Le camp du Tonnerre était plongé dans l'obscurité, dans le calme et le silence. La nuit avait laissé la lune monter jusqu'au milieu du ciel étoilé. Les chats des Clans dormaient tous, sauf les traitres du Lieu Sans Etoiles.

Patte Céleste peinait à s'endormir. Il savait que l'assassin d'Aile Fragile était Fleur de Givre, il aurait pu mettre sa patte au feu. Mais il ne pouvait le révéler à Etoile Scintillante, sinon il perdrait son compagnon Croc de Venin.

Il ne pouvait pas non plus rester sans rien faire. Il ne pouvait pas laisser son Clan dépérir en fermant les yeux. Il devait demander conseil à ses ancêtres, bien que la demi-lune soit dans bien trop longtemps.

Il se leva en silence, faisant tout pour ne pas réveiller sa mentor. Il sortit de sa tanière et, courant silencieusement dans le camp puis dans la forêt, se dirigea vers la Source de Lune. Heureusement le chat noir était vif et rapide et il arriva facilement à sa destination.

La lune se reflétait dans mes eaux calmes de la source. La surface de l'eau était plane, parfaite, comme si elle était gelée ou couverte de givre. Le Clan des Etoiles était-il aussi calme que la Source de Lune ?

Le guérisseur s'avança lentement, mais il n'avait pas le temps d'hésiter. Il s'accroupit devant la source et lécha l'eau. Puis il attendit. Encore. Encore. Mais ses ancêtres ne virent pas lui rendre visite. Ils ne virent pas l'aider à empêcher la guerre qui menaçait le Clan du Vent et le Clan du Tonnerre.

-Clan des Etoiles, venez-nous en aide, supplia le chat au museau étoilé.

La lune ne brilla pas plus fort ; la source ne devint pas plus clair ; le silence ne fut pas coupé par des bruits de pas ; aucun chat des anciens temps n'apparut devant le pauvre chat. Le Clan des Etoiles avait-il abandonné les Clans ? Après tout, il avait laissé une guerre se déclarait...

-Je vous en supplie, sauvez les Clans de cette folle. Nous ne pouvons pas la laisser faire. Qui sait combien tomberont lors de ces batailles. Faites-le, non pour le Clan du Tonnerre, mais pour tous les chats du Clan du Vent brisés par la mort de leur ami. Je vous en supplie, ne laissez pas les Clans s'entretuaient sans raison !

Personne ne lui répondit, pourtant Patte Céleste ne se laissait pas abattre. Il aurait pu continuer son discours des années pour avoir un peu d'aide.

-Elle fait partie du Lieu Sans Etoiles. J'ignore leur but, mais il ne peut pas être noble et bon pour les Clans. Il ne peut être que destructeur pour tous les chats qui vivent et qui vivront demain. Personne ne mérite de mourir à cause des chats qui ont trahit leur Clan.

Il finit par se rendre compte que parler aux étoiles ne servaient à rien. Leurs ancêtres n'étaient pas là pour les aider. Il tourna les talons, tête et queue basses, et rentra au camp du Tonnerre, le cœur brisé.

Les jours passaient et les tensions augmentaient. La guerre se préparait comme jamais une guerre ne s'était préparée. Elle était en partie menée par la souffrance de Patte de Nuit. La chatte brune voulait venger Aile Fragile, et ses camarades de Clan l'encourageaient plus que jamais.

Le Clan du Tonnerre essayait de calmer le Clan du Vent. Mais la haine aveugle les esprits, la rage les brouille et la vengeance les perd. Personne ne voulait les entendre.

Patte Céleste était le plus inquiet pour son Clan. Il ne sentait horriblement coupable, mais plus il regardait Croc de Venin, plus il savait qu'il ne pouvait rien révéler à sa cheffe. Il tenait trop à lui, et cela perdrait peut-être les Clans.

-Patte Céleste ? l'appela une voix lointaine.

Le guérisseur secoua doucement la tête pour revenir sur terre. Son compagnon avait l'air très inquiet pour lui, alors le chat noir essaya de le rassurer.

-Tout va bien.

Mais qui serait assez bête pour croire un chat qui se laissait à demi mourir de faim tant il était inquiet ? Et puis surtout, qui pouvait prétendre aller bien lorsqu'une guerre se profilait à l'horizon ?

-Je dois parler à Etoile Scintillante, dit brusquement le chat au museau étoilé.

Il ne laissa pas le chat noir et blanc dire un mot de plus et sortit de la tanière des guérisseurs. Il se dirigea rapidement vers l'antre du chef et y passa la tête pour savoir s'il pouvait entrer dans la tanière.

-Patte Céleste, ça faisait longtemps, ronronna la chatte rousse. Viens, entre. Qu'as-tu à me dire pour avoir l'air si paniqué ?

Le chat noir entra donc et s'assit à côté de sa meneuse. Il passa sa queue autour de ses pattes, hésitant. Mais il n'avait plus le choix. Son Clan était en danger.

-Le Clan des Etoiles m'a envoyé une prophétie.

Son mensonge était si bien déguisé que la chatte aux yeux brillants fut obligée de le croire. Elle ronronna de bonheur, heureuse que le Clan des Etoiles ne les ait pas abandonné. Patte Céleste se sentait mal de lui mentir ainsi, mais il était trop tard pour faire marche arrière.

-Que dit la prophétie ? demanda-t-elle.

Il ouvrit la gueule mais mit du temps à parler. Que pouvait-il inventer ? Heureusement, il se souvint d'une ancienne prophétie délivrée par ses ancêtres. Elle ferait parfaitement l'affaire pour l'instant.

-Prends garde à la guerrière indigne de confiance, récita-t-il d'un ton posé.

Il devait absolument paraitre certain de ce qu'il disait, sinon Etoile Scintillante croirait à une trahison. Et c'était la pire issue possible à cette discussion.

-Alors la meurtrière fait bien partit de notre Clan...

La cheffe, d'habitude si sûre d'elle, avait le regard troublé. Ses épaules s'affaissèrent et elle baissa légèrement la tête. Elle avait l'air d'avoir pris des lunes en quelques secondes, elle qui était si vigoureuse d'ordinaire.

-Le Clan du Vent ne nous accusait pas pour rien..., continua-t-elle.

Sa voix faiblissait au fil des minutes. Elle avait du mal à parler, du mal à constater que son Clan contenait des meurtriers. Elle qui considérait les membres de son Clan comme ses propres enfants n'avait plus confiance en personne.

-Ne deviens pas comme Etoile Bleue, intervint Patte Céleste. Nous avons besoin de toi. Tu es la meilleure cheffe que notre Clan est connu, tu sauras gérer cette situation.

Etoile Scintillante eut un faible ronron, mais ses épaules se relevèrent. Elle remercia d'un doux regard le guérisseur. Celui-ci ne s'était jamais senti aussi mal de toute sa vie, mais avait-il eu vraiment le choix ? Il n'aurait jamais la réponse.

Il s'inclina face à sa meneuse et sortit de la tanière. Il retourna dans sa propre tanière, mais son compagnon était déjà parti. Les patrouilles avaient commencé. Il s'inquiéterait donc seul, tout seul.

Au même moment, Patte de Nuit se reposait dans la tanière des guerriers du Clan du Vent. Elle était rapidement fatiguée ces temps-ci, mais elle ne pouvait révéler à son guérisseur pourquoi. Si elle le faisait, elle ne pourrait pas participer à la guerre. Elle ne pourrait pas enlever la vie au meurtrier d'Aile Fragile. Elle ne pourrait pas se venger.

La vengeance, voilà ce qui la forçait à garder les yeux ouverts. Elle avait le cœur brisé à la pensée du potentiel combat qu'elle allait devoir mener contre Croc de Venin. Elle ne voulait pas affronter son ancien apprenti, mais à présent il faisait parti d'un autre Clan. Et si c'était lui le meurtrier, elle ne sourcillerait pas en lui tranchant la gorge.

La chatte brune se força à se lever. Elle allait devenir comme ses vieilles reines qui dormaient toute la journée si elle continuait ainsi. Bien que sa tête tournait, elle s'obligea à faire un petit tour dans son camp.

Elle prit un petit lapin sur le tas de gibier et le dévora en quelques bouchées. Elle avait de la chance que la patrouille de chasse soit déjà rentrée, elle avait trop faim pour attendre leur retour.

Nuage de Pétale, la seule apprentie du Clan, s'entrainait toute seule en attendant le retour de sa nouvelle mentor, Croc Fatal. Elle voulait elle aussi se venger, mais son désir de vengeance ne tournait pas à l'obsession comme pour Patte de Nuit.

-Je ferais une bien terrible mère, murmura la chatte brune comme pour elle-même.

L'apprentie au pelage clair avait de la chance de ne pas l'avoir comme mère. Qui sait si son désir obsessionnel aurait fini par contaminer ce jeune esprit.

-Clan des Etoiles, sauvez-les de la guerre, supplia-t-elle à voix aussi basse qu'un murmure.