Chapitre 11 - Le sang d'un proche

La journée fut noyée dans un espèce de brouillard provoqué par ce profond trouble qui lui semblait toujours plus fort à mesure qu'elle effectuait des recherches sur son propre cas pour le dissiper, avec un total effet inverse, et par les questions qui s'accumulaient en l'emmenant vers la confirmation de ses craintes, et Richa la passa dans son lit,enfouie sous sa couverture, où sa seule activité fut de se tourner et de se retourner dans ses draps, à réfléchir à ce qu'impliquait ce qu'elle avait découvert ainsi que toutes ses interrogations demeurant perpétuellement sans réponse.
Évidemment, elle reçu plusieurs messages, de la part d'Albane et de Vinciane, également de celle de Mikhail qui continuait à s'excuser pour son comportement tout en lui répétant que ses sentiments envers elle étaient sincères, mais elle les ignora totalement, alors que les deux jeunes filles se préoccupaient de son état après ces trois conversations qui avaient été une plongée dans cette période trouble de sa vie,ne s'en sentant guère l'état.
Si Vinciane comprit facilement qu'elle avait besoin d'un peu de solitude et de tranquillité pour remettre ses pensées en ordre et se remettre tout court et cessa de lui envoyer des messages après un dernier où elle lui conseilla de se reposer en y ajoutant son soutien, Albane sembla s'inquiéter de son mutisme rompu uniquement par ces quelques courtes réponses transmises sporadiquement, ce qui se traduisait chez elle par une certaine contrariété, et elle insista en lui adressant de nombreux messages, auxquels elle n'eut pas davantage le courage de répondre.
Les heures s'écoulèrent ainsi sans qu'elle ne s'en aperçoive réellement, dans ce brouillard qui brouillait même le temps, jusqu'à arriver en fin d'après-midi et qu'on vienne la déranger.
Son père était venue dans sa chambre à quelques reprises pour s'assurer qu'elle n'avait besoin de rien et de son état, la forçant à manger, au moins un peu. En voyant sa fille ainsi, il hésita à appeler un médecin mais Richa le convainquit de ne rien en faire, sachant parfaitement que ses maux n'étaient pas physiques et ne s'imaginant certainement pas confier ses doutes à un quelconque professionnel de santé, n'osant déjà pas les confier à ses proches de crainte d'être considérée comme mentalement instable. Richa s'en voulu de l'importuner et de l'inquiéter alors qu'il avait du travail au restaurant, mais,jugeant que s'occuper de l'état de sa fille était plus important que sa mise en place, il revint encore une fois et s'assit sur le bord du lit, à côté de la forme recroquevillée qu'on distinguait sous les couvertures.
Posant la main sur ce qu'il supposait être la tête de la jeune fille, notamment par les quelques longues mèches noires ébouriffées qui jaillissaient de sous les draps, il lui demanda si tout allait bien et, au mouvement qui remua la couverture,il devina qu'elle haussa les épaules.
Se penchant vers elle, il l'informa qu'elle avait de la visite.
Cette annonce eut le mérite de faire réagir davantage Richa que les précédentes et elle sortit la tête de sous la couverture en demandant de qui il s'agissait.
Comptant la faire bouger et quitter sa chambre, ne serait-ce que pour quelques minutes, Jonah lui répondit qu'elle n'avait qu'à descendre pour constater par elle-même. Stratagème qui fonctionna puisque Richa se leva de son lit en coiffant sommairement ses cheveux en y passant la main. Satisfait d'avoir réussi, Jonah adressa un clin d'œil à sa fille avant de quitter la chambre pour regagner la cuisine où son travail l'attendait.
Le suivant, Richa se rendit dans le couloir où donnait la porte de derrière sans prendre la peine de se changer pour être plus attrayante, demeurant dans le pyjama qu'elle avait enfilé en rentrant, mais peut-être aurait-elle dû s'arranger un peu car, sur les dernières marches des escaliers,elle tomba face à Albane, qui l'attendait, les bras croisés sur la poitrine. Se sentant un peu gênée de ne pas être très présentable, Richa baissa le regard en tordant les bords de son débardeur mais, décroisant les bras, Albane vint jusqu'à elle pour l'enlacer en glissant les doigts dans sa chevelure alors qu'elle appuyait son crâne contre sa poitrine.
D'une voix douce, elle lui demanda si tout allait bien et Richa haussa les épaules, ne pouvant pas vraiment répondre qu'elle se portait bien mais ne voulant pas angoisser Albane avec ses doutes qu'elle ne pouvait confirmer ou infirmer.
Un raclement de gorge sur sa droite lui fit remarquer que Albane n'était pas seule. En effet, Elio se tenait adossé contre le mur à côté de la porte, ses béquilles à la main et son sourire de grand frère satisfait pour sa petite sœur sur le visage.
Le saluant à son tour, Richa échangea une accolade avec lui avant de leur proposer de monter à l'étage où ils seraient probablement plus à l'aise que debout dans le vestibule de l'entrée, les recevant plus confortablement.
Suivant la jeune fille dans les escaliers, ils gagnèrent sa chambre où Richa s'installa sur son lit en remontant sa jambe sous elle alors qu'Elio se permettait de s'asseoir sur la chaise du bureau en étendant sa jambe blessée devant lui avec une grimace.
En revanche, Albane demeura dans l'encadrement de la porte, son regard inspectant chaque détail de la pièce, s'attardant sur le miroir brisé avec un froncement de sourcils, et, bien que son visage aussi indéchiffrable qu'à l'accoutumée, Richa sentit qu'elle était troublée d'une manière qu'on peinait à avouer à pénétrer ainsi dans l'espace intime de sa petite-amie, bien que ce soit la deuxième fois, ce à quoi Richa n'avait pas réellement songé en les faisant entrer dans sa chambre – d'ailleurs, Elio semblait totalement s'en moquer –mais, n'allant tout de même pas les chasser, surtout à présent qu'Elio était installé, elle s'efforça d'en faire abstraction pour plutôt demander ce qui les amenait, et le son de sa voix tira Albane de sa torpeur :

« Alors, pourquoi vous venez ?
- Pour prendre de tes nouvelles, répondit Albane en se laissant tomber sur le lit à côté d'elle, surtout que tu réponds pas à mes messages !
- Ouais, désolée, je me sens pas hyper en forme, là...
- Bah tu m'étonnes ! Devoir enquêter sur sa propre vie, c'est un truc de dingue, sans déc' ! Commenta Elio. M'enfin, on va avoir besoin que tu te remettes, ma grande !
- Ouais, je serai aux répètes, t'inquiète. Assura Richa.
- Oh, mais c'est bien plus que ça ! Sourit Elio. Dis-lui, Al !
- On a un peu parlé avec ton père en arrivant, et il nous a remercié d'être tes amis.
- Ouais, il doit s'inquiéter pour son associale de fille ! Lança Elio en tirant la langue en direction de Richa.
- La ferme, Elio, grogna Albane, si tu veux que je raconte, tu me laisses parler. Et puis associale...y en a des carrément pires.
- Ouais, y a toi !
- Bon, ferme ta gueule, je termine d'expliquer ! Bon, donc on a discuté avec ton père, reprit Albane en se tournant à nouveau vers Richa, et on a parlé des répétions surtout, alors il nous a dit que, si on voulait, il nous proposait de jouer dans le resto un de ces soirs.
- C'est génial, non ? S'enthousiasma Elio. On pourra jouer devant un public ! Moi, j'ai trop hâte !
- Mais...on jouerait quand ? Demanda Richa, dont l'humeur s'améliorant soudainement à l'idée de jouer.
- On sait pas trop mais on connaît assez de morceaux qu'on maîtrise, on a juste besoin de s'organiser un peu ! Pour moi, dans quelques jours c'est bon !
- Eh, calme ta joie, le refroidit Albane, on a pas besoin de répéter plus que ça, d'accord, mais on a toujours pas de voix valable dans le groupe. Sans vouloir te vexer, ta voix fait pas vibrer et, moi, je chante comme un canard enroué. Comment on va pouvoir donner une représentation potable ? Même si c'est juste dans une salle de resto, je veux faire les choses biens, c'est sérieux pour moi, la musique.
- Je chanterai. Se proposa Richa, oubliant le fait que son timbre n'était, techniquement, pas humain et qu'elle préférait donc la garder pour elle, souhaitant seulement jouer et chanter, car elle savait que c'était probablement le seul moyen d'apaiser un peu son tourment, le seul moyen qu'elle n'avait jamais eu pour se sentir un peu mieux, lorsque les choses n'allaient pas ou que tout devenait trop compliqué, exactement comme actuellement.
- Toi, tu vas chanter ? S'étonna Albane. T'as jamais dit que tu savais chanter.
- Je sais. C'est juste que...ça me gênait. Laissez-moi chanter, vous serez pas déçus, promit.
- Moi, je te fais confiance, vas-y. Accepta Albane en serrant la main de Richa dans la sienne alors qu'Elio se contentait de hausser les épaules.
- Bon, ça me va alors ! Sourit Elio.
- Tout ce que tu veux, toi, c'est jouer. Lui lança Albane.
- Bah ouais, acquiesça le jeune homme. Du coup, ça vous irait le week-end prochain ?
- Ça fait moins d'une semaine. Commença à s'opposer Albane, plutôt incertaine.
- Ça marche. »

Accepta Richa en hochant le menton, ne partageant pas l'appréhension d'Albane par rapport au manque du temps qu'il leur restait pour se préparer, non pas qu'elle avait particulièrement confiance en ses talents, bien qu'elle n'ait jamais eu de fausses notes à déplorer lorsqu'elle jouait, sans mauvais jeu de mots, mais plutôt qu'elle avait hâte de pouvoir jouer, sans compter que c'était à l'invitation de son père qu'ils allaient jouer et qui répondre rapidement serait le meilleur moyen de l'en remercier, comme il avait toujours aimé l'écouter chanter,mais, surtout, elle savait que programmer leur représentation pour une date proche signifiait intensifier leurs répétitions et elle avait hâte d'occuper son esprit de façon à l'empêcher de songer à autre chose et à chasser, ne serait-ce que momentanément, son tourment.
Elle voulait seulement obtenir un peu de répit,apaiser son esprit en ébullition qui souffrait de cette crainte qui devenait perpétuelle de voir ses doutes se confirmer et son impression toujours plus grande de ne pas appartenir à ce monde.
C'était tout ce qu'elle espérait : réussir à libérer ses pensées, ne serait-ce que pour quelques instants.
S'enjouant d'être soutenu par Richa et par l'idée de jouer en public pour la première fois, Elio frappa dans ses paumes avec enthousiasme et, si sa blessure encore récente ne l'en avait pas empêché, il aurait probablement effectué une danse de la joie pour manifester sa grande satisfaction.
Finalement, Albane plia face aux deux autres, même si elle jugeait ce laps de temps un peu trop court.
Se penchant vers Richa, en écartant ses longues mèches noires, elle lui glissa à l'oreille qu'elle avait hâte de l'entendre chanter avant de déposer un baiser sur son cou qui fit frissonner la jeune fille.Redressant le visage, Albane plongea ses yeux dans ceux de Richa et elles échangèrent un long regard intense et lourd de sens mais cet instant fut soudainement interrompu par Elio qui bondit sur ses jambes, du moins, autant que possible sur ses béquilles, en s'exclamant que, si tout le monde était d'accord, ils devaient se rendre immédiatement à leur première répétition.
Si Albane poussa un soupir plutôt exaspéré – elle aurait bien aimé pouvoir profiter d'un moment avec Richa dans sa chambre comme l'occasion semblait se présenter – elle se leva pour emboîter le pas à son frère ainé, ne serait-ce que pour s'assurer qu'il pourrait descendre les escaliers sans y chuter, pour éviter qu'il ne se retrouve avec une seconde jambe immobilisée.
A la porte, Richa leur cria qu'elle les rejoignait après avoir enfilé quelque chose de plus présentable que son pyjama puis, après avoir averti son père qu'elle s'absentait pour la soirée, ce qui le rassura après cet état d'amorphisme même si il aurait préféré qu'elle se rende en cours également, elle suivit Albane et Elio jusqu'à leur salle de répétition, où, après avoir sélectionné une liste de morceaux à jouer lors de cette représentation, ils s'installèrent à leurs instruments respectifs.
Très rapidement, la concentration sur les notes permit à Richa d'occuper son esprit avec autre chose que ces préoccupations qui se retrouvèrent ainsi repoussées dans un coin où elles se turent, etle rythme qui vibrait dans son corps l'allégea en la libérant du poids des doutes qui pesait sur elle depuis quelques jours, mais,plus que tout, plus que jouer, à la guitare puisque Elio la remplaçait à la batterie comme ils avaient convenu que, pour chanter, il serait mieux qu'elle soit derrière la guitare, ce fut de chanter qui la soulagea le plus, ses émotions s'imprégnant dans sa voix qu'elles suivirent alors qu'elle quittait sa gorge en s'élevant dans la pièce par-dessus la mélodie.
Du moins, au départ, il n'y eut pas d'accompagnement musical puisque, en effet, lors des premiers mots de la première chanson, une création de Richa, Albane et Elio cessèrent subitement de jouer, les yeux écarquillés,stupéfaits par le timbre de la jeune fille qu'ils découvraient ici,mais, se reprenant avec le sourire, ils se pressèrent de reprendre la mélodie pour habiller cette voix, durant des heures.

Pour la première fois depuis des jours, Richa trouva le sommeil sans grande difficulté, sans que son esprit ne soit parasité par des réflexions de doutes et d'angoisse, pour s'endormir avec une détente dont elle n'était plus réellement coutumière.
Ce fut ainsi durant tout le reste de la semaine où ils répétèrent avec acharnement, encouragés par Jonah, et elle trouva même la force d'assister aux cours,d'affronter les commentaires de ses charmants camarades et même de mettre deux idiots au sol.
Par ailleurs, le fait de passer toutes ces dernières soirées à répéter, en plus de la musique qui contribuait à l'apaiser en profondeur, et de les partager avec Albane, même si leurs instants amoureux ne furent que de courts échanges avant et après les répétitions, de se trouver en sa compagnie, avec ses regards et ses sourires, lui faisait beaucoup de bien.
Elle lui rappelait qu'elle avait quelque chose à quoi se raccrocher en ce monde, qu'il demeurait en ce monde une chose précieuse qui lui permettait de garder pied et d'affronter tout ces doutes et ses tourments, ce qui était particulièrement réconfortant et agréables, de savoir qu'il y avait quelqu'un pour elle.

Puis ce fut finalement le jour de la représentation au restaurant, et, bien qu'il ne s'agissait pas d'un lieu des plus prestigieux, Richa peinait à contenir son excitation, que ce soit celle de son père et de Ludovic qui la contaminait, de jouer en compagnie de personnes qui comptaient pour elle, d'avoir une assistance réellement pour la première fois ou tout simplement le plaisir de jouer et de chanter, un plaisir d'autant plus grand qu'il lui permettait d'enfouir en elle toutes ses préoccupations alarmantes pour vivre normalement, bien que le terme''normalement'' ne s'appliquait pas vraiment pour elle, quelles que soient les circonstances.
Elle passa donc la journée à trépigner en attendant la fin des cours et l'heure de la représentation, tout comme Albane, qui en devenait plus loquace qu'à l'accoutumée, et Elio, bien que trépigner sur des béquilles ne soit guère évident. Quant à Vinciane, elle semblait presque être devenue une groupie avec ses encouragements et en clamant la hâte qu'elle avait de les voir sur scène, ce qui n'était qu'une façon de parler puisqu'il n'y avait pas de scène dans le restaurant, Jonah avait seulement dégagé un espace où ils pourraient se tenir.
Ainsi, la journée leur parut à tous interminable et, lorsque la sonnerie en annonçant la fin retentit, Richa quitta la salle encore plus rapidement qu'à l'accoutumée.
Devant regagner le domicile familial pour déposer leurs affaires, récupérer leurs instruments et car leurs parents tenaient à les accompagner, ce qui ne réjouissait pas forcément la jeune fille car cela impliquait qu'elles ne devraient pas laisser filtrer le moindre indice dans leur comportement qui montrerait que sa relation avec Richa dépassait le stade de l'amitié, Albane et Elio ne la suivirent pas jusqu'à chez elle où ils la rejoindraient plus tard, contrairement à Vinciane qui l'accompagna, cramponnée à elle à l'arrière de sa moto.
Les deux jeunes filles entrèrent dans la salle où les seules personnes présentes étaient Ludovic, qui la préparait, et quelques habitués qui buvaient un verre au comptoir, mais Richa avisa quelqu'un d'autre qui fit brutalement et soudainement retomber son enthousiasme pour plutôt lui nouer la gorge en serrant les poings.
Prenant une profonde inspiration pour se donner du courage et maîtriser ses émotions, notamment un profond agacement, Richa s'avança jusqu'à l'inspecteur Aciari qui semblait l'attendre, les bras croisés sur la poitrine et toujours cette même expression soupçonneuse sur le visage.
Ne respectant pas la courtoisie, elle ne prit même pas la peine de la saluer, de toute manière, Richa n'y aurait probablement pas répondu, et elle ne lui proposa pas non plus d'aller dans un endroit plus tranquille et privé pour mener leur entretien, se moquant visiblement de respecter un protocole de confidentialité.
A la place, elle aborda directement le sujet qui l'amenait :

« Mademoiselle Todh,figurez-vous qu'une effraction a été commise au poste de police il y a quelques jours. Bon, il a fallu un peu de temps pour le remarquer parce que le coupable a été prudent mais il a quand même laissé quelques traces.
- Quel rapport avec moi ? J'en ai pas entendu parlé. Prétendit Richa avec aplomb en s'accoudant contre le comptoir.
- Je me demandais si vous aviez un rapport avec ça.
- Et pourquoi j'en aurais un ?
- Vous me demandez des informations sur votre cas et quelques heures après, quelqu'un vient fouiller dans mes dossiers. Belle coïncidence.
- Et je suppose que vous avez des preuves pour m'accuser comme ça.
- Non, pas encore. Mais, puisque ça a l'air si important pour vous, je me suis dit que j'allais vous partager ma théorie principale, qui n'est pas dans mes dossiers.
- C'est pas moi qui suis allée fouiller dedans. Assura Richa.
- Lorsqu'on a fait des analyses sur le sang dont vous étiez couverte, on a conclu qu'il était très proche du votre, assez pour qu'on pense c'était le votre, mais les résultats étaient pas assez précis pour qu'on en ait la certitude à cent pour cent, donc, on peut très bien imaginer que c'était un sang très proche du votre, celui d'une personne avec un ADN presque semblable au votre.
- Ouais, on peut toujours imaginer. Grogna la jeune fille.
- Et quel moyen y a t-il pour être couvert du sang de quelqu'un d'autre ? Se tenir à proximité d'une personne qui saigne.
- Ça, c'est de la déduction, je comprend pourquoi vous êtes flic.
- Aucune famille ne s'est jamais manifesté malgré les nombreux signalements, et si c'était parce que il n'y avait plus de famille.
- Vous voulez en venir où ?
- A une adolescente de treize ans qui, pour une raison ou une autre, peut-être sous un coup de folie, massacre toute sa famille et se retrouve donc couverte d'un sang très proche du sien. Ensuite, sous le coup du choc, elle oublie tout, sa mémoire se bloque. Alors, elle se retrouve à errer sans pouvoir expliquer ce qu'il lui est arrivé. Et si aucun souvenir n'est revenu en cinq ans, pas même votre nom ou le visage d'un proche, c'est parce que ça vous renverrait forcément aux souvenirs de cet événement vraiment traumatisant.
- Vous...vous dites n'importe quoi... Vous inventez... Déclara Richa en secouant la tête de gauche à droite mais sa voix chevrota et ses mains tremblaient.
- Pourtant, c'est la meilleure hypothèse que nous ayons.
- C'est impossible...
- Pas tant que ça, surtout quand on connaît votre certaine tendance à la violence. Insista l'inspecteur Aciari.
- Vous avez pas le droit de dire des choses pareilles ! S'écria Vinciane en se postant devant Richa comme pour la protéger. Comment vous pouvez dire des choses pareilles ? Que vous soyez policière ne vous donne pas le droit de torturer les gens en disant des trucs comme ça ! Vous voyez pas dans quel état vous la mettez ? J'arrive pas à croire qu'on vous ait autorisé à vous occuper d'une affaire aussi sensible, et même juste à parler à des gens ! Partez d'ici maintenant, vous avez fait assez de mal comme ça !
- Parce que tu crois que je vais obéir à une gamine de dix-sept ans peut-être ? Ricana l'inspectrice.
- A une gamine de dix-sept ans, peut-être pas, mais à mon oncle ou à mon père, peut-être que oui.
- Ah, voyez-vous ça ! Et qui sont-ils donc ? »

Plutôt que de donner des noms,Vinciane sortit son porte-feuille de sa poche pour en tirer deux cartes de visite cartonnées au design différent et les tendit à l'inspectrice, qui les prit sans se départir de son rictus méprisant et supérieur, mais il fana instantanément lorsqu'elle déchiffra ces noms et elle releva un regard stupéfait sur Vinciane. Cette dernière se fendit d'un large sourire séduisant en penchant la tête sur le côté et papillonnant des paupières en une attitudes des plus angéliques, et Richa la trouva plus redoutable que ce dont elle donnait l'impression.
L'expression subitement bien plus sombre,l'inspecteur Aciari rendit les cartes à Vinciane, qui les rangea soigneusement, puis elle quitta le restaurant en saluant Richa d'un hochement sec du menton sans pour autant la regarder directement.
Dès qu'elle eut franchit la porte, la jeune fille, qui avait lutté pour demeurer stoïque avec le visage dur et impassible, se relâcha en abandonnant ses efforts d'apparence et ses jambes se dérobèrent soudainement sous elle, la forçant à se rattraper au comptoir à côté d'elle pour ne pas s'écrouler.
Elle se sentait mal, affreusement, encore plus que précédemment. Le sol disparaissait sous elle, le monde tournoyait à une vitesse folle autour d'elle, faisant se confondre les silhouettes et les couleurs en des formes indistinctes et indéfinissables, ce qui contribuait à faire enfler cette nausée, qui ne s'était pas manifesté cette dernière semaine, qui obstruait de plus en plus sa gorge. Ses muscles l'abandonnaient. Les paroles de l'inspecteur Aciari se répétaient dans son esprit en y créant les images de ce qu'elles décrivaient.
Comment pouvait-on envisager une telle hypothèse ?
Évidemment, Richa savait que l'inspectrice l'avait toujours soupçonné de mentir en dissimulant une partie de la vérité mais pas au point de l'imaginer tuant toute sa famille d'une manière si brutale qu'elle aurait été couverte de son sang.
Cependant,cette théorie ne semblait finalement pas si improbable que cela et les arguments d'Aciari paraissaient valides. Effectivement, jamais personne ne l'avait recherché, or, elle venait forcément de quelque part et, comme la jeune femme l'avait fait dit, ce devait logiquement être car ses proches éventuels avaient été dans l'incapacité de le faire, et la mort semblait être une bonne raison pour être en incapacité.
Par ailleurs, le diagnostic des psychiatres était formel : un événement particulièrement traumatisant était à l'origine du blocage de ses souvenirs et quoi de plus traumatisant que le meurtre de sa propre famille ? L'ambulancier l'avait dit : le sang qui la recouvrait ressemblait à des éclaboussures, des projections.
Finalement, un certain nombre d'indices probants convergeait vers la théorie de l'inspecteur Aciari.
Les tremblements qui agitaient la jeune fille redoublèrent de violence, alertant Ludovic qui vint aider Vinciane à la relever. Cette dernière lui frotta le dos en lui assurant qu'elle n'avait pas à s'affoler, lui adressant des mots de réconfort, mais,surtout, lui signalant qu'aucune affaire avec une famille massacrée dont un membre manquait n'avait été déclarée il y avait cinq ans,ni même récemment, ni dans la région, ni dans le pays, ce qui invalidait l'hypothèse de l'inspecteur Aciari.
Richa releva surelle un regard brouillé par des larmes qui floutaient sa vision.
Effectivement, elle n'avait pas réfléchi à cette possibilité sous cet angle et Vinciane avait probablement raison, elle ne pouvait être une meurtrière que si y avait eu meurtre. Cependant, on pouvait également supposer que le meurtre n'avait pas été découvert, que ça n'avait jamais été considéré que comme une disparition ou tout simplement que tout le monde s'en moquait.
Quelque chose en elle refusait d'accepter le soulagement de l'idée que tout cela n'était qu'une folle hypothèse invraisemblable sans fondement.
Elle avait la sensation que,quelque part, ça pourrait être vrai, que ça pourrait être ce qu'il s'était passé, ce qui avait causé son amnésie.
Après tout, quelle meilleure raison pour subir un blocage de la mémoire et pour s'imaginer être originaire d'un autre monde que le meurtre sauvage de toute sa famille au grand complet ?
La nausée la saisit encore plus intensément. Se dégageant de la prise de Vinciane et Ludovic, qui faisaient leur possible pour la maintenir debout alors que ses jambes ne supportaient plus son poids, Richa se précipita aux toilettes, ceux privés du premier étage, où elle rependit le contenu de son estomac, et pas qu'une seule fois. La rejoignant, Vinciane s'agenouilla à côté d'elle et tint ses cheveux, les retirant de son visage, sans cesser de lui parler pour la rassurer et la réconforter, mais Richa ne l'entendit pas réellement, plongée dans ses craintes.
A tel point qu'elle ne sut combien de temps elle demeura ainsi, presque proche de l'inconscience, ce qui n'était d'ailleurs pas sans lui rappeler son malaise au salon de tatouage, prostrée et tremblante, et elle ne prit conscience du temps s'étant écoulé que lorsqu'elle entendit d'autres voix que celle de Vinciane, qui était devenue comme un léger bruit de fond incompréhensible pour elle.
Se redressant,elle reconnu les timbres d'Albane, qui s'emportait contre l'inspecteur Aciari, et d'Elio qui s'efforçait de calmer sa sœur sans pour autant en penser moins.
Leurs présences rappela à Richa la représentation prévue ce soirs, une représentation qu'il n'était pas question d'annuler. Elle n'allait certainement pas décevoir tout le monde et gaspiller tous ces efforts à cause des théories sanglantes, bien que possiblement valides, de l'inspecteur Aciari. Son père comptait sur elle et avait tout organisé pour leur offrir un public et il y avait également Albane et Elio qui attendaient cela impatiemment. Surtout après cette semaine à trépigner dans l'attente de ce concert, à compter les jours interminables, elle n'allait pas abandonner à cause de ce choc,surtout pas à cause de l'inspecteur Aciari.
Il fallait qu'elle se remette et la musique l'y aiderait sûrement.
Se répétant mentalement cela, ce qui ne chassa pas entièrement ces pensées angoissantes, elle s'efforça de les ignorer pour se relever en s'appuyant contre le mur. Albane se pressa de venir l'aider, la portant à moitié et l'extirpant des toilettes.
Tout en caressant ses longs cheveux, elle s'assura de son état, bien qu'il soit visiblement approximatif, et, au haussement d'épaules duquel Richa lui répondit, elle déposa un baiser sur son front. Également prévenant, Elio lui demanda si elle avait besoin de quelque chose mais ce fut Vinciane qui descendit lui chercher le verre d'eau qu'elle réclama.
Se réconfortant dans les bras d'Albane, qui ne cessa de grommeler à l'encontre de l'inspecteur Aciari, Richa parvint à se remettre un peu, au moins à se raccrocher à la réalité pour s'apercevoir de ce qui l'entourait et à maîtriser ses tremblements suffisamment pour tenir seule sur ses jambes affaiblies.
Cherchant à rassurer ses amis autour d'elle, elle leur adressa un sourire tiré en hochant le menton, affirmant qu'elle tenait le coup. Peut-être était-ce un mensonge, plus ou moins,puisqu'elle ignorait si elle allait réellement autre chose que de se rouler en boule sous sa couverture en sanglotant, mais elle voulait donner cette représentation pour laquelle tous avaient fournit des efforts, ne voulant pas priver Albane et Elio de ce plaisir.
Ne la laissant pas pour autant se débrouiller seule, le sentant encore incertaine sur ses jambes, Albane l'aida à descendre les escaliers jusqu'à la salle de restauration, qui s'était davantage rempli, où Ludovic, inquiet, vint vérifier son état, mais elle prétendit à nouveau que tout allait bien, bien que ce soit sans certitude.
Lui accordant encore un peu de temps, Albane fit s'asseoir Richa sur une chaise, la laissant se reposer, avant de se mettre en place.
Prenant quelques longues et profondes inspirations pour stabiliser son état émotionnel, Richa rejoignit Albane et Elio parmi les instruments,tout en prenant garde à la nature des regards qu'elle adressait à la jeune fille car ses parents se trouvaient dans l'assistance.
Comme elle chantait, la charge de présenter le groupe lui revenait, ce qu'elle fit d'un ton assez peu assuré, ce qui passa pour de l'appréhension pour une partie du public, mais ceux la connaissant un peu, Ludovic et les habitués, la trouvèrent pâle avec les traits tirés.
Ignorant ces regards soucieux sur elle, Richa s'obligea à sourire aussi naturellement que possible en ces circonstances et dans son état puis Albane et Elio arrachèrent les premières notes à leurs instruments. Mettant un court instant à réagir, Richa les rejoignit avec un léger retard, qu'elle se pressa de rattraper en s'efforçant de donner l'impression que c'était parfaitement normal et prévu.
Cependant, elle ne put donner le change plus longtemps car, au moment d'ouvrir la bouche pour prononcer les premiers mots de la chanson qu'ils venaient d'entamer,sa voix se bloqua dans sa gorge, impossible d'en faire sortir la moindre parole, la moindre syllabe, le moindre son, paralysée même au niveau de ses cordes vocales par ces images qui revenaient parasiter son esprit suite aux propos de l'inspecteur Aciari, les questions, les doutes et les craintes revenant violemment au pire moment.
Ses yeux parcoururent la foule qui la fixait alors que ses tremblements la reprenaient encore plus violemment que précédemment, sans parler de sa nausée qui faisait se révulser son estomac.
Cette fois, elle ne trouva rien à quoi se rattraper pour s'éviter la chute, du moins, le pied du micro n'était pas suffisamment robuste pour la retenir et elle l'entraîna au sol lorsqu'elle s'affaissa à terre en refermant sa main autour.
Les premiers à se ruer auprès d'elle furent Albane et Jonah, qui la découvrirent dans un état proche de l'inconscience choquée. Elio ouvrit la bouche pour annoncer, en s'excusant, que la représentation ne pourrait finalement pas avoir lieu mais, le prenant de vitesse en coïncidant avec un coup de tonnerre assourdissant qui en fit trembler le mobilier, un puissant souffle de vent arracha les fenêtres à leurs montants, déversant des trombes d'eau dans la salle dans laquelle le souffle violent renversa les verres et fit s'envoler les serviettes. Un brusque flashe lumineux aveugla tout le monde et le craquement fracassant qui résonna en vrillant à tous les tympans indiqua que la foudre était tombée non loin. Y succédant, tout le restaurant se retrouva soudainement plongé dans l'obscurité, comme tous les alentours, soudainement victimes d'une panne de courant alors que l'orage se déchaînait au-dessus d'eux.
S'efforçant de ne pas se laisser impressionner par ce subit orage si violent, entièrement préoccupée par toute autre chose,Albane souleva Richa pour la transporter, se dirigeant dans le noir vers la chambre de la jeune fille.


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