Chapitre 7 - Vaincre avec péril mais sans gloire [1/2]
Couchée en travers d'une des selles de cuir teinté de blanc, la poitrine écrasée contre le dos du cheval, et l'estomac remonté dans sa gorge en une nausée à cause des balancements de la démarche de l'animal et des cahots du chemin poussiéreux qui défilait sous ses yeux, avec les sabots ferrés en périphérie de son champ de vision, la position rendue encore plus inconfortable par les liens trop serrés, Richa s'efforçait de compter aussi soigneusement que possible les kilomètres qu'ils parcouraient, elle, les douze Hommes Blancs et leur captif cyclope, pour évaluer leur position et le temps qu'il leur restait avant qu'ils n'atteignent Doppling et son poste de la Flamme Blanche. D'après son estimation, ils franchiraient l'orée de la forêt dans la soirée, ce qui ne lui laissait plus quelques heures pour agir, mais cet ultimatum ne l'aidait pas réfléchir plus posément et efficacement, pressée par l'urgence.
A rajouter à cela, le regard du cyclope qui pesait sur elle dans l'attente qu'elle fasse quelque chose pour se libérer de cette situation précaire.
Avançant à l'arrière de la troupe, trainé par l'une des montures à laquelle il était relié par de solides chaînes, il fixait la jeune fille à qui il semblait entièrement s'en remettre, ne comptant apparemment pas agir ni prendre l'initiative pour plutôt la laisser gérer et organiser leur fuite.
Il aurait pourtant été plus logique qu'il agisse. Avec sa carrure imposante et sa taille de deux mètres, il semblait davantage calibré pour s'opposer à ce groupe armé monté sur des déstriers que Richa, avec son gabarit fluet qui, certes, dissimulait sa véritable force, mais même sa position apparaissait comme moins avantageuse que celle de son compagnon d'infortune, qui ne paraissait pas s'en apercevoir, ou alors s'en moquait, laissant la jeune fille s'exposer au risque en cherchant à les libérer tous les deux.
Sauf qu'elle n'avait pas la moindre idée de comment faire, ne parvenant pas à élaborer un plan d'évasion.
Comment se débarrasser de ces douze guerriers ?
Seule, elle aurait peut-être pu se jeter du dos du cheval et espérer semer ses poursuivants entre les arbres en se cachant dans la forêt, pariant sur le fait qu'elle ne se blesserait pas dans la chute, mais elle devait également libérer le cyclope et réussir à s'enfuir avec lui sans risquer de se faire rattraper par les Hommes Blancs, ce qui compliquait grandement sa tâche, comme elle ne pouvait pas réellement se permettre de simplement improviser en espérant s'en tirer.
De toute manière, elle ne pourrait pas tenter quoi que ce soit tant qu'elle serait aussi étroitement ligotée.
Ayant évidemment été désarmée durant son inconscience – elle voyait ses deux dagues à la ceinture d'un guerrier qui chevauchait à côté de la monture où elle gisait et elle tenait à les récupérer – la seule chose sur elle susceptible de trancher ces liens étaient ses longues canines acérées mais, le bâillon, ses poignets liés dans son dos et la position dans laquelle elle était placée sur le cheval l'empêchaient de porter les cordes à sa bouche.
Sans compter qu'au moins l'un des douze Hommes Blancs risquait de la repérer et de la stopper, avec brutalité comme cela semblait être dans leurs méthodes.
A moins qu'elle ne se créer l'occasion de le faire, en se faisant retirer le bâillon et isoler du gros de la troupe.
Les Hommes Blancs ne se souciaient certainement pas de sa santé, au contraire, mais peut-être s'en préoccuperaient-ils davantage si son état se révélait incommodant pour eux.
Les ballottements qu'elle subissait sur cette montures en lui provoquant des hauts le cœur pouvaient finalement s'avérer utiles. Cherchant à augmenter cette nausée coincée dans sa gorge, elle se concentra dessus tout en fixant les sabots du cheval dont les mouvements répétitifs lui faisaient tourner la tête, contribuant à son envie de vomir, et elle s'efforça de songer aux choses les plus écœurantes qu'elle avait connues, de sa cuisine aux regards arrogants de ces elfes des Monts de Fer.
Ce qui fut efficace puisque, après quelques minutes de ces efforts, sa nausée jaillit et elle régurgita le contenu de son estomac, qui commençait d'ailleurs à se faire maigre, mais, bloqué par le tissu, qui s'en imprégna, une partie stagna dans sa bouche en s'écoulant dans sa gorge en sens inverse, ruissela sur ses joues, éclaboussa son nez, entretenant sa nausée, qui continua à se manifester.
L'avisant, le cavalier qui la transportait sur son destrier jura avant de prévenir les autres du problème, alors que Richa continuait à vomir en des hauts le cœur répétés et incontrôlables, tachant la robe immaculée du cheval.
Si l'un de ses compagnons lui dit de simplement l'ignorer dans un haussement d'épaules, un autre devina bien que poursuivre leur chemin dans ces conditions, ne serait-ce que pour l'odeur, réduirait leur confort, et il déclara qu'ils allaient faire une pause, le temps qu'elle se remette et qu'elle ne le dérange plus.
Entre deux vomissements, Richa sourit, satisfaite d'avoir réussi et de ne pas s'être infligé cette humiliation pour rien.
Obéissant, la troupe quitta le maigre chemin tracé à force de passage répétés en direction du village à proximité, et, pendant que la majorité des Hommes Blancs en profitait pour faire quelques pas, se délassant les muscles après cette chevauchée de quelques heures déjà, pour se désaltérer ou se sustenter, le dernier chargea Richa sur ses épaules, non sans se plaindre, grommelant et jurant contre cette tâche ingrate et répugnante.
Toujours attaché, n'ayant pas le droit de bénéficier d'un traitement de faveur en tant que prisonnier, le cyclope vrilla un regard stupéfait sur Richa, impressionné qu'elle soit parvenue à stopper leur groupe, même si, actuellement, elle, elle ne se sentait guère fière, bien au contraire. Elle se sentait sale et répugnée par son propre comportement, d'avoir dû en arriver à une pareille extrémité si dégradante.
Si cette véritable humiliation publique leur permettait de s'échapper, le cyclope et elle, la fin justifiait probablement les moyens et elle pouvait certainement sacrifier un peu de sa dignité pour survivre.
Transportée sur les épaules de l'homme, Richa fut amenée à l'écart entre les arbres avant d'être brutalement déposée au sol où elle étouffa une exclamation de douleur.
Du bout des doigts, répugné par l'état du tissu, ce que Richa pouvait parfaitement comprendre, l'Homme Blanc lui arracha son bâillon qu'il jeta plus loin.
L'estomac encore quelque peu retourné, la jeune fille rendit gorge une dernière fois sur le sol puis elle se retourna pour vérifier où était le reste du groupe, qu'elle apercevait sous forme de taches blanches à travers les troncs, pour s'assurer que personne ne s'intéressait à elle, la pensant sous la garde étroite de son gardien.
Ce dernier s'approcha vers elle, une grimace dégoûtée sur le visage, avec l'intention de la remettre sur ses pieds de force.
Dès que la main qu'il tendit vers elle apparut dans son champ de vision, elle la mordit violemment, enfonçant l'une de ses canines profondément dans la chair alors que l'autre heurtait un os.
Avant que l'homme ne hurle, de douleur ou pour avertir ses compagnons, profitant de son effet de surprise et de sa rapidité supérieure, elle tira brutalement cette main qu'elle tenait entre ses dents, forçant l'homme à se pencher fortement, et elle faucha ses jambes des siennes ligotées, comme si il ne s'agissait que d'un seul membre, se laissant chuter sur le flanc pour se faire, puis, une fois qu'il fut à terre à côté d'elle et à sa hauteur, elle appuya ses coudes sur sa gorge, juste au niveau de sa pomme d'Adam, bloquant sa respiration et sa voix, l'empêchant de prévenir qui que ce soit.
Il ne se laissa cependant pas faire pour autant.
Au contraire, il dégaina un poignard, plus aisé à manier dans cette situation que sa longue épée, dont il chercha à frapper Richa.
Ses mouvements alourdis par le manque d'oxygène et sa précision réduite et Richa ayant le réflexe d'esquiver en se déportant sur le côté, il manqua sa cible et, entraîné par son élan, il termina son mouvement en se tournant de moitié sur le côté, délogeant Richa qui, entravée par les cordes, ne pouvait maintenir son équilibre.
Se pressant de réagir avant qu'il ne reprenne son souffle ou ses esprits pour réclamer des renforts, elle lança ses pieds directement au visage de l'Homme Blanc qui retomba face contre terre, inerte.
La jeune fille ignorait si elle l'avait réellement assommé et donc neutralisé mais elle ne perdit pas de temps à vérifier, pas avant de s'être libéré de ses liens.
Ramassant le poignard, que l'Homme Blanc avait échappé en s'affaissant, comme elle le put avec ses mains attachées, elle glissa difficilement la lame entre la corde et son poignet, s'entaillant superficiellement la peau, avec une certaine maladresse et en se tordant le cou pour apercevoir ce qu'elle faisait exactement par-dessus son épaule. Jamais elle n'aurait pensé que sectionner des cordes s'avérerait si ardu et les longues secondes que cela nécessita l'angoissèrent alors qu'elle craignait qu'un des guerriers de la troupe ne remarque quelque chose.
Une fois ses poignets libérés, il fut beaucoup plus aisé de trancher les autres liens qui la retenaient, puis elle bondit sur ses pieds en vacillant légèrement, son équilibre perturbé par ce soudain changement d'appuis.
D'un revers de la manche, elle s'essuya le menton et la bouche avant de cracher parmi les feuilles mortes pour tenter de se débarrasser du goût infecte qu'elle avait sur la langue, sans grand succès.
Alors qu'elle cherchait ainsi à se nettoyer sommairement, elle repensa au regard étincelant d'admiration de Vinciane alors qu'elle lui confiait que la manière dont elle avait guidé la police jusqu'à elle lors de son enlèvement par Mikhail l'avait impressionnée ainsi qu'à la façon dont on dépeignait l'ingéniosité et les actions des héros dans les récits, louant leur force, leur courage et leur intelligence.
Sauf que, apparemment, cela venait de l'aspect romancé de ces histoires ou bien du fait que Richa n'avait absolument rien de ce genre d'héroïnes épiques, mais, dans tout les cas, il n'y avait rien de glorieux, de remarquable ou d'éclatant, rien d'héroïque, dans la stratégie qu'elle s'était résolu à appliquer, plutôt quelque chose d'humiliant et de répugnant, même quelque chose de ridicule pour lequel il lui avait fallu oublier son amour-propre. Même son affrontement avec l'Homme Blanc s'était davantage rapproché d'une rixe, certes violente, à la sortie d'une taverne, pour un différend alcoolisé.
L'important était cependant qu'elle se soit libéré.
Se tournant vers l'Homme Blanc toujours inerte, elle lui asséna un coup du manche de son poignard au crâne, s'assurant qu'il demeurerait inconscient, puis elle le délesta de son épée et passa son poignard à sa ceinture.
Ne prenant pas le risque de s'approcher du reste de la troupe à découvert, elle se hissa dans les branchages d'un des arbres des alentours, la lame de l'épée dans son dos, coincée entre le tissu de sa tunique et la fourrure doublant son gilet de cuir, et observa le groupe à présent composé de onze guerriers, de douze montures et du cyclope toujours entravé.
Bien qu'assez grotesque, son combat contre l'Homme Blanc lui avait permis de constater que, même ligotée, elle pouvait avoir l'avantage sur un adversaire humain, notamment grâce à sa vélocité et à ses mouvements imprévisibles, et elle se sentait donc plutôt en confiance face à la troupe, mais elle s'efforçait néanmoins de brider son impulsivité pour construire au moins une base de plan pour se débarrasser des guerriers en blanc, car, même avec ses capacités de demie-elfe, elle n'aurait probablement pas pu faire face à onze ennemis directement.
Le plus prudent, ce qui lui assurerait le plus de chances de victoire, était de séparer le groupe et le désolidariser ou de faire en sorte de rendre ses adversaires moins en mesure de se défendre, déjà blessés, désarmés, ou même déjà inconscient lorsqu'elle passerait à l'attaque.
Pour ce faire, la meilleure solution lui paraissait être ses pouvoirs, bien qu'elle apparaissait également comme la plus hasardeuse. La maîtrise de sa magie demeurait toujours aléatoire à cause de ce blocage qui persistait et la façon la plus certaine pour user de sa magie restait de la faire réagir sous le coup de ses émotions, bien que les effets en étaient évidemment plus incontrôlables.
Installée dans une fourche, elle focalisa son regard sur les Hommes Blancs, qui commençaient à s'impatienter en se demandant ce que faisait leur collègue.
Les fixant, Richa n'eut même pas à se forcer pour faire se réveiller une quelconque émotion car, rien qu'à regarder leur uniforme immaculé, elle revoyait les bûchers dressés, ceux de ses cauchemars – qui s'étaient d'ailleurs apaisé depuis son arrivée dans l'Enclave – aussi bien que ceux qu'elle avait découverts sur les Iles Blanches et elle entendait les échos des hurlements de souffrance des Humcréas suppliciés, ce qui provoquait en elle une forte colère, qui ne s'était pas manifesté précédemment depuis sa capture, uniquement car elle avait été trop affaiblie ou qu'elle était trop concentrée sur un moyen de s'échapper de cette situation pour y céder.
A présent, elle envahissait chaque fibre de son être alors qu'elle se libérait suffisamment l'esprit pour qu'elle repense aux violences que ces hommes faisaient subir aux Humcréas au seul motif de leur différence tout en se croyant tout aussi immaculés que leurs vêtements.
Y répondant presque immédiatement, bien que ce soit plus précisément à sa magie réveillée par sa colère que la météo réagissait, un coup de tonnerre résonna au-dessus de son crâne, tout proche, et un vent puissant se levait en agitant les branchages de la forêt auxquels il arrachait les feuilles en les charriant.
Surpris et s'étonnant de ce soudain changement de temps, les Hommes Blancs regardèrent autour d'eux, le visage levé vers le ciel, qui pesait soudainement sur leur crâne d'une lourde chape nuageuse.
Un nouveau grondement résonna entre les troncs, qui en tremblèrent, encore plus puissant que le précédent, et une branche s'écrasa au sol au milieu de la troupe, brisée par la violence du vent qui se déchainait dans la forêt.
Affolés par cette subite fureur des éléments, les chevaux, qui, parfaitement dressés et disciplinés, n'étaient pas attachés, hennirent et s'agitèrent, piaffant et trépignant, et ce fut véritablement la panique lorsqu'un éclair bleuté s'abattit à quelques mètres, sur un arbre, qui, carbonisé directement en quelques secondes, chuta sur l'un des guerriers à proximité, lui bloquant les jambes, dont l'une se brisa certainement, en l'immobilisant.
Deux de ses compagnons se précipitèrent pour l'aider à se dégager, cherchant à soulever le tronc, alors qu'un autre s'approchait des montures pour les calmer, mails il n'en eut pas l'occasion car l'un des chevaux se cabra soudainement lorsqu'il fut à côté, le frappant au front de son sabot ferré.
Sur sa branche, Richa sourit.
A présent, la troupe comptait trois guerriers de moins, et ses pouvoirs continuaient à se déchainer avec l'orage qui éclatait juste au-dessus d'eux.
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