Chapitre 12 - Plainiore
Après un laps de temps qu'elle n'avait pas mesuré, où elle était demeurée comme amorphe, prostrée, sans même plus pleurer, subissant le choc de sa détention par Jonathan, Richa s'était reprise, ne pouvant rester ainsi plus longtemps, surtout si il y avait les restes d'une patrouille de la Flamme Blanche qui exploraient la forêt à la recherche de deux fuyards, ce qui semblait tout à fait possible.
Par ailleurs, comme elle ne possédait à présent plus aucune réelle piste à suivre, à part toujours l'hypothèse selon laquelle elle appartenait aux Filles de Kall'ghan, qu'elle ne pouvait ni confirmer ni infirmer, ses préoccupations se concentraient à nouveau uniquement sur sa survie et les moyens à déployer pour la favoriser, ce qui l'amenait logiquement à se diriger vers la zone ''civilisée'' la plus proche. Premièrement car elle avait les objets de valeur subtilisés à la demeure de Jonathan à revendre, et, deuxièmement car, pour espérer trouver des informations à exploiter, il lui fallait se rendre dans un endroit où se trouvait du monde, même si on ne risquait pas de parler d'Humcréas dans les chaumières, autrement que pour célébrer leur mise à mort.
Elle avait donc décidé de se rendre à la ville la plus proche, délaissant le village de Doppling à l'orée de la forêt, s'en étant éloigné pour gagner les Griffes de Zbagodd, craignant de croiser les membres de la Flamme Blanche et jugeant également qu'il aurait été plus aisé pour elle de vendre un pareil butin discrètement dans une grande cité.
Sa destination était Plainiore, capitale des Terres de Plaine pour lesquelles elle avait donc quitté les Terres de Fer, la frontière étant marquée par la dernière des Griffes de Zbagodd, située à huit jours de marche de la forêt à travers les larges étendues de pâturages et des quelques champs formant cette région du royaume sobrement nommée plaines du sud. Du moins, c'était ce qui était inscrit sur la carte confiée par Anna'ën.
Visiblement, la ressource principale des Terres de Plaines était l'élevage et les cultures servaient surtout à nourrir les troupeaux.
Sur le chemin, Richa ne rencontra que peu de personnes, seulement quelques ouvriers agricoles travaillant dans les champs et les prés. Certains se contentèrent de l'ignorer, d'autres la saluèrent de loin lors de son passage et elle alla même jusqu'à partager son repas avec un groupe d'entre eux, un instant sympathique qui lui avait permis de constater que sa nature d'Humcréa était parfaitement dissimulée par le sort qu'elle portait au cou. Aucun d'entre eux ne l'avait un instant soupçonnée.
Le voyage avait donc été paisible et sans incident, surtout à présent qu'elle avait les moyens de changer entièrement de vêtements et de se laver régulièrement. Le plus important était que le trajet lui avait permis d'évacuer une partie du choc.
Evidemment, y repenser la faisait toujours frisonner mais, tant que le sujet n'effleurait pas ses pensées, elle le surmontait sans aucune difficulté, le refoulant au fond d'elle en se focalisant sur autre chose. Le plus grand inconvénient n'était pas ce qu'il s'était produit en soi mais plutôt que ce traumatisme avait fait, pour une raison ou une autre, ressurgir l'image d'Albane dans son esprit, souvenir qu'elle s'efforçait par-dessus tout d'ignorer, et elle ne parvenait plus à l'écarter, même si elle suppliait pour qu'on arrache ce visage de ses pensées.
La proximité avec la capitale fut assez évidente à relever puisque, à son approche, la route, pavée depuis quelques kilomètres, s'élargissait en se faisant plus fréquentée et le paysage était parsemé de plus en plus de petites habitations, qui succédaient aux fermes qu'elle avait observées jusqu'ici, et elles se faisaient de plus en plus nombreuses. Certainement étaient-ce celles de personnes travaillant à Plainiore mais qui n'y avaient trouvé leur logement, d'où l'affluence sur la route d'ailleurs.
Les remparts de la ville se profilèrent peu après, en pierres fauves. A l'intérieur, les constructions paraissaient tassées les unes contre les autres en laissant à peine d'espace, faisant déjà presque suffoquer Richa à distance.
D'autres chaumières se massaient à leur pied, comme une ville avant la ville et les frondaisons feuillues d'une forêt apparaissaient derrière.
Des gardes en uniformes vert prairie, couleur qui semblait toute indiquée pour les Terres de Plaines, surveillaient la large porte, dont les battants en planches épaisses renforcées de pièces métalliques actionnées par un système de roues et de chaines étaient largement ouverts. Ils ne vérifiaient cependant pas les identités ni quoi que ce soit d'autres, se contentant de s'assurer que tout se déroulait sans problème, même si ils comparaient les avis de recherche placardés sur les murs aux visages de ceux qui passaient devant eux. Richa n'eut aucune difficulté à franchir les remparts et elle se retrouva dans l'enceinte de la capitale.
Comme elle l'avait pressenti en approchant, il ne semblait pas y avoir d'oxygène à respirer à cause de l'étroitesse des rues, renforcée par le flot de personnes qui y grouillait, et par le fait que l'horizon était totalement bouché. Quel que soit l'endroit où elle regardait, sa vision se trouvait bloquée par les bâtiments hauts et étroits, lui donnant un désagréable et affolant sentiment d'enfermement. Sa poitrine en était comprimée.
A rajouter à cela, le fait que les passants étaient forcés de marcher presque collés les uns aux autres rendait particulièrement prenante l'odeur des corps qui écrasait tout le reste.
Le premier réflexe de Richa face à ces premières observations fut de faire demi-tour pour s'extirper de cette ville où il lui semblait impossible de respirer. Au moins, dans la cité blanche, qu'elle savait à présent se nommer Port Blanc, la couleur blanche qui dominait donnait une impression de largeur et il y avait bien plus d'espaces, mais la plus grande fierté y était les bûchers sur lesquels mourraient des Humcréas.
Se résignant donc en prenant une profonde inspiration, ce dont elle aurait peut-être dû s'abstenir parce que l'odeur écœurante qui stagnait en profita pour s'insinuer dans sa gorge, la jeune fille renonça à quitter Plainiore pour plutôt se glisser dans la foule, ce qu'elle n'apprécia guère.
Premièrement car, avec sa petite taille, elle se sentait particulièrement écrasée au milieu des badauds, où elle avait la pénible sensation de se noyer, ensuite, car elle peinait à choisir sa propre direction, ne pouvant que suivre le flux, même si elle n'avait aucune destination précise à gagner dans la ville et, surtout, dernièrement, car il lui semblait que certains des contacts qu'elle subissait alors qu'elle avançait n'étaient pas que de simples accidents dus à la proximité des passants et elle n'avait même pas l'occasion de repousser ces mains baladeuses en expliquant à leur propriétaires que son corps n'appartenait qu'à elle-même et qu'un vêtement moulant n'était nullement une invitation à ce genre de comportements.
Tant de raisons pour elle de préférer évoluer en pleine forêt.
Certainement que l'atmosphère était moins poisseuse dans les quartiers plus aisés mais elle n'avait guère de chances d'y accéder.
Dès que l'occasion se présenta, elle s'extirpa de la foule pour s'engouffrer dans une autre rue, moins fréquentée, où elle se sentit plus à l'aise, mais à peine plus.
Une main sur la poitrine, elle tenta de reprendre son souffle, qu'elle découvrait saccadé à cause de cette sensation d'étouffement, tout en se répétant mentalement qu'il était impossible qu'il y ait moins d'oxygène à l'intérieur qu'à l'extérieur de la ville.
Se reprenant, maîtrisant comme elle le pouvait son malaise en le repoussant, elle cessa de se concentrer uniquement sur l'aspect déplaisant de sa courte progression dans la capitale des Terres de Plaines pour plutôt réfléchir à un endroit susceptible de lui échanger les objets qu'elle transportait dans sur son dos dans son sac contre de l'argent.
Les prêteurs sur gages existaient-ils dans l'Enclave ?
Il aurait été surprenant qu'il n'y en ait aucun équivalent. Même dans une société plus ou moins médiévale, surtout dans une société plus ou moins médiévale, les gens devaient se trouver forcés ou désireux de mettre des affaires au clou.
Elle devrait bien dénicher un revendeur, du genre à ne pas poser de questions sur la provenance de la marchandise et à se contenter de payer pour l'obtenir, même si elle risquait de ce fait d'avoir à faire à un individu peu scrupuleux qui pourrait tenter de leur proposer un prix en-dessous de la valeur de ces objets. Ça aurait pourtant été plus sûr pour elle, ne pouvant certainement pas expliquer qu'elle avait volé ce butin dans la demeure d'un vampire, qui l'avait capturée pour faire d'elle sa concubine forcée car il était un amateur de femmes elfes, après qu'une de ses captives, qu'elle avait libérées, l'ait décapité.
Sa destination était donc les bas-quartiers, où elle supposait que s'établissait ce genre de commerces, s'éloignant de la ville haute où elle souhaitait pourtant se réfugier pour fuir tous ces contacts déplacés.
Prenant donc son mal en patience, elle entreprit de déambuler dans ces rues étroites, qui avaient tout des ruelles malodorantes où stagnaient toutes sortes de détritus : restes de nourriture, excréments, eau croupie et moisissure, à la recherche d'une quelconque échoppe susceptible de lui racheter ses objets.
Se faire plus attentive à son environnement, sans se laisser submerger par l'impression de noyade, lui fut également fort utile pour repérer les mains baladeuses qui s'approchaient avant qu'elles ne commettent leur forfait. Ainsi, elle referma soudainement son poing autour d'un poignet pour violemment tordre le bras le prolongeant, enseignant à leur propriétaire à respecter au moins un minimum les femmes. Au moins, elle pouvait se sentir un peu satisfaite, comme la leçon servit aussi aux quelques témoins autour d'elle.
Elle ne progressait cependant pas davantage dans ses recherches et elle enchainait les ruelles les unes après les autres, s'égarant dans les entrailles poisseuses de la cité où l'air semblait toujours autant lui manquer, même si elle se raisonnait, sachant que ce n'était pas réellement le cas.
D'ailleurs, certainement aurait-elle pu encore les poursuivre longtemps si, longeant les bâtiments en suivant le chemin pavé, se tenant autant que possible en retrait de la foule, elle n'avait pas capté des éclats de voix de ses longues oreilles effilées camouflées par la magie du sort autour de son cou.
Les échos de conversation agitée s'échappaient d'une porte laissée ouverte, seul signe d'invitation à entrer car rien sur la façade n'indiquait qu'il s'agissait d'une échoppe. Richa ne l'aurait pas deviné sans cette dispute qui s'envola jusqu'à elle et dans laquelle un timbre féminin accusait quelqu'un de la prendre pour une idiote naïve et de vouloir en profiter pour la voler, ce qui intrigua la jeune fille, puisque c'était justement ce à quoi elle craignait d'être confrontée en entreprenant de vendre son butin.
S'approchant, elle glissa un œil par l'embrasure pour découvrir une pièce au sol de terre battue et aux murs de pierres brutes où se trouvaient plusieurs étagères chargées de toutes sortes d'objets hétéroclites, plus ou moins en bon état, et au centre de laquelle étaient placés deux fauteuils face à face au tissu élimé et dont le rembourrage de paille apparaissait par endroit.
Une personne était installée dans chacun d'entre eux, un homme, qui se voulait élégant mais dont la mauvaise facture et le manque de cohérence de l'accoutrement le faisait davantage ressembler à un ridicule bouffon de carnaval, et une femme, vêtue d'une longue robe qui évoquait un kimono japonais à Richa, qui, en proie à l'énervement, paraissait peiner à demeurer assise.
De toute évidence, elle s'emportait contre l'homme à cause du prix qu'il lui proposait pour ce qu'il tenait à la main et ce que Richa identifia comme une médaille militaire, un rond en argent frappé d'un motif de flamme et passé sur un ruban de satin blanc. Autant d'indices qui la désignait comme une récompense décernée aux membres de la Flamme Blanche, peut-être la raison pour laquelle le revendeur n'était guère disposé à en offrir un prix très élevé.
D'ailleurs, il se justifiait justement en argumentant que personne ne souhaiterait acheter une médaille ayant appartenu à un Homme Blanc, son soucis premier n'étant apparemment nullement la façon dont son propriétaire l'avait perdu. En retour, la jeune femme lança que, médaille ou non, l'argent restait de l'argent et pouvait se fondre.
Le revendeur ne donna aucune réponse à ce raisonnement, pourtant très juste, car, avisant Richa, qui s'était légèrement avancé dans cette échoppe particulière, il se leva pour l'accueillir en la qualifiant de cliente, un large sourire artificiel sur le visage et les bras ouverts.
N'ayant guère envie d'établir une grande proximité avec cet individu, Richa eut le réflexe de reculer. Ne paraissant pas réellement s'en offusquer, ou bien le dissimulant habilement, il demanda à Richa ce à quoi il pouvait lui être utile, oubliant totalement sa cliente précédente, qui serra les poings sur ses genoux en contractant les mâchoires.
Semblant au bon endroit, la jeune fille s'enquit, davantage par convenance et principe, de son intérêt pour le rachat d'objets de valeur. Au mot ''valeur'', les yeux de l'homme étincelèrent et il invita Richa à lui présenter ce qu'elle comptait lui vendre, mais cette politesse ne camouflait pas sa convoitise dévorante, une convoitise qui ne semblait pas se porter uniquement sur les objets évoqués par la jeune fille.
Cette dernière posa son sac à terre pour en tirer le butin récolté dans la demeure de Jonathan. L'homme étudia chacune des pièces une à une, d'un œil plus expert que ce que Richa aurait supposé, puis il hocha le menton à plusieurs reprises avec une moue appréciatrice sur les lèvres, visiblement plus enthousiasmé par ces quelques bibelots que par la médaille de la Flamme Blanche.
Dans une attitude étonnement professionnelle, il demanda à Richa ce qu'elle en exigeait. En réponse, la jeune fille ne put que hausser les épaules, avouant qu'elle n'y avait pas réfléchi.
De toute manière, même si Anna'ën la lui avait longuement expliqué, elle appréhendait encore quelque peu difficilement la réelle valeur de l'argent dans l'Enclave, et, même si elle redoutait d'être confrontée à la mauvaise foi d'un acheteur peu scrupuleux, elle s'apercevait qu'elle préférait simplement se contenter d'empocher l'argent qu'on lui proposait pour gagner un endroit plus agréable de la ville. Du moins, si il lui offrait une somme trop dérisoire, elle se laisserait aller à négocier.
La somme que l'homme lui proposa fut cependant surprenamment bien assez conséquente aux yeux de Richa et elle n'eut plus qu'à acquiescer pour sceller la vente.
Sans se départir de son comportement de parfait négociant, l'homme se rendit au fond de la pièce où se trouvait l'étagère la moins remplie dont il retira une planche du fond, révélant un espace entre les pierres du mur d'où il tira un coffret solidement cadenassé. Sortant une clé de la poche de sa chemise à la couleur douteuse, il déverrouilla la serrure et compta des pièces qu'il glissa dans une bourse en toile.
Attendant qu'il termine, Richa dansa sur place, faisant passer son poids d'un pied à l'autre, se sentant mal-à-l'aise. Pas à cause de l'atmosphère plutôt malfamée de l'échoppe ou du quartier en général mais à cause de la nervosité qui émanait de la jeune femme que le revendeur avait complètement oubliée pour s'occuper d'elle.
Son mécontentement paraissait être retombé pour céder la place à une forte angoisse, qu'elle traduisait en se tordant nerveusement les mains, se mordillant la lèvre inférieure et en jetant anxieusement des regards en tous sens, visiblement sur ses gardes. Elle semblait avoir encore plus envie de se trouver ailleurs que Richa, mais son comportement manifestait davantage de la crainte que la répulsion et l'agacement éprouvés par Richa.
Peu à peu, alors qu'elle se concentrait sur elle, alors que le revendeur continuait à remplir la bourse, ce fut comme si Richa devenait capable de deviner certaines choses sans détenir aucun indice à leur propos.
Elle ne comprit que c'était les pouvoirs de sa pierre lui permettant de décrypter les pensées traversant l'esprit d'autrui qui s'étaient éveillé que lorsqu'elle entendit une voix, qu'elle reconnut comme celle de la jeune femme qu'elle avait entendue durant son vigoureux échange avec le revendeur, résonner directement dans son crâne.
Son premier réflexe fut de chercher à rompre ce lien impromptu, jugeant cela des plus indiscrets, quelque chose qui s'apparentait à un viol du psychisme d'une inconnue, une invasion de son intimité à laquelle elle n'avait aucunement été autorisée, quelque chose dont elle ne pouvait certainement pas s'octroyer le droit, mais elle n'y parvint pas, et elle ne songea plus à la faire lorsqu'elle saisit ce qui préoccupait la jeune femme.
Elle s'inquiétait de trop prolonger sa présence dans la capitale, ce qui, jusque là, n'avait rien de particulièrement surprenant, puisque Richa attendait également impatiemment d'en repartir, mais ce qui l'alerta surtout fut la raison pour laquelle elle souhaitait s'attarder le moins possible dans les méandres déplaisants de la cité : elle craignait de rencontrer une patrouille de la Flamme Blanche, comme il y en avait dans tous les villages et villes des royaumes sous la juridiction de l'organisation, or, la population appréciait cet ordre inquisitoire, comme elle avait été convaincue, d'une manière ou d'une autre, qu'il la protégeait.
Les seules personnes qui redoutaient d'être confrontées à la Flamme Blanche étaient celles qu'elle chassait, autrement dit, les Humcréas.
Cette femme serait-elle de cette nature ?
La coïncidence aurait été incroyable mais plusieurs indices semblaient la corroborer : la médaille, qu'elle aurait ainsi obtenue en se battant contre un Homme Blanc, son besoin de la vendre et se peur d'être découverte avant de se réfugier dans un lieu sûr.
Par ailleurs, en plus de ces signes, s'imposait la certitude implacable qu'elle se trouvait effectivement face à une autre Humcréa, autre manifestation des capacités dont la pierre à son cou la dotait et qu'elle ne contrôlait que moyennement, qui se rajoutait aux quelques pensées qu'elle avait involontairement déchiffrées. Il s'agissait donc bien là d'une incroyable coïncidence, quelque chose qui se rapprochait de l'improbable.
Peut-être étaient-ce ces mêmes pouvoirs qui l'avaient guidée jusqu'ici, sans qu'elle n'en ait conscience, captant déjà la trace de l'esprit d'une Humcréa dans ce secteur de la cité, ou bien était-ce que, comme on le prétendait parfois, les personnes qui affrontaient une situation semblable se reconnaissaient instinctivement et étaient attirées les unes par les autres.
Dans tout les cas, une autre Humcréa se tenait à quelques mètres d'elle, mais cette constatation ne l'enthousiasmait ni ne la rendait fébrile, comme cela avait pu être précédemment le cas lors d'autres rencontres avec des Humcréas, ayant péniblement retenu la leçon que ses semblables pouvaient finalement être aussi dangereux pour elle que la Flamme Blanche.
A la place, elle se mit sur ses gardes, sa gorge se nouant et elle étudia la jeune femme en quête d'un élément physique qui aurait trahi sa nature non-humaine, mais elle n'en repéra aucun.
Son visage long et étroit à l'ossature fine, presque émincé, éclaboussé de taches de rousseur imprécises camouflant partiellement sa peau claire, rosée, ses étroits yeux gris-bleus ou ses cheveux dorés réunis en un chignon sommaire désordonné, maintenu par une pince de bois encore recouvert de son écorce, étaient pareils à ceux de n'importe quelle humaine qu'elle pouvait croiser dans l'Enclave, mais peut-être que sa longue robe aux manches larges et tombantes camouflait une morphologie inhumaine, typiquement humcréa.
L'extirpant de ses réflexions, le commerçant revint à la hauteur de ses clientes, après avoir rangé le coffret dans sa cachette à nouveau parfaitement dissimulée, pour tendre une bourse aux joues de toile plutôt gonflées à Richa, ainsi qu'une seconde, nettement plus modeste, à la jeune femme blonde qui parut soulagée d'avoir réussi à se débarrasser de la médaille, en échange d'argent qui plus était.
Avec un hochement du menton pour confirmer leur accord, Richa rangea la bourse dans son sac, avec celle, maigre, donnée par Anna'ën, alors que l'autre jeune femme vidait déjà les lieux, traduisant son empressement à partir.
Lui emboîtant le pas avec plusieurs secondes de différences, Richa quitta l'échoppe particulière à son tour.
Observant la rue d'un large regard circulaire, elle repéra aisément la jeune femme, son accoutrement atypique y aidant grandement, qui se dirigeait à travers la foule en direction du nord de la ville. Avant même de le réaliser, Richa commença à la suivre à distance en s'assurant que le regard qu'elle conservait fixé sur son dos pour ne pas risquer de la perdre parmi les badauds ne se faisait pas trop pesant, évitant de se faire repérer.
Pourquoi faisait-elle cela ?
La raison était fort simple : car elle ne possédait plus la moindre piste à exploiter pour rechercher une réponse sur ses origines et ce qu'il lui était arrivé il y avait des années, et qu'il lui semblait plus indiqué de se renseigner sur des Humcréas auprès d'Humcréas, jugeant qu'elle ne pouvait apprendre de nouveaux éléments sur sa parenté sans information extérieure.
Par ailleurs, elle préférait se tenir à distance de la jeune femme car elle ne pouvait certainement pas l'aborder en parlant d'Humcréa au milieu de la foule compacte. Ça aurait été comme se dénoncer elle-même. Ensuite, ses précédentes expériences, encore récentes, l'encourageaient à se méfier des autres Humcréas dont elle ignorait tout, sauf la nature.
Elle progressa dans le dédale de la ville, se laissant guider par la jeune femme qui avançait plusieurs mètres devant elle, se dissimulant parfois lorsqu'elle risquait de l'apercevoir.
Se rapprochant des quartiers plus aisés, elles arpentèrent des rues plus larges, mieux entretenues, où Richa se sentit mieux, la poitrine moins comprimée, avant de redescendre dans un méandre de ruelles semblable à celui à proximité de la porte des remparts, retournant dans un faubourg déplaisant. Visiblement, plus on s'éloignait du centre, plus les quartiers s'appauvrissaient.
Ce fut ainsi jusqu'à gagner une autre porte, plus modeste que celle que Richa avait franchie pour pénétrer dans la cité, certainement moins empruntée, puisque, s'ouvrant au nord de Plainiore, elle conduisait à la forêt qui recouvrait partiellement le nord du pays, séparée de la ville par une bande de pâturages aux herbes folles de sous-bois.
Ce chemin ne surprenait guère Richa. La forêt semblait effectivement être un bon endroit où se cacher loin de la Flamme Blanche.
Se soustraire prestement au regard de l'Humcréa qu'elle suivait allait se révéler plus difficile sans les avantages que la ville présentait, le temps de traverser cette plaine jusqu'aux arbres, qui lui fourniraient une bien meilleure occasion de ne pas se faire repérer, se camouflant derrière un tronc ou dans une futaie. Heureusement, la jeune femme se montra nettement moins nerveuse une fois Plainiore quittée et elle cessa d'observer anxieusement son environnement par de nombreux regards autour d'elle, ce qui facilita la tâche à Richa.
Davantage dans son élément dans la forêt, c'était presque comme si elle devenait invisible, ses pas étant silencieux sur les feuilles mortes et les brindilles, sa silhouette se fondant parfaitement entre les arbres où elle se glissait habilement.
La jeune femme stoppa peu après être entrée dans la forêt, entravée par sa robe, qui limitait également ses mouvements. Se libérant, elle défit la large ceinture de tissu qui marquait sa taille, laissant retomber la jupe de sa robe, qui se composait donc de deux parties, et révélant le pantalon de toile qu'elle portait en-dessous mais, surtout, une longue queue féline recouverte de poils ras couleur fauve qui ondulait doucement le long de ses jambes.
En plus de la surprise que cela provoqua chez Richa, ce curieux appendice lui confirmait qu'il s'agissait bien d'une Humcréa.
A présent bien plus à l'aise entre les branches mortes et les racines, sa jupe jetée sur l'épaule, elle reprit sa progression sans sembler se douter qu'on l'épiait dans son dos.
A sa suite, Richa s'enfonça dans la forêt, qu'elle découvrait touffue et difficilement praticable. Si elle s'y mouvait aisément, la jeune femme blonde dû se libérer de ronces ou de branches à plusieurs reprises.
Après plusieurs minutes, elles parvinrent à ce qui ressemblait à une falaise dont la paroi était de terre rocheuse et formait un arrondi en demi-cercle, s'élevant en pentes raides depuis ses extrémités, toute aussi boisée que le reste de la forêt, mais ses pieds étaient davantage dégagés, certainement car plusieurs cabanes y étaient bâties. Richa en dénombra six, construites avec des éléments récoltés dans la forêt sans qu'elles n'en paraissent branlantes pour autant, ainsi que deux grottes percées dans la falaise.
C'était bien davantage qu'un refuge personnel mais un véritable village dissimulé, qu'on ne trouvait probablement qu'en en connaissant préalablement l'emplacement.
La jeune femme stoppa quelques mètres avant d'y pénétrer et tendit les mains, une partie des doigts repliés en un geste étrange, en direction d'un objet suspendu dans les branchages d'un des arbres, que Richa n'aurait certainement pas remarqué autrement, comme il était confectionné d'écroces assemblées en un genre de carillon.
Quelques secondes après que la jeune femme l'ait ainsi pointé, il s'agita follement sans qu'aucun souffle de vent ne puisse s'en charger en produisant un son mat alors que les différentes parties s'entrechoquaient, un bruit qui ne résonnait guère entre les arbres, mais dont Richa capta pourtant un écho à la fois sur sa gauche et sa droite.
Y aurait-il donc d'autres carillons qui dansaient de la sorte autour d'elle ?
Etrange, mais rien qui ne représentait un quelconque danger, alors elle emboîta le pas à la jeune femme lorsqu'elle reprit sa marche.
Cependant, elle n'avança guère.
Alors qu'elle n'avait effectué qu'un seul mètre, tout juste, derrière la jeune femme, un craquement de feuilles mortes et de brindilles dans son dos la fit vivement se retourner dans un sursaut, juste pour voir quelque chose de forme humanoïde bondir sur elle.
Avant de comprendre quoi que ce soit, elle se retrouva plaquée au sol sous un poids important qui la maintenait immobile à terre.
Quelque chose grognait au-dessus d'elle et, lorsqu'elle découvrit de quoi il s'agissait, après quelques secondes, légèrement étourdie après ce choc, la panique l'étreignit.
Ce qui se tenait au-dessus d'elle n'était pas réellement humain, ou humcréa, ni pour autant totalement une bête. Il possédait un corps humanoïde, avec une tête, deux bras et deux jambes mais ses yeux étaient jaunes foncés avec une pupille fendue et ils brillaient d'un éclat bestial. Sa bouche peinait à contenir sa dentition canine luisante de salive, ses doigts se terminaient par des griffes pointues qui appuyaient contre la gorge de Richa et son corps était recouvert d'un fin duvet brun hérissé.
Ne se soumettant certainement pas, cette dernière se débattit, frappant et griffant tout ce qui pouvait l'être.
Remontant brutalement son coude, elle en frappa son adversaire à la clavicule, le faisant ployer de son côté douloureux, ce qui lui permit de se glisser hors de son emprise sur le côté opposé.
Cherchant à la retenir, celui qu'elle ignorait devoir qualifier d'homme ou de bête se jeta sur elle en saisissant une épaisse poignée de ses cheveux dans laquelle se prit également le cordon, auquel pendait la médaille de Kaëv'ah gravée du symbole de magie archanique, qui se rompit sous la soudaine traction lorsqu'il tira la tête de Richa en arrière.
Le pendentif retomba dans l'humus parmi les racines des arbres alors que Richa émettait un grognement de douleur en enfonçant ses ongles dans le poignet de son adversaire pour tenter de lui faire lâcher prise, les lèvres retroussées, dévoilant ses longues canines acérées que ne dissimulait plus aucune magie, tout comme ses oreilles effilées qui dépassaient de sa longue chevelure, à présent visibles de tous.
Se tournant de moitié sur le côté, Richa décocha un coup de coude dans les côtes de son attaquant, qui produisirent un craquement satisfaisant, fragilisant sa poigne, et elle alla pour enchainer mais elle fut retenue par une voix qui s'écria, bien qu'elle ne s'adressait pas à elle :
« Endam, arrête ! »
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