Chapitre 20 - Les marais d'Enook

Redescendue de la falaise, laissant Aymerikk dans un état qu'elle avait préféré ne pas imaginer pour résister autant que possible à la culpabilité qui l'étreignait, Richa avait exposé aux autres son projet de quitter momentanément la sécurité du village pour se lancer à la recherche d'une vampire détenant possiblement des informations éventuelles, ce qui avait provoqué diverses réactions.
De l'inquiétude, principalement, de la voir s'éloigner de leur refuge, qui plus était accompagnée d'Aymerikk, qui n'avait cessé de manifester sa désapprobation face à son existence. Viviane et Sdania lui avaient demandé si elle se pensait capable de supporter ce voyage aux côtés du vampire et Hëphos avait tenté de la dissuader de partir.
Seul Endam l'avait félicitée pour sa découverte, satisfait de constater qu'il avait bien fait de la pousser à ne pas totalement abandonner sa quête – la jeune fille ne lui avait pas précisé qu'elle n'éprouvait aucune fierté pour la façon dont elle l'avait effectuée et que son insistance auprès d'Aymerikk avait plus été dictée parles émotions agressives causées par sa panique que par une réelle curiosité – mais le loup-garou n'avait pas pour autant été rassuré.
Il s'était d'ailleurs proposé de les accompagner, peu serein à l'idée de laisser Richa et Aymerikk seule à seul, mais la jeune fille l'avait convaincu de ne rien en faire, puisque le village avait besoin de son farouche protecteur davantage qu'elle, car elle savait se défendre, y compris face à Aymerikk, surtout à présent qu'elle avait compris les raisons de son dédain envers elle, ce qui devrait contribuer à apaiser leurs relations, tout comme les excuses qu'elle avait prévu de lui présenter.
C'était donc uniquement à deux, Richa et Aymerikk, qu'ils avaient quitté le village, bien qu'Endam ait parcouru quelques kilomètres à leurs côtés et que la jeune fille ait dû renvoyer Pilwick trois fois.
Le voyage devant durer plusieurs jours, Richa avait de nouveau rempli son sac de voyage de ses affaires, réparties entre l'étagère et le coffre de sa cabane depuis plusieurs semaines maintenant, emportant également des vivres et une maigre réserve de bois à destination des feux de camps, qu'elle n'avait cependant guère eu à utiliser puisque la majorité de leur progression s'était effectué durant la nuit, s'adaptant à la nature d'Aymerikk, même si ils avaient parfois prolongé leur trajet jusque sous les rayons timides de la mâtinée, desquels le vampire s'était protégé en portant un long et large manteau à la capuche perpétuellement rabattue sur son visage, qu'il avait gardé durant les journées, alors qu'ils s'étaient abrité à l'ombre qu'ils avaient trouvé pour se reposer.
En plus de cet épais vêtement, le vampire avait, tout comme Richa, emporté quelques affaires dans un sac, mais ses vivre à lui étaient contenues dans une outre dont il buvait plusieurs gorgées pour ses repas.
Comme Richa l'avait escompté, ce trajet avait été l'occasion d'échanger quelques paroles et donc pour elle de présenter ses excuses à Aymerikk pour son comportement et sa cruauté lors de sa confession au sujet de Sonja. Sans paraître lui en tenir particulièrement rigueur sans pour autant sembler lui accorder son pardon total, le vampire avait seulement haussé les épaules en répondant qu'ils étaient quittes.
Heureusement, les conversations qu'ils avaient tenues par la suite avaient été nettement moins tendues.
Peut-être car l'indiscrétion de Richa lui avait permis de trouver quelqu'un au courant de son histoire avec Sonja, certes contre sa volonté, Aymerikk s'était confié à la jeune fille sur des détails de son existence aux côtés de Sonja, comment ils échangeaient cette correspondance assidue et passionnée lorsqu'ils n'avaient pu être ensemble, lui stationné dans la caserne de la ville et elle travaillant dans les mines sous-marines, qui avaient d'ailleurs donné son nom à la cité où ils s'étaient rencontré.
Rien que dans la manière dont ses traits se métamorphosaient lorsqu'il l'évoquait, Richa avait pu sentir tout l'amour qu'il éprouvait encore pour la selkie.
Au détour d'un de ces échanges, Richa avait émis l'hypothèse que Sonja soit possiblement toujours en vie, puisque, après tout, Aymerikk n'avait jamais vu son corps ni sa tombe et que la famille de la jeune femme aurait pu avoir d'autres raisons pour formuler des reproches à l'encontre de l'amant de cette dernière que sa mort, une fugue ou même une grossesse, parmi d'autres théories.
A cette idée, Aymerikk avait d'abord secoué négativement la tête, refusant catégoriquement cette possibilité, puis il était demeuré longuement pensif et silencieux, avant de finalement acquiescer pour déclarer, soudainement particulièrement déterminé, que, dès qu'ils seraient de retour du marais d'Enook, leur destination, il se lancerait à la recherche de Sonja, pour ne revenir au village que lorsqu'il aurait pu vérifier le décès de la jeune femme, ou sa survie, fondant évidemment davantage d'espoirs sur la seconde possibilité, lorsqu'il aurait obtenu des certitudes.
Une détermination que Richa avait salué et soutenu, en ressentant néanmoins une certaine tristesse car elle avait eu la pensée que personne ne la rechercherait de la sorte par amour, Albane devant probablement être ravie de ne plus avoir aucune nouvelle d'elle, de la croire morte.
Sa soudaine affliction ayant été remarquée par Aymerikk, ce dernier lui avait affirmé que c'était la manière dont elle-même menait sa propre quête sur ses origines qui l'encourageait à se montrer si déterminé.
Même si la jeune fille s'était douté qu'il n'en pensait rien, car, même si leur relation s'était apaisé, elle ne l'était pas au moins qu'ils puissent s'inspirer l'un de l'autre, l'effort pour la réconforter l'avait touchée, bien qu'elle n'ait rien précisé sur les causes de sa peine. Certainement entraînée par les confidences d'Aymerikk, elle s'était à son tour laissé aller à quelques unes au sujet de son amnésie et de ses années sur Terre, sujet sur lequel elle avait cependant préféré ne pas s'attarder davantage.
Evidemment, leurs conversations avaient également eu des sujets plus légers, comme le paysage, la longueur du trajet ou bien leurs compagnons du village.
Ces discussions, qui avaient pourtant été entrecoupées de longs moments de silence, les avaient aidés à ne pas souffrir de la longueur du voyage.
Remontant vers le nord pour rejoindre le sud des Terres d'Eaux, il leur avait fallu deux jours, ou plutôt deux nuits, pour quitter leur forêt puis une autre pour atteindre les rives du Fiorth, le fleuve marquant la frontière entre les Terres de Plaines et les Terres d'Eaux.
Sa traversée avait été étonnement aisée. Profitant d'une météo couverte, ils avaient prolongé leur marche dans la journée plus que de raison pour l'épiderme sensible d'Aymerikk et leur fatigue, de façon à pouvoir se présenter au bord du fleuve durant les horaires de passage du passeur officiant sur ces berges.
Contre une maigre somme, payée par le pécule que Richa possédait toujours suite à la vente du butin récolté dans la demeure de Jonathan, la frêle barque les avait conduits sur la rive opposée, le seul incident de la traversée ayant été lorsque le passeur s'était enquit de la raison poussant Aymerikk à s'enrouler dans un pareil manteau si encombrant et que Richa avait répondu sans hésitation qu'il dissimulait les lésions disgracieuses laissées par une lèpre, ce qui avait motivé le passeur à ramer encore plus rapidement qu'à l'accoutumée pour se débarrasser de ces encombrants passagers. Yne fois qu'ils eurent débarqué sur les Terres d'Eaux, la jeune fille n'avait pu retenir son rire face à la moue vexée d'Aymerikk dont l'orgueil n'avait que moyennement apprécié le fait d'être qualifié de lépreux.
Il leur avait ensuite fallu deux nuits et demie de marche à travers une plaine humide, qui avait fait regretter à Richa de ne pas posséder de manteau comme Aymerikk pour se protéger du froid pénétrant y régnant, et ils entamaient à présent leur deuxième nuit de progression dans les marais d'Enook.
De jour, les lieux étaient déjà sinistres, mais la nuit renforçait encore davantage cet aspect. Se prolongeant sur des kilomètres, des portions de terre spongieuse se succédaient à des étendues d'eau stagnante dont la profondeur atteignait parfois un mètre.
La végétation était principalement aquatique avec toutes sortes de roseaux et d'algues, les premiers oscillant dans le vent en semblant échanger des murmures qui allaient se perdre dans le souffle des eaux, et les secondes ondulant au gré des déplacements dans l'eau, paraissant danser au son d'un rythme qu'elles seules entendaient.
Plusieurs arbres se dressaient également ici et là, sporadiquement, plongeant leurs racines dans la boue ou dans l'eau tourbeuse, avec une allure exprimant presque la lutte pour survivre en cet endroit hostile, avec des troncs épais à l'écorce crevassée et des branches rachitiques, qu'ils tendaient comme des membres décharnés recherchant quelque chose auquel s'agripper pour s'extirper de la vase. Avec les pans de mousse verdâtre et les lianes s'accrochant à leurs branchages, il était difficile de distinguer leurs feuillages de cette végétation parasite qui les enveloppait dans des linceul verdâtre, et il s'agissait d'un terme approprié, puisque de nombreux troncs gisaient au sol, presque autant qu'il y avait d'arbres encore debout, à moitié enfouis dans la tourbe ou submergés.
Par ailleurs, un fin lichen luisant faiblement dans l'obscurité d'un maigre éclat bleuté recouvrait tout, baignant les lieux dans une lumière surnaturelle.
Une ambiance renforcée par la lourde brume humide qui stagnait partiellement, émanant de l'eau et du sol gorgé, en détrempant les alentours, y compris les vêtements et la chevelure des deux voyageurs, et dans laquelle semblait se mouver des formes fantasmagoriques ou dans laquelle la végétation adoptait des silhouettes inquiétantes.
Tous les sons qui survenaient dans les marécages se répercutaient sur les étendues d'eau, rendant leur provenance impossible à déterminer et donnant la sensation d'être encerclé.
Beaucoup étaient des clapotements d'eau ou le vent sifflant entre les feuilles mais il y avait également ceux de la faune locale : hululements, sifflements, ronflements, grattements.
Richa n'avait pourtant  pas encore aperçu le moindre animal, à part les moustiques qui la suivaient sous forme de nuées, ce qui ne la rassurait guère. Si une région calme et rassurante comme les Collines Blanches était le territoire de chasse d'azghoules, elle préférait ne pas imaginer quel genre de créatures abritaient ces lieux.
Dans tout les cas, elle souhaitait rapidement en terminer dans cet endroit, qui ne lui plaisait vraiment pas, inquiétant et oppressant, sensations que la nuit augmentait encore, même pour une Humcréa nyctalope comme elle, et elle se demandait comment quelqu'un avait pu préférer se réfugier dans ces marécages plutôt que de rester au village de la forêt, certes quelques peu spartiate mais nettement plus agréable.
Heureusement qu'elle pouvait se répéter mentalement les paroles d'Aymerikk, qui estimait leur destination à proximité, pour s'encourager.
Actuellement, ils arpentaient une bande de terre, si on pouvait qualifier de terre ce terrain marécageux large de quelques kilomètres s'avançant dans l'océan, qui composait le sud des marais d'Enook avec trois autres bandes du même genre, dont les deux plus longues, la première et la dernière, n'étant séparées que par quelques kilomètres d'océan, formaient presque un lagon. La vue dégagée que permettait la topographie offrait la vision de l'océan à plusieurs kilomètres, que Richa distinguait sans être gênée par l'obscurité, et, encore plus loin, les falaises sombre formant les côtés d'une île dont Aymerikk refusa de lui parler.
Une soudaine luminosité sur sa gauche la tira subitement de ses pensées et elle se tourna pour constater qu'il ne s'agissait que d'un feu follet d'une couleur impossible à discerner entre le vert et le bleu flottant à quelques centimètres du sol. Richa soupira de soulagement. Les lieux la rendaient anxieuses.
Ce n'était pas le premier feu follet qu'ils croisaient depuis leur entrée dans les marais la veille. Avec tous les débris végétaux en décomposition, leur présence n'avait rien de surprenant, mais Richa s'en méfiait néanmoins.
Bien qu'elle connaissait les conditions de formations des flammes virevoltantes, dans un monde peuplé de magie comme l'Enclave, elle les soupçonnait d'avoir une tout autre nature que celle de boule de gaz.
Se détournant de cette apparition, rejointe par d'autres flammèches, la jeune filles e concentra à nouveau sur la silhouette d'Aymerikk ouvrant la marche devant elle, avant de la perdre dans la brume.
Grommelant tout bas, elle resserra ses bras autour d'elle en quête d'un peu de chaleur en grelottant. C'était tout juste si elle ne claquait pas des dents.
Devant elle, Aymerikk leva les yeux au ciel. En tant que vampire, il percevait nettement moins le froid et ne pouvait donc pas comprendre ce qu'endurait une frileuse jeune fille comme elle. Elle rêvait de s'enrouler dans une couverture qui n'aurait pas été détrempée par l'humidité devant une flambée généreuse.
D'ailleurs, combien de temps celui faisait-il depuis la dernière fois qu'elle avait pu prendre une douche chaude ? Des semaines, des mois. Il y avait parfois certains instants où elle s'interrogeait sur la pertinence de sa quête et de sa venue dans l'Enclave, surtout lorsqu'elle se retrouvait dans une telle situation et que la lassitude venait peser sur elle.
Dans un soupir, elle tira sa jambe d'un coup sec pour extirper sa semelle de la vase collante qui tentait de retenir son pied.
À cause de ce sol spongieux, chaque pas exigeait davantage d'efforts et d'énergie que n'importe quelle autre progression dans des circonstances plus propices à la marche.
S'arrêtant soudainement en tendant le bras, Aymerikk la força à stopper pour lui indiquer la droite du marais, où se trouvait un maigre bosquet d'arbres aux formes tout aussi torturées que celles de ceux qu'ils croisaient depuis leur arrivée dans les marécages, camouflé par la brume. La seule chose qui permettait de deviner qu'il s'agissait d'arbres étaient les quelques branches squelettiques dépassant du brouillard.
Pour le reste, l'environnement demeurait identique à tout ce qu'ils avaient précédemment pu observer. Peut-être que l'odeur de pourriture omniprésente était davantage chargée en iode, avec la proximité de l'océan – Richa soupçonnait ces marais d'être salants – et elle se demandait comment Aymerikk parvenait à se réprer dans ces lieux, mais, quelque part, elle s'en moquait, attendant seulement qu'il la conduise à cette vampire, cette Lirrka, qui, elle l'espérait, lui apporterait quelques réponses.
Reprenant sa progression, avec la jeune fille à sa suite, Aymerikk lui indiqua que c'était dans ce bosquet que la vampire qu'il venait trouver s'était établie.
Une moue dubitative passa sur le visage de Richa à cette information, alors qu'elle se demandait pourquoi s'exiler dans un pareil endroit alors qu'il y avait certainement des lieux plus accueillants où se cacher de la Flamme Blanche tout aussi efficacement.
Ecartant ces réflexions, qui ne l'amenaient nulle part, elle emboîta le pas à Aymerikk, traversant la langue d'eau stagnante, qui lécha le cuir des bottes de Richa en éclaboussant la toile de son pantalon par des gouttelettes projetées par leurs déplacements, jusqu'au lopin de terre boueuse accueillant le bosquet.
Pénétrant dans la brume, ils progressèrent vers le centre du bosquet et le brouillard leur révéla ce qu'il restait des murs carbonisés d'une cabane, éclats de planches gisant dans la vase et pans de murs irréguliers se dressant encore sur un ou deux mètres, déjà rongés par l'humidité et la pourriture de l'endroit, vermoulus et recouverts de mousse et de lichen qui émettait la même lueur surnaturelle que partout ailleurs dans les marécages.
Dans un juron, Aymerikk se précipita vers l'habitation en ruines, suivi de Richa qui ne se laissa pas distancer.
Dans la pièce que les restes de cabane délimitaient encore vaguement, on devinait la forme de certains meubles et divers objets éparpillés, vêtements, vaisselles, plateau de jeux, le tout recouvert d'un linceul de vase. Certaines taches sur le bois évoquaient du sang à Richa mais elle ne pouvait en être certaine, l'humidité ambiante l'ayant détérioré et partiellement effacé.
De toute évidence, il n'y avait plus personne avec qui parler ici, depuis un certain temps déjà.
Que s'était-il donc passé ?
Se tournant vers Aymerikk pour échanger ces interrogations et ses hypothèses, elle le découvrit à quelques mètres, noyé dans la brume, penché vers le sol, comme pour ramasser quelque chose.
Le rejoignant, Richa s'enquit de ce dont il s'agissait et, se relevant, le vampire tendit un morceau de tissu taillé comme un étendard, taché de moisissures et d'humidité. À côté demeurait ce qui semblait avoir été un mât auquel le suspendre, confirmant la nature de drapeau de cette étoffe.
Un étendard blanc sur lequel on distinguait tout juste un motif de flamme brodé en fils blancs, signant cette destruction.

« On dirait bien que la Flamme Blanche a retrouvé Lirkka... Constata sombrement Richa.
- Même en se cachant au fin fond d'un endroit pareil, on peut pas être en sécurité aujourd'hui quand on est un Humcréas, grinça Aymerikk. Mais merde ! Nous sommes venus jusqu'ici pour rien !
- C'est bon, ça n'a plus d'importance, soupira Richa soudainement épuisée. A quoi bon rechercher une famille ? J'en ai déjà une au village. Je veux juste rentrer. Je voudrais m'asseoir devant le feu de Brasier et manger la cuisine de Viviane.
- Je comprend. Allons-y. Ce n'est pas la peine de rester davantage dans les parages. »

D'un geste du bras, Aymerikk invita Richa à se remettre en route, refaisant en sens inverse le parcours qu'ils avaient tant peiné à effectuer pour regagner le village sans le moindre résultat. Une monstrueuse perte de temps. Plusieurs jours de marche pour rien.
Tout ce que la jeune fille avait obtenu était un coup de froid, et la certitude que, en tant qu'Humcréa, elle ne serait jamais en sécurité nulle part, dans l'Enclave ou dans un autre monde, quels que soient ses efforts pour se dissimuler ou sa cachette. Ce n'était qu'une question de temps.
Aurait-elle trouvé sa place en ce monde, ou le suivant, avant que la Flamme Blanche ne la découvre ? Trouverait-elle encore des personnes pour la renseigner sur des pistes à suivre au sujet de ses origines, si un jour elle souhaitait reprendre ses recherches, ou toutes auraient-elles déjà été supprimées par la Flamme Blanche ?
D'ailleurs, avait-elle encore des parents à retrouver ou bien avaient-ils alimenté les bûchers de l'organisation il y avait longtemps déjà ? Combien de temps elle et les autres habitants de leur cher village pourraient-il vivre sans être inquiétés ni se sentir menacés par la Flamme Blanche ? Ne risquaient-ils pas de se retrouver confrontés à la sombre réalité d'être des Humcréas tôt ou tard, tout comme cette vampire, cette Lirkka, qui aurait possiblement pu être sa mère, qui était allée jusqu'à s'exiler dans un endroit comme les marais d'Enook pour espérer y être en sécurité sans que cela n'ait pourtant suffit à la protéger de la Flamme Blanche ?
Ces questions et pensées accompagnèrent Richa durant l'intégralité du retour, occupant les nuits de marche et les jours de sommeil, qui furent ainsi bien moroses et mornes, dans un silence lourd car ils n'échangèrent guère, leurs conversations de l'aller, déjà sporadiques, n'étant plus qu'un souvenir de cette première partie du voyage, Aymerikk étant tout aussi préoccupé que la jeune fille.
Le seul aspect agréable de cet trajet de retour fut la sortie des marécages, même si la plaine jusqu'au Fiorth était tout aussi humide que le marais.
Ils purent à nouveau dormir au sec une fois sur le territoire des Terres de Plaines et ils se sentirent un peu mieux une fois qu'ils eurent pénétré sous le couvert des frondaisons de la forêt.
Plusieurs kilomètres les séparaient encore du village, mais ils avaient déjà davantage la sensation d'être chez eux, si bien qu'ils menèrent à nouveau quelques échanges, sur leur hâte de rentrer et de retrouver leurs compagnons, dont Aymerikk était donc finalement plus proche que ce que son comportement des dernières semaines l'avait laissé supposer à Richa, repoussant quelque peu leur sombre humeur et leur lourde déception.
L'un comme l'autre souhaitait seulement retrouver la tranquillité de leur foyer paisible où la plus grande menace était les plaisanteries de Pilwick, pour se détacher de ce sentiment qui les étreignait en leur nouant la gorge et leur alourdissant l'estomac depuis leur découverte de la mort de Lirkka.
Si bien que, à l'approche du village, ils accélèrent inconsciemment le pas pour regagner leur bourg plus rapidement, le chemin qu'ils suivaient à travers les troncs et les racines de la forêt faiblement éclairés par la discrète lumière de la dernière lune qui les accompagnait.
Alors qu'ils ne se trouvaient plus qu'à quelques mètres du village – ils distinguaient déjà les hauteurs de la falaise entre les arbres– une odeur piquante de fumée leur parvint, leur irritant la gorge et leur brûlant les yeux tant elle était puissante et soudaine, ne leur laissant pas le temps de s'y habituer.
Les sourcils froncés, tous deux échangèrent un regard perplexe, se questionnant sur la source de cette odeur.
Les feux créés par Hëphos n'étaient pas importants au point de dégager l'odeur de leur combustion sur des dizaines de mètres, comme actuellement, sans compter qu'ils prenaient toujours soin de sélectionner des essences de bois qui ne produisaient que peu de fumée, et donc d'odeur, justement pour éviter d'être repérés.
Quelque chose n'était pas normal. Il y avait un problème.
Richa et Aymerikk n'eurent pas besoin d'échanger verbalement, à peine davantage qu'un regard pour confirmer qu'ils avaient le même terrible pressentiment avant de s'élancer en direction du village, la poitrine comprimée par une subite appréhension qui lui permettait tout juste de respirer. Malgré sa vélocité surpassant celle d'un humain ordinaire, Richa ne pouvait rivaliser avec la vitesse d'un vampire et Aymerikk la dépassa rapidement.
Alors qu'elle courait à la suite d'Aymerikk, Richa sentait son corps se glacer et sa rationalité se brouiller sous l'angoisse, qui faisait s'agiter son cœur à tel point qu'il lui semblait que c'était lui qui obstruait sa gorge en y étant remonté. Elle s'efforçait pourtant de se raisonner, se répétant à voix basse qu'ils paniquaient pour rien, que Hëphos avait simplement perdu le contrôle de ses pouvoirs, causant un incendie sans gravité ni réelle conséquence, et qu'ils trouveraient le village comme à l'accoutumée, que le seul incident notable de la journée serait Aymerikk et elle débarquant totalement affolés sans raison valable, incident dont ils riraient autour de leur chasse du jour rôtissant au-dessus du foyer.
De toute manière, il ne pouvait rien arriver au modeste bourg, puisque Endam veillait farouchement dessus.
Elle ne devait pas permettre à l'angoisse de la dominer en la faisant extrapoler ses craintes.
Soudainement, elle fut freinée et retenue par un bras solide qui se dressa en travers de sa course, la stoppant brutalement en la heurtant à la poitrine.
Par réflexe, elle allait pousser une exclamation, mais Aymerikk lui plaqua une paume sur la bouche, l'empêchant de l'émettre, et il la tira violemment en arrière, l'amenant derrière un arbre contre lequel il s'appuyait, la ceinturant contre lui.
La jeune fille grogna en se débattant légèrement, la prise d'Aymerikk sur elle lui étant douloureuse et il l'étouffait à moitié avec sa main sur son visage mais elle comprenait qu'il ne faisait pas exprès et elle le sentait trembler contre elle. Sa respiration erratique confirmait son état de panique.
Que s'était-il passé ? Quelle vision lui avait-il épargnée ?
Le peu d'assurance qu'elle s'était reconstitué par ses tentatives de réconfort vola en éclats. Il s'était passé quelque chose, tout n'était pas normal.
Elle devait savoir, même si l'appréhension lui broyait les épaules.
Se dégageant, elle échappa à la prise d'Aymerikk, qui cherchait à la retenir, pour se tourner vers le village, ou, plutôt, ce qu'il en restait encore.

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