Chapitre 16 - Richa de l'Enclave
Plutôt que de passer la journée en cours sous le regard et les interrogations des autres élèves – à présent que l'information sur toute cette histoire s'était rependue, le monde désirait la questionner à ce propos, même certains journalistes – Richa avait prétendu qu'elle souhaitait rester chez elle pour se reposer encore,ce que tous acceptèrent comme ils la pensaient bouleversée, bien qu'elle n'ait toujours pas ressenti un quelconque choc par rapport à son enlèvement, mais elle en profita pour visiter plusieurs magasins un peu partout en ville à la recherche des ingrédients que nécessitait le sort qui lui révélerait avec certitude quelles étaient ses véritables origines.
Mentir à ses proches de la sorte lui provoqua néanmoins une pointe de culpabilité, surtout lorsqu'elle reçut leurs différents messages de soutien et d'encouragement. Tous s'inquiétaient pour elle alors qu'elle-même ne ressentait aucun traumatisme, espérant seulement que Mikhail croupisse en prison pour venger cet ange qui l'avait mise sur la voie de sa nature, ce qui continuait à lui faire se demander si son mental n'était finalement pas atteint.
Qu'elle ne soit pas humaine mais une sang-mêlé elfe et vampire, très bien, si on pouvait dire car, bien qu'elle ne réagissait guère, elle ne pouvait tout simplement pas hausser les épaules à cette information comme si ce n'était pas grand chose, mais elle avait tout de même manqué de se faire tuer, elle aurait au moins dû lâcher quelques larmes sous l'émotion.
Peut-être qu'elle s'était tellement inquiétée précédemment en envisageant toutes les possibilités, les plus horribles et les plus absurdes, que, au final, connaître la vérité n'amenait que de l'apaisement. Certainement avait-elle consommé toute l'angoisse qu'elle pouvait éprouver durant les semaines précédentes. Ou bien, peut-être n'y croyait-elle pas encore réellement, bien qu'il lui semblait être déjà convaincue.
Le seul moyen de le savoir était d'accomplir ce sort qui lui révélerait ses origines. Du moins, si elle possédait les capacités nécessaires à ce faire. Ce serait également l'occasion de s'assurer de si elle avait de la magie en elle.
D'où sa sortie de la journée pour obtenir les différents ingrédients, qui la fit rentrer en fin de mâtinée, lorsque son père et Ludovic étaient trop occupés avec le service de midi pour la voir franchir la porte. De toute manière,si l'un ou l'autre avait remarqué son absence, il lui aurait suffit de prétendre qu'elle avait eu besoin de prendre l'air, ne supportant pas de demeurer cloîtrée sur les lieux de son enlèvement.
Elle n'était pas fière de mentir de la sorte à ses proches, que ce soit son premier réflexe, mais, pour l'instant, elle jugeait probablement plus simple de dissimuler la vérité que de l'expliquer, plus simple que de chercher à persuader les gens autour d'elle qu'elle ne délirait pas complètement.
Les conséquences de ces révélations lui paraissaient trop difficiles à gérer pour l'instant, surtout lorsque les seules preuves qu'elle avait, ses certitudes ne pouvant être considérées comme telles, étaient le discours d'un jeune homme qu'on allait probablement qualifier de détraqué, mais elle espérait pouvoir en récolter une supplémentaire.
Suivant les indications dans le grimoire, elle fit brûler chacune des plantes qu'elle avait rapporté, auxquelles on prêtait des capacités à transcender les mondes, plus souvent dans un sens spirituel mais cela devait également donc fonctionner pour les dimensions parallèles apparemment, pour en récolter soigneusement les cendres dans un bol.
Leur combustion produisit une odeur quelque peu entêtante qui satura rapidement ses narines sensibles et la fumée, plus ou moins épaisse selon la plante, lui fit monter les larmes aux yeux.
Lorsqu'elle eût terminé, elle récupéra le couteau qu'elle conservait toujours sur elle, sauf évidemment le soir où elle en avait vraiment eu besoin – mais pourquoi aurait-elle eu besoin de prendre une lame pour rencontrer Albane ? - puis elle défit le bandage qui pansait son poignet, dévoilant la plaie qu'on lui avait soigné à l'hôpital. Plutôt que de se causer une nouvelle entaille qu'il faudrait justifier, il lui semblait plus évident d'en rouvrir une déjà existante, on croirait seulement qu'elle avait recommencé à saigner à cause d'un mouvement trop brusque.
Avec une grimace, elle passa la lame à l'intérieur de sa plaie, ne s'attendant pas à ce que cela soit si douloureux, et laissa le filet de sang couler dans les cendres puis elle comprima la plaie qu'elle pansa à nouveau.
La tête penchée sur le côté, elle fixa le contenu du bol où l'unique chose à observer était les gouttelettes de sang qui se chargeaient des plus fines particules de cendres.
Déçue, elle poussa un soupir et tira le grimoire à elle pour relire les indications, vérifiant qu'elle n'avait pas fait d'erreur,mais, comme il semblait qu'elle ait parfaitement respecté chaque étape, la conclusion qui paraissait logiquement s'imposer était qu'elle ne possédait pas de magie en elle.
Dépitée, elle s'appuya contre son lit, se demandant comment faire à présent.
Soudainement, une réaction se produisit dans le bol dont la faïence se fendit sur toute la longueur du récipient, et, au milieu des cendre, son sang se teinta en doré avant d'être lentement absorbé par les cendres qui se rependirent subitement en un nuage grisâtre dans toute la chambre.
Étouffant une quinte de toux, Richa agita la main pour tenter de chasser les cendres volatiles.
Une fois qu'elles se furent dispersées, elle éternua une nouvelle fois puis elle tourna fébrilement quelques pages du vieux volumes jusqu'à arriver là où les différentes réactions obtenues avec le sort étaient répertoriées. Visiblement, la teinte qu'adoptait le sang correspondait à la dimension d'origine du sang et ce fut sans grande surprise qu'elle lu que le doré était associé à l'Enclave.
Bien, à présent, elle savait. Elle savait d'où elle venait, ainsi que très certainement là où se trouvait sa famille biologique, et également qu'elle pouvait faire de la magie.Plus que ça même, car, d'après les explications notées dans l'ouvrage, une réaction comme celle à laquelle elle venait d'assister se produisait lors d'un dégagement d'énergie important,ce qui traduisait une grande puissance en magie.
Donc, elle était puissante. Cette fois, plus rien ne semblait pouvoir la surprendre.
A moins que le rire qui gonfla dans sa gorge et se déploya dans sa chambre ne soit un signe d'hystérie. Enfin une réaction, quelque chose traduisant son émotion.
Elle rit ainsi durant de longues minutes, à en avoir les larmes aux yeux et le ventre douloureux,écroulée sur le sol de sa chambre à côté du bol noirci de cendres.
Lorsqu'elle se fut calmée, elle se redressa en essuyant ses joues puis elle entreprit de nettoyer les dégâts du sort avant de revenir dans sa chambre où elle s'arrêta devant le miroir toujours parcouru de brisures.
Du bout du doigts, elle en suivit une, se souvenant de ce qu'elle avait ressenti en envoyant son poing dans la glace, lorsqu'elle était tellement bouleversée à l'idée de ne pas être humaine. Ce n'était plus le cas aujourd'hui.Peut-être car elle constatait qu'elle était toujours la même au fond d'elle, que son monde ne s'était pas effondré autour d'elle et que ses proches n'avaient pas changé de regard sur elle ou de comportement à son égard. Enfin, pour cette dernière partie,c'était certainement et seulement car elle n'avait pas encore partagé ce secret avec quelqu'un.
A présent qu'elle avait obtenu une confirmation de sa nature, que devait-elle faire de cette information ?
Elle en revenait encore à ces questionnements auxquels elle ne trouvait pas de réponses et à ce dilemme qu'elle peinait tant à résoudre.
Toute la journée, elle demeura plongée dans ses réflexions à envisager toutes les possibilités dans l'éventualité où elle annoncerait ce qu'elle était réellement à ses proches ou bien ce que cela changerait pour elle si elle poursuivait son existence sans laisser ses révélations avec une quelconque influence dessus.
Ainsi,elle s'imagina être rejetée avec dégoût, mépris ou horreur, et elle n'était pas certaine de supporter une telle répulsion de la part de ceux qu'elle aimait, pas plus que de les abandonner sans en éprouver un intense sentiment de culpabilité.
Sa vie se trouvait dans ce monde, celle qu'elle était parvenu à construire malgré son amnésie, alors pourquoi vouloir la quitter ?
En effet, étudiée sous cet angle, la question semblait presque inutile à poser, car songer à un départ paraissait donc illogique.
Cependant, de l'autre côté, elle estimait avoir déjà suffisamment menti à tout son entourage.
Par ailleurs, comment ignorer toute une partie d'elle-même ?
Tout le monde connaissait une ou deux histoires sur des personnes ayant tenté d'agir comme si elles étaient autre chose que ce qu'elles étaient réellement en profondeur et chacun de ces récits s'achevait dans le malheur. Richa jugeait qu'elle souffrait déjà d'assez de troubles sans rajouter le mal-être de feindre d'être autre chose que ce qu'elle savait pertinemment être au fond d'elle. Sans compter qu'elle éprouvait déjà une certaine douleur à devoir se conformer à un moule qui ne lui correspondait pas, à se sentir différentes et étrangère, dans un endroit qui n'était pas fait pour elle alors, maintenant qu'elle savait qu'une place plus adaptée l'attendait probablement dans une autre dimension, ces sentiments ne seraient que renforcés.
À rajouter à cela, elle devait avouer que la curiosité de découvrir ses racines et d'explorer ce monde,qui était donc le sien, la harcelait et elle désirait comprendre ce qu'il lui était arrivé, ce qui avait causé cette perte de mémoire et ce qu'elle était véritablement, car elle se doutait bien qu'être une sang-mêlée elfe-vampire signifiait bien davantage qu'une simple appellation.
Plus qu'un souhait, il s'agissait presque d'un besoin, quelque chose d'impérieux contre lequel lutter semblait particulièrement difficile.
La journée s'achevait et Richa ignorait toujours que faire.
Tout ce qu'elle avait réussi avec ces réflexions, redondantes puisqu'elles n'avaient cessé de se répéter en s'opposant vainement les unes aux autres, était de se causer une migraine et une forte frustration.
Alors qu'elle tentait de stopper ces pensées, comme elles apparaissaient inutiles jusqu'à présent, pour plutôt se concentrer sur autre chose, sans grand succès, la sonnerie de son téléphone la prévint qu'elle venait de recevoir un message.
Un de plus, elle en avait reçu toute la journée, surtout adressés par ses proches qui s'assuraient encore une fois de son état, ce qui renforçait son désagréable sentiment d'hypocrisie, mais, pour celui-ci, elle ne put retenir le sourire attendri qui lui monta aux lèvres lorsqu'elle lut le nom de l'émetteur. Albane avait un tel effet sur elle qu'elle en demeurait parfois surprise, elle qui avait toujours eu un caractère indomptable.
Son sourire s'élargit encore davantage lorsqu'elle lut le message lui proposant de la rejoindre pour faire un tour,prendre un peu l'air pour se changer les idées.
Cette fois, elle pouvait être certaine qu'il s'agissait bien d'Albane et non d'un piège. Par mesure de prudence, elle conserva néanmoins son couteau dans la poche de son pantalon, qu'elle garda au lieu de le remplacer par une robe, et elle prévint son père qu'elle sortait avant de quitter le restaurant.
Effectivement, c'était bien Albane qui l'attendait dans un coin du parking et au cou de qui Richa se suspendit pour l'embrasser.
Dans ses bras, peu lui importait d'être humaine ou non. D'ailleurs, ce devait être la même chose pour Albane. Après tout, si elle l'aimait réellement et sincèrement, elle se moquerait bien de ce qu'elle se révélerait être. Sans compter que, lorsqu'elle avait apprit la vérité et qu'elle se demandait si elle devait ou non partager ce secret, la première personne à qui elle s'était imaginé le dire était Albane, c'était immédiatement son visage qui s'était imposé dans son esprit.
La prenant par la main, elle la pria de l'accompagner en la tirant à sa suite.
Ne voyant pas pourquoi elle refuserait,Albane acquiesça et toutes deux s'éloignèrent main dans la main jusqu'à trouver un banc entouré d'un massif de fleurs en floraison,bien que toutes soient fermées avec la soirée, sur lequel elles s'installèrent.
Serrant la main de Richa dans la sienne, Albane ouvrit la bouche pour lui demander pour quelle raison elle avait ainsi souhaité l'amener dans un endroit tranquille, mais Richa la prit de vitesse en s'enquérant, son regard plongé dans le sien :
« Tu m'aimes vraiment ?
- Évidemment ! T'as besoin de me l'entendre dire ?
- Non, bien sûr que non, c'est juste que, moi, j'ai quelque chose à te dire.
- Ah, je vois, souffla Albane en lâchant la main de Richa. Toi, par contre, tu m'aimes plus, c'est ça ?
- Quoi ? Bien sûr que si ! Je t'aime ! (Richa s'assit à califourchon sur les genoux d'Albane en lui faisant face). Je t'aime. Et c'est justement pour ça que je veux te le dire, je t'aime alors je veux plus te cacher quelque chose d'aussi important, pas plus longtemps.
- C'est si grave que ça ? Tu m'inquiètes, Richa.
- Perso, je dirais pas que c'est grave. Je le ressens pas comme un truc grave en tous cas, mais c'est hyper important. Mais...c'est juste que...j'ai peur que tu m'aimes plus, du coup...
- Comment je pourrais ne plus t'aimer ? (Albane posa ses lèvres sur celles de Richa). Tu peux tout me dire.
- Je sais même pas si tu vas me croire... Tu te rappelles quand je te disais que j'avais besoin de découvrir qui j'étais et ce qui m'était arrivé ?
- Ouais, t'étais dans un sale état. Quel rapport ?
- Je...j'ai découvert qui...qui j'étais. En tous cas, en partie... Ou plutôt, ce que je suis... (elle se serra contre Albane).
- Tu...t'as appris quelque chose sur toi ? C'est génial ! Vraiment. Alors, dis-moi ce que c'est, je veux savoir, c'est tellement important pour toi ! Et pourquoi je te croirai pas ou pourquoi je t'aimerai plus après ? Il faudrait un changement d'univers pour que je t'aime plus !
- Je...en fait... (Richa s'interrompit en se mordillant la lèvre inférieure, cherchant ses mots, ne s'attendant pas à ce que ce soit si difficile). Je...ne suis pas humaine...
- Quoi ? Qu'est-ce que tu veux dire ? Enfin, c'est clair que t'es pas comme les autres et heureusement ! C'est pour ça que je t'adore.
- Non, tu comprends pas. Je dis ça au sens littérale et biologique, si je peux dire. Ce que j'essaye de te dire c'est que...je suis d'une autre...espèce que humaine.
- Mais qu'est-ce que tu racontes ? C'est impossible. Qu'est-ce que tu peux être si t'es pas humaine ?
- Je me doutais que tu me croirais pas... J'ai pas vraiment de preuves mais...mes dents, mes oreilles, mes yeux, c'est pas des malformations. C'est les caractéristiques de mon espèce. Enfin, de mes deux espèces, comme il paraît que mes parents sont de deux espèces différentes, mais, là, je digresse. Les espèces dont je parle, c'est les créatures surnaturelles, genre celles qu'on voit dans les bouquins ou les films, tu vois le genre. Tout ça, elles existent. Et j'en suis une aussi. Après, y a des gens qui les chassent. Peut-être que je devrais dire ''nous'' du coup ? C'est pour ça que Mikhail s'en est pris à moi. Et, en fait, toutes ces créatures, elles viennent d'un autre monde, d'une dimension parallèle si tu préfères. Ça s'appelle l'Enclave. Et je crois bien que c'est de là que je viens aussi et j'y ai peut-être une famille. Je pense aussi que c'est là-bas que je comprendrai ce qu'il m'est arrivé mais je crois pas que je puisse y aller. Je peux pas vous abandonner comme ça et... (Richa s'aperçut qu'elle venait de tout livrer subitement sans réfléchir, une fois que les paroles avaient commencé à sortir de sa bouche et qu'elles avaient jaillit sans qu'elle ne le contrôle véritablement, et qu'Albane la dévisageait avec des yeux agrandis, l'expression perdue). Albane ? Tout va...
- Tu dis n'importe quoi. C'est forcément n'importe quoi, un délire ou je sais pas quoi !
- Quoi ? T'es en train de dire que je suis folle ?
- Non mais je pense que ces derniers temps ont pas été faciles pour toi et que t'as besoin de trouver...une dérivation.
- T'avais dit que tu me croirais ! Je te dis la vérité. Toi aussi tu dois trouver impossible d'avoir un physique ''défectueux'', si on peut dire, sans avoir ces défauts dans les gênes. Tu dois savoir la vérité au fond de toi !
- Ça peut pas être la vérité ! Ça peut pas être vrai parce que, sinon, ça voudrait dire que t'es une espèce de monstre !
- C'est la vérité et je suis pas un monstre ! Je suis toujours moi, toujours la même Richa qu'il y a deux heures, la même que celle à qui t'as demandé de venir. J'ai juste...un peu éclairci le mystère qui m'entoure. Et puis, tout ça, c'est surtout des mots. Je pense pas que ça change en profondeur qui je suis. Ça change pas mon caractère, ce que j'aime ou mon amour pour toi (Richa caressa la joue d'Albane mais la jeune fille fuyait son regard). Tu comprends, pas vrai ? Je suis pas folle, et si t'as besoin de preuves, je peux te montrer les bouquins où j'ai découvert tout ça et je suis pas un monstre non plus, je suis juste Richa. Juste moi, ni plus ni moins. Juste Richa.
(se penchant, elle alla pour embrasser Albane mais cette dernière posa ses mains sur ses épaules pour éloigner ses lèvres des siennes, et elle détourna le visage sur le côté).
- Juste ? Ça peut pas être considéré comme du ''juste'' ! Tu te rends pas compte ! Je voudrais me dire que t'es cinglée mais t'as l'air convaincue, je sens que tu mens pas...et c'est beaucoup plus flippant...
- Flippant ? Je vois pas pourquoi. J'ai pas flippé, moi. Bon, j'ai peut-être fait une crise d'hystérie mais c'était passager.
- Pas flippant ? Tu te fous de moi ? Tu...t'es pas humaine, bordel ! Je suis censée faire comme si tout était normal ? Comme si ça changeait rien ? Déconne pas !
- Tu viens juste de me dire que rien pourrait changer ce que tu ressens pour moi !
- Y a trois minutes, je m'attendais pas à ce que tu me balances un truc pareil ! Tu te rends pas compte !
- Je te dis que je suis toujours la même ! Tu...tu vois bien que c'est moi, non ? (Richa saisit le visage d'Albane à deux mains pour la forcer à tourner et poser les yeux sur elle avant de tenter de l'embrasser à nouveau mais Albane la repoussa brutalement du plat de ses paumes, la faisant chuter au sol depuis le banc et elle se releva vivement, les poings serrés, en hurlant:)
- Arrête ça ! Je veux pas que tu me touches !
- Quoi ? Qu'est-ce que tu dis ? Demanda Richa d'une voix blanche en se redressant sur ses coudes.
- T'es...un monstre ! T'es pas humaine ! Je veux pas que tu t'approches de moi ou de ma famille ! T'es monstrueuse au sens propre !
- Ah oui ? Monstrueuse ? Et pourquoi ? Parce que je suis différente ? Parce que je suis quelque chose que j'ai pas choisi et que j'ai pu qu'accepter ? Ou bien parce que je croyais que tu m'aimais assez pour m'accepter comme je suis ? Je vois pas en quoi je suis plus monstrueuse que n'importe quel être humain ! Beaucoup ont des saloperies sur la conscience et du sang sur les mains, pas moi !
Malgré la justesse de son discours, qu'elle ne voyait pas comment elle pourrait contredire sans mauvaise foi, Richa remarqua bien que ses paroles ne touchaient nullement Albane, qui semblait avoir déjà statué sur une opinion au sujet de toutes ces révélations, et elle était plus que négative.
Son regard, ces deux iris de glace qui l'avaient brûlé,qui l'avaient dévoré avec tant de chaleur durant leurs étreintes, la dévisageaient à présent comme si elle était une étrangère et, pour une fois, Richa aurait préféré ne pas avoir la capacité,qui lui provenait très certainement de sa nature de Humcréa, devoir sans aucune difficulté dans l'obscurité, qui lui permettait actuellement de parfaitement distinguer et lire la répulsion imprimée sur les traits d'Albane. Ce qu'elle redoutait le plus en apprenant la vérité sur ses origines était en train de se produire et elle ne pouvait rien faire pour l'en empêcher.
Les larmes brouillèrent sa vision, pas uniquement des larmes de tristesse, bien qu'elle percevait un trou béant de douleur se former dans sa poitrine, mais également de rage, estimant injuste d'être rejetée de la sorte uniquement à cause de ce qu'elle était, comme si cela la faisait valoir moins qu'une jeune fille humaine ordinaire, et se sentant également trahie. Trahie car, après toutes ces promesses,toutes ces belles paroles d'amour, Albane l'abandonnait et se détournait d'elle aussi simplement sans le moindre état d'âme en la jugeant de la sorte sans lui accorder une chance ou chercher à comprendre alors qu'elles étaient censées s'aimer.
Après un dernier regard de dégoût sur elle en secouant la tête de gauche à droite, Albane commença à s'éloigner.
Se relevant, tremblant de tous ses membres, Richa s'écria à son tour :
- Alors c'est ça ? Tu m'insultes, tu me juges puis tu me fuis juste parce que je suis différente ? L'amour inconditionnel, hein ? Mais je vois que y en a qu'une de nous deux qui ressentait vraiment ça ! »
N'attendant pas de constater la réaction d'Albane, Richa fit volte-face et s'enfuit, courant en direction du restaurant sans retenir ses larmes qui roulaient sur ses lèvres en y laissant un goût salé.
De retour chez elle, regagnant rapidement le restaurant avec sa course effrénée, elle s'enferma dans sa chambre.
Ayant besoin d'extérioriser ses émotions qui se déchaînaient en elle en tourbillonnant, elle jeta ses oreillers à terre et elle s'en serait probablement prise au reste de ses affaires pour se défouler si elle n'avait pas été interrompue par la pluie qui s'abattait sur la fenêtre comme si elle cherchait à en briser le verre.
Richa fronça les sourcils, surprise de cette soudaine fureur météorologique alors qu'elle était rentrée sous un ciel dégagé,mais, ainsi, le temps correspondait parfaitement à ce qu'elle ressentait actuellement.
Oubliant de s'acharner sur sa chambre pour laisser ses émotions jaillir, elle ouvrit la fenêtre, dont les battants furent poussés par le vent qui s'engouffra dans la chambre en sifflant, pour s'y pencher, plutôt dangereusement, laissant le vent agiter ses longues mèches noires en tous sens, tels des serpents furieux, et la pluie gifler ses joues en se mêlant à ses larmes et elle hurla alors que le tonnerre engloutissait sa voix.Elle hurla jusqu'à ne plus avoir de souffle, jusqu'à ce que ses poumons réclament de l'air, jusqu'à ce que sa gorge soit douloureuse, puis elle se laissa glisser au sol, le dos appuyé contre le mur, l'arrière du crâne à l'extérieur contre le rebord de la fenêtre.
A la recherche de réconfort, de quelque chose de tangible à étreindre juste pour avoir la sensation de pouvoir se raccrocher à quelque chose, elle serra contre elle ses jambes qu'elle remonta contre sa poitrine, et posa son menton sur ses genoux en reniflant.
La tempête de ses émotions s'était apaisé,comme à l'extérieur où ne tombait plus qu'une fine bruine aussi légère que des larmes, et elle ne ressentait plus qu'un vide profond et une intense envie de pleurer sans pour autant parvenir à le faire.
A présent, elle savait qu'elle ne pouvait pas confier son secret à son entourage. La preuve, elle l'avait eu de la pire des manières. Elle aurait préféré se concentrer sur autre chose,mais que restait-il à penser lorsque l'amour trahissait ?
Son regard balayant la pièce sans réellement distinguer quoi que ce soit, elle s'arrêta soudainement sur son lit, sous lequel elle conservait toujours les trois grimoires.
Ce ne fut nullement une décision réfléchie mais davantage une impulsion, une réaction en réponse à ce qu'il lui était arrivé, sous le coup de la colère,de la rage et de la tristesse qui remontaient subitement d'un coup alors qu'elle revoyait l'expression de répulsion et de dégoût sur le visage et dans les yeux d'Albane, et qu'elle entendait à nouveau les paroles qu'elle lui avait adressé si durement.
Se ruant dessus, elle ouvrit le volume contenant les formule et tourna les pages avec tant de fébrilité qu'elle manqua d'en déchirer quelques unes jusqu'au rituel du voyage à travers les frontières des mondes.
Il était temps de vérifier si elle possédait véritablement une magie suffisamment puissante pour réaliser ce genre de prouesses, comme le laissait supposer la réaction lors du sort précédent.
Certainement incapable de penser correctement en songeant aux conséquences éventuelles, elle s'empara d'un de ses sacs dans lequel elle enfouie les trois ouvrages, quelques vêtements de rechange, un carnet et un crayon, de l'eau et de la nourriture, un briquet, son couteau habituel dont elle préféra également emporter le jumeau, un manteau plus chaud que ses blousons coutumiers et son téléphone auquel étaient branchés ses écouteurs, plus par réflexes qu'autre chose, puis, le lançant sur ses épaules, elle s'élança, quittant le restaurant sans prévenir personne, courant jusqu'à l'extérieur où elle enfourcha sa moto.
Peut-être qu'il fut trop court pour lui permettre de réaliser pleinement ce qu'elle s'apprêtait à faire mais le trajet ne la fit pas réfléchir ni changer d'avis et elle se rendit sur les hauteurs boisées de la ville, aussi loin que possible de l'ancien couvent.
Ne craignant pas l'obscurité, elle s'enfonça entre les arbres, abandonnant sa moto à proximité de l'entrée, jusqu'à stopper à un endroit qu'elle choisi par hasard au seul critère qu'il lui paraissait approprié.
Sortant le grimoire dont elle avait marqué la page,elle l'ouvrit pour relire les instructions qu'elle mémorisa avant de le ranger dans son sac qu'elle empoigna à nouveau. Suivant donc les indications, elle traça deux lignes parallèles du talon de sa chaussure dans la terre meuble du bois censées représenter cette frontière intangible qu'elle cherchait à franchir. Sortant l'un de ses deux couteaux, elle s'entailla la paume de la main, préférant ne pas rouvrir à nouveau la plaie à son poignet qui commençait tout juste à entamer sa cicatrisation, pour laisser quelques goutter tomber dans les sillons qu'elle venait de dessiner. La terre les absorba rapidement et Richa ferma les paupières pour se concentrer,cherchant à invoquer sa magie, comme le décrivait le grimoire.
Étrangement, ce fut bien plus rapide et aisé que ce à quoi elle s'attendait, comme elle en avait l'habitude. Le vent se leva,charriant la bruine, dont les branchages la protégeaient initialement, et les odeurs de sous-bois et agitant ses longs cheveux contre ses joues et son corps.
Soudainement, il lui sembla qu'une rafale plus puissante que les autres la poussa dans le dos, la faisant chuter vers l'avant mais elle ne rencontra pas la surface du sol.
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