Chapitre 5 - Humcréas défunts [2/2]

Cette branche, dont le son indiquait qu'elle s'était brisé sous un pas, pouvait très bien l'avoir été sous la patte d'un animal, comme ceux-ci ne la craignaient pas, mais le juron étouffé à voix basse qu'elle capta grâce à l'ouï sensible de ses longues oreilles d'elfes ne fut certainement pas prononcé par une biche.
Tournant sur elle-même pour vérifier les lieux d'un large regard circulaire, elle repéra plusieurs déplacements autour d'elle ainsi que des taches blanches entre les arbres.
Visiblement, elle n'était pas la seule dans les parages du cimetière, pourtant, elle n'avait perçu aucune présence en s'approchant.
Ces personnes seraient-elles arrivées après elle, lorsqu'elle était trop absorbée par l'atmosphère des lieux pour y être attentive ?
Peut-être s'agissait-il d'Humcréas venus en visite mais Richa n'y croyait pas. Son instinct lui affirmait que c'était tout autre chose auquel elle ferait bien de se préparer.
Sur ses gardes, les muscles bandés, prête à réagir, elle dégaina la première de ses dagues, prête à en faire usage, mais, à peine s'en fut-elle emparée – une simultanéité parfaite s'avérant impossible à cause de la vélocité de son mouvement – qu'elle entendit un sifflement se diriger vers elle.
D'un bond souple, elle évita aisément la trajectoire du projectile, pour comprendre qu'elle venait de se placer sur celle d'un autre seulement lorsqu'elle le reçut à la tempe et que la douleur explosa brièvement dans son crâne avant qu'un voile rouge ne descende sur sa vision et qu'elle sombre dans une inconscience obscure.
Stupidement tombée dans un piège qu'elle n'avait pas prévu.
Combien de temps dura son inconscience ? Cela aurait pu aussi bien être une seconde que toute une journée, une semaine ou une heure, Richa était bien incapable de le déterminer, mais c'était le principe de l'inconscience : ne pas avoir conscience de ce qu'il se produisait autour de soi.
Elle recommença lentement à percevoir à nouveau ce qui l'entourait.
D'abord, son propre corps, chaque partie, particulièrement son crâne qui pulsait d'une forte douleur, qui n'était pas due à une migraine, et elle remarqua qu'elle se trouvait dans une position peu confortable, avec les jambes serrées l'une contre l'autre et les bras tordus dans son dos sur lequel elle était allongée, renforçant son inconfort, sans parvenir à en changer.
Ensuite, elle capta les odeurs, celle d'humus, de feuilles et de bois, une odeur de forêt, la même que depuis trois jours, mais quelque chose s'y rajoutait. Elle sentait également la sueur âcre et les chevaux.
D'ailleurs, elle les entendait piaffer non loin, en plus du bruissement du vent dans les feuilles tout autour d'elle et de différentes voix qui s'entretenaient sans élever le ton, si bien qu'elle ne saisissait pas les propos échangés, mais certainement était-ce davantage à cause de la douleur cognant avec insistance dans sa boite crânienne qu'à cause de la distance ou d'un ton faible.
Après les sensations, revinrent les souvenirs des derniers événements, le cimetière et la façon dont elle était lamentablement tombée dans cette embuscade.
Ses attaquants, quels qu'ils soient, s'étaient entendu pour la neutraliser. Pendant que le premier l'avait visée, probablement avec une fronde, le second avait évalué le déplacement qu'elle aurait à faire pour décocher son coup avant même qu'elle ne bouge et ainsi la toucher.
Quelle idiote !
Encore une fois, il allait falloir qu'elle apprenne à se concentrer de manière à mener un combat sur plusieurs fronts à la fois.
Elle voulut porter une main à son front mais elle ne parvint pas à lever son bras jusque là et elle ne put qu'émettre un faible gémissement qu'elle jugea pitoyable.
Sa tentative de mouvement accompagnée de ce gémissement traduisirent son éveil, ou, en tout cas, sa lente reprise de conscience, parler d'éveil étant quelque peu surestimer son état, et, y réagissant, quelqu'un se pencha vers elle, elle le perçut par le déplacement à proximité et par la présence invasive qu'elle sentit, puis on l'appela, mais, encore à moitié sans connaissance et n'en ayant également pas actuellement très envie dans cet état, elle ne réagit pas.
Insistant, l'autre, que Richa identifia comme un homme par son timbre, lui donna un coup contre l'épaule, plutôt brutalement en continuant à l'appeler dans des murmures.
Les dernières brumes de l'inconscience se dissipant et réalisant que, comme ses derniers souvenirs étaient ceux venant de remonter à sa mémoire, sa situation devait probablement être précaire, bien que son esprit demeurait lourd, elle ouvrit les paupières pour se découvrir solidement ligotée par d'épaisses cordes et, plus particulièrement, la personne qui se tenait au-dessus d'elle.
De surprise et par réflexe, ne s'attendant pas à cela, elle eut comme un vif mouvement de recul, qui fut bloqué par sa position, en avisant le colosse penché sur elle.
Sa taille avoisinait les deux mètres, mais Richa peinait à l'évaluer précisément comme il était assis, et ses bras aux muscles gonflés semblaient éclater le tissu de sa chemise à lacets en lainage grossier, tout comme son large cou de taureau.
Sa peau avait une étrange teinte et tirait sur le bleutée, couleur qui ressortait avec le noir de ses cheveux noués sur sa nuque, mais, le plus frappant, ce qui avait fait réagir Richa de la sorte, était ses yeux, du moins, son œil, puisqu'il n'en possédait qu'un seul. Non pas pas qu'il soit borgne.
A l'emplacement habituel des yeux, il n'y avait qu'un léger creux entre les pommettes et l'arcade sourcilière, d'ailleurs dépourvue de sourcil, et son unique œil, imposant, en amande et bleu ciel mais rougi de pleurs, trônait au-dessus de son nez, au milieu de son front.
Si, lors de sa rencontre avec les nains, elle avait été incapable de nommer leur espèce comme ils ne correspondaient nullement à l'image qu'elle en avait alors, elle devina immédiatement que ce qu'elle avait face à elle était un cyclope.
Comme elle, il était solidement entravé par des cordes, mais avec plus de nœuds qu'elle, certainement pour contenir la force incroyable que devait receler cette puissante musculature.
A défaut donc de pouvoir tendre les mains vers elle, les poignets attachés dans le dos, il aida Richa à se redresser par des coups d'épaules, qui se voulaient légers et délicats, sans violence, mais qui s'avérèrent plutôt brutaux pour elle.
Dans un grognement, la jeune fille s'installa en position assise, sa tête résonnant d'une douleur subitement plus aiguë avec ce changement de position.
Clignant des paupières, luttant contre son envie de se laisser retomber au sol, vacillant légèrement, peinant à se maintenir à cause de sa faiblesse, elle observa les alentours.
Autour d'elle, s'élevait toujours les hauts arbres mais elle n'apercevait plus ceux, plus modestes, du cimetière. Elle se trouvait donc toujours dans la forêt mais on l'avait déplacée.
Attachés à des troncs non loin, elle repéra les chevaux qu'elle avait entendus à travers les brumes de son inconscience. Tous étaient des purs sang à la robe blanche immaculée sur laquelle la selle de cuir teintée de blanc ne tranchait pas, tout comme leur longe ou leur mors.
Ces montures si blanches lui indiquèrent sans le moindre doute entre les mains de qui elle était tombée, même si elle l'avait déjà compris, sans avoir à tourner le regard sur les hommes intégralement vêtus de blanc avec de larges tuniques pourvues de capuches et des pantalons légèrement bouffants, réunis à quelques pas et qui échangeaient sur leurs prises du jour.
Richa supposait que les prises en question étaient elle et son compagnon d'infortune à l'œil unique.
Elle qui s'était promis de se montrer d'une prudence extrême par rapport à la Flamme Blanche, elle était tombée dans son piège.
Epiant la conversation que les Hommes Blancs, nom qu'on donnait aux guerriers de la Flamme Blanche comme le lui avait appris Anna'ën, menaient, elle découvrit qu'ils tendaient régulièrement des embuscades autour des anciens lieux hautement fréquentés par les Humcréas, ce qui fonctionnait, visiblement, comme elle était à présent leur prisonnière.
Apparemment, ils comptaient les conduire à Doppling, un village de taille moyenne à l'orée de la forêt, pour s'entretenir avec leurs supérieurs au poste de la Flamme Blanche qui s'y trouvait, comme dans chaque ville et village de chaque royaume sous la juridiction de l'organisation, et décider si ils les amenaient jusqu'aux Iles Blanches pour servir de combustible pour l'une des spectaculaires exécutions s'y tenant ou si ils se contentaient de simplement les brûler directement surplace.
Perspectives fort réjouissantes, mais, à choisir, Richa préférait la première possibilité. Le voyage jusqu'aux Iles Blanches lui offrirait davantage d'occasions de s'échapper, car elle ne comptait certainement pas se résigner en attendant son sort. Elle allait montrer à la Flamme Blanche ce que c'était que de la résistance humcréa.
Pour commencer, elle devait endormir la méfiance de ses geôliers en minimisant le danger qu'elle représentait, ce qui allait probablement s'avérer assez simple, puisque, encore quelque peu assommée, elle s'était affaissé contre le cyclope sans même le vouloir ou s'en apercevoir, sa faiblesse paraissant déjà évidente et elle insisterait encore davantage sur cet aspect.
Vérifiant par-dessus son épaule que les Hommes Blancs ne les surveillaient que sommairement, occupés à converser, le cyclope se pencha ensuite vers elle pour lui demander dans un murmure d'une voix rauque :

« ça va ? Tu saignes...
- Oh ouais, je crois que j'ai reçu une pierre en pleine poire, répondit Richa d'un ton trainant. Ces enfoirés manient bien la fronde. Je me suis fait avoir comme une conne, bordel !
- Moi aussi, tu sais. Seulement, c'est pas facile de se cacher de la Flamme Blanche quand elle contrôle tout...
- Ouais, je suppose qu'on se console comme on peut. Je m'appelle Richa, au fait.
- Parce que ça a encore une importance, les noms, quand on va brûler vif ?
- Je vais sûrement pas brûler et c'est pas ces guignoles en blanc qui vont me garder prisonnière. Je vais m'échapper.
- Comment ? Bondit le cyclope, son regard éteint luisant soudainement d'espoir.
- J'en sais rien encore. Je viens de me réveiller, j'ai pas encore pu y réfléchir, mais je vais trouver un moyen, et je vais y arriver parce que j'ai encore des choses à faire. Ouais, la petite sang-mêlée compte bien mettre la main sur ses parents.
- Sang-mêlée ? Je pensais que tu étais une elfe.
- A moitié, l'autre moitié est vampirique.
- Je...je connais un vampire qui fréquente souvent des elfes, depuis longtemps. Il vit pas loin. J'allais justement le voir quand je me suis fait capturer. Il a peut-être un rapport avec toi. Si...si tu m'aides à m'échapper, je t'emmènerais le voir ! »

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