Chapitre 31 - Disparue depuis trois semaines [1/2]
Cela faisait maintenant plus de trois semaines que la place, pourtant récemment attribuée, était vide, sans plus personne pour s'y installer. Trois semaines que Richa avait disparu.
Les actualités se concentraient sur d'autres sujets, plus récents, les avis de recherche placardés dans toute la ville avaient été détrempés par la pluie, arrachés par le vent ou recouverts par d'autres affiches et les gens avaient repris leur vie, pourtant, elle ne semblait plus pareille aux gens ayant été les plus proches de la jeune fille, en particulier pour son père, qui travaillait sans plus y avoir goût.
Pour Vinciane non plus les choses n'étaient plus comme auparavant, et ne pourraient sans doute pas le redevenir. Depuis la disparition de Richa, qui avait ébranlé toute la région à ses débuts, elle ne cessait de se tourmenter avec des interrogations qui ne trouvaient pas de réponses.
Au départ, ce n'était évidemment qu'une manifestation de l'inquiétude qu'elle éprouvait pour son amie, qu'elle partageait avec de nombreuses autres personnes, mais, plus les jours s'écoulaient, plus le temps passait, plus la durée de la disparition de Richa se creusait, plus cette angoisse, légitime et logique en ces circonstances, se muait en obsession. Les questions soulevées par cette affaire se répétaient dans son esprit sans lui accorder le moindre répit, dans la journée, pendant les cours, chez elle, durant son sommeil, jamais elles ne la laissaient en paix.
Elle voulait savoir ce qu'il était advenu de Richa, ce qu'il lui était arrivé, comment et pourquoi elle avait disparu, qui en était responsable, elle avait besoin de le comprendre. C'était presque comme si c'était tout ce qui lui importait, que tout le reste était devenu secondaire.
Sa concentration et ses pensées se focalisaient uniquement sur ce sujet, négligeant tout ce qui ne concernait pas la disparition de la jeune fille. Son intérêt pour les études avait décru encore plus qu'elle ne le croyait possible, ses notes en subissaient les conséquences, elle se renfermait, se plongeant dans ses réflexions, même le retour de ses parents l'en avait à peine tirée.
Evidemment, ce comportement qui ne lui ressemblait guère préoccupait grandement ses proches, même si ils jugeaient qu'il s'agissait d'une réaction relativement normale dans cette situation. Ses parents et son oncle avaient tenté de lui parler, de l'amener à se confier, ou de lui conseiller de consulter quelqu'un à qui elle aurait pu partager ce qu'elle ressentait si elle préférait éviter de s'en entretenir avec l'un de ses proches, sans grand succès.
En effet, elle n'avait pas besoin qu'on l'écoute raconter ce qu'elle pensait de la disparition de son amie mais de comprendre les raisons de cette disparition, sauf qu'elle ignorait comment expliquer toute l'ampleur et toute la protée de de besoin. C'en devenait vitale.
Il semblait cependant qu'elle n'aurait pas pu se tranquilliser l'esprit avant longtemps, jusqu'à ce qu'elle puisse oublier – si elle y parvenait un jour – puisqu'aucune réponse n'était apportée à ces interrogations qu'elle se posait sans interruption, par elle, par quelqu'un d'extérieur ou par la police.
D'ailleurs, celle-ci se détournait lentement de cette enquête pour se charger de dossiers plus récents, pour lesquels elle disposait d'indices pour progresser, ce dont l'affaire concernant Richa était totalement dépourvue, même si l'inspecteur Aciari continuait à s'y impliquer.
Avec Vinciane, la jeune femme paraissait être la seule à encore s'investir dans cette histoire, à y rechercher des explications, tout le monde semblant avoir perdu espoir, comme l'indiquait l'évolution des recherches des derniers jours.
A présent, ce n'était plus la jeune fille dont les autorités étaient en quête mais de son cadavre, une idée fort peu encourageante. D'ailleurs, lorsque cette annonce avait été faite, Vinciane avait passé des heures au restaurant, auprès de Jonah, qui en avait évidemment été bouleversé, tout comme l'inspecteur Aciari, qui était venue prévenir la famille de Richa de la réduction des chances de la retrouver vivante.
Au départ, lorsque Vinciane avait entendu parler de l'inspectrice, à travers les propos de Richa, et lorsqu'elle l'avait rencontrée, elle ne l'avait guère appréciée, condamnant ses méthodes et son approche, mais, aujourd'hui, elle la remerciait pour la sollicitude et la compassion qu'elle manifestait dans cette enquête, toujours délicate avec les proches de la disparue, jusqu'à demeurer auprès d'un père éploré durant toute une soirée, silencieuse, sachant qu'aucune parole n'aurait pu l'aider mais qu'il avait seulement besoin d'une présence qui gardait une main réconfortante sur la sienne.
L'opinion de Vinciane avait également changé lorsqu'elle avait constaté que, finalement, la jeune femme partageait les avancées de l'enquête avec elle, sans chercher à lui dissimuler de détails, ce dont elle avait été à la fois surprise et touchée, alors qu'elle s'était attendu à devoir insister au point de provoquer une esclandre au milieu du poste de police pour obtenir quelques informations sur la situation de l'enquête et ses avancées.
Ce premier échange avec l'inspecteur Aciari, premier de plusieurs autres qui avaient suivis, l'avait encouragée à revenir s'entretenir avec elle à d'autres reprises, pour s'assurer de l'évolution de l'affaire, lui partager les questions que ses réflexions soulevaient et ses théories, que la policière prenait toujours au sérieux, les estimant même parfois particulièrement pertinentes et intéressantes, tellement qu'elle avait proposé à Vinciane de rejoindre les rangs de l'école de police, jugeant qu'elle aurait fait un excellent inspecteur, mais la jeune fille avait refusé, incapable de se projeter dans un quelconque avenir alors que toute son énergie était absorbée par cette unique obsession.
D'ailleurs, l'inspectrice et elle s'accordaient sur un point crucial dans cette enquête : il y avait forcément quelqu'un qui savait quelque chose sur ce qu'il était advenu de Richa, quelqu'un qui avait donc un rapport avec sa disparition, et elles convenaient également de qui il pouvait s'agir, partagées entre deux possibilités.
Pour commencer, Albane, dont le comportement était devenu subitement différent de celui qu'elle affichait habituellement auparavant et qui semblait cacher des choses en rapport avec la jeune fille. Sans compter qu'elles avaient rompu leur relation juste avant que cette dernière ne donne plus le moindre signe de vie.
La seconde était Mikhail, puisqu'il paraissait impossible que le fait qu'il ait tenté d'enlever Richa seulement quelques heures avant qu'elle ne disparaisse réellement puisse être une coïncidence, il devait y avoir un rapport entre les deux événements, sauf que le jeune homme se trouvait en détention au moment de l'heure approximative de la disparition de Richa.
C'était tout ce que contenait le dossier sur cette affaire : des hypothèses incomplètes et difficilement vérifiables, même si l'inspecteur Aciari ne se ménageait pas pour le remplir de davantage d'éléments, tout comme Vinciane.
Alors qu'elle s'abîmait dans ces réflexions, comme trop souvent ces derniers jours, Vinciane fixait la chaise où s'installait Albane à l'accoutumée mais, qui, aujourd'hui, était vide.
La jeune fille à l'allure androgyne n'avait jamais été parmi les élèves les plus impliqués dans les cours ou la vie de l'établissement en général, mais elle faisait ordinairement au moins acte de présence, pourtant, depuis quelques semaines, elle ne se présentait en classe qu'occasionnellement, en une assiduité sporadique et déclinante, demeurant à l'écart, le visage impénétrable.
D'ailleurs, Elio avait confié à Vinciane que l'attitude de sa sœur avait changé, or, le jeune homme était certainement le mieux placé pour constater ce genre de différences.
Albane n'échangeait plus avec lui comme auparavant, ne lui adressant plus que quelques mots alors qu'elle lui avait tout partagé, tous ses secrets, depuis leur enfance, allant jusqu'à lui confier son homosexualité, et elle savait qu'il ne trahirait jamais sa confiance, mais, maintenant, c'était presque comme si elle le fuyait, s'enfermant dans sa chambre ou haussant simplement les épaules lorsqu'il cherchait à lancer une discussion avec elle, tentant de communiquer.
Ce changement de comportement, qui apparaissait même dans son intimité avec les personnes dont elle était la plus proche, était survenu environ en même temps que la disparition de Richa, ce qui, comme pour le cas de Mikhail, ne pouvait qu'être un simple hasard.
D'après Elio, Albane ne jouait même plus de musique, que ce soit seule ou en duo avec lui, ce qui paraissait indiquer chez elle un profond trouble.
Si le jeune homme s'était ouvert à ce propos à Vinciane, c'était pour lui confier les inquiétudes qu'il nourrissait au sujet de sa petite sœur, craignant qu'elle n'éprouve un grand mal-être sans qu'il ne puisse l'aider, non pas car il la soupçonnait d'avoir été impliquée dans la disparition de Richa, ne pouvant tout simplement pas le concevoir.
Vinciane estimait pourtant que tout cela correspondait presque à des aveux silencieux et inconscients, mais elle ne l'avait pas dit à Elio, ne pouvant permettre que ses soupçons, totalement obsessionnels, viennent heurter la confiance et l'amour qu'il ressentait pour sa sœur cadette, ce qui ne l'empêchait pas de ne pas en penser moins.
Albane ne cédait pas, d'aucune manière, que ce soit lors d'interrogatoires officiels,l'inspecteur Aciari l'ayant déjà convoquée à trois reprises dans le cadre de l'enquête, ou bien lorsque Vinciane l'avait directement confrontée. Pas un instant elle ne s'était démonté ni n'avait laissé filtrer le moindre élément qui aurait pu la trahir.
Vinciane commençait à en avoir assez, elle voulait comprendre, même si cela semblait presque impossible, cependant, si questionner frontalement Albane ne menait à rien, il y avait quelqu'un d'autre qui semblait être mêlé à toute cette affaire et qui était donc susceptible d'éclairer quelque peule mystère qui l'obscurcissait.
Par ses échanges avec l'inspecteur Aciari, Vinciane savait que le jeune homme avait déjà été interrogé, mais, comme avec Albane, impossible de statuer sur une certitude, même si sa détention l'innocentait.
En revanche, Vinciane n'avait pu converser avec lui. Peut-être détenait-il des informations.
Evidemment, obtenir un entretien avec un prisonnier était difficile, mais, comme Mikhail n'était pas encore passé en jugement, il n'avait pas encore été officiellement reconnu coupable, il serait plus aisé de l'approcher, sans compter qu'elle pouvait également user de l'influence de ses parents et de son oncle pour accéder au parloir.
Cette idée l'accompagna durant tout le reste de la journée, l'éloignant encore davantage des préoccupations ordinaires d'une lycéenne, si bien que, lorsque les cours s'achevèrent, elle était persuadée qu'il s'agissait de la chose à faire.
La première étape pour ce faire était de convaincre sa famille de l'aider à la réaliser. Ce à quoi elle s'employa dès qu'elle entra dans la luxueuse voiture de son oncle venu la récupérer à la sortie du lycée.
Sans grand étonnement, la première réponse de son oncle fut de refuser, s'inquiétant de constater que l'obsession de sa nièce semblait encore prendre de l'ampleur.
Réfléchissant à la demande de Vinciane, pesant le pour et le contre, durant le trajet jusqu'au domicile où ils vivaient, il jugea que c'était peut-être justement un moyen de lui faire comprendre qu'elle ne pourrait rien faire dans le cadre de cette affaire et qu'elle s'y serait donc moins impliquée par la suite, alors, avant que la jeune fille ne gagne sa chambre, où elle allait très probablement ruminer encore et encore ces mêmes pensées qui ne cessaient jamais, il lui assura qu'il allait s'efforcer de lui obtenir un entretien avec Mikhail.
Soulagée, Vinciane le remercia, cependant, le sourire qu'elle afficha n'était aucunement serein et dissimulait toutes les questions qu'elle se posait et qu'elle comptait poser à Mikhail.
Comme Vinciane l'espérait, son oncle ne tarda pas à lui obtenir la permission de se rendre au pénitencier où Mikhail attendait son procès.
S'organiser ne fut guère compliqué et, deux jours après avoir pris cette décision, elle signait le registre des visites avant de se faire accompagner au parloir par un gardien.
Il s'agissait d'une large pièce dépourvue de fenêtres placée sous la surveillance d'une caméra balayant l'endroit de son œil mécanique et d'un gardien posté dans un angle, meublée par des tables circulaires entourées de chaises, toutes solidement fixées au sol. Quelques personnes y étaient installées, en pleine conversation.
Quelqu'un était assis seul, sans personne face à lui pour échanger, un jeune homme aux cheveux blonds mal coiffés vêtu d'un uniforme de prisonnier, comme d'autres hommes occupant la pièce, ressemblant à un survêtement bleu clair.
L'avisant à son tour, Mikhail lui adressa un sourire qui paraissait trop large pour sa bouche, un sourire malicieux et perfide qui traduisait son sentiment de supériorité face à Vinciane, bien loin de l'expression de gentil garçon serviable et soucieux d'autrui qu'il présentait à tous alors qu'il fréquentait le lycée, mais ce n'était qu'un masque, son véritable visage étant celui qu'il affichait actuellement.
Face à ce sourire, Vinciane se sentit nettement moins assurée.
Mikhail l'effrayait, mais, prenant une profonde inspiration, elle puisa du courage où elle le put, les poings serrés, car elle avait besoin de connaître la vérité, car Richa méritait qu'on découvre la vérité, car les réponses à ses questions se trouvaient peut-être juste devant elle. Alors elle prit place face à Mikhail en gardant les mains sous la table, sur ses genoux, pour dissimuler les tremblements nerveux qui les agitaient.
Laissant tomber sa joue dans sa paume sans se départir de ce sourire inquiétant, le jeune homme lança en guise de salutation :
« La petite Vinciane ! Qu'est-ce qu'une fille bien aussi gentille et mignonne que toi vient faire ici ? Tu dois mourir de trouille, non ?
- Oui, avoua la jeune fille, et je voudrais éviter de trop m'attarder ici du coup, alors arrête de parler pour ne rien dire et répond-moi.
- Toi aussi tu crois que j'ai un rapport avec la disparition de Richa ? Comment je pourrais y être mêlé alors que je croupissais dans une cellule du commissariat ?
- C'est impossible que t'aies rien à voir avec ça, tu l'as enlevée juste avant !
- Si elle a choisi de se tirer, j'y suis pour rien. Même si ça m'aurait plutôt arrangé qu'elle reste dans les parages. J'ai rien de plus à te dire, à part un conseil : arrête de t'occuper de ça. Cette histoire te concerne pas et t'as pas envie qu'elle te concerne. Laisse ça aux grandes personnes ! »
Vinciane ouvrit la bouche pour expliquer quelque chose et insister, ne comptant pas se contenter de cela ni permettre à Mikhail de suspendre ici la conversation, mais, ne semblant pas disposé à écouter ses tentatives, Mikhail se leva sans plus paraître se préoccuper d'elle et contourna la table pour se diriger vers le gardien, certainement pour l'avertir qu'il en avait terminé et qu'il le raccompagne à sa cellule.
Dans un soupir, les épaules de Vinciane s'abaissèrent alors qu'elle se résignait.
Cette visite ne lui aurait apporté aucun renseignements. Au contraire, elle aurait finalement simplement gaspillé son temps et les ressources de sa famille.
Soudainement, alors qu'il passait à côté d'elle, Mikhail la saisit par le bras pour la tirer violemment vers lui, l'arrachant à sa chaise. Si elle ne chuta pas, ce fut uniquement car il la maintint, la plaquant de dos contre son torse.
La gardant captive d'un bras puissant passé autour d'elle, il fouilla dans la poche de son pantalon pour en tirer une cuillère dont le manche avait été aiguisé. Des jours avaient dû être nécessaires pour confectionner cette arme de fortune, mais Mikhail semblait avoir préparé son coup.
Avant même que le gardien ne réagisse, il appuya le manche tranchant sur la gorge de Vinciane. Cette dernière eut l'étrange sensation de perdre connaissance sous le coup de la terreur tout en demeurant parfaitement consciente. C'était un peu comme si elle observait la scène de l'extérieur, que ce qui se déroulait ne la concernait pas.
Ses sens s'aiguisèrent alors que ses émotions s'éteignaient.
Elle voyait les visiteurs qui se levaient et s'éloignaient, affolés, les autres détenus qui quittaient la salle, obéissant à l'ordre de vider les lieux, et le gardien qui s'approchait, une main sur son arme et l'autre tendue en direction de Mikhail en un geste d'apaisement, mais le jeune homme lui ordonna de ne pas bouger en menaçant de faire payer une éventuelle désobéissance à Vinciane.
Se pliant donc aux exigences de Mikhail pour épargner Vinciane, le gardien déposa son arme au sol et la fit glisser jusqu'au jeune homme d'un coup de pied. S'emparant du pistolet tout en gardant un bras autour de Vinciane, la gardant immobile contre lui tout en lui déconseillant tout mouvement du manche aiguisé qu'il continuait à presser contre sa gorge, de la main qui maintenait la jeune fille, il en pointa le gardien, qui se retrouvait également otage de Mikhail à distance.
Suivant les ordres du jeune homme, n'ayant guère d'autre alternative, il passa devant Mikhail, lui ouvrant la voie jusqu'à la sortie du pénitencier.
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