Les yeux écarquillés de stupeur et également d'un peu de frayeur, Richa les posa sur les deux frères.
Son esprit cherchait à assimiler ce que Daïn venait de révéler mais il n'y parvenait pas ou, plutôt, il s'y refusait. L'idée de l'existence des démons, en plus d'être effrayante, faisait apparaître de nombreuses questions, notamment au sujet du bien et du mal et sur la religion, même si celles de l'Enclave n'étaient pas les mêmes que sur Terre.
Incapable de réfléchir en affrontant la situation actuelle alors que toutes ces interrogations parasitaient ses pensées, Richa lança aux deux frères :

« Un démon ? Genre Satan et tout le reste ?
- Qui ça ? Demanda Daïn en fronçant les sourcils.
- Vous croyez vraiment que c'est le moment ?

Leur rappela Sammiel tout en écrasant la trachée du satyre dans la pliure de son coude. L'Humcréa s'écroula rapidement aux pieds du jeune homme. Avec un démon dans l'équation, il valait mieux éliminer les ennemis les moins menaçants pour éviter d'avoir trop à gérer sur trop de fronts.
Richa se tourna vers Sammiel et Daïn, leur demandant quel comportement elle devait adopter. Le fait que l'homme, ou plutôt le démon, ne bougeait pas face à eux ne l'aidait pas à savoir comment réagir.
Avant que l'un ou l'autre des frères ne lui fournisse la moindre explication, le démon les attaqua. Richa ne le vit même pas se déplacer avant que sa poigne n'enserre son cou en lui coupant le souffle. Il avait une telle force que la jeune fille ploya involontairement et elle tomba à genoux.
Cherchant à lui faire lâcher prise, elle lui griffa l'avant-bras mais les plaies que ses ongles creusèrent dans sa chair se refermèrent immédiatement. Elle ne pouvait pas se débattre davantage. Malgré toute sa volonté, quelque chose l'écrasait et la paralysait. Peut-être était-ce un effet de la magie qu'il dégageait.
Le premier réflexe de Sammiel fut de se ruer à l'aide de Richa mais Daïn le retint en le poussant sur le côté. La pique brandie par la femme-serpent se ficha dans le bois d'un arbre au lieu de la poitrine du jeune homme, qui chuta.
Comme ils le pensaient, il allait d'abord falloir qu'ils se débarrassent des acolytes du démon avant de se charger de ce dernier, ce qui n'aurait pas dû représenter un grand obstacle.
Pendant qu'elle s'efforçait de déloger son arme de l'arbre dans lequel elle s'était enfoncé, Daïn se jeta sur la femme-serpent, lui décochant un coup de poing et la heurtant brutalement au poitrail de son épaule. L'Humcréa glissa sur quelques centimètres en cherchant à se rétablir sur sa queue de serpent.
Toujours à terre, Sammiel dégaina son arbalète, déjà équipée d'un carreau, et en visa la femme-serpent mais le mécanisme de se déclencha pas lorsqu'il actionna la détente. Avant même qu'il ne se demande quelle pièce était soudainement défectueuse, une douleur insupportable éclata dans sa paume. C'était comme si le manche de bois son arbalète se hérissait de longues échardes qui pénétraient profondément dans sa chair. Incapable de l'endurer, il lâcha son arme, qui paraissait pourtant intacte.
Ce fut ensuite à sa dague de lui causer une grande douleur. La lame sembla devenir incandescente et lui brûla la cuisse à travers son pantalon et le cuir du fourreau dans lequel elle était rangée. Voulant s'en débarrasser, il se défit de son fourreau qu'il jeta loin de lui.
Face à lui, séparés par la femme-serpent, Daïn fut victime des mêmes phénomènes qui le poussèrent à se désarmer de la même manière.
Se reprenant, tous deux échangèrent un regard agrandi d'incompréhension et ils avisèrent alors les doigts croisés en une position spécifique de la femme-serpent. Apparemment, elle était également magicienne en plus de guerrière. C'était fréquent chez ce peuple.
Changeant la position de ses doigts, la femme-serpent lança un nouveau sort. Sammiel se rejeta en arrière en gémissant, se tordant de douleur au sol. De l'extérieur, on aurait pu croire que le jeune homme se contorsionnait sous de nombreux coups invisibles.
Daïn n'eut même pas le temps d'appeler le prénom de son cadet. Ses rotules émirent un puissant craquement et il tomba à genoux, incapable de tenir debout.
D'un mouvement latéral, la femme-serpent frappa le chasseur au visage de son arme. La pointe métallique laissa une longue estafilade sanglante sur sa joue et il s'écroula au sol.
A présent, la seule chose dont la femme-serpent avait à se soucier était de décider lequel des deux frères achever en premier.
Avant qu'elle ne choisisse, une violente bourrasque la projeta en l'air sur presque un mètre avant de la laisser lourdement retomber au sol.
Richa n'avait même pas perçu ses pouvoirs lui échapper. Alors qu'elle se trouvait proche de l'inconscience à cause du manque d'oxygène, le démon n'ayant pas une seule seconde desserré ses doigts de sa gorge, la barrière qui retenait sa magie avait cédé face à l'urgence.
En plus de laisser la femme-serpent sonnée à terre, les pouvoirs de la jeune fille repoussèrent également le démon dans un puissant souffle.
Affaiblie, Richa bascula en avant, se tenant appuyée sur ses paumes en reprenant bruyamment sa respiration. Elle ne put cependant avoir le loisir de se remettre tranquillement car le démon ne resta pas étourdie comme sa complice.
D'un mouvement à la fois étrangement saccadé et vif, il bondit sur ses pieds et fit face à Richa.
Ses mèches s'étaient écarté et dévoilaient à présent un œil allongé dans le sens de la hauteur, montant sur son front et descendant sur sa joue jusqu'au niveau de son nez. Au lieu du blanc du corps vitré, il n'y avait qu'un puits de noirceur et l'iris était d'un bleu fluorescent anormal, même pour des Humcréas.
A présent que ses pouvoirs s'étaient manifesté, Richa comptait bien en user, peu importe les dommages collatéraux. Maniant sa magie avec plus d'habilité qu'elle ne s'y attendait, elle s'entoura d'une véritable minuscule tornade qui s'éleva jusqu'au dessus des frondaisons. En étant le centre, Richa ne risquait pas de se faire emporter, seules ses mèches s'agitaient follement autour de son crâne. Au contraire, cette place lui offrait une excellente sécurité. Personne ne pouvait l'atteindre ni franchir les bourrasques qui la coupaient des autres.
Se reprenant quelque peu, Richa s'intéressa à Sammiel et Daïn. Apparemment, dès que le sort lancé par la femme-serpent s'était dissipé, les deux frères s'étaient rapidement rétabli, ne pouvant se permettre de se lamenter sur leur état, même après avoir subi un sort de torture.
Daïn se chargeait déjà de maintenir la femme-serpent au sol en veillant à l'empêcher de croiser les doigts.
Leur demander directement paraissant exclu, tant à cause des hululements du vent que du risque de stupidement prévenir leurs adversaires de leurs intentions, Richa se résolut à utiliser ses autres pouvoirs, ceux conférés par la pierre à son cou.
S'abstenant d'explorer les esprits des deux frères en profondeur, bien que contrôler parfaitement cette capacité s'avérait encore difficile, elle apprit qu'ils connaissaient un moyen de neutraliser et de se débarrasser de ce démon mais que ce moyen nécessitait un peu de préparation. Il leur fallait un peu de temps et ils avaient donc besoin d'une diversion, de façon également à ce que le démon ne s'aperçoive pas de ce qu'ils manigançaient.
Ne pouvant leur prêter main forte dans cette organisation, Richa s'attribua d'elle-même le rôle de diversion. De toute manière, le démon ne semblait plus se préoccuper des deux frères mais plutôt se focaliser entièrement sur elle.
Visiblement, il la considérait comme l'ennemie la plus redoutable et donc le principal danger à éliminer.
Se préparant donc à combattre, Richa suspendit l'effet de sa magie et la tornade disparut, ne laissant que de la terre remuée.
Bien campée sur ses pieds, elle fit face au démon en se conseillant mentalement à elle-même de ne pas se laisser toucher.
Gardant toujours la même posture, le démon sourit à nouveau, bien que ce soit difficile à déterminer avec cette bouche démesurée. D'autres craquements émanèrent de lui. Ses os transpercèrent soudainement le tissu de ses vêtements en jaillissant de sa chair sous forme de pointes ou d'arêtes acérées, blanchâtres sous le sang et les lambeaux de peau.
La vision était suffisamment surprenante et effrayante pour que Richa recule d'un pas dans un sursaut. Sachant cependant que le démon cherchait à la déstabiliser, elle se reprit et attaqua.
Plutôt que de projeter le démon d'une puissante bourrasque, comme il avait probablement saisi que c'était sa stratégie, elle fit se densifier l'air au-dessus de lui jusqu'à ce qu'il se courbe lentement, écrasé par ce poids. Même la jeune fille demeura ébahie par cet effet. Elle ignorait totalement qu'elle était capable de faire quelque chose de pareil en maniant sa magie.
Ce ne fut cependant pas suffisant pour immobiliser le démon. Malgré la pression qui l'écrasait, il se redressa lentement. Ses articulations se tordirent, se démettant sous le poids de l'air partiellement solidifié. Ses os se brisaient, ses muscles se déchiraient, ses articulations se déboitaient, pourtant, il ne se laissait pas écraser et effectua même un pas en direction de Richa. L'une des arrêtes osseuses perçant son avant-bras se fendit en deux.
Il ne reculait cependant toujours pas et marcha encore de quelques pas vers Richa. Visiblement, il allait falloir qu'elle trouve davantage pour le retenir.
En le voyant penché vers l'avant, le corps entièrement tendu pour lutter contre sa magie et tenter d'avancer vers elle, Richa  suspendit ses pouvoirs. Entrainé par son élan, le démon chuta vers l'avant. Se rétablissant bien trop rapidement, il se rua sur Richa.
D'un bond sur le côté, elle l'esquiva au dernier instant mais quelque chose s'enroula autour de sa cheville pour la tirer violemment, comme la femme-serpent avait tenté de le faire précédemment, sauf que, cette fois, elle ne parvint pas à stopper l'attaque. Elle eut à peine le temps de comprendre ce qu'il se passait avant de se retrouver plaquée à terre, tout l'oxygène expulsé de ses poumons à cause de l'impact de sa poitrine contre le sol et légèrement sonnée.
A la recherche de ce qui l'avait ainsi précipitée parmi les feuilles mortes, elle tâtonna contre le cuir de sa botte jusqu'à rencontrer quelque chose de moue et humide. Réagissant à ce contact déplaisant, elle se reprit subitement et se retourna vivement sur le dos juste avant que le démon ne lui bondisse dessus.
L'emprisonnant sous son poids, bien plus élevé qu'il n'aurait dû l'être à en juger par sa stature, il la maintint au sol. Du gouffre hérissé lui faisant office de bouche pendait une langue rosâtre à la longueur toute aussi démesurée dont l'extrémité pointue se nouait autour de la cheville de Richa.
Avant de se faire totalement immobiliser, la jeune fille se débattit farouchement. Son poing atteignit ce qu'elle supposait être une mâchoire et elle parvint à bloquer les bras du démon en les attrapant, se blessant paumes et doigts sur les protubérances osseuses.
Il tentait d'appuyer de toute sa masse sur les bras de Richa pour la faire céder. Il s'agissait à présent d'un duel de force et la jeune fille doutait de posséder celle d'un démon. Heureusement que, à cause de sa langue serpentant hors de sa bouche, il ne pouvait pas refermer ses dents sur elle.
De son côté à elle, rien ne l'empêchait de mordre quoi ce soit.
Ses mâchoires claquèrent sur la langue, dont une partie se balançait devant son visage, seule partie aisément accessible et non protégée par la carapace osseuse. Ses crocs s'enfoncèrent dans la chair et un goût particulièrement amer se déposa sur sa propre langue.
Le démon émit un puissant sifflement strident de douleur. Visiblement, elle avait trouvé un point faible. En profitant, elle accentua sa morsure.

- Richa, amène le par ici !

Obéissant à la voix de Sammiel qui s'éleva derrière elle, Richa remonta ses genoux contre le démon pour, détendant brutalement les jambes en poussant sur ses bras et roulant sur son dos, le projeter par-dessus sa tête. Elle renforça sa poussée d'une puissante bourrasque qui envoya le démon jusqu'à Sammiel et Daïn.
Un haut le cœur dans la gorge, elle cracha pour se débarrasser du sang dans sa bouche puis, remarquant que la langue du démon était toujours enroulée autour de sa cheville, les attachant l'un à l'autre, elle dégaina l'une de ses dague et trancha ce lien visqueux.
L'extrémité sectionnée retomba au sol où elle s'agita durant plusieurs secondes avant de s'immobiliser et le démon hurla. Ivre de colère et de douleur, il voulut se jeter sur Richa mais quelque chose le repoussa si violemment qu'il chuta au sol, comme si une barrière invisible l'avait freiné.
Surprise, Richa examina plus attentivement le sol et y découvrit, tracé dans la poussière de la forêt, un cercle renfermant différents symboles dont le principal était un pentagramme.
Peinant à croire qu'un simple dessin puisse emprisonner un démon, elle posa le regard sur Sammiel et Daïn, dont les expressions satisfaites identiques accentuaient leur ressemblance.
Face à son air incertain, l'ainé expliqua :

- Les démons sont de vraies saloperies mais quelques signes suffisent à les piéger.
- Faudra que vous m'appreniez ça. Souhaita Richa.
- Tu t'en es déjà pas si mal sorti. La félicita Sammiel.
- Ouais, mais le premier qui fait un blague sur le fait de rouler une galoche va passer un très mauvais moment, c'est clair ? Prévint Richa. Bon et maintenant, comment on s'en débarrasse ? On va pas le garder ici.
- Le problème, c'est que c'est un démon qui a été invoqué. Il n'est pas venu de son propre chef en traversant les voiles, quelqu'un l'a amené ici, donc, seule cette personne peut le renvoyer dans sa dimension. Il faut trouver le magicien qui l'a appelé pour qu'il inverse l'invocation. Enseigna Sammiel.
- Ça tombe bien, celle-là est justement magicienne. Indiqua Daïn en empoignant la femme-serpent par les cheveux.
- Vous pouvez toujours rêver ! Cracha la femme-serpent.
- Je crois qu'elle va pas être facile à convaincre. Plaisanta Daïn.
- Je peux essayer de fouiller dans son esprit. Proposa Richa.
- Je ne pense pas que ça changera grand chose, déclina Sammiel. Les formules d'exorcisme sont toujours relativement les mêmes. Là, ce qui importe, c'est la personne qui les prononce.
- Je peux essayer, insista Richa, je suis magicienne et assez puissante pour avoir une influence sur les frontières entre les mondes alors je peux essayer.

Sammiel et Daïn échangèrent un regard puis haussèrent les épaules. Ils ne voyaient pas de raison de s'opposer. Si Richa tenait à tenter d'exorciser ce démon, même si cet essai allait immanquablement mener à un échec, ils ne cherchaient pas à la retenir.
De toute manière, ils reviendraient au même point après quelques minutes alors cela ne changeait pas grand chose. Sans compter qu'ils préféraient ne pas se risquer à s'opposer à la jeune fille.
Daïn sortit une vieille feuille chiffonnée de la poche intérieure de sa veste pour la tendre à Richa. Cette dernière constata qu'elle semblait avoir été pliée à de nombreuses reprises. Visiblement, Daïn la trainait dans ses vêtements depuis un moment.
Sur le papier fatigué s'étalaient une dizaine de lignes serrées à l'encre partiellement estompée. Les parcourant rapidement, Richa n'y identifia aucun langage courant de l'Enclave, la langue universelle ou l'un des dialectes humcréas. Peut-être était-ce la langue pratiquée dans la dimension d'origine des démons.
La jeune fille avait de nombreuses interrogations et soif d'en connaître davantage sur le sujet mais ce n'était pas l'important pour l'instant.
Se plaçant face au démon en prenant grand soin à ne pas franchir la ligne du pentagramme, elle récita la formule en faisant remonter un peu de magie autour d'elle.
Le vent se leva en agitant les frondaisons et la chevelure de la jeune fille. Impossible de savoir si il s'agissait d'un effet des pouvoirs de Richa ou d'une réaction de l'exorcisme.
Ramassé sur lui-même à quatre pattes au centre du symbole, le démon grognait en crachant à moitié, évoquant un chat qui feulait. Un énorme chat déformé et effrayant. Cette tentative pour impressionner ses adversaires ne fonctionna pas et la voix de Richa s'élevait dans la forêt en semblant gagner en intensité.
Soudainement, le démon se cambra violemment en arrière, les articulations encore plus tordues que précédemment. Ses membres se contorsionnèrent brutalement.
Assistant à la scène en spectateurs, Sammiel et Daïn échangèrent un regard écarquillé de stupeur. Apparemment, Richa parvenait à exorciser un démon invoqué par une autre magicienne. Elle avait la puissance nécessaire pour forcer les voiles entre les dimensions à s'écarter. Les deux frères en demeuraient ébahis.
Le démon retomba au sol où il resta inerte, les jambes légèrement écartées. Toutes les déformations affectant son apparence avaient disparu et il semblait à présent totalement humain.
N'y croyant pas réellement elle-même, Richa replia la feuille en regardant autour d'elle, quelque peu perplexe. Avait-elle vraiment réussi à renvoyer un démon d'où il venait alors que les deux frères lui avaient assuré que ce n'était guère réalisable ? L'expression de Sammiel et Daïn paraissait le lui confirmer.
Même si son orgueil, certainement démesuré, la poussait à affirmer que rien ne lui résistait et à prouver qu'elle était capable de tout, elle n'avait pas réellement cru pouvoir se débarrasser de ce démon, surtout si aisément. Cette surprenante réussite n'allait pas contribuer à lui inculquer la modestie.
Victorieuse, elle poussa une exclamation alors que le vent continuait à faire s'exprimer les feuillages.

- Là...je fois bien admettre que c'était impressionnant. Reconnut Daïn. Comment t'as pu faire un truc pareil ?
- Aucune idée ! Avoua Richa.
- Dites, qu'est-ce qu'on fait de ces deux-là ? Demanda Sammiel en montrant la femme-serpent et le satyre, les deux seuls membres de ce groupe encore vivants, le centaure ayant expiré alors qu'ils luttaient contre le démon.
- Ils sont une menace. Déclara Daïn.
- Attend, peut-être qu'on pourrait réfléchir à une autre solution. Proposa Sammiel à son frère en lançant un regard à Richa, craignant visiblement sa réaction face à l'exécution d'autres Humcréas.
- Quoi ? T'as peur de heurter ma sensibilité ? Rétorqua la jeune fille. Ils ont tué des Humcréas innocents pour pousser les autres Humcréas à s'entre-déchirer encore plus avec les humains. C'est un danger pour tous. Si vous les tuez par, c'est moi qui vais le faire.
- Si c'est ton dernier mot. De toute manière, c'est sûrement moins cruel que de les remettre à la Flamme Blanche.

Richa acquiesça aux paroles de Daïn.
Elle haïssait ces Humcréas pour ce qu'ils avaient fait. Survivre en ce monde sans être humain s'avérait déjà suffisamment difficile sans que certains individus s'appliquent à creuser le fossé en exacerbant les hostilités.
De son point de vue actuel, tout ce qui menaçait les Humcréas devait disparaître, pour elle et les autres. Sous cet avis péremptoire, elle se demandait ce qu'aurait fait Yennaël à sa place, lui le grand défenseur des Humcréas.
Les deux frères ne se questionnaient pas. Pour eux, c'était simplement un des aspects de leur tâche.
Ils se seraient cependant attendu à ce que ce ne soit pas si anodin pour Richa, pourtant, elle ne sourcilla pas lorsqu'ils achevèrent les deux Humcréas. Elle les aida également à creuser les fosses dans lesquelles ils firent rouler les corps pour les enflammer.
Les laissant se consumer jusqu'à disparaître, ils s'éloignèrent entre les arbres sur de nombreux mètres jusqu'à arriver au campement des deux frères. Richa s'était bien douté qu'ils en avaient dressé un dans les environs.
Sans se soucier de quoi que ce soit, la jeune fille se dirigea directement vers les deux étalons noirs pour les gratifier de caresses sur le museau. Après un tel incident, la proximité avec des animaux l'apaisait, même si elle n'était pas réellement affectée par ce qu'il venait de se produire.
Etrangement, elle n'éprouvait pas grand chose, à part une froide colère envers ce groupe d'Humcréas qu'ils venaient de défaire ainsi que la satisfaction d'avoir éliminé cette menace et d'avoir accompli un exorcisme impossible à réaliser.
Comme avec cette patrouille de la Flamme Blanche, elle ne ressentait rien face à ces morts, même Sammiel et Daïn en étaient déstabilisés et surpris. Ce n'était aucunement l'attitude qu'ils attendaient de la part d'une jeune Humcréa évoluant dans l'Enclave depuis quelques mois.
A tel point que Sammiel ne put s'empêcher de demander :

- Dis...euh...Richa, c'est quand la première fois que tu as dû affronter la mort ?
- Comment ça ? S'étonna la jeune fille sans se détourner des chevaux.
- Et bien, tu réagis si...tu es si détachée avec ce genre de choses alors que ça troublerait n'importe qui, surtout que c'était aussi des Humcréas. Précisa Sammiel.
- Vous auriez préféré que je fonde en larmes ?
- Ah non ! S'affola Daïn.
- Je vais pas pleurer, vous inquiétez pas, et je sais pas quoi vous dire. C'est vrai, ça me fait pas grand chose. Ça m'a pas plus touchée quand j'ai tué pour la première fois, même si je sais que j'aurais dû l'être. Tout ce que je ressens, c'est un genre de lassitude avec une sensation que c'est nécessaire. Ouais, je dois sûrement avoir un problème. Allez savoir, je suis peut-être une grosse tarée psychopathe !
- En fait, c'est aussi un peu ça que, nous, on éprouve aussi parfois dans notre travail, mais c'est vrai que, pour nous, se résoudre à tuer, c'est notre quotidien. On a presque été élevé pour ça, lui confia Sammiel, mais c'est vrai que toi...
- C'est pas du tout le même contexte, donc je suis cinglée !
- Ou alors tu as peut-être évolué avec la mort mais tu t'en souviens pas, suggéra Daïn. Tu nous as bien dit que t'étais amnésique après tout.
- Ouais, on a qu'à dire, soupira Richa. Bon, maintenant que j'ai répondu à vos questions, vous répondez aux miennes.
- Tu as as des questions ?
- Oui, je veux tout savoir sur les démons. Je savais qu'il y a une dimension démoniaque mais rien de plus.
- Elle a éclaté ce démon alors qu'elle savait rien sur eux ! Se désespéra Daïn.
- Les démons viennent de la dimension démoniaque, expliqua Sammiel. En fait, ce sont des âmes. Les gens qui meurent et qui n'ont pas été les meilleurs individus de leur vivant y sont envoyés et leurs âmes s'y corrompent jusqu'à se transformer en démons. Pas la peine de préciser que ce sont de vrais destructeurs, des dangers ambulants pour tout ce qui existe. Le truc, c'est que ce sont des esprits, donc la majorité d'entre eux a besoin d'un corps et les possédés finissent souvent comme le pauvre gars de tout à l'heure à cause de toutes les transformations physiques que les démons leur font subir. Après, les plus puissants peuvent se créer leur propre enveloppe charnelle et ils font de la magie aussi.
- Donc, celui-là c'était le modèle bas de gamme ? Comprit Richa. Génial.
- Ouais, en général, un démon qui se balade, ça signifie de gros dégâts. Confirma Daïn.
- Comme tu l'as vu, on peut les piéger avec certains symboles et un exorcisme suffit pour les renvoyer, reprit Sammiel, le problème, c'est quand ils sont été délibérément invoqués dans notre monde. Là, seul le magicien qui les a invoqués peut les exorciser.
- Ça, j'avais saisi. Lança Richa en opinant du menton.
- Y a aussi les démons des Limbes. Signala Daïn.
- Les Limbes ? C'est aussi une autre dimension. Elle est ''sous'' la dimension démoniaque, je crois. Se souvint Richa.
- Elle est aussi habitée par des démons, poursuivit Sammiel, mais ils sont différents. On sait pas grand chose sur eux mais on pense que ce sont plus ou moins les cousins des autres démons. On les repère assez facilement parce qu'ils ont des mèches de cheveux de la même couleur que leurs yeux et ils sont magiciens. Ils peuvent aussi être invoqués mais c'est bien plus compliqué que pour les autres, puisqu'il y a toute une dimension à traverser entre les Limbes et l'Enclave. Et c'est tout ce qu'on sait sur eux.
- C'est suffisant pour en repérer un et s'en méfier. Jugea Richa.
- Bien, on peut dire que ta formation de chasseur est terminée, déclara Daïn, parce que, entre un démon, un centaure, un satyre, une élémentaire de foudre et une ekhidna, on peut dire que t'as passé l'épreuve finale haut la main !
- Super, je pourrai rajouter ça sur mon C.V ! »

Plaisanta Richa mais les sourcils froncés des deux frères lui rappelèrent que ce genre de plaisanteries sur des notions de la Terre ne fonctionnait pas dans l'Enclave. D'un geste de balayement, elle indiqua à Sammiel et Daïn de ne pas se préoccuper de ses paroles.
A la place, elle chercha des sujets de conversations plus banals, loin de ceux de la mort ou des démons, préférant chasser de son esprit la gravité de cette soirée. Semblant du même avis, Sammiel et Daïn ne tentèrent pas de revenir aux discussions précédentes et ils échangèrent tranquillement.
Sammiel parut fasciné et curieux à l'évocation des elfes de glace, à l'inverse de Daïn qui ne se sentait que moyennement concerné par ce genre d'exposés. En revanche, il se montra bien plus impliqué dans la conversation lorsque Richa évoqua ses difficultés à découvrir des indices sur ses origines.
Le sourire qu'il lui offrit en lui assurant qu'elle réussirait à trouver les réponses qu'elle espérait était celui d'un grand frère, certainement des comportements qu'il avait adoptés en réflexe en s'occupant de Sammiel. Richa lui rendit un sourire timide, quelque peu gênée, mais également touchée.
La conversation ne put cependant se prolonger plus longuement car elle fut interrompue par quelque chose émanant du sac de Richa. Cette dernière perçut quelque chose s'en dégager sans qu'elle ne puisse identifier quoi exactement.
Vérifiant de quoi il s'agissait, elle fouilla dans son sac. Ses doigts rencontrèrent rapidement la surface légèrement tiède de sa pierre de contact. Elle l'avait oubliée avec les derniers événements.
Sur le disque poli noir se détachaient des lettres dorées qui formaient un message :

J'espère que tu te portes bien.
Je fais face à une situation qui me pose quelques difficultés à Ferdale et je me suis souvenu de ta promesse. Si tu considères toujours avoir une dette envers moi, rejoins-moi à Ferdale. Je t'attendrai dans les quartiers ouest. L'établissement s'appelle La Mine des Plaisirs.
Yennaël.