Chapitre 4 - Le temple de l'ordre de Kall'ghan [2/3]
Après avoir enchaîné plusieurs pièces, qui la séparaient de la fresque, Richa stoppa, les jambes tremblantes, et prit appuie contre l'un des murs, qui parut ébranlé par son poids, en se raisonnant.
Il paraissait impossible que quelqu'un vive encore en ces lieux en ruines. Ils ne contenaient plus rien, à part les traces de l'ambition de fous qui s'était achevé particulièrement brutalement. Personne n'avait cherché à l'éliminer.
D'ailleurs, pourquoi souhaiterait-on s'en prendre à une fille de Kall'ghan – même si elle n'avait pas encore de confirmation d'en être une, elle en possédait au moins l'apparence par sa nature de sang-mêlé elfe-vampire – qui revenait dans le temple qui l'avait gardée prisonnière ?
En revanche, il lui semblait bien plus logique que ces sons qui l'avaient alertée ne soient que le fait d'une branche frappant quelque chose sous l'action du vent et qui avait également délogé une pierre à l'équilibre précaire, ce qui ne manquait pas dans ces ruines. Elle avait tout simplement extrapolé et paniqué à cause de l'atmosphère fantasmagorique de l'endroit, qui affolait son imagination en puisant dans le malaise qu'elle ressentait à se trouver ici.
Se reprenant par plusieurs longues inspirations, elle s'efforça de chasser toutes pensées parasites de son esprit pour se concentrer sur les raisons qui l'amenaient ici, les paupières closes pour ne pas se laisser influencer par son environnement.
Légèrement plus calme, elle rouvrit les yeux pour regarder autour d'elle à la recherche d'un accès à la partie souterraine du temple, là où vivaient les jeunes filles, sachant que, si elle désirait en découvrir davantage sur les filles de Kall'ghan, et plus particulièrement si elle en faisait également partie, c'était dans cette aile qu'elle devait débuter.
S'engageant, quelque peu au hasard, dans un premier couloir, elle entreprit de mener une exploration plus minutieuse des lieux, sans se laisser distraire ni apeurer par ce qui l'entourait.
Après plusieurs mètres, toujours tendue avec les sens exacerbés mais s'obligeant à garder la tête froide, elle se sentit à nouveau possédée par cet instinct enfoui qui l'aidait à s'orienter et elle revint sur ses pas, sachant à présent que la direction qu'elle suivait n'était pas celle qui la conduirait à la partie souterraine, contrairement à celle qu'elle emprunta, corrigée par cet instinct.
Accélérant à nouveau le pas, comme précédemment, inconsciemment, elle remonta le couloir à grandes enjambées, traversant plusieurs pièces jusqu'à ce qui ressemblait à un hall aux dalles fendues.
Plusieurs pans de tissu suspendus le long des murs, du moins, pour certains car d'autres reposaient à terre en tas informes, élimés et déchirés, rongés de moisissures et à la couleur indéfinissable, bruissaient en frôlant les pierres à cause du vent. Le vent qui les faisaient également se mouver en s'enroulant sur eux-mêmes, ce qui donnait l'impression que des personnes se dissimulaient dans leurs plis, que des silhouettes se déplaçaient autour de Richa ou que, à tout moment, des individus allaient y apparaître et s'en extirper.
Maîtrisant son imagination, qui recommençait à s'affoler avec cette vision, Richa soupira longuement en se répétant mentalement que ce n'était, encore une fois, qu'un effet d'optique renforcé par l'ambiance particulière de l'endroit. Ce qui ne l'empêcha cependant pas de frapper l'une des vieilles tentures en passant à proximité, pour s'assurer que personne ne se camouflait derrière, ce qui n'était évidemment pas le cas.
Légèrement plus sereine après l'avoir vérifié, elle se focalisa sur la porte dans le mur du fond, disparaissant par intermittence derrière les tentures qui se glissaient parfois dans son champ de vision, poussées par le vent.
Autrefois, elle avait probablement dû être lourde, en planches épaisses renforcées par des pièces métalliques dont l'élégance de la confection était encore parfaitement visible, mais, à présent, le bois était dévoré par l'humidité, intégralement recouvert d'une fine pellicule vert clair, et le fer rouillé jusqu'au cœur. C'était à peine si elle tenait sur ses gonds. Une simple pression de la part de Richa et elle se serait certainement écroulé.
Alors qu'elle l'examinait, une image se superposa à celle qu'elle avait actuellement sous les yeux, celle d'une porte identique mais en bien meilleur état, qui obstruait solidement le passage.
Cette porte mais de nombreuses années auparavant. A cette époque, elle remplissait parfaitement son rôle et était impossible à soulever ou à forcer par quelqu'un d'autre qu'un prêtre ou une prêtresse de l'ordre. Les filles avaient maintes fois tenté de le faire sans succès. Plus qu'un réelle souvenir, il s'agissait plus d'une certitude qui s'imposa à l'esprit de Richa, mais peut-être était-ce tout simplement car la réminiscence était trop enfouie, remontant de trop profondément, pour apparaître comme un véritable souvenir.
Sa poitrine fut subitement comprimée par un poids certain à cette constatation, son malaise se renforçant encore davantage.
Tentant de défaire le nœud qui obstruait subitement sa gorge, elle inspira et expira longuement, s'apaisant autant qu'elle le pouvait en se concentrant sur son besoin de savoir pour s'encourager, même si ses jambes menaçaient de se dérober sous elle.
Où se trouvait la jeune fille pleine de verve, de détermination et de repartie qui avait enseigné à ces elfes arrogants que sa nature ne retirait aucune valeur à la personne qu'elle était ? Probablement était-elle trop angoissée par ce qu'elle allait découvrir pour se montrer.
Puisant dans son désir impérieux de connaître la vérité sur elle et ce qu'il lui était arrivé pour se convaincre de ne pas abandonner en faisant demi-tour, elle poussa la porte.
Du moins, elle voulut la pousser car, le bois vermoulu s'avérant extrêmement fragile, sa main traversa les planches, faisant chuter des éclats de bois humide et mous. La retirant d'un coup sec, elle fit s'écrouler la porte sur elle-même et elle se répandit sur le sol.
Avec une grimace, elle essuya sa main, où couraient des insectes qu'elle avait involontairement délogé de leur habitat, qui gisait à présent à terre en un tas informe, sur son pantalon et elle s'engagea dans les escaliers que la porte avait dévoilés.
Lorsqu'elle marcha sur l'un des renforcements métalliques, il produisit un craquement en crissant, se brisant sous sa semelle.
Sous terre, aucun rayon de soleil ne s'infiltrait et elle fut accueillie par une obscurité totale. Heureusement que cela ne l'empêchait pas de parfaitement voir grâce à sa vision de nyctalope, surtout que le bord émoussé des marches ainsi que les plaques de mousse spongieuse les recouvrant se montraient traîtres et la chute aurait été dure.
Une sensation indescriptible creusait sa poitrine alors qu'elle franchissait une marche après l'autre. Cet escalier, les filles de Kall'ghan avaient tant espéré pouvoir le gravir et, aujourd'hui, elle le descendait.
Les marches l'amenèrent dans un couloir où des portes s'ouvraient de part et d'autre. Celles qui tenaient encore sur leurs charnières étaient dans un état identique à celle du palier supérieur, avant qu'elle ne se répande au sol en éclats humides, et les autres n'étaient plus que des morceaux de bois maintenus par des pièces métalliques ou gisaient au sol sans forme, mais Richa distinguait encore des lucarnes étroites équipées de barreaux, même si certains manquaient et que la rouille les rongeait, comme partout ailleurs dans le temple, ce qui les désignait comme des cellules, les chambres occupées par les filles de Kall'ghan.
D'ailleurs, à chaque fois que les prêtres les y ramenaient, les escortant en les tenant fermement, elles fixaient ces escaliers, sachant que leur liberté se trouvait en haut, sans pour autant pouvoir jamais l'atteindre.
Jusqu'au jour où le temple avait été attaqué, frappé par un subit et violent cataclysme. Les serrures des portes avaient cédé, libérant les captives.
Alors qu'elle avançait lentement dans ce couloir obscure, Richa avait presque la sensation d'entendre leur détresse ainsi que leurs prières à Kaëv'ah, seule déesse dont on leur avait appris le nom, et de les voir se précipiter vers l'extérieur, pour l'une des premières fois de leur misérable existence. Peut-être avaient-elles été créées par l'ordre de Kall'ghan pour une seule raison mais elles voulaient seulement vivre, tout comme Richa.
Pourquoi les garder enfermer de la sorte sous terre ?
A l'instant même où Richa formulait mentalement cette interrogation, la réponse vint seule à son esprit : car elles devaient encore apprendre et se perfectionner avant de pouvoir prétendre incarner Kaëv'ah, tant au niveau magique qu'en matière de combat ou encore d'autres détails. Du moins, pour celles pouvant prétendre ressembler suffisamment à la déesse pour la représenter parmi les mortels. Les autres étaient simplement destinées à rejoindre les rangs de l'ordre.
L'enfermement se révélait nécessaire le temps de leur inculquer de la discipline et de les rendre assez soumises pour supprimer tout désir de révolte chez elle, ce qui ne s'avérait pas toujours évident comme elles étaient censées incarner la déesse protectrice des rebelles, une attribution dont Anna'ën ne lui avait jamais parlée, certainement car elle ne lui en avait jamais réellement accordé l'occasion, mais dont elle venait soudainement de se souvenir.
Encore une réminiscence.
Richa eut besoin de stopper un instant en se tenant au mur à côté d'elle, le temps de retrouver un peu de sérénité en se concentrant sur son souffle, déstabilisée par ces éléments qui s'imposaient à son esprit davantage comme des certitudes que comme de véritables souvenirs, puis elle reprit sa marche qui la conduisit jusqu'à une large salle en ovale. Une salle d'entraînement.
Elle le sut davantage par instinct, une connaissance qui vint à elle spontanément, que par le sol irrégulier, permettant de se former à l'agilité en combat, ou par les éléments décomposés, probablement d'anciens râteliers, cibles ou mannequins d'entrainement. En revanche, pas une seule arme, même en mauvais état, comme si quelqu'un les avait soigneusement retirées.
Pour empêcher quiconque de s'en emparer ? Ou alors était-ce une partie de la punition assénée par Kaëv'ah ? Après tout, la symbolique des armes était très forte pour les elfes, pour ceux en possédant tout du moins, et en priver un des siennes était une douloureuse humiliation. Richa avait pu le constater directement il y avait quelques jours.
Une porte se situait dans un coin discret sur le mur de gauche. Du moins, Richa supposait qu'il y avait eu une porte car, à présent, il ne s'agissait plus que d'une ouverture béante sur le côté de laquelle subsistait quelques traces des charnières et du chambranle.
Rien qu'à l'observer, Richa percevait sa gorge s'obstruer et son estomac s'alourdir, mais elle ignorait pour quelle raison son malaise augmentait encore face à ce couloir puisque, pour l'instant car les souvenirs qui l'expliqueraient n'allaient peut-être pas tarder à l'éclairer.
Repoussant cette sourde appréhension au plus profond d'elle-même pour ne pas se laisser distraire ou submerger par ses émotions, comme précédemment, ne comptant certainement pas abandonner son exploration sans l'avoir terminée ni sans avoir obtenu de certitudes à son sujet, ces souvenirs n'étant pas suffisamment solides pour elle, pouvant être trop aisément réfutés ou niés, inconsciemment certainement, elle s'engagea dans le couloir.
D'abord étroit, il s'élargissait rapidement pour présenter un enchaînement de cellules, aux barreaux tachés de rouille, encore une fois.
C'était ici que les parents avaient été emprisonnés, eux n'ayant même pas le droit d'avoir une chambre, comme les filles. De toute manière, leur détention n'était que temporaire, leur concours dans le parcours de création des filles de Kall'ghan n'étant qu'un point de départ.
S'arrêtant devant, Richa saisit l'un des barreaux, qui ploya légèrement dans sa poigne, en les étudiant, le regard absent, car elle songeait aux anciens prisonniers.
Peut-être que ses parents s'étaient trouvé ici, qu'ils ne s'étaient pas réellement connu, qu'ils ne s'étaient jamais aimé ni n'avaient voulu d'elle, probablement si elle était bien une fille de Kall'ghan.
Même si cette hypothèse se révélait effectivement être l'histoire de sa naissance, elle aurait cependant au moins connu l'amour inconditionnel d'un père, grâce à Jonah. Cette idée apportait en elle l'apaisement qui lui faisait tant défaut depuis son arrivée sur les lieux ainsi que les moyens d'affronter la vérité, ces moyens sur lesquels elle s'était questionné durant son trajet depuis les Monts de Fer.
Se détournant de ces cellules sordides, elle poursuivit jusqu'à atteindre l'extrémité du couloir qui était marquée d'une porte, encore enchâssée dans le chambranle.
Cette fois, la jeune fille ne passa pas à travers malgré le violent coup d'épaule qu'elle donna contre les planches pour obliger les gonds pris dans la rouille à pivoter, leur arrachant une longue plainte de protestation émise dans un grincement sonore, n'ayant plus coutume d'être utilisés après toutes ces années d'abandon.
La pièce de l'autre côté était la plus épargnée par le temps parmi toutes celles que Richa avait visitées.
L'endroit semblait avoir servi de laboratoire de magie, même si Richa ignorait si une telle chose pouvait exister, avec une table en bois, toujours vermoulu et couvert d'une mousse bleutée qui s'attaquait également aux fioles et alambics de verre, seulement partiellement intactes, posés dessus. Une étagère était poussée contre le mur du fond. Ses planches ne paraissaient tenir ensemble que par miracle, malgré ses rayonnages chargés de quelques volumes, d'autres fioles brisées et de bocaux dont le contenu avait disparu depuis longtemps, mais son regard se porta plus particulièrement sur le côté gauche de la pièce.
Enfoncées dans les pierres, les entraves de métal étaient étonnement presque en bon état, uniquement parcourues de quelques traces de rouille, comme si le temps lui-même avait cherché à les conserver intactes en un témoignage de ce que les filles avaient enduré, manipulées par des fanatiques divaguant. Leur faisant face dans le mur opposé, leurs jumelles étaient tout aussi épargnées.
Deux jeux d'entraves, l'un qu'on refermait sur les poignets de la jeune sang-mêlé et l'autre pour un élémentaire d'air, tous deux maintenus immobilisés de la sorte, pour les empêcher de se débattre, évidemment, mais également pour éviter que des réactions imprévisibles ne provoquent des accidents ou de la destruction dans le laboratoire. La douleur causée par l'opération provoquait de violents mouvements inattendus et incontrôlables.
L'opération en question consistait à arracher la magie d'air possédée par l'élémentaire pour tenter de l'implanter dans la sang-mêlé pour la doter de pouvoirs sur le vent, comme Kaëv'ah.
Les vampires, les elfes et leurs enfants n'avaient pas été les seules victimes de l'ordre de Kall'ghan, comme il avait également chassé des élémentaires d'air pour s'emparer de leur magie, ce qui correspondait à la mort pour ce peuple.
Après tout, il était plus simple et plus sûr de doter les jeunes filles de pouvoirs par cette technique plutôt que d'espérer et d'attendre qu'elles naissent avec un quelconque pouvoir élémentaire, probabilité fort mince, comme il était déjà difficile d'obtenir une fille dotée de cheveux noirs, d'oreilles d'elfes et de dents de vampire, même si certaines mourraient dans le processus.
Richa peinait à respirer tant sa gorge était nouée, et cela empira encore davantage lorsque le phénomène survenu lorsqu'elle se tenait face à la porte de l'étage supérieur se reproduisit et qu'une vision, sans aucun doute issue du passé du lieu, se superposa à ce qu'elle avait actuellement sous les yeux devant elle.
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