Chapitre 9 - Les trois femmes elfes [1/2]
La tête douloureuse pour un réveil difficile, le second de la sorte en trop peu de temps, Richa revint lentement à elle.
Sa gorge encore douloureuse et le sang qu'elle sentait coller quelques mèches à son front lui rappelèrent sa confrontation avec Jonathan.
Les vampires étaient-ils réellement aussi puissants que ce dont elle avait pu avoir un aperçu ? Dans ce cas, n'aurait-elle pas dû hériter d'une partie de cette force ?
Elle qui se sentait en confiance, inarrêtable, après avoir triomphé des elfes des Monts de Fer, son assurance venait de la mettre en très mauvaise posture. Elle continuait pourtant à penser que ses compétences en tant que demie-elfe auraient dû suffire pour lui permettre d'affronter un vampire. Surtout avec ses pouvoirs, qui ne s'étaient pas déclenché alors que Jonathan l'étranglait, ce blocage les ayant empêché de jaillir et n'ayant pu trouver la concentration nécessaire pour le surmonter.
L'avantage était que Jonathan ne comptait certainement pas la conduire sur un bûcher, bien qu'elle ignorait totalement les intentions qu'il entretenait à son égard mais les quelques suppositions qu'elle pouvait émettre la faisaient frissonner.
S'échapper de cette demeure troglodyte ne devrait cependant pas s'avérer plus difficile que de neutraliser toute une troupe de la Flamme Blanche tout en sauvant un autre fugitif. Ici, elle ne se trouverait face qu'à un unique adversaire, et elle pourrait probablement espérer une corrélation de circonstances favorables à sa situation.
D'ailleurs, si elle avait su, elle aurait laissé ce cyclope enchainé, il se serait expliqué avec les Hommes Blancs lorsqu'ils auraient eu repris conscience, mais il était à présent trop tard pour regretter ses choix, ils étaient faits.
Elle comprenait néanmoins mieux pourquoi le cyclope n'avait cessé de lui adresser ces regards semblant la surveiller : il craignait que sa monnaie d'échange ne lui échappe et qu'il n'ait aucun élément pour négocier avec Jonathan, bien qu'elle ne saisissait pas pourquoi une recommandation pour se rendre aux Terres de Sang, qu'elle savait être le plus grand royaume de l'Enclave, situé tout à l'ouest du continent, revêtait une si grande importance. Ses pensées s'égarèrent un instant vers les nains des Monts de Fer qui l'avaient justement mise en garde sur le fait qu'être traqués par une menace semblable, la Flamme Blanche, ne rendait pas nécessairement les Humcréas solidaires et qu'elle ne pouvait accorder sa confiance à quelqu'un au seul motif qu'il partageait sa nature, mais elle avait été aveuglée par son désir et son besoin de réponses sur ses parents et ses origines, elle s'était laissé manipuler, trop obsédée par sa quête pour se méfier ou réfléchir davantage.
Dans tout les cas, elle souhaitait pouvoir à nouveau rencontrer ce cyclope pour lui signaler qu'elle n'était certainement pas un objet qu'on pouvait vendre ou échanger.
Pour ce faire, il lui fallait d'abord échapper à Jonathan, et son plan pour ce faire commençait par reprendre pleinement possession de ses moyens et évaluer son environnement.
Tout le corps alourdis, elle s'obligea à se réveiller alors que les brumes du sommeil s'enroulaient autour d'elle, s'accrochant aux quelques bribes de conscience qu'elle trouvait à travers ces quelques réflexions.
Elle s'abstint de réellement manifester un quelconque signe de son éveil, car alors qu'elle luttait pour soulever ses paupières qui lui paraissaient brodées de plomb, elle capta quelques paroles à proximité d'elle.
Il ne s'agissait pas de la langue sifflante et rapeuse dont avait usé Jonathan mais d'un langage complexe aux syllabes paraissant s'enrouler sur elles-mêmes qu'elle avait déjà entendue, chez les elfes des Monts de Fer. De l'elfique. On parlait elfique juste à côté d'elle.
Se concentrant davantage, elle différencia trois timbres féminins qui s'interrogeaient à son sujet : comment allait-elle, que lui était-il arrivé, quand allait-elle se réveiller et comment s'était-elle retrouvé ici dans cette situation. Elle releva également le terme de ''sang-mêlé'' ainsi que plusieurs occurrences à un ''il'', qu'elle supposa faire référence à Jonathan, notamment lorsque l'une des voix grogna qu'il cherchait encore à en avoir d'autres, sans pour autant prononcer le nom du vampire.
L'animosité à l'égard de ce dernier que Richa percevait dans ces propos la rassura et la conforta dans l'idée qu'elle se trouvait en présence d'alliées de circonstances, même si elle préférait se montrer prudente après cette excès de confiance qui l'avait conduite dans cette situation.
Ayant récolté ces quelques renseignements, elle remua, cherchant à se relever, ne serait-ce que pour s'asseoir, mais son corps pesant peinait à se soulever, encore alourdis par l'inconscience, mais, l'aidant, des mains la saisir par les bras et d'autres se posèrent sur ses épaules pour lui permettre de se redresser.
Victime d'un étourdissement à cause de changement de position, la jeune fille soutint son crâne d'une main, les paupières encore lourdes, elle regarda autour d'elle, se forgeant visuellement une idée de sa situation.
Comme elle l'avait déterminé en écoutant, elle était entourée de trois femmes, trois jeunes elfes, bien que l'âge soit une notion fortement relative chez les elfes.
L'une avait les cheveux blonds vénitien, une autre châtains et la dernière blond cendré. Tressées à la manière elfique, leur longue chevelure laissaient apparaître leurs oreilles aux longueurs effilées ornées de fins bijoux. Leurs yeux, aux longs cils et aux couleurs intenses, la détaillaient avec curiosité, compassion mais aussi résignation. Les elfes avaient une réputation de combattants, pourtant, en étudiant leur musculature à toutes les trois, Richa remarquait aisément qu'aucune d'entre elles ne semblait l'être.
Comme pour n'importe quelle autre espèce, humaine ou humcréas, si ils ne recevaient pas d'éducation en ce sens, les elfes ne devenaient pas spontanément des guerriers, représentant alors des cibles faciles, probablement ce qu'il était arrivé à ces trois-là. Ainsi, elle paraissait être la plus apte à combattre dans cette maigre assemblée.
Pour terminer, les robes légères qu'elles portaient, toutes en voiles et en formes suggestives, décolletées, fendues ou ajourées, en dévoilant leurs épaules fines et la naissance de leur poitrine, révélaient une multitude de cicatrices épaisses marquant leur peau, certaines encore rougies d'un peu de sang coagulé, toutes identiques : deux cercles plus ou moins réguliers côte à côte.
Des morsures, et pas n'importe lesquelles, des morsures de vampires.
Ces trois femmes seraient-elles le garde-manger de Jonathan ?
Pas uniquement à en juger par la pièce dans laquelle elles se trouvaient et que Richa observa d'un large regard.
Les murs, taillés directement dans la roche, comme la très grande majorité de la demeure troglodyte, formaient une épaisse dentelle de pierre ajourée qui laissait entrevoir un couloir courant tout le tour de ce qui apparaissait comme une large cage circulaire, cage dans laquelle elles étaient toutes enfermées, et fermée par une grille forgée pour se fondre dans les motifs des parois qui les retenaient.
Son premier réflexe étant évidemment de recherche une issue, Richa se concentra sur le couloir les encerclant, noyé dans une pénombre qui ne la dérangeait pas plus que ses compagnes, et elle repéra deux escaliers placés côte à côte, l'un montant et l'autre descendant, mais rien ne permettait de deviner où ils amenaient. Contrairement au couloir, la pièce était éclairée par de hauts braseros disposés le long des murs sculptés.
Suffisamment grande, elle semblait se découper en plusieurs parties.
Pour commencer, un imposant bassin rempli d'une eau légèrement fumante sous laquelle s'enfonçaient quelques marches. Rien ne séparait ce qui était donc une baignoire du reste de la pièce, en revanche, une banquette, probablement pour y déposer ses affaires, était placée tout à côté, non loin d'une lourde coiffeuse en bois sombre au miroir carré sur laquelle étaient disposés produits de beauté, maquillage, de quoi se coiffer et bijoux, chacun rangé dans des paniers tressés. Appartenant également à cette partie de la pièce, qui semblait dédiée aux ablutions, plusieurs coffres vernis et gravés de motifs de roses se situaient non loin et Richa supposait qu'ils contenaient des vêtements.
A quelques mètres, des coussins, pour la majorité en velours foncé, s'entassaient avec plusieurs couvertures, servant visiblement à accueillir le sommeil des occupantes des lieux.
A l'opposée, une longue table, du même bois foncé que la coiffeuse, aux pieds arqués et aux rebords décorés d'une fioriture avec des formes acérées en frise, était encadrée par des chaises aux hauts dossiers étroits capitonnés de velours rouge, visiblement prévue pour une tablée plus importante que trois ou quatre personnes.
Pour terminer, on avait laissé à disposition de quoi se distraire : un chevalet avec des pots de peintures, deux plateaux de jeu, l'un qui rappelait fortement les échecs à Richa et un autre qu'elle était incapable d'identifier avec deux plateaux superposés, l'un avec des figurines humanoïdes en guise de pions et l'autre avec quatre dès à vingt faces en verre, quelques instruments de musique, flûte, luth et piano, et une longue étagère chargée de livres.
L'endroit ressemblait beaucoup trop à un harem pour que Richa ne perçoive pas une boule se former dans sa gorge. Sans compter que Jonathan semblait y enfermer uniquement des elfes, exactement ce pourquoi le cyclope pensait pouvoir la livrer en échange de la fameuse recommandation avec laquelle il avait quitté la demeure.
Evidemment, elle avait soupçonné une raison du genre lorsqu'elle avait compris que son compagnon d'infortune l'avait manipulée depuis le départ dans le seul but de la vendre mais elle ne s'attendait pas à ce que ce soit à ce point, pas à se retrouver dans un harem.
En en prenant conscience, la jeune fille s'exclama, surprenant les trois elfes, qui s'apprêtaient justement à lui demander comment elle se sentait, enchainant les jurons en elfique, spontanément :
« Oh le putain d'enfoiré de salaud de dégénéré !
- Je n'aurais pas mieux dit. Sourit faiblement l'elfe aux cheveux châtains.
- Donc, c'est quoi son truc à l'autre taré ? Demanda Richa. Trouver des elfes pour les enfermer et faire ce qu'il veut d'elles ?
- C'est à peu près ça... Souffla l'une des jeunes femmes en détournant le regard sur le côté.
- Et vous acceptez ça ? Se révolta Richa. Enfin, en même temps, vous êtes protégées de la Flamme Blanche, ici, vous avez à manger, un endroit où dormir et même des affaires.
- Parce que tu crois que nous voulons rester avec lui ? S'énerva la blonde. Nous sommes prisonnières, nous ne pouvons rien faire ! Il se nourrit de sang d'Humcréas, ça le rend encore plus puissant qu'un vampire ordinaire !
- J'en ai eu un aperçu... Reconnut Richa, comprenant pourquoi Jonathan lui avait paru si invincible. Et il y a la peur en plus. Il vous fait peur et il fait pression sur vous comme ça, surtout que vous devez être ici depuis longtemps déjà...
- Nous sommes moins nombreuses depuis que la Flamme Blanche brûle tous les Humcréas qu'elle trouve. Il n'a plus vraiment les moyens de renouveler son cheptel, il est obligé de récupérer des demies-elfes.
- Je ne crois pas que cela le dérange. Je pense même que ça l'excite d'avoir une sang-mêlé, elfe et vampire.
- Je suis toujours là, signala Richa qui n'appréciait que moyennement qu'on parle d'elle comme si elle n'était pas présente, et il est pas question que je le laisse faire ses petites affaires avec moi.
- Il ne te laissera pas le choix, ma belle.
Richa secoua négativement la tête de gauche à droite, incapable d'articuler une syllabe supplémentaire à cause de sa gorge qui se nouait soudainement alors que la raison pour laquelle elle avait accepté d'accompagner le cyclope jusqu'ici, la raison pour laquelle elle avait été si facilement manipulable, revenait subitement la frapper.
Elle était venue rechercher ses parents, une piste sur ses origines, car le cyclope lui avait affirmé qu'il connaissait un vampire ayant tendance à fréquenter des elfes, or, il n'avait pas menti à ce propos.
Effectivement, elle ne pouvait que constater que Jonathan entretenait des relations avec des elfes, même si elles n'étaient pas réellement consenties. Des relations susceptibles d'aboutir à la naissance d'un enfant au sang-mêlé. Dans cette optique, Jonathan pouvait possiblement être son père et, sa mère, l'une de ses concubines elfiques.
La tête lui tournait soudainement, de violents haut le cœur agitaient son estomac et elle percevait déjà le goût écœurant de la bile sur sa langue en annonce de la nausée qui montait.
Elle ignorait cependant si ce profond dégoût provenait du fait d'envisager qu'elle était née du viol d'une femme séquestrée et que son père était un homme dérangé comme Jonathan ou de l'idée des intentions que ce dernier entretenait à son égard, alors qu'elle le soupçonnait d'être son géniteur. Dans tout les cas, elle se sentait particulièrement mal à cause de ces hypothèses.
A côté d'elle, l'elfe à la chevelure blond vénitien la soutint d'un bras réconfortant autour de ses épaules et elle se tourna vers sa compatriote blonde à qui elle reprocha de s'être montré trop dure et trop peu compréhensive envers la jeune demie-elfe, mais cette dernière ne lui en voulait pas, comprenant qu'une existence pareille, enfermée à la merci des pulsions de leur geôliers, rendait agressive car malheureuse. Sans compter que ce n'était nullement à cause du manque de délicatesse de l'une de ses interlocutrices qu'elle avait brusquement pâlie et semblait sur le point de défaillir.
Elle ne parvint pourtant pas à le signaler, ses mots bloqués par la boule obstruant son œsophage et elle ne put que secouer la tête à nouveau, ce qui ne fit que renforcer sa nausée.
Culpabilisant pour cette violente réaction, qu'elle attribuait par erreur à ses paroles brusques, l'elfe blonde lui apporta de l'eau dans un verre en cristal.
La remerciant d'un hochement faible du menton, Richa avala le contenu d'une traite. La fraicheur de l'eau l'apaisa quelque peu et aida à faire légèrement refluer sa nausée, mais elle continua à avoir la sensation que le sol tanguait autour d'elle.
Avec de profondes inspirations, elle s'efforça de se calmer et assura aux elfes autour d'elle que tout allait bien, même si elle surestimait son état en déclarant cela.
Passant une main dans ses cheveux, elle se donna une contenance en se répétant mentalement que tout allait bien se passer, même si elle savait qu'elle se mentait à elle-même et qu'elle prétendait cela uniquement pour se rassurer et retrouver ses moyens, ce qui lui semblait absolument nécessaire en ces circonstances.
Tout en se forçant ainsi à s'apaiser, elle chercha à puiser de la force dans les visages endurcis de douleur des trois femmes elfes et les fixa.
Une évidence la frappa alors qu'elle les observait. Si Jonathan était possiblement son père, l'une de ces trois femmes était peut-être sa mère.
Cette hypothèse lui donnait le tournis.
Prolongeant son examen visuel avec davantage de précisions, elle rechercha des similitudes entre ses propres traits et les leurs. Elle s'arrêta un peu plus longuement sur le visage de la jeune femme aux cheveux blond vénitien car ses yeux étaient verts, vert prairie, pas un vert émeraude, ou malachite selon les avis, intense comme les siens, mais cela pouvait être considéré comme un indice, et, par ailleurs, elle était celle qui se montrait la plus soucieuse à son égard actuellement.
En les détaillant, son regard se posa évidemment sur les marques de morsures que leur gorge et leurs épaules comportaient et l'idée de ce que Jonathan lui réservait revint à nouveau la perturber.
Dans un réflexe, persuadée qu'elle allait vomir à présent, elle se dégagea des bras de l'elfe et elle se laissa lourdement tomber vers l'avant. Elle ne régurgita pourtant pas, son estomac se contractant bien trop pour cela.
A la place, elle annonça d'une voix hachée, plus pour prononcer verbalement ce que son esprit peinait à formuler à cause de ses violentes émotions :
- Je...je suis venue chercher mes parents...alors... Laissant sa phrase en suspend, Richa posa un regard insistant sur chacune de ses interlocutrices.
- Désolée, ma belle, répondit la blonde en comprenant la question silencieuse de la jeune fille, aucune d'entre nous n'a jamais porté l'enfant de ce salaud (se tournant vers sa compagne à la chevelure châtain, demeurée la plus silencieuse jusqu'ici, et qui, actuellement conservait le regard baissé et les mains serrées sur son ventre, elle ajouta:) du moins, vivant.
- Je...je ne pouvais, murmura l'elfe alors que Richa la fixait, comme elle avait compris l'insinuation précédente. Que Kaëv'ah me pardonne pour la mort d'un sang-mêlé et que Hirillëë me comprenne...
- Je suis désolée... Souffla Richa, navrée d'avoir soulevé ce sujet douloureux et comprenant que la survie des sang-mêlé s'avérait plus difficile que pour les autres Humcréas et qu'elle avait eu de la chance d'en arriver jusqu'où elle en était maintenant.
- Cependant, poursuivit la blonde, nous ne sommes pas les seules à avoir été ici, quoi que soit devenu les autres... Peut-être que l'une d'entre elles a donné naissance...mais, sincèrement, je te souhaite de ne pas être l'enfant de ce monstre.
- Donc, il est le seul susceptible de savoir. »
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