Fuite

(petite parenthèse dans une parenthèse, mais écoutez la musique la haut en lisant, vraiment ça met dans l'ambiance du chapitre)

Où suis-je ?

Je crois que je n'ai pas couru. Mais je suis loin.

Loin de tout, de moi, des autres, de ma mère.

Ce mot qui fait si mal désormais. Ma mère.

C'est donc cela que je ressens ? J'ai mal je crois. Je ne suis pas sûr. Je ne suis sûr de rien.

Qui suis-je ?

Tout va si vite. Je tombe, je cours, je vole peut être. Mon corps s'occupe tandis que mon esprit vagabonde au gré de mes pensées.

Il pleut. Quelle ironie. Le temps se joue de moi désormais. Le temps...

Je suis loin du lycée. J'ai couru longtemps. Il est tard.

Mes jambes sont las de la course que je leur inflige. Je ne veux plus qu'une chose, m'arrêter. Mais je ne peux pas, je dois fuir, partir. Les larmes coulent sur mon visage.

Je finis par m'arrêter, épuisé.

Quelle heure est-il ?

Le soleil se couche, il pleut toujours. Enfin toujours, il peut s'être écoulé des heures, des minutes depuis que j'ai senti les premières gouttes tomber sur mon visage, se joignant aux sillons mouillés sur mes joues.

Je suis dans un parc. Il fait noir maintenant. Les minutes passent si vite.

Je m'assied sur le premier banc que j'aperçois. Peut-être ne parviendrais-je pas à m'en relever quand en viendra le temps. Je m'en fiche puisque plus rien ne compte.

Je m'enracine au banc, et prends le temps que j'ai pour replonger dans mes pensées. Je tente de trouver comment j'en suis arrivé là.

C'est vrai ça, comment ?

A toutes les questions que je me pose, les réponses ne viennent pas. Elles me fuient comme je fuis mes problèmes. Comme je fuis cette vérité implacable que je ne me résous pas à accepter.

Ma mère est...

Non il y a une erreur. Non.

Non.... NON.

Ai-je encore la force de nier ? Je dois m'y résoudre. Et pourtant lorsque mon cerveau tente de formuler cette vérité qui paraît inéluctable, il s'arrête de fonctionner.

Mécanisme de défense ? Foutu cerveau humain. Toujours est-il que je tente de me relever.

Pourquoi puisque tout est fini ?

J'avance à peine de quelques mètres, mes jambes sont lourdes, ma tête me pèse et mon cœur martèle si fort dans ma poitrine. Ai-je encore la force de marcher ? Je tente tant bien que mal de me diriger vers le banc suivant, sachant que je ne tiendrai pas plus, je n'irai pas plus loin.

Je me pose sur le banc. Je m'y écroule plutôt. Je reste dans cette positions des heures, des minutes ou quelques secondes, encore une fois, j'ai perdu toute notion du temps.

Mon âme appelle au secours, ma langue refuse de suivre. J'ai besoin de serrer quelque chose, quelqu'un dans mes bras.

Je tente de penser, et me focalise sur une seule pensée qui peut peut-être faire évacuer les autres. Mon frère et ma sœur. Mais je n'arrive pas. Je n'arrive à rien. Je les vois  seuls dans le salon, se serrant dans les bras et pleurant après l'annonce. Je tente de chasser cette image de mon cerveau. En vain, il est trop tard. Il est trop tard...

Les mains tremblantes, je tente de saisir mon téléphone.

Que fais-je ?

Avant d'avoir le temps de le deviner, mes doigts m'ont déjà emmené dans la partie contact de mon portable. Merde. Je vois trois messages non-lus de maman. Je clique machinalement.

" Tu es au lycée ? Maman t'aime. "

" Viens à la maison s'il te plait "

" Maman vous aime mes bébés "

Je lâche mon téléphone dans une crise de larme incontrôlable. Je n'arrive pas à réfléchir.

Je crois que je finis par m'endormir.

La nuit n'est pas agitée, je ne fais pas de cauchemars, mon ventre ne gronde pas alors que je devrais avoir fin. Ma tête est vide. Suis-je encore capable de ressentir la moindre émotion ?

Le matin me frappe de plein fouet. Je me réveille avec un gout amer dans la bouche. Je vomis derrière le banc. C'est le soleil qui m'a réveillé. Soleil de merde.

Ça y est je sais ce que je vais faire, je vais détester tout le monde. Je hais le monde et le monde me hais. Dans un élan d'espoir pour retrouver un brin d'humanité, je fais appel à mon cerveau pour ressentir quelque chose. Ça ne marche pas, j'en suis incapable. Je me contente de regarder les passants d'un œil vide.

Tiens, ils m'ont remarqué. Mais ils ne s'approchent pas. Tant mieux... ou tant pis.

Je me relève avec difficulté. Mon téléphone est encore dans ma main. Je rallume l'écran et constate que j'ai appelé ma mère plusieurs fois cette nuit.

Ma mère...

Ma gorge se noue. C'est reparti, je me mets à pleurer toutes les larmes de mon corps. J'ai besoin d'elle, pourquoi est-elle partie ? Pourquoi me laisse-t-elle ?

A peine je suis debout que je retombe.

Aïe. J'ai mal. Je ne suis pas cassé finalement.

Je retire l'onglet d'appel, mais derrière se trouve encore les messages. Les Messages. Chaque lettre de ces messages me fait autant de mal qu'un poignard en plein cœur.

Un homme vient me soutenir.

" Eh petit, c'est ta première nuit dehors ? Tu devrais pas boire comme ça à ton âge.

- Merci, je bredouille, gênée.

Le type est un sans-abris, à en  juger ses vêtements sales et sa tête pas lavée. Je m'en fout, j'ai besoin de quelqu'un pour me soutenir.

- Je n'ai pas bu...

- Mouais, pourquoi t'es dans cet état alors ? On me la fait pas à moi, Edgard Dufay, prince des SDF de Paris.

Sa tentative de me réconforter ne m'échappe pas, mais bon, ça ne marche pas. Mon corps tremble encore de manière incontrôlable. Mon esprit lui est toujours vide.

- C'est ma mère...

- Elle t'as jeté  dehors ? Ouais ça arrive ça petit, mais t'en fais pas les parents reprennent toujours leurs enfants.

Les larmes se mettent à couler, encore, toujours plus abondantes alors que je croyais avoir épuisé mes canaux lacrymaux. Sans le soutien d'Edgard, je serais tombé.

Ses bras sont frêles mais il me tient d'une poigne de fer.

Je baisse la tête pour éviter son regard que je sens interrogatif. Mais je fini par céder à la pression et le tourne mes yeux trempés dans sa direction. En les voyant, je sais qu'il comprend instantanément. La rue apprend à comprendre les drames je crois.

Toujours en me soutenant, il me traine sur le banc et me force à m'asseoir. Mais sa poigne s'est relâchée un peu.

- Petit, ça va aller...

Je sens la barrière qui retenait mes sentiments se fissurer et exploser à l'intérieur de moi. J'ai tellement mal.

- NON ! ÇA VA PAS ALLER, MA MÈRE EST MORTE BORDEL ! VOUS COMPRENEZ CA, ELLE EST MORTE ! ELLE EST MORTE PARCE QU'ELLE S'EST FLINGUÉE ! Elle est morte...

- Eh, doucement avec les insultes petit. Mais vas-y lâche prise. Libère tout ce que tu ressens.

- MAIS QU'EST-CE QUE VOUS EN SAVEZ DE CE QUE JE RESSENS !

- Calme toi, moi aussi j'en ai vécu des choses. Donc calme-toi s'il-te-plaît.

Je retiens la colère qui avait explosé dans mon cœur.

- J'ai mal... j'articule avec difficulté.

- Je sais. Mais seul le temps pourra te soigner, j'en ai bien peur petit.

- Et arrêtez de m'appeler petit.

- Un jour peut être, petit"

Je me jette vers l'avant et pars en courant, je ne veux plus parler. Je ne veux plus rien. Plus entendre, plus sentir ces sensations si dures qui m'enserrent le cœur. Je ne veux plus...

Je ne veux plus vivre.

Je cherche un endroit loin de tout, loin de ma mère, du SDF, de moi-même.

Je cours, j'ai repris ma fuite de hier soir. Personne ne tente de me rattraper cette fois. Tiens, mon portable est toujours dans ma poche. Je ne veux plus le voir, les messages, les appels manqués de ma mère, son visage sur l'écran d'appel. Je frissonne.

Dans un éclair de haine plus fort encore que les autres, je le jette dans la première poubelle que je croise. Je continue sans me préoccuper de savoir si il y est rentré ou non.

Je traverse une rue bondée, une voiture manque de me renverser et le conducteur m'insulte. Qu'est-ce que j'en ai à faire ? Si il avait mieux visé, j'aurais pu en finir plus rapidement. Fichus bon conducteurs.

Une idée me traverse l'esprit. Bien que je ne sache pas ou je suis, je demande mon chemin à une vieille dame et son chien dans son sac. Elle pointe son doigt fripé vers une destination obscure.

Je hoche la tête et repars en courant. Je ne veux pas avoir le temps de réfléchir avant de faire ce que j'ai à faire.

Ma mère...

Les larmes me brouillent la vision, mais je continue, je veux arrêter de ressentir tout ça. J'en ai mare.

Dès que j'arrive sur une berge de la Seine, je ne réfléchis pas. Tout ce que je sais, c'est que j'ai mal et que je veux en finir de toute cette peine.

Je saute sous le regard effaré des passants.

Et touche l'eau dans un grand bruit qui me déchire les tympans. Je ne regrette pas d'avoir sauté.

Il fait froid. Il parait que c'est froid la mort.

Dans l'eau, j'entends à peine les cris d'hommes, de femmes et d'enfants qui me voient m'enfoncer dans l'eau. Mais je ne daigne pas lever la tête pour voir leur tête au visage inquiet.

Un femme plonge, elle me frôle le bras mais je me dégage.

L'air s'échappe de mes poumons.

Sous l'eau, le temps semble encore plus distordu qu'à la surface. J'ai l'impression que des heures s'écoulent avant que les dernières gouttes d'air ne franchissent mes lèvres.

Les larmes salées se mélangent à l'eau du fleuve qui va m'arracher mon dernier souffle de vie.

J'ai si froid.

La dernière chose que j'entends avant de sombrer dans le vide est la sirène d'un camion de pompier qui franchi le pont d'en face à toute allure.

Mais il aurait été trop simple de mourir jute comme ça.

Je me souviens de mon frère, de ma sœur, qui m'attendent sûrement dans le salon, souhaitant que je les  réconforte.

Je touche le fond, vaseux et plein de crasse.

A peine conscient, j'utilise mes dernières forces, et d'un coup de pied je me propulse vers la surface.


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