Chapitre 26 - Yennaël
Toujours installée sur une des caisses d'étoffes qui remplissaient l'arrière-boutique dans laquelle ils s'étaient réfugié, la joue dans une paume, Richa s'égarait dans ses pensées.
Pour commencer, elle venait d'apprendre à l'instant que son prénom avait une signification en elfique ancien, ''sang-mêlé''. Effectivement, on pouvait soupçonner une plaisanterie d'un relatif mauvais goût de la part de ses géniteurs qui refusaient sa nature de bâtarde, ce qui aurait semblé confirmer la théorie d'Aymerikk, ce contre quoi le vampire avait cherché à la mettre en garde, mais il y avait également une autre possibilité, puisque c'était le nom qu'elle s'était donné car il lui semblait se souvenir que c'était ainsi qu'on l'appelait régulièrement, sauf que ce n'était pas car il s'agissait de son prénom. Ce pouvait également être un surnom, un genre de sobriquet humiliant se basant sur sa nature de sang-mêlé, qui s'était imprégné dans sa mémoire.
Encore une certitude qu'elle ne pouvait pas réellement avoir, seulement des doutes et des interrogations. Quelque part cependant, elle s'en moquait puisqu'elle n'allait certainement pas changer de nom après des années, et ayant également d'autres préoccupations à l'esprit.
Elle se demandait ce qu'elle faisait actuellement, pourquoi elle agissait de la sorte, mais elle ne parvenait pas à trouver de réponse.
Le brouillard dans lequel son esprit s'embrumait n'était plus provoqué par les effets de la drogue qu'elle avait ingurgitée la veille, mais composé de son chagrin. Elle se sentait perdue, désespérée et fragile, tout simplement égarée, sentiments alimentés par les images des cadavres qui revenaient la hanter à présent que ses pensées étaient légèrement plus libres.
Alors qu'elle recherchait sa pierre avec tant d'acharnement, elle ne songeait plus au massacre du village, se concentrant entièrement sur cette quête pour la retrouver, remontant la piste.
D'ailleurs, si elle s'y était tant investie, ce n'était probablement pas uniquement pour l'importance que le bijou revêtait pour elle, pour différentes raisons auxquelles elle avait déjà réfléchi, mais pour s'empêcher de penser à la mort de tous les membres de sa famille et à ce que cela lui faisait éprouver. C'était trop dur d'y faire face.
Au moins, pendant qu'elle affrontait la patrouille de la Flamme Blanche, elle avait pu se sentir paradoxalement plus stable dans ses émotions, elle comprenait alors d'où provenait sa colère, contre et sur qui la diriger et comment l'extérioriser, mais seulement temporairement puisque ces combats ne l'avaient pas apaisée et que la rage bouillonnait toujours en elle, sans qu'elle ne sache comment l'exprimer, même si la colère demeurait plus évidente à tolérer que tous les autres sentiments qui soufflaient et se déchainaient en elle en une tempête, qu'elle ne pouvait stopper ou calmer.
De toute manière, même si elle massacrait un par un tous les membres de la Flamme Blanche, ses proches ne reviendraient jamais à la vie, des proches auxquels elle n'avait même pas pu offrir une sépulture, ni même un mot d'adieu.
Sa seule envie était de se recroqueviller dans un endroit sombre pour verser toutes ces larmes qu'elle retenait et s'interdisait de libérer pour tenir debout.
A présent qu'elle avait retrouvé son collier, puisque Yennaël n'avait aucune raison de refuser de le lui rendre, ou plutôt, comme elle ne comptait lui accorder aucune raison de refuser, sa hargne à le retrouver s'estompait et toute la violence de ses émotions la submergeait, sans qu'elle ne sache comment les repousser.
Evidemment, sur Terre jamais elle n'avait eu à affronter une pareille tragédie, mais elle s'était déjà senti affreusement mal à en avoir l'impression que le monde s'écroulait autour d'elle et elle avait eu des endroits où se réfugier, un lieu où elle se sentait apaisée et en sécurité ou des personnes vers qui se tourner pour espérer puiser du réconfort et du courage.
Ici, dans l'Enclave, elle ne possédait rien de tout cela, isolée et perdue. De toute manière, même si elle aurait eu un endroit à rejoindre pour espérer acquérir un peu de paix, elle n'aurait pas eu la force de s'y rendre, se sentant totalement vide, d'énergie ou de toute autre chose.
Si seulement elle avait eu quelqu'un contre qui se blottir pour être rassurée. Après tout, personne ne pouvait avancer seul éternellement, sans aucune épaule sur laquelle se reposer. Actuellement cependant, on ne pouvait pas réellement dire qu'elle était totalement seule puisque, dans le maigre espace de cette arrière-boutique où stagnait l'odeur des lainages neufs, il y avait quelqu'un d'autre face à elle.
Au lieu de dériver dans ses pensées sombres, elle aurait mieux fait de se focaliser sur Yennaël, comme elle ignorait absolument tout de lui et de ses intentions.
Le début de leur rencontre ayant été particulièrement mouvementé, elle avait des raisons de se méfier de lui, même si les circonstances les avaient poussés à s'allier et qu'il s'était avéré être un bon compagnon de combat, qui l'avait probablement sauvée d'ailleurs. Le fait qu'il était magicien, donc un Humcréa, ne suffisait nullement à faire de lui quelqu'un de confiance d'office, elle l'avait appris à ses dépends.
Sans compter qu'elle ne pouvait même pas s'appuyer sur les pouvoirs conférés par sa pierre pour user de cet instinct lui indiquant à qui elle pouvait ou non se fier, mais, en se fondant sur ses autres sens, qu'elle pouvait encore exploiter, elle percevait qu'il ne dégageait aucune agressivité à son encontre. Certes, il semblait sur la défensive, mais cela ne paraissait guère surprenant après avoir fuit la Flamme Blanche, une Flamme Blanche qui allait certainement se lancer à leur poursuite à travers toute la ville, si ce n'était pas déjà fait.
En revanche, ce qui était plus étonnant était l'état physique du jeune homme.
Il se portait parfaitement bien, à peine ses mèches rousses étaient-elles désordonnées, ce qui avait de quoi surprendre puisqu'elle avait pu constater, en fréquentant Viviane, qui pratiquait la magie dite neutre, comme Yennaël, que lancer des sorts exigeait une certaine énergie. L'huldre avait souvent manifesté de grands signes de fatigue après avoir effectué des sortilèges, or, Yennaël avait enchainé plusieurs sort, un premier pour l'immobiliser, un autre pour briser chacune des lames des Hommes Blancs qu'ils avaient combattus, et un dernier pour créer ces flammes, les invoquant à partir de rien, qui avaient consumé une partie de la patrouille, tout en les maintenant chacun durant plusieurs secondes au moins, ce qui aurait normalement dû exiger beaucoup de ses forces.
Sa respiration n'était pas erratique, son visage n'était marqué d'aucune ride d'effort ou de sueur, sa posture était aussi détendue que possible en une telle situation. Si il était essoufflé, c'était uniquement à cause de la course qui les avait conduits jusqu'ici.
Plus encore, il encaissait les coups de Richa – peut-être d'ailleurs qu'elle s'était trop emporté avec ceux qu'elle avait questionnés dans la journée, se laissant dominer par la colère qu'elle éprouvait face au massacre du village et qu'elle avait reportée sur d'autres – et il proposait d'échanger sereinement avec la jeune fille en souriant. Un sourire lumineux que Richa appréciait.
De toute manière, dans son état émotionnel actuel, elle était susceptible de s'attacher stupidement à la première personne lui offrant une expression rassurante.
Le jeune homme n'allait cependant certainement pas se contenter d'un sourire, pas alors qu'il avait évoqué la possibilité de converser, sans aucun doute pour en apprendre davantage à son sujet, comme le confirmait la première question qu'il lui avait adressée pour aborder cette conversation, même si, pour l'instant, il ne faisait pas davantage que la détailler, attention qu'elle lui retournait en le dévisageant également.
Evidemment, il était plus grand qu'elle de presque vingt centimètres, mais il n'atteignait qu'une taille moyenne, qui ne contrastait pas avec sa stature finement musclée. Son teint clair avait une légère nuance dorée qui évoquait une certaine habitude à évoluer à l'extérieur. Une très légère fossette à peine perceptible marquait son menton en triangle doux. Légèrement marquées également, ses pommettes hautes, tout comme le carré de ses mâchoires. Son nez droit en pointe surmontait ses lèvres pleines, toujours étirées par ce même sourire lumineux. Ses cheveux d'un roux foncé flamboyant, qui ondulaient jusqu'à ses mâchoires, retombaient en quelques mèches plus courtes sur son front étroit.
Pour terminer, l'élément qui absorbait le plus Richa, il avait des yeux impressionnants, bien que typiquement et parfaitement humains. Grands et légèrement étirés vers le haut d'une couleur grise. Pas d'un gris ordinaire, mais un gris traversé des mêmes nuances et de la même intensité que les nuages s'amoncelant dans un ciel orageux. Richa croyait même y apercevoir quelques uns des reflets violets qui parcouraient parfois la masse nuageuse lorsque la pluie tardait à arriver.
Peut-être était-ce car elle possédait un pouvoir élémentaire sur le vent et avait la capacité de déclencher une véritable tempête lorsqu'elle subissait une surcharge d'émotions, mais elle se sentait particulièrement attirée par cette teinte, comme si ce regard la happait et qu'elle s'y noyait.
Pour le reste, il était vêtu d'un pantalon en toile épaisse noire sur lequel montaient des bottes en cuir jusqu'à ses genoux, d'une tunique claire qui se fermaient par des lacets au niveau de l'encolure sur laquelle il portait une large ceinture en cuir foncé, à laquelle était accrochées plusieurs bourses et poches ainsi que le fourreau contenant son épée, dissimulé par son long manteau au buste de cuir brun mais aux manches et à la capuche de toile, également brune, lui descendant jusqu'aux genoux et que Richa soupçonnait de présenter bien davantage de poches que celles cousues sur les deux pans de devant.
Se détachant de l'étagère contre laquelle il se tenait adossé, les bras croisés sur la poitrine, le jeune homme fit quelques pas dans l'arrière-boutique, tirant Richa de ses pensées en se raidissant, en lançant :
« Alors c'est tout ? Un nom ?
- Qu'est-ce qu'il y a d'autre à dire ? Tu sais déjà que j'ai du sang d'elfe par mon prénom, non ?
- Seulement à moitié. Les elfes n'ont pas les cheveux noirs. Demie-elfe alors (Richa haussa les épaules). Comment fais-tu pour camoufler tes oreilles ? Je suis curieux.
- On m'a fait un cadeau. Répondit Richa en tendant la médaille d'argent gravée du symbole de magie archanique, le pouce poussant le lien de cuir où elle était passée, avant de la retirer, laissant ses caractéristiques d'Humcréa apparaître, comme elle était avec un autre Humcréa, elle ne craignait pas qu'il la dénonce pour sa nature.
- Impressionnant. Donc pas seulement une demie-elfe, mais également une demie-vampire. Peu banal.
- Demie-elfe, appuya Richa. Et qu'est-ce que ça peut faire ?
- J'essaye de comprendre ce que tu fais dans le coin et pourquoi tu es tellement attachée à ce collier. Je perçois qu'il émet une forte puissance mais je n'ai pas encore eu le temps de l'étudier donc j'ignore de quelle nature elle est exactement, alors j'apprécierais que tu m'aides un peu.
- T'as juste besoin de savoir qu'il est à moi et c'est tout.
- Désolé, mais je ne me contenterai jamais de ça. Alors ?
- C'est une pierre qui dote son porteur de pouvoirs psychiques et qui, d'après la légende, est gardée par une putain de déesse elfique ! Sauf que, moi, je me fous de ça, c'est que du blabla mystique ! Ce truc, c'est la seule chose qui me relie à mon passé alors tu vas me le rendre !
- Attend, ce serait la pierre de Kaëv'ah et elle est entrée en ta possession parce que tes parents te l'ont donnée ?
- J'ai jamais dit que mes parents me l'avaient donnée ! Et je sais pas si mes parents avaient ou non un sens de l'humour à chier, et ils m'ont pas donné ce foutu caillou, parce que je les connais pas, je sais pas qui ils sont ! Peut-être qu'ils m'ont abandonnée, va savoir ! Et c'est pas la peine de me demander qui m'a donné ce collier, parce que je m'en souviens pas, je me souviens de rien avant mes treize ans, avant de me réveiller dans cette putain de ruelle sur Terre ! Ouais, parce que j'ai grandi sur Terre et j'ai appris que j'étais une Humcréa y a quelques mois (Yennaël ouvrit la bouche pour formuler un commentaire sur ces révélations, que Richa hurlait avec de grands gestes, des larmes amoncelées aux coins de ses yeux, craquant totalement à cause de ses émotions, qu'elle ne pouvait plus réprimer, extériorisant cette souffrance qui la rongeait, mais elle ne lui laissa pas le temps de prononcer un mot en enchainant directement, anticipant sa remarque :) Ouais, je suis susceptible et je surréagis pour rien, j'ai peut-être même l'air d'une folle, mais, faut pas m'en vouloir, je suis un peu sur les nerfs ! Faut dire... je viens de perdre tous ceux que j'avais commencé à considérer comme ma famille... Tout ça pour une question de nature, de différence, de haine... Et je me sens même pas mieux d'avoir buté ces Hommes Blancs, ceux d'aujourd'hui et ceux d'hier !
- Tu...c'est toi qui a massacré cette patrouille hier ?
- Et alors ? Ça m'a fait du bien, pendant une minute, pas plus. De toute manière, ça les fera pas revenir...
- Je suppose que ce n'est pas vraiment le moment de te faire remarquer que, bien que tout à fait impressionnant, et peut-être un peu effrayant, faire ça était totalement inconscient et stupide. Ça a attiré l'attention sur Plainiore et énervé la Flamme Blanche, qui va se venger sur tous les Humcréas qu'elle trouvera. Moi qui voulais tout lancer dans quelques jours, ça va me compliquer la tâche ! La prochaine fois, tu devrais peut-être réfléchir aux conséquences de tes actes.
- T'es un vrai pro' pour réconforter les gens, toi ! Moi qui trouvais que ton sourire était rassurant, et ben c'était qu'une façade !
- Tu accepterais qu'un inconnu te prenne dans ses bras ? Tu ne m'as pas l'air du genre à accepter ça. Alors, comme je te l'ai dit, je m'appelle Yennaël, je suis un magicien, la race la plus ''humaine'' d'Humcréas, plutôt puissant, sans me vanter. Je combat la Flamme Blanche, avec plusieurs personnes de confiance. J'espère pouvoir la faire tomber un jour, pas à pas. C'est tout ce qui compte. Ce n'est pas la haine qui anime la majorité des gens, mais la peur et l'incompréhension, et, sans la Flamme Blanche, ils pourraient être rassurés et comprendre et les Humcréas pourront être réhabilités (Yennaël écarta les bras en une invitation adressée à Richa). Voilà, maintenant, tu me connais, alors consens-tu à cette étreinte réconfortante dont tu sembles avoir besoin ?
- T'es vraiment trop con, toi. Souffla Richa en secouant la tête de gauche à droite mais elle vint se blottir contre Yennaël, qui referma ses bras autour d'elle en se raidissant, plutôt mal-à-l'aise.
- Je...j'avoue que je ne suis pas très doué avec les émotions, parce que c'est trop compliqué à gérer et ça empêche de se concentrer, et puis j'ai jamais vraiment eu de famille alors je suppose que je ne peux pas réellement comprendre ce que tu ressens mais...enfin, je suis désolé, c'est quelque chose que beaucoup d'Humcréas traversent. C'est pas la première fois que je rencontre quelqu'un dans cette situation et que je prononce ces mots, mais je suis sincère.
- Ouais, merci, enfin, je crois... Mais je pense que le seul moyen de gérer ça, c'est de me concentrer sur autre chose, me focaliser totalement...
- Je comprends, pour laisser le temps agir.
- Ouais, ce genre de conneries. Je voudrais juste que la tempête se taise...
- Donc, tu as vécu sur Terre ? L'adaptation doit être un peu compliquée. N'es-tu pas déstabilisée ?
- J'ai rencontré un prêtre de Kaëv'ah qui m'a fait un cours, j'ai pas besoin de rediffusion. Et donc, toi, t'es le grand défenseur des Humcréas dans l'Enclave ? Un boulot à plein temps.
- Je suppose qu'on peut effectivement le voir ainsi mais c'est bien davantage, c'est une vocation, une raison de vivre.
- Wahou, dis-moi, le concept de syndrome du messie existe dans ce monde ? Parce que t'as l'air atteint quand même.
- Je ne comprends pas de quoi tu parles mais je devine que ce n'est pas vraiment un compliment, je me trompe ? (Richa haussa les épaules, toujours serrée contre Yennaël, éludant la question). Bon, très bien, encore un mystère qui ne sera jamais éclairci dans cet univers, mais changeons de sujet, pour te changer les idées. Donc, c'est toi qui as massacré cette patrouille hier soir, toi que la Flamme Blanche serait ravie de tenir entre ses mains ?
- J'espérais me...sentir mieux et avoir le sentiment que ma famille était vengée mais c'est absolument pas le cas... Et je croyais que tu voulais changer de sujet. J'ai vraiment aucune envie de me mettre à chialer sur ta tunique pourrie.
- Déjà, ma tunique n'est pas ''pourrie'' et, ensuite, je souhaite parler de ça parce que c'est impressionnant. Peu de personnes, humains ou Humcréas, aurait été capable de tuer ainsi six Hommes Blancs sans écoper de la moindre blessure. Ce que je veux dire, c'est que ta nature de sang-mêlé elfe et vampire te dote de certaines capacités et compétences. Je t'ai vue te battre toute à l'heure, c'était vraiment stupéfiant.
- Et alors ? Tu veux monter une attraction de combats de rue et me recruter dans ton équipe ?
- En quelques sortes. J'ai besoin d'alliés pour mener mon but à bien, surtout alors que mon plan se retrouve compromis à cause de la surveillance renforcée que la Flamme Blanche va mettre en place suite au meurtre de toute une patrouille tout récemment.
- Et donc, indirectement, à cause de moi ? Ce qui fait que, pour avoir fait foirer ton plan, dont j'avais aucune idée de l'existence, je le précise au passage, je devrais accepter de t'aider pour ''réparer'', de façon à réaliser le nouveau plan que tu es en train de mettre en place dans ta petite cervelle et dans lequel j'ai un rôle principal ? Te fatigues pas à répondre, je devine la réponse toute seule comme une grande. Et, je te le dis de suite, c'est non. C'est pas mon problème. Si t'as envie de jouer les héros solitaires et courageux qui se sacrifient, ça te regarde, mais, moi, c'est pas mon délire. J'ai déjà bien assez de problèmes et de préoccupations à gérer sans me rajouter ceux de ce monde. La Flamme Blanche, je l'évite et, si jamais te tombe sur certains de ses membres, je me ferais un plaisir de les massacrer, pour le principe. Je suis venue ici pour une raison : comprendre qui je suis, découvrir ce qui a causé mon amnésie, trouver ma place, mes origines et ma famille. Comme celle d'adoption que j'avais a été...tuée...j'ai plus que ça, alors j'ai pas l'intention de m'impliquer dans tout ce bordel géo-politique. Trouve quelqu'un d'autre pour jouer les justiciers masqués avec toi.
- Ça te permettrait de penser à autre chose, comme tu le désires.
- Je vais me répéter : ce n'est pas mon problème.
- Même si je te propose un échange, quelque chose à te donner contre ton concours à mes côtés ?
- Attend, attend, tu vas vraiment négocier en te servant de mon collier, que, j'en suis sûre, tu savais pertinemment appartenir à quelqu'un d'autre ? Là, je garantis pas de garder mon calme. Surtout que, avec ce qu'il s'est passé, je suis particulièrement sur les nerfs, mais, comme ça, ça me donnera l'occasion de me défouler !
- Je peux t'apporter plus que ton collier. Comme tu me l'as expliqué, tu recherches tes parents. As-tu des pistes ? Un endroit où démarrer tes recherches ? Des personnes à interroger ? Quelque chose à faire pour progresser ? (à ces questions, Richa contracta les mâchoires encore davantage, confirmant l'intuition de Yennaël). Pour le moment, je ne vois personne susceptible d'être de ta famille mais j'ai de nombreux contacts, je connais beaucoup d'autres Humcréas à travers toute l'Enclave. J'ai les moyens de te fournir des informations, des indices à exploiter, de quoi avancer dans les recherches, de te rapprocher de ta famille et de tes origines. Tout ça pourrait t'être fort utile et je peux le mettre à ta disposition, si, toi, ce sont tes capacités que tu mets à ma disposition.
- Bravo au grand défenseur des Humcréas qui ne soutient ses semblables que sous des conditions, une aide seulement monnayable.
- Je veux croire que le but que je me suis fixé, la destruction de la Flamme Blanche et la réhabilitation des Humcréas, est réalisable, qu'il n'est pas impossible, et que je peux l'atteindre. J'agis et je fais tout pour cela. Je ne me contente pas de rêver ou d'imaginer comment pourrait être le monde, j'essaye de le changer. Je ne suis pas un rêveur, je suis réaliste. J'ai compris il y a déjà longtemps qu'on ne pouvait changer le monde en gardant les mains propres. Il faut faire des sacrifices, de toutes sortes, et recourir à des moyens qui nous font honte, pour le bien du plus grand nombre, de ceux qui ne peuvent pas se battre. Je ne suis pas fier de te proposer cela mais j'ai besoin de ton aide pour cette opération, et ce n'est pas la première fois que je suis obligé de faire quelque chose dont je ne suis pas fier et je sais que ce ne sera pas la dernière. C'est comme ça.
- ''C'est comme ça'' ? Comme c'est pratique ! Des sacrifices à faire, comme c'est mélodramatique ! J'ai entendu ça dans toutes les merdes made in Hollywood, et j'en ai rien à foutre si tu comprends pas ce que c'est ! Mais, dis-moi, ces sacrifices, tu les fais toi-même ou tu laisses les autres les faire pour toi ? Tu vas me sortir qu'on peut pas sauver tout le monde, qu'il y a des dégâts collatéraux, pour accomplir une noble cause. Comme quand on laisse tout un groupe d'Humcréas se faire massacrer ! T'étais où, Monsieur le grand défenseur des Humcréas, quand toute ma famille est morte ? Je suppose que c'était un sacrifice à faire pour réaliser ton grand objectif, il fallait les laisser mourir pour pas mettre le plan en péril !
- Je comprends que tu sois en colère et que tu aies besoin d'un coupable, mais je n'y suis pour rien. Je n'ai jamais condamné aucun Humcréa et les seuls bûchers que j'ai allumé étaient pour les Hommes Blancs, mais c'est vrai que je ne peux pas sauver tout le monde et être partout à la fois. C'est justement pour cela que j'ai besoin de davantage d'aide, pour que ce genre de choses ne se reproduise plus jamais.
- Bien joué de retourner une accusation en argument, un vrai politicien, mais arrête de me prendre pour une conne. Ma réponse est toujours la même : va te faire foutre. Tu me promets des informations pouvant me conduire à mes parents ? Rien me dit que c'est la vérité, et, à chaque fois qu'on m'a fait miroiter quelque chose comme ça, j'ai eu des putains de problèmes. Et puis, des infos, je peux en trouver seule, j'ai justement découvert tout récemment un endroit plein d'Humcréas à interroger. De toute manière, j'ai ce que j'étais venue chercher. »
Repoussant Yennaël, qui tenta de la retenir en tendant les bras dans sa direction, davantage par réflexe qu'autre chose, Richa s'éloigna de quelques pas en arrière en brandissant son collier, dont la pierre bleu nuit pailletée d'or se balançait doucement au bout de la ficelle de cuir enroulée autour de ses doigts.
Les yeux ronds, Yennaël tâta la poche intérieure de son manteau dans laquelle il avait rangé le bijou, stupéfait. Il n'avait même pas senti la main de Richa s'y glisser.
Evidemment, la jeune fille n'avait pas prévu de s'emparer de son bien de la sorte en intention première lorsqu'elle était venue se blottir contre Yennaël mais elle y avait songé lorsque ses propos avaient commencé à lui déplaire.
Cherchant certainement encore à la convaincre, le jeune homme ouvrit la bouche en s'avançant d'un pas vers elle mais Richa l'écarta brutalement, le plaquant contre l'étagère, l'esquivant de façon à atteindre la porte qu'elle claqua derrière elle, quittant l'arrière-boutique.
De toute manière, ce refuge de fortune n'était certainement plus sûr pour eux, comme le propriétaire officiant dans son échoppe de l'autre côté l'avait probablement entendue alors qu'elle criait, s'emportant, maîtrisant encore moins ses émotions qu'à l'accoutumée à cause de son état profondément bouleversé.
A l'extérieur, elle fut accueillie par un vent violent qui sifflait en s'engouffrant dans la ruelle et charriait toutes sortes de choses : feuilles, affiches, déchets légers, partie de branches, linge arraché des cordes auxquelles il séchait, ainsi que de la pluie drue, qui gifla Richa et humidifia sa chevelure qui s'agitait furieusement dans le vent. Un temps particulièrement venteux et un ciel couvert d'une lourde chape de nuages gris, un ciel semblable au regard de Yennaël. Cette météo correspondait parfaitement à ce qu'elle éprouvait et il lui semblait que, sous cette pluie et dans ce vent, elle parvenait enfin à exprimer ce mélange de sentiments qu'elle ne pouvait même pas identifier.
D'ailleurs, certainement serait-elle restée dehors, le visage levé vers le ciel et les bras écartés, y goûtant et en profitant, si elle n'avait pas entendu la porte de l'arrière-boutique se refermer à nouveau, lui indiquant que Yennaël l'avait suivie.
A cette constatation, elle grommela simultanément avec un coup de tonnerre qui résonna au-dessus de la capitale.
N'accordant pas un regard au jeune homme, elle s'éloigna en remontant la ruelle, les mains enfoncées dans les poches de son pantalon.
Ne se résignant apparemment pas à accepte le refus de Richa, Yennaël l'appela – l'entendre utiliser son prénom ne la laissa étrangement pas indifférente – mais elle poursuivit son chemin et, demeurant sur sa position, elle tendit le bras en arrière pour lui présenter son majeur sans se retourner ou ralentir. Elle ignorait si ce charmant geste signifiait la même chose dans l'Enclave que sur Terre mais, dans tous les cas, Yennaël sembla saisir le message puisqu'il n'insista pas davantage et Richa quitta la ruelle sans qu'il ne tente plus de la retenir.
Elle s'était pourtant senti bien dans ses bras, apaisée. Il lui avait offert tout ce qu'elle réclamait en cet instant : une étreinte réconfortante. Ses paroles lui avaient apporté un peu de paix aussi, du moins, avant qu'il ne s'emporte dans son discours de personne atteinte d'un syndrome du messie.
Il lui semblait plus simple de ne pas s'impliquer avec lui et de se débrouiller par ses propres moyens.
Pour ce faire, elle se dirigea vers la fontaine où s'ouvrait l'un des accès aux sous-sols de la ville pour une nouvelle plongée dans le monde de la contrebande humcréa à la recherche d'informations.
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