Chapitre 23 - Vers le temple [2/2]
Le lendemain, lorsque Richa se réveilla avec le soleil après avoir, comme bien souvent, trop peu dormi, la meute avait disparu, ne laissant derrière elle que quelques empreintes, des touffes de poiles gris ainsi qu'un lièvre égorgé abandonné non loin, comme un présent, et qui la fit sursauter lorsqu'elle le découvrit, ne s'y attendant pas.
D'un geste vif, elle chassa les mouches qui commençaient à s'y agglutiner puis elle l'accrocha comme elle le put à sa besace, n'ayant pas l'estomac à manger de la viande dès son réveil et préférant donc le garder pour plus tard dans la journée. A la place, elle avala une pomme et quelques biscuits et utilisa l'eau contenue dans sa gourde davantage pour s'asperger le visage en guise d'ablutions matinales que pour boire.
La couverture rangée au fond de sa besace, ses muscles étirés, les dernières braises du feu de camp étouffées sous sa semelle et son itinéraire vérifié sur le plan de Diëël, elle se mit en chemin, se rapprochant toujours plus du sommet.
Alors qu'elle progressait, elle observait les alentours à la recherche des loups, se demandant si ils se trouvaient toujours dans les parages, mais ils semblaient avoir disparu des environs et sa seule compagnie fut à nouveau ses pensées concentrées sur son objectif.
D'après le plan de Diëël, il lui restait encore deux ou trois nuits à passer ainsi au milieu de la nature – elle appréciait néanmoins de dormir à la belle étoile – puis elle atteindrait le temple, tout dépendrait de la vitesse avec laquelle elle avançait, mais elle pensait que son trajet serait aussi réduit qu'il pouvait l'être puisque, malgré le manque de sommeil, elle progressait d'un bon pas, impatiente d'obtenir les réponses qu'elle espérait.
Même si il lui fallait parfois ralentir pour traverser un taillis de ronces ou de broussailles, principale végétation alors que, avec l'altitude, l'herbe se faisait plus rase et le paysage beaucoup plus rocheux avec de nombreux affleurements, pour s'éloigner d'un puits de mine et de ses baraquements, les évitant soigneusement, bien plus prudente que la veille.
Cependant, elle ne put le demeurer parfaitement car, en milieu d'après-midi, après avoir pris une courte pause pour manger le lièvre qu'elle fit cuire sur un feu de camp, elle atteignit en endroit que Diëël avait signalé sur son plan comme un danger important.
Il s'agissait d'une passe étroite entre deux immenses affleurements rocheux haut de plusieurs centaines de mètres et plus larges encore sur lesquels s'accrochaient des arbustes aux troncs épais. Juste à l'entrée, se massaient les habitations des mineurs qui creusaient la mine ouverte sous ces affleurements.
Pour poursuivre son chemin, il lui fallait emprunter cette passe, prenant le risque de s'approcher de la mine. Ce n'était pas l'unique route mais le détour qui exigerait de la faire revenir sur ses pas pour continuer sur le mont voisin de façon à contourner la passe aurait demandé des jours supplémentaires de voyage qu'elle n'était pas disposée à perdre, plus impatiente que prudente et avide de réponses.
Quant à gravir ces affleurements, il lui semblait plus dangereux de s'y risquer sans matériel, ne serait-ce qu'une corde ou de longs couteaux solides à enfoncer dans la roche, que de s'engager dans la passe. Surtout que, en pleine journée, les mineurs se trouvaient sous la terre et n'allaient donc pas l'apercevoir et, si jamais on la surprenait tout de même, elle pourrait aisément prétendre venir d'un autre village et s'être égaré dans la montagne.
Hésitant encore néanmoins, elle resta à distance durant quelques minutes, observant les alentours, surtout inquiétée par les mouvements qu'elle distinguait du côté des habitations, où les familles des mineurs devaient les attendre, mais il n'y avait aucune raison pour que quelqu'un quitte le périmètre des maisons justement où moment où elle les longeait.
Rassurée par cette réflexion, elle quitta sa position d'observation distante et elle s'avança vers la passe, les mains resserrées autour de la bride de sa besace.
A mesure qu'elle s'approchait de l'accès aux galeries, au-dessus desquelles elle devait certainement se tenir, elle percevait des vibrations de plus en plus prononcées sous ses pieds.
Était-ce les coups de pioches contre la roche dans les entrailles de la terre qui faisaient ainsi trembler le sol ?
S'efforçant de demeurer à distance à la fois des baraquements et du puits de mine, elle se rapprocha de l'entrée de la passe de laquelle elle n'était plus qu'à quelques mètres lorsqu'elle stoppa subitement, sentant une présence à proximité ainsi qu'un regard fixé sur elle.
Se retournant, elle découvrit un enfant de onze ans qui sortait vraisemblablement du village, deux seaux d'eau reliés par une longue perche de bois reposant sur ses frêles épaules, qui la dévisageait, le visage blême comme si Richa était la chose la plus effroyable qu'il n'ait jamais vu de toute son existence.
Apparemment, elle avait surestimé ses chances de passer sans se faire remarquer malgré son évaluation.
Ouvrant la bouche, la jeune fille s'apprêta à prononcer le mensonge qu'elle avait préparé mais, avant qu'elle ne formule sa première syllabe, le garçon s'enfuit vers le puits de mine dans lequel il s'engouffra en poussant un long cri, laissant tomber ses seaux qui se fracassèrent sur le sol rocheux. Richa en demeura stupéfaite, figée.
Elle voulait bien reconnaître que, après ces derniers jours, entre les émotions s'étant succédé, la fatigue, ses traits tirés, ses cheveux gras et ébouriffés, et l'absence d'hygiène, elle n'était guère à son avantage et avait déjà eu une apparence plus plaisante, mais, de là à hurler d'effroi, il ne fallait pas exagérer. Pour un peu, elle en aurait été vexée mais, plutôt que de se soucier de préoccupations minimes comme l'image qu'elle renvoyait, elle devait se concentrer sur son trajet.
Elle se dirigea donc vers l'entrée de la passe sans plus s'inquiéter de cet incident, du moins, jusqu'à ce que, seulement quelques secondes après que l'enfant ait disparu dans la galerie, elle entende une forte agitation émanant du puits de mine.
Son instinct lui ordonnant de ne pas s'attarder, ce qu'elle n'aurait pas fait même sans ce conseil, elle s'élança à grandes enjambées vers la passe, alors que des mineurs couverts de poussière jaillissaient du puits de mine en l'interpellant en criant à l'Humcréa.
Si la question de comment ils avaient ainsi pu détecter sa nature effleura l'esprit de Richa, elle ne s'interrogea guère longtemps, préférant focaliser son énergie à fuir dans la passe, profitant de la distance qu'il existait entre elle et les mineurs qui paraissaient bien décidés à la poursuivre. Grâce à cette avance et à sa vélocité, elle pensa pouvoir se tirer de ce mauvais pas assez aisément en remontant la passe, n'ayant finalement pas subi davantage qu'une montée d'adrénaline.
Du moins, ce fut ce qu'elle crut jusqu'à ce qu'une forte douleur explose dans son épaule, la déséquilibrant.
Roulant au sol en serrant son épaule avec une grimace, elle découvrit le responsable : un bloc de pierre ferreux utilisé comme projectile.
Les mineurs semblaient viser juste et être dotés d'une grande force.
Ne s'apitoyant pas sur cette douleur, pas encore, elle tenta de se relever en prenant appuie sur ses bras mais ils se dérobèrent sous son poids à cause de la souffrance qui éclata encore plus violemment et elle chuta face contre terre en gémissant. La pierre lui aurait-elle fracturé la clavicule ?
Ne renonçant certainement pas pour autant, elle décocha des coups de pieds aux mineurs qui l'avaient rejointe, frappant genoux et tibias pour faire chuter, mais ils furent rapidement trop nombreux pour qu'elle puisse se défendre de la sorte et l'entourèrent, armés de pierres du même genre que celle qui l'avait heurté, visiblement prêts à la lapider.
Avant d'administrer le premier coup, une femme lança que cela faisait longtemps qu'aucun Humcréa n'était venu dans les parages. Ainsi donc, elle n'était pas la seule à avoir tenté de rallier le temple par ce chemin.
Demeurant parfaitement immobile, elle plongea son regard dans celui de la femme qui venait de parler, la déstabilisant peut-être car elle distinguait bien plus d'humanité que ce à quoi elle s'attendait dans ses yeux si verts, ce qui l'empêcha de porter le premier coup.
Un premier coup qui vint d'un homme qui la dominait au niveau de sa tête.
Levant le bras pour davantage de puissance, il abattit violemment sa pierre à l'emplacement du crâne de Richa, qui se déporta vivement sur le côté, l'esquivant au dernier moment.
Saisissant le poignet de l'homme de son côté valide, l'empêchant de se redresser tout en évitant les coups des autres mineurs en se mouvant avec une vivacité qui déjouait les coups, se rendant ainsi inatteignable, elle lança ses jambes en avant pour les nouer autour de la gorge de l'homme, l'étranglant à moitié.
Se relevant en bandant ses muscles et le poids de la jeune fille ne représentant pas une grande difficulté pour sa masse musculaire, il la souleva de terre et les autres suspendirent leurs attaques, craignant de toucher leur camarade par inadvertance.
Dans cette position peu avantageuse, Richa se sentait toujours aussi coincée, même si, au moins, elle n'avait plus à esquiver des coups de pierres, mais elle n'allait pas pouvoir rester ainsi bien plus de quelques secondes.
Comme pour lui donner raison, des mains s'agrippèrent à sa chevelure en la tirant pour la faire lâcher prise. Grimaçant et grognant, Richa resserra encore davantage ses jambes autour du cou de l'homme, lui coupant la respiration alors que le vent se levait.
Manquant d'oxygène, l'homme frappa les cuisses de Richa et tenir bon devint de plus en plus difficile pour cette dernière, surtout avec ces tractions qui semblaient lui arracher le cuir chevelu.
Malgré tous les efforts qu'elle fournissait, elle sentait ses jambes se dénouer lentement, mais, avant qu'elle ne lâche prise, l'homme s'affaissa, l'entraînant avec elle en l'extirpant à la prise des autres, bien qu'elle y laissa une ou deux poignées de longs cheveux.
Se retrouvant ainsi de nouveau à terre, elle bondit sur ses pieds et courut avant que les mineurs ne se reprennent, ce qui ne tarda pourtant pas lorsqu'ils la virent s'éloigner. Cependant, ils se remirent bien rapidement et allèrent pour s'élancer de nouveau à sa suite, situation dont elle peinait décidément à s'extraire.
La panique commença sérieusement à la gagner, surtout qu'elle n'avait aucune idée sur comment s'en tirer, à part courir aussi rapidement que possible jusqu'à la passe.
Le vent dans lequel dansaient ses cheveux s'intensifia en produisant des sifflements furieux contre les parois de la passe et Richa eut la sensation qu'il la poussait dans le dos, lui permettant d'accélérer encore en creusant l'écart entre elle et ses poursuivants, ce qui lui paraissait assez troublant sans pour autant qu'elle ne le relève particulièrement, plus concentrée sur sa fuite.
En revanche, cela devint vraiment étrange lorsqu'une bourrasque se leva à contresens de celle qui la propulsait, si violente qu'elle faucha les mineurs derrière elle.
S'engouffrant enfin dans la passe, elle se retourna pour découvrir ses poursuivants retenus par un vent si puissant qu'il les jetait au sol, comme pour la protéger et lui permettre de fuir sans crainte d'être rattrapée, ce qu'elle ne se fit pas prier de faire, accompagnée par le chant que produisait le vent en se glissant dans la passe à sa suite.
Profitant de cette incroyable aubaine, bien qu'elle ne comprenait pas comment elle ait pu survenir, comme pour la présence des loups la veille, elle reprit sa course et, avec sa vitesse, elle franchit la passe.
Mettant le maximum de distance entre elle et cette mine, elle ne ralentit pas avant plusieurs kilomètres, et certainement aurait-elle continué à courir si elle ne s'était pas écroulé, vide d'énergie et la douleur pulsant dans son épaule.
Se laissant tomber au sol, elle déboucha sa gourde pour boire de l'eau qu'elle avala en longues rasades, la respiration haletante.
Cependant, elle ne pouvait guère s'attarder. Le vent avait cessé de souffler il y avait quelques temps déjà et elle se sentait en danger, craignant de voir des poursuivants la rejoindre.
Assise au sol, ses sens aux aguets, elle rentabilisa ces minutes qu'elle allait utiliser pour se reposer en vérifiant l'état de son épaule qui continuait à lui envoyer des ondes de douleur à chaque mouvement. A travers ses vêtements, elle tâta son articulation mais suspendit bien rapidement cet examen, les dents enfoncées dans sa lèvre inférieure pour retenir un sifflement de douleur, le visage crispé.
Préférant ne pas perdre de temps à retirer ses vêtements pour examiner visuellement son épaule, elle se contenta de décider de l'épargner autant que possible, puis elle reprit sa marche à une allure plus modérée, se retournant régulièrement pour s'assurer qu'elle n'était pas poursuivie, mais le vent paraissait avoir dissuadé les mineurs, et sursautant au moindre bruit suspect.
Elle hésita même à stopper lorsque la nuit voila le paysage et elle continua à progresser durant encore plusieurs heures jusqu'à ce que son corps lui signale qu'elle ne pouvait pas dépenser ses forces comme elle avait dû le faire dans la journée sans se reposer ni manger.
Ainsi, elle préféra s'arrêter d'elle-même pour s'installer plutôt que de brûler le peu d'énergie qu'elle conservait encore en fournissant davantage d'efforts et de s'écrouler.
S'abritant au pied d'un affleurement rocheux, plus modeste que ceux entourant la passe, elle prépara son feu de camp auquel elle se réchauffa, l'atmosphère ne cessant de se rafraîchir, et elle engloutit une bonne partie de ses provisions, s'apercevant qu'elle était affamée après la première bouchée.
Une fois rassasiée et réchauffée, il ne lui restait plus qu'à dormir mais le sommeil tarda à l'emporter, semblant décidé à demeurer à distance d'elle, certainement car elle n'était pas sereine, toujours inquiète, redoutant encore qu'on ne la traque.
Elle qui avait pensé que, une fois qu'elle aurait quitté les Terres Blanches, elle aurait eu moins à craindre de la Flamme Blanche, sans pour autant relâcher sa prudence, elle s'était fourvoyé, elle n'avait probablement jamais été autant en danger de par sa nature d'Humcréa, même lorsque Mikhail l'avait enlevé.
Si seulement la meute de loups s'était à nouveau manifesté, elle se serait sentie davantage rassurée et en sécurité mais il semblait qu'elle avait pris une toute autre direction et sa seule compagnie se retrouvait à nouveau être uniquement ses pensées.
Pensées qui se répétaient inlassablement et qui l'accompagnèrent dans son sommeil puisque ses songes furent peuplés de ces préoccupations.
Si bien qu'elle se réveilla en sursaut bien avant l'aube, angoissée par ces inquiétudes.
En panique, elle regarda autour d'elle nerveusement avant de constater qu'il n'y avait aucun danger environnant. Se sermonnant mentalement pour cette perte de calme qui paraissait pourtant essentiel à sa survie, elle soupira en se passant une main sur le visage, puis, comme il semblait à présent exclu qu'elle se rendorme, elle rangea ses affaires et éteignit son feu avant de se remettre en route, sa besace sur son épaule valide, dans une épaisse obscurité, le ciel s'étant couvert.
Probablement était-ce le puissant vent de la veille qui avait ramené cette lourde chape nuageuse, mais cela ne changeait pas grand chose pour la vision de nyctalope de Richa.
Ainsi, elle ne s'inquiétait pas de rencontrer un obstacle que l'obscurité lui aurait dissimulé et elle avança aussi vaillamment que durant la journée, bien que le manque de sommeil alourdissait son crâne.
Heureusement que, normalement, à la prochaine nuit, elle pourrait peut-être dormir dans un véritable lit, entamant la dernière étape de son trajet jusqu'au temple.
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