bien que ne possédait une profonde beauté, demeurait agréable et suffisamment plaisant pour encourager certains à se pâmer.
Des prétendants avaient déjà dû se faire connaître mais elle avait refusé toute proposition d'union. Il semblerait qu'elle ne souhaitait pas s'encombrer d'un prince consort et préférait suivre la voie d'une reine solitaire mariée à sa nation, comme sa mère lui en avait montré l'exemple.
Celle qui n'avait plus à se soucier de ce genre de choses était sa cadette, Ismène, qui saluait les invités au bras de son fiancé, Yarondd Ennabraüs, héritier des Terres d'Eaux, pourtant, derrière son sourire de circonstances, elle ne semblait guère s'en réjouir.
Son consentement n'avait certainement pas été requis avant que cette union ne soit acceptée. Visiblement, Cyrès n'offrait pas les mêmes privilèges à sa cadette qu'à son aînée, à moins que ce mariage n'ait été convenu du temps de son époux, Droff.
Avant de voir Ismène, Richa ne pensait pas qu'une femme puisse à ce point ressembler à une poupée : cheveux dorés attachés en une structure complexe, joues rosées, grain de beauté au coin de ses lèvres pleines, formes parfaites dévoilées par sa robe mauve toute en voilages, le tout réhaussé par son maquillage et ses bijoux.
Le regard que son fiancé posait sur elle indiquait qu'il avait depuis longtemps relevé tous ces atouts. Lui était indubitablement amoureux.
Le dernier membre de la fratrie demeurait dans l'ombre de sa mère. Agée de tout juste quinze ans, Isis n'occupait pas encore véritablement de place dans la politique des Terres de Fer, peut-être n'en aurait-elle pas véritablement.
Pour l'instant, elle n'était encore qu'une adolescente dont le visage encore juvénile ne permettait pas de déterminer si selle ressemblait davantage à Ismène ou à Réhal. Le maquillage et le décolleté échancré de sa robe ne changeaient rien.
Dans tous les cas, les quatre femmes de la famille Créonne possédaient toutes la même lueur de détermination farouche brillant dans leur regard.
A côté de cette opulence qu'affichait le royaume des Terres de Fer, avec ces robes de dentelles, de soie, de velours, de satin ou de brocart et ces bijoux d'or ou de pierres précieuses, les Terres d'Eaux n'en paraissaient que plus modestes. Yennaël avait enseigné à Richa qu'il s'agissait du royaume le plus pauvre de l'Enclave pour qui le soutien de la Flamme Blanche était vital.
A en voir la princesse, Richa constatait que cette situation n'était nullement exagérée. La maigreur de Ténériss restait discernable même sous sa robe mal ajustée par endroit à cause d'un manque de chair et, bien qu'élégante, elle paraissait défraichie et fort simple, avec pour seule fioriture les bandes argentées au bord des manches et de son décolleté carré ainsi que la longue ceinture formée de disques de métal gris, qui était également son unique bijou. Elle ne portait même pas de couronne ou de tiare qui aurait pu la désigner comme une princesse.
Son frère avait une meilleure préstance, même si elle n'atteignait pas celle du reste des convives. Les efforts et les moyens de la famille Ennabraüs s'étaient probablement davantage concentré sur lui que sur sa sœur, comme il était l'héritier et qu'il avait une fiancée à impressionner, pour ce bal du moins.
L'autre représentant de sang royal qui semblait faire triste figure au milieu de cette assemblée était Pallwen Méliand, roi des Terres de Plaines, cependant, en ce qui le concernait, la raison n'en était pas son apparence. Au contraire, sa tenue, qui se déclinait en différentes teintes de vert, couleur des Terres de Plaines, était grandiose et il la remplissait parfaitement. Ce qui lui conférait cette allure diminuée était le chagrin hantant son regard et qui demeurait visible même à plusieurs mètres de distance.
En avisant le triste souverain, Richa se demanda si Messaline assistait elle aussi à cette réception mais elle ne repéra pas la succube parmi les convives. Seule son épouse, Réhinna, accompagnait Pallwen. Visiblement, il était indécent d'amener sa maîtresse à un bal royal, surtout alors que sa moitié officielle y était également présente.
L'absence de la sulfureuse Humcréa n'allait pas probablement pas contribuer à faire refluer les rumeurs et commentaires à ce sujet, bien au contraire. Sans compter que ce genre d'événements servait bien souvent de point de départ à tous ces racontars, pourtant, tous les autres invités ne manifestaient que politesse et respect lorsqu'ils s'adressaient au souverain. Tout comme le jeune homme qui vint le saluer en un échange de révérence.
Au premier regard, Richa le prit pour un simple invité, un membre des hautes sphères des Terres de Fer, peut-être un noble affilié à la famille royale ou un commerçant suffisamment affluent pour mériter d'être convié. Il fallait dire que, à part son charisme impressionnant, il n'avait rien de particulièrement remarquable qui puisse renseigner sur son identité. Richa ne le pensa cependant que durant quelques minutes jusqu'à ce qu'elle reconnaisse ce jeune homme, avec ses cheveux blonds terne peignés en arrière et son impeccable costume bleu.
Rafaël Kill'han, l'héritier des Terres Intérieures.
Si il n'était pas surprenant de rencontrer des membres des autres familles royales à une pareille réception, il était encore moins étonnant d'y croiser le jeune homme puisque les Créonne et les Kill'han étaient liés puisque la mère de Rafaël n'était autre que la cadette de Cyrès. Les Kill'han entretenaient également des liens semblables avec les Biliorre puisque la cadette de Llodd, le père de Rafaël, était mariée au frère de la reine des Terres de Forêt.
Aucun des membres de la royauté des Terres de Forêt n'assistait à ce bal. Certainement considérait-elle que la situation du royaume était trop précaire pour se permettre de venir se divertir aux Terres de Fer, sans parler des jours de voyage nécessaires pour atteindre Ferdale seulement pour une soirée.
Même si il devait encore patienter quelques années avant d'accéder au trône, Rafaël avait déjà de nombreuses idées pour son pays. D'ailleurs, il était l'instigateur du mouvement qui réclamait la séparation entre les Terres Intérieures et la Flamme Blanche, bien que ce ne soit pas officiel. Il paraissait posséder un certain talent pour ce genre de manigances.
Cette volonté aurait dû faire de lui un excellent allié de circonstances pour Yennaël pourtant, Richa ne croyait pas savoir que les deux jeunes hommes étaient en contact.
Menant cette réflexion, la jeune fille souhaita interroger Yennaël à ce propos mais, en se tournant sur le côté, elle ne découvrit pas le rouquin. Visiblement, il s'était éclipsé pendant qu'elle observait l'impressionnante salle et les convives qui y évoluaient.
Se souvenant de l'endroit où elle se trouvait et de la couverture qu'elle se devait de conserver pour le succès de l'opération, la jeune fille ravala le juron qui lui monta aux lèvres en constatant cette subite disparition.
Pourquoi avait-il insisté pour qu'elle l'accompagne si c'était pour l'abandonner dans cet environnement dont elle ne connaissait presque rien dès la première occasion ? Et comment allait-elle faire pour le localiser au milieu de cette foule sans se faire trop remarquer ?
Le fait de devoir patienter pour que tout le monde soit trop pris par la réception pour prendre garde à leurs déplacements lui avait déjà semblé pénible lorsque Yennaël lui avait expliqué cette partie de son plan mais, maintenant qu'elle se retrouvait seule, l'impatience la tenaillait déjà. Rien qu'à se dire qu'elle n'allait avoir pour seule occupation que d'observer ces riches et puissants convives s'enivrer, elle s'ennuyait déjà.
Un plateau chargé de coupes qui passa à proximité d'elle lui proposa un bon moyen de tromper son ennuie naissant. Hélant la domestique, elle la stoppa.
La jeune femme aux cheveux noirs coiffés en chignon haut sommaire se retourna vers Richa et l'examina de ses yeux noisette ambré, les sourcils froncés, comme si elle tentait de la reconnaître en attribuant un nom à son visage, sans succès apparemment. Durant un instant, la jeune fille craignit qu'elle ne devine qu'elle n'avait rien à faire à cette réception mais elle lui sourit, étirant la cicatrice qu'elle avait au coin des lèvres, en suspendant son observation.
Dans sa tâche de domestique, elle tendit le plateau en direction de Richa mais cette dernière ne se servit pas.
L'expression circonspecte de la servante avait contaminé le visage de Richa. Sans qu'elle ne sache pourquoi, quelque chose lui semblait étrange au sujet de cette jeune femme. Elle paraissait pourtant totalement ordinaire, avec son sourire, son plateau de boissons, sa robe généreusement décolletée aux couleurs des Terres de Fer semblable à celles que portaient toutes les autres domestiques.
Quelque chose était cependant anormal, Richa le percevait sans pouvoir identifier ce qui lui permettait d'avoir une telle certitude. Peut-être était-ce un effet des pouvoirs de sa pierre qui avait capté un éclat des pensées de cette domestique qu'elle avait inconsciemment traduit.
Visiblement gênée de cet examen visuel que Richa lui faisait involontairement subir, la jeune femme pinça les lèvres et s'agita légèrement d'un pied sur l'autre. Mal-à-l'aise, elle brandit encore davantage son plateau en direction de Richa comme pour dresser quelque chose entre elle et la jeune fille.
Cette dernière se reprit en se sermonnant mentalement. Cette attitude risquait de la faire paraître suspecte au milieu de l'assemblée de convives. Avec un sourire d'excuse adressé à la domestique, elle saisit une coupe en la remerciant d'un hochement du menton.
Les joues empourprées de gêne, la jeune femme s'empressa de s'éloigner en s'engouffrant dans la foule pour se dissimuler des regards insistants.
Dans un soupir, Richa porta la coupe à ses lèvres. Surprise par le goût boisé, elle vérifia avec davantage d'attention ce qu'elle buvait. D'aspect, la boisson ressemblait au champagne, avec des bulles s'envolant vers la surface où elles éclataient en chantant, mais en plus foncé et animé de reflets ambrés. Il s'agissait probablement d'un millésime typique de la région. Dans tous les cas, il se buvait sans difficulté.
Se plaçant en retrait, la jeune fille s'adossa contre l'une des colonnes en sirotant lentement son verre. Son regard virevoltant sur la masse des invités, elle guettait toujours une trace de Yennaël, sans plus de succès que précédemment. Un nouveau soupir gonfla sa poitrine.
« Vous avez une bien jolie robe.
Richa se tourna vers la provenance de cette voix venant de s'élever à côté d'elle et découvrit Ténériss Ennabraüs qui lui souriait d'une façon plutôt incertaine. Plus elle l'observait, plus Richa jugeait que la jeune femme n'avait nullement l'attitude qu'on attendait d'une princesse.
Même si elle se sentait surprise qu'elle vienne s'adresser à elle et qu'elle redoutait de ne pas savoir se comporter de la manière appropriée avec une personne de sang bleu, Richa se força à lui répondre en se dissimulant de moitié derrière sa coupe :
- Pour vous dire l'entière vérité, je ne l'ai pas choisie. Quelqu'un s'en est chargé pour moi.
- Ma mère se fait un devoir de sélectionner toutes mes toilettes, surtout pour ce genre d'événements. Comme si tout ce dont nous avions à nous soucier était de parader ici. Enfin, il est vrai que cela n'a pas l'air de vraiment déranger l'héritier. Regardez le se pavaner comme un paon. Il ignore que, si tous le regardent, c'est uniquement car il est au bras d'Ismène. Sans elle, personne ne s'intéresserait à lui. Pardonnez-moi, je m'emporte.
- Je vous en prie. Vous ne semblez guère vous entendre avec votre frère. Désolée, cette remarque était déplacée.
- Je suis frustrée de constater qu'il est incapable de voir plus loin que le bout de son nez, et je dois avouer être également contrariée qu'il jouisse de tout uniquement car il est né mâle, c'est injuste.
- Là-dessus, vous prêchez une convertie. Approuva Richa.
- Je dois reconnaître que je n'ai pas le souvenir de vous avoir déjà rencontrée. Serait-il indiscret de vous demander votre nom ?
- Et bien... Hésita Richa, ignorant que dire comme Yennaël et elle n'avaient convenu d'aucune réponse à fournir en cas de questions indiscrètes du genre.
- Ténériss !
Richa échappa un soupir de soulagement à cet appel qui détourna l'attention de la principale intéressée.
Un léger sourire s'épanouit sur le visage émincé de la princesse, loin de l'expression plutôt mal-à-l'aise qu'elle affichait auparavant, soudainement plus naturelle, et elle adressa un signe à celui qui venait ainsi de l'invectiver, ce qui permit à Richa de le repérer.
Se glissant entre les convives avec qui il échangea quelques salutations et politesses, Rafaël Kill'han rejoignit les deux jeunes femmes. Plutôt que de la gratifier d'un baisemain, il dispensa une étreinte amicale à Ténériss qui la lui rendit.
De toute évidence, la relation de ces deux-là dépassait la simple courtoisie mutuelle qu'on exigeait des membres des familles royales. Peut-être entretenaient-ils même une liaison secrète, en vivre une officiellement risquant de contrarier les plans de la famille Ennabraüs, mais toutes ces affaires importaient peu à Richa. Elle se moquait des affaires de la noblesse et de ses secrets.
Le temps semblait d'ailleurs se dilater alors qu'elle n'avait que ces histoires pour compagnie. Combien de temps encore la mascarade allait-elle durer ?
S'efforçant de ne rien laisser transparaître de son agacement grandissant, elle avala une autre gorgée d'alcool alors que Ténériss et Rafaël se détachaient.
Après s'être enquit de Ténériss en lui demandant de ses nouvelles, le prince avisa Richa qui approchait du fond de sa coupe. Reprenant ses bonnes manières, il saisit la paume de la jeune fille dans la sienne pour déposer un baiser sur sa main dans un frôlement de lèvres. En voyant les effusions de Rafaël et Ténériss, elle avait cru pouvoir y échapper et elle dut se retenir d'essuyer sa main contre sa jupe par réflexe.
- Puis-je savoir quel est l'homme qui a abandonné une aussi belle femme au milieu de ce bal ? Demanda Rafaël mais son compliment paraissait quelque peu creux et ses yeux étaient dénués du moindre intérêt.
- Je pense qu'on ne peut que dire que c'est un imbécile. Ah, d'ailleurs, je viens de l'apercevoir. Veuillez m'excuser. »
N'attendant pas que Ténériss ou Rafaël tente de la retenir, Richa les salua d'une révérence qui fut étonnement bien plus assurée que ce à quoi elle s'attendait puis elle s'empressa de se fondre parmi le reste des invités.
Affirmer avoir repéré Yennaël n'était pas seulement un prétexte pour se soustraire aux interrogations du prince et de la princesse mais également la vérité. A force d'observer la salle, elle avait enfin avisé le jeune homme parmi les convives, non loin de la porte menant aux jardins.
Relevant sa robe à deux mains, elle le rejoignit à grandes enjambées tout en se modérant pour éviter de bousculer qui que ce soit. Remonter la pièce en courant en renversant tout le monde sur son passage n'aurait certainement pas contribué à sa discrétion, ni à celle de Yennaël. Elle percevait déjà le regard méfiant de Rafaël qui la suivait dans son déplacement alors inutile d'en rajouter avec un comportement qui aurait dénoté dans ce décors.
Alors qu'elle arrivait à sa hauteur, Yennaël lui tendit l'une des deux coupes d'alcool qu'il tenait avec un sourire. L'acceptant comme elle avait vidé la précédente, Richa en prit une gorgée puis s'enquit sur un ton d'accusation :
« Où t'étais passé ?
- Je suis allé faire quelques repérages pour tout à l'heure.
- Donc, ''détourner l'attention'' ça veut dire me laisser au milieu de cette salle pour que tout le monde me regarde pour que tu sois tranquille pour tes affaires ? Super.
- C'était en partie l'idée et, apparemment, ça a fonctionné. Je te laisse durant quelques minutes et je te retrouve en compagnie d'une princesse et d'un prince héritier.
- Oui et j'ai dû réfléchir à chacun de mes mots pour éviter de me trahir. En plus, ils voulaient savoir qui j'étais et qui j'accompagnais.
- Qu'as-tu répondu ?
- Rien, j'ai réussi à m'esquiver. Bon, peut-on s'occuper de ce qui nous amène ici maintenant ? Toute cette blague commence à me gaver.
- C'est encore trop tôt. Désolé. Il va falloir encore patienter.
- Et comment ? En discutant des comportements des héritiers et des différentes rumeurs sur les amours secrets de machin ou truc ? Il va me falloir plus d'alcool pour ça.
- Je voulais te proposer de danser. Après tout, c'est un bal.
- Y a même pas de musi... »
Richa terminait à peine de formuler cette remarque que des accords s'élevèrent au-dessus du brouhaha des conversations mondaines dont l'intensité baissa.
Surprise, la jeune fille dévisagea Yennaël en se demandant comment il avait pu organiser ou prévoir l'instant exact où la musique débuterait mais son expression changea pour une moue indiquant à Yennaël qu'il avait tout intérêt à profiter de cette petite victoire car elle ne lui en accorderait pas de prochaines.
Elle détestait donner raison à quelqu'un d'autre. Encore un effet de son trop grand orgueil.
Loin de s'en vexer, Yennaël s'en amusa et sourit encore plus largement. Incapable de résister, Richa lui rendit son sourire même si elle luttait pour le retenir et ce fut tout naturellement qu'ils entrechoquèrent leurs verres puis que Yennaël passa un bras autour de la taille de la jeune fille pour la ramener contre lui.
Ils n'entamèrent cependant pas de danse. Cela aurait été fort irrespectueux alors que l'hôte de tous, Cyrès Créonne, s'avançait au centre de la salle pour adresser ses salutations à tous en un discours de bienvenue. Richa y apprit les raisons de cette grandiose réception : simplement célébrer les grandes quantités de minerais extraites des Monts de Fer, qui annonçaient la prospérité future du royaume.
En un sens, Richa jugeait assez déplacé d'inviter les représentants de royaumes bien moins aisés pour se réjouir de sa richesse mais personne ne formula de commentaire et tous ravalèrent leurs sentiments.
Achevant son discours, Cyrès souhaita à tous une bonne soirée en invitant les couples à venir danser. Les premiers à s'engager sur la musique jouée par l'orchestre installé le long du mur furent Ismène Créonne et Yarondd Ennabraüs. La jeune femme apparaissait toujours aussi merveilleuse une fois sur la piste de danse.
Rafaël et Ténériss les rejoignirent puis les différents couples de danseurs suivirent les uns après les autres.
Lorsqu'ils furent suffisamment nombreux pour qu'on puisse s'y noyer sans se faire trop remarquer, Yennaël entraîna Richa parmi eux. Se laissant trainer à sa suite, Richa vida sa coupe d'une traite et s'en débarrassa sur le premier plateau qui passa à sa portée.
Face à Yennaël, qui posa une paume sur sa hanche et garda l'autre main sur la sienne, elle se sentit incertaine et se demanda quels mouvements elle devait réaliser. Après tout, elle n'avait jamais reçu le moindre cours de danse, pas qu'elle s'en souvienne du moins, et elle doutait que se laisser simplement guider par la mélodie suffise. La danse était certainement plus élaborée que cela.
Imitant les danseurs autour d'elle, elle posa une main sur l'épaule de Yennaël et se contenta de suivre ses déplacements rythmés. Ses débuts sur la piste s'avérèrent quelque peu malhabiles mais elle parvint rapidement à calquer ses mouvements sur ceux de Yennaël. Cette danse se rapprochait grandement d'une valse.
Rapidement, elle n'eut plus besoin de songer à ses pas qui devinrent instinctifs et naturels. Encore une fois, c'était comme si des réminiscences inconscientes remontaient pour la guider sans qu'elle ne s'en aperçoive réellement. Peut-être lui avait-on enseigné la danse avant que ne survienne l'incident qui avait effacé sa mémoire et l'avait conduite sur Terre mais impossible de dépasser le stade de la supposition.
Plus assurée, elle se permit de dicter certains mouvements mais elle ne pouvait pas conduire l'entièreté de la danse car, à observer les autres danseurs, c'était à l'homme de diriger et non à la femme.
En les regardant, elle releva également que la manière dont Yennaël avait enroulé son bras autour de sa taille pour la plaquer contre lui n'était pas réellement typique de la danse. Aucun des autres couples ne se tenait enlacé de la sorte, pourtant, elle ne se défit pas de l'étreinte du jeune homme. A la place, elle se pressa contre son torse en appuyant sa tête contre son épaule et elle passa sa main dans sa nuque en jouant avec les mèches y tombant.
Lui non plus ne la repoussa pas. Au contraire, il descendit sa main qui quitta sa taille pour se refermer autour d'une de ses fesses. Si elle sursauta légèrement, ce fut uniquement car elle ne s'y attendait pas et car elle craignait que quelqu'un ne le remarque alors que ce n'était aucunement le lieu approprié pour ce genre de démonstrations. Même si c'était ce que la prudence exigeait, Richa ne chassa pas cette main. Sa seule envie était d'encourager Yennaël dans cette voie.
Ses lèvres se posèrent dans son cou et elle sentit le jeune homme se raidir contre elle. Se redressant, elle happa son regard du sien en un message silencieux.
Sans desserrer leurs doigts entrelacés les uns aux autres, ils se frayèrent un passage entre les danseurs jusqu'à la porte des jardins.
Les silhouettes des arbres, parterres et buissons taillés se découpaient dans la semi-obscurité créée par des lanternes de verre coloré suspendues aux branches ou surmontant des pics ouvragés plantés dans le sol. Quelques personnes s'y promenaient dans l'air nocturne, dont la fraicheur semblait encore plus prononcée à cause du contraste avec l'ambiance surchauffée de la salle de réception.
Le tirant par son jabot, Richa plaqua Yennaël contre un tronc et se jeta sur lui pour l'embrasser sauvagement. Elle ne s'était pas aperçu du point auquel elle en avait le désir avant de se désaltérer de ses lèvres.
En glissant ses mains dessous, le jeune homme retroussa la jupe de Richa, qui ondulait contre lui. De ses doigts fébriles, elle s'attaqua aux boutons de sa chemise.
Impossible de deviner jusqu'où ils auraient pu continuer, probablement jusqu'au bout, si un raclement de gorge ne les avait pas interrompus.
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