Chapitre 15 - Pleine lune [2/2]
Plus inquiétée qu'effrayée par le son, sachant parfaitement d'où il provenait, Richa bondit sur ses pieds et se rua jusqu'à la cabane d'Endam, Hëphos à sa suite.
Comme elle s'en doutait, quelque chose de lourd bloquait la porte, ici faite de bois. Cherchant donc un autre accès, elle contourna la cabane jusqu'à la fenêtre la plus proche mais elle la découvrit obstruée de planches, comme toutes les autres. Endam s'était assuré de se créer une véritable cellule. Sa résistance face à la force brute d'un loup-garou déchainé ne pouvait cependant pas suffire.
Succédant au silence qui y régnait précédemment, des grognements émanaient de l'intérieur ainsi que des halètements et des fracas de bois, indiquant qu'il ne resterait probablement plus grand chose du mobilier lorsque la crise serait passée.
Ne pouvant l'abandonner dans cet état, poussé par davantage que par la demande de Sdania, voyant actuellement en Endam un Humcréa luttant contre sa nature et se retrouvant quelque peu dans cette image, Richa revint à la porte en courant et se jeta contre le battant, épaule en avant, pour tenter de le faire pivoter, en vain, ce qui ne la découragea pas pour autant.
S'acharnant, elle continua encore et encore, prenant de l'élan pour s'abattre contre la porte, ignorant la douleur qui remontait un peu plus dans sa clavicule à chaque impact, ce qui semblait par ailleurs énerver Endam de l'autre côté, mais elle ne pouvait se résoudre à l'abandonner et c'était le seul moyen qu'elle avait d'entrer, du moins, le seul qu'elle entrevoyait, incapable de réfléchir posément à une solution en ces circonstances.
Certainement aurait-elle encore insisté jusqu'à se briser l'os si Hëphos ne l'avait pas retenue en la saisissant par le poignet pour la tirer en arrière.
Tentant de l'éloigner de la porte malgré ses ruades, il lui conseilla de le laisser, qu'ils ne pourraient rien faire, à part attendre que le jeune homme ait retrouvé ses esprits, en lui signalant que c'était dangereux de s'attarder ainsi à proximité d'un loup déchainé.
Refusant catégoriquement de l'écouter, la jeune fille secoua la tête de gauche à droite et se dégagea de la poigne de Hëphos, s'apprêtant à se précipiter à nouveau sur la porte, mais, avant qu'elle ne l'atteigne, plus qu'à quelques centimètres des planches, elle éclata, projetant des fragments de bois en tous sens.
Sous la surprise et la violence du coup, Richa chuta en arrière, se retrouvant au sol, en grimaçant, l'un des éclats venant de l'entailler dans le cou. Étourdie, elle releva le regard sur ce qu'elle comprit être Endam, bien que la chose devant elle ne possédait que peu de points communs avec le jeune homme.
La dominant de sa taille avoisinant les deux mètres, un gigantesque loup se tenait dans ce qu'il restait de l'embrasure de la porte. Dressé sur ses pattes arrière, dont les griffes s'enfonçaient dans la terre, peut-être pour se maintenir ainsi debout, sa musculature impressionnante se devinait à travers son épaisse fourrure marron glacé, comme sa chevelure sous sa forme humaine, hérissée sur son corps et Richa imaginait qu'il était parfaitement capable de la briser sans fournir le moindre effort.
D'après ce qu'elle pouvait apercevoir de l'intérieur de la cabane, ses puissantes griffes avaient laissé de profondes marques sur toutes les parois et plus aucun meuble n'était intacte.
Ses babines retroussées, dégoulinantes de salive, dévoilant ses longs crocs acérés, et ses oreilles rabattues sur son crâne traduisaient son agressivité, mais le plus inquiétant étaient cependant ses yeux jaunes, injectés de sang et roulant dans leur orbite : totalement fous. Richa croyait pourtant également y déchiffrer une lourde peine et, parmi les grognements menaçants qu'il poussait, il lui semblait reconnaître le nom de Sdania, prononcé avec des syllabes mal formulées, presque incompréhensibles.
Face à cette apparition, Richa demeura paralysée, les yeux écarquillés, contrairement à Hëphos.
La saisissant par les épaules, il alla pour la tirer en arrière, l'éloignant du loup enragé, mais ce dernier se laissa tomber sur ses pattes avant pour s'avancer vers eux.
L'élémentaire de feu se figea, se doutant que le mouvement aurait risqué d'attirer l'attention du loup en les poussant à les attaquer pour les déchiqueter. L'immobilité apparaissait comme la meilleure solution face dans cette situation. Tout comme lui, Richa n'esquissa pas le moindre mouvement, respirant à peine.
Un bruit de course sur sa droite la convainquit cependant de rompre son immobilité et elle tourna la tête sur le côté, très lentement, pour ne pas alerter le loup, et elle avisa Cobralta, qui stoppa à quelques mètres d'eux en découvrant cette scène.
Dans l'intention de protéger ses deux compagnons en bloquant le loup, la jeune femme défit le turban qu'elle portait, révélant sa chevelure de fins serpents blancs aux reflets nacrés qui cascada jusqu'à sa poitrine en s'agitant légèrement, sifflant doucement.
Devinant qu'elle comptait paralyser le loup, capacité propre à son espèce, justement ce que Sdania souhaitait éviter, Richa secoua négativement la tête pour l'en dissuader, préférant ne pas en arriver à cette extrémité, même si elle n'hésiterait pas à y avoir recourt si la situation devenait trop dangereuse, mais, avant, elle tenait à tenter de raisonner Endam, certaine de trouver la conscience du jeune homme dans cette bête enragée.
Très lentement, elle tendit la main vers le museau du loup en l'appelant par son nom à voix basse.
Alors que ses doigts frôlaient sa fourrure, le loup grogna plus fort et sa mâchoire claqua à seulement quelques millimètres de sa main, qu'elle retira vivement par réflexe en la ramenant vers elle, attrapant sa pierre pendant à son cou. Le contact froid contre sa paume lui fit comprendre qu'elle n'avait peut-être pas entendu le loup prononcer le nom de Sdania mais qu'elle l'avait possiblement capté grâce à ces pouvoirs. Elle aurait donc un accès aux pensées d'Endam.
Quel meilleur moyen pour ramener sa conscience humcréa à la surface pour chasser celle déchainée de l'animal que de l'atteindre directement ?
La situation ne favorisait aucunement la concentration nécessaire pour user de ces pouvoirs, surtout que le loup s'était approché d'elle, son museau à quelques centimètres de son visage, sa salive gouttant sur ses joues, semblant prêt à lui sauter à la gorge à tout instant, et son cœur s'affolait dans sa cage thoracique, à présent terrorisée, mais, si elle voulait respecter la demande de Sdania, elle n'avait guère le choix, et elle s'y attachait, se considérant comme responsable puisqu'elle avait été négligente.
Fermant les paupières, malgré la peur, qui bloquait son souffle dans sa œsophage, elle se focalisa sur Endam, ce qui ne s'avéra finalement pas si difficile comme elle peinait actuellement à penser à autre chose avec la menace qu'il représentait.
Au départ, elle se heurta à une muraille de bestialité et de colère, comme si il ne subsistait plus rien du jeune homme raisonnable qu'elle connaissait, mais, comme avec la porte, elle insista, recherchant une faille dans ce mur, une fissure, n'importe quoi pour le franchir.
Avant de le réaliser pleinement, elle se retrouva soudainement immergée dans l'esprit d'Endam, recevant de plein fout toute sa colère et sa peine, qu'avait évoquées Sdania.
Sous son regard, du moins, une certaine forme de regard psychique, elle assista à une scène, probablement des souvenirs appartenant au jeune homme.
L'endroit ressemblait à un campement temporaire avec une douzaine de tentes, dressées entre les arbres d'une forêt de pins, occupé par des personnes, certaines sous forme humaine et d'autres sous forme lupine, allongées au sol, somnolentes.
Parmi elles, Richa ne repéra qu'un seul enfant, tous les autres ayant déjà dépassé l'adolescence. Il ne devait pas atteindre davantage que les quatre ans et Richa ne l'identifia que par ses cheveux marron glacé bouclés et ses yeux jaunes couleur vieil or. Deux personnes, un couple, semblaient lui faire la classe – son éducation de jeune loup-garou ? - probablement étaient-ce ses parents, comme le confirmaient les quelques ressemblances qu'elle releva et la tendresse que les deux adultes manifestaient envers le petit.
Ce tableau idyllique ne dura guère.
L'enchainement des événements fut assez flou, tout comme la majorité des visages, même ceux de ses parents manquaient de précisions, certainement car il s'agissait là de souvenirs conservés par un enfant en proie à la panique.
Les individus sous forme lupine s'agitèrent soudainement, grognant sourdement et se redressant, et ceux sous forme humaine ne tardèrent pas à en faire de même. Rapidement, toute la meute se transforma, réagissant au danger, juste avant que des hommes intégralement vêtus de blanc n'envahissent les lieux, épée au clair.
Soulevant le petit dans sa gueule, à présent transformée, en veillant à ne pas le blesser, la mère s'enfuit, couverte par le père, songeant uniquement à protéger leur enfant qui sanglotait. Le garçon eut le temps d'apercevoir des fragments des affrontements, qui s'étaient imprimé dans sa mémoire sous la forme d'images tachées de sang et envahies de cadavres aux yeux fixes ou de membres sectionnés.
Leur fuite ne les emmena pas loin, soudainement freinée par un filet qui s'abattit sur eux. D'après les brûlures qui apparurent sous la fourrure des loups et les grognements de douleurs qu'ils poussèrent, les filets étaient tissés d'argent.
Tous les autres membres de la meute, qui avaient jusqu'alors le dessus sur leurs attaquants, furent immobilisés d'une façon semblable.
Protégeant le petit de la morsure de l'argent de leurs corps, ses parents l'encouragèrent à se métamorphoser, ce qui se produisit finalement aisément à cause de la terreur. Probablement s'agissait-il de sa première transformation car la douleur manqua de lui faire perdre connaissance, brouillant encore davantage ses souvenirs, mais ses parents le forcèrent à demeurer conscient puis, soulevant l'un des coins du filet, alourdis par des plombs, qui empêchaient les prisonniers de se glisser entre les espaces existant entre, trop étroits pour leur taille, mais pas pour celle d'un louveteau.
Poussé par ses parents, il se faufila par cette issue avant de s'enfuir dans la forêt, aussi loin et rapidement que possible, alors que s'élevaient dans son dos les râles d'agonie des loups de la meute abattus un à un.
Richa revint brusquement à elle, extirpée de ces souvenirs, qui la laissèrent légèrement tremblante car elle les avait vécu à travers les yeux et les émotions d'un jeune enfant.
Pas étonnant qu'Endam abrite en lui une pareille colère et tristesse qui se réveillaient avec la pleine lune, si il avait ainsi vu sa famille se faire massacrer alors qu'il n'était qu'un jeune enfant.
Il lui fallut quelques secondes pour se reconnecter à la réalité, et, lorsqu'elle le fit, elle découvrit qu'elle n'était plus menacée par un gigantesque loup déchainé.
A la place de ce dernier, Endam était recroquevillé au sol, les mains sur son crâne, comme pour se protéger de quelque chose, son corps dénudé agité de spasmes. Visiblement, avoir fait involontairement remonter ces souvenirs traumatisants l'avait calmé, bien que bouleversé.
A côté d'elle, surpris, Hëphos retira sa tunique pour en recouvrir Endam, qui ne réagit pas, et Cobralta conseilla de l'amener à l'intérieur pour l'étendre, tout en refaisant son turban, sous lequel elle emprisonna sa chevelure de serpents pour éviter tout incident accidentel.
Acquiesçant, Richa s'en chargea, se sentant soudainement plus proche d'Endam après ce partage de souvenirs.
Le relevant avec quelques difficultés, aidée par Hëphos et Cobralta, elle le conduisit dans ce qu'il subsistait de sa cabane.
Réunissant des planches, les oreillers et les restes de paillasse, ils lui confectionnèrent un matelas de fortune sur lequel ils l'allongèrent avant de l'envelopper dans la couverture.
S'asseyant à terre à côté de lui, Richa assura qu'elle allait veiller sur lui jusqu'à ce qu'il se réveille ou qu'il semble se remettre, et, comme elle avait réussi à chasser le loup déchainé, les autres lui accordèrent leur confiance pour cette tâche mais ils lui conseillèrent de les appeler si il se produisait à nouveau quelque chose avant de se retirer.
Remontant ses genoux contre sa poitrine pour les entourer de ses bras et poser son menton dessus, la jeune fille se prépara à attendre un signe de changement dans l'état d'Endam.
Le jeune homme ne souffrit d'aucune nouvelle métamorphose incontrôlée, du moins, pas totalement. Par intermittence, une fourrure drue le recouvrait soudainement, des crocs ou des griffes lui poussaient, avant de disparaître tout aussi subitement, certainement sous l'influence de la pleine lune, et il continuait à gémir ou grogner dans son inconscience.
Les quelques heures qui s'écoulèrent s'enchainèrent de la sorte jusqu'à ce que, se redressant brusquement, Endam se réveille.
La respiration affolée, il regarda autour de lui, paniquant légèrement, et le premier mot qu'il prononça, peut-être par réflexe, fut le nom de Sdania mai sil s'aperçut que celle qui se tenait actuellement à ses côtés n'était pas sa compagne mais Richa.
Prolongeant son observation, il avisa l'état lamentable de son intérieur et comprit ce qu'il était arrivé, même si ce qu'il était survenu lorsqu'il avait été transformé échappait entièrement à sa mémoire.
D'un ton incertain, craignant la réponse, il s'enquit auprès de la jeune fille :
« Tout le monde...va bien ?
- Le plus mal en point, c'est toi. Répondit Richa.
- Tant mieux... Je...j'aurais jamais pu...enfin... Comment avez-vous fait pour me calmer ? Normalement, seule Sdania peut...
- Ah euh...c'était plus ou moins involontaire. Je...me suis projeté dans ton esprit et j'ai exposé un souvenir douloureux mais j'ai pas vraiment fait exprès...
- De quel droit ? Siffla Endam, les poings serrés sur les plis de la couverture à s'en blanchir les jointures, le visage détourné sur le côté.
- Quoi ?
- De quel droit as-tu fait ça ? Rugit Endam.
- Je t'ai dit que j'avais pas fait exprès, j'ai pas voulu le faire ! C'était pas mon intention. Mais je suis vraiment désolée...ce qu'il s'est passé lorsque tu étais enfant...
- Je t'interdis d'en parler. Ordonna durement Endam en l'interrompant d'un ton dur et tranchant.
- Mais...
- Va t'en ! »
Hurla Endam, stupéfiant Richa car, si elle se doutait que faire remonter ce traumatisme à la surface et l'évoquer aurait été bouleversant et douloureux pour le jeune homme, elle ne s'attendait pas à ce qu'il s'emporte de la sorte, surtout pas alors que, il y avait quelques heures encore, elle ne l'avait jamais entendu hausser la voix.
Ébahie, la jeune fille n'obéit pas et demeura sur place, cherchant quelque chose à dire pour réconforter Endam, devinant que la fureur camouflait toute l'ampleur de son chagrin, mais le jeune homme ne lui en donna pas l'occasion. Bondissant sur ses pieds, il la saisit durement par le bras, la forçant à se lever et il la traina hors de la cabane, la jetant à l'extérieur. Si elle avait encore été entière, il aurait probablement claqué la porte.
N'insistant pas, Richa s'éloigna, le menton baissé.
Elle comprenait la colère d'Endam. Après tout, elle-même considérait le fait de lire les pensées d'autrui comme un viol, alors pas étonnant que la victime se révoltait en la fustigeant. Elle était désolée.
Avoir Endam contre elle n'allai tpas faciliter sa cohabitation avec les autres membres du groupe, comme si elle n'en avait déjà pas assez d'Aymerikk, mais ce n'était certainement guère important.
Après tout, ce n'était pas comme si elle comptait s'établir autrement que momentanément dans le village.
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