Première scène

Jungkook claque la porte en sortant. Sa main reste suspendue, près de la poignée. Il regrette d'avoir trahi le silence. Il aime le silence, Jungkook, il l'admire. Puis il s'éloigne, l'anorak vert clair suspendu par deux doigts à son épaule. Personne n'a rien remarqué. Les mains dans les poches larges de son short, il s'éloigne. Il fait encore nuit, il ne fait plus froid. Jungkook n'a pas peur du noir.

Il marche, il divague. La nuit s'étend en couches minces sur son visage. Il fait tout pour ne pas penser à hier soir. C'est pas la peine. Ça ne vaut jamais le coup. Et s'il a mal à la tempe, juste à côté de l'œil droit, tant pis. Il ne veut plus réfléchir. Dans sa poche, il tend les doigts, il les replie. Sa peau rencontre un bout de carton, tant pis.

Un soleil parvient en grinçant jusqu'à l'orée du ciel. Il est bleu. Jungkook aussi. Jungkook préfère la nuit. Jungkook aime le silence. Alors il met la capuche de son sweat jaune par dessus son crâne. L'anorak glisse sur son épaule. Il ne le rattrape pas. Il ne veut pas penser à hier soir. C'est pas la peine, de toute façon.

Il sort son portable de la poche arrière. Éteint. Plus de batterie. Il ne soupire pas, tant pis. Alors il regarde le ciel, comme on regarde la mort dans les yeux, comme on fixe ce qui nous terrifie le plus. Il regarde le soleil bleu dans le ciel blanc, c'est étrange tout ce pâle. Et puis, joliment le temps se fige. Quelqu'un passe sur un vélo rouge et vert, quelqu'un passe à côté de lui. Leurs regards se croisent, trébuchent, se rattrapent, renoncent. Tant pis.

Deuxième scène

Taehyung expire un grand nuage pâle. Elle danse, la fumée, sur la musique de ses rêves. Et il jurerait que c'est beau. Alors il monte le son. Un message vibre. "Je t'attends." Toujours aussi impatient, ce con. Taehyung fait de son mieux pour ne pas trop sourire. Oh et puis tant pis. Peut-être qu'il l'aime, ce con. Ça le perturbe, sur le coup, et puis il n'y pense plus. Ça passera sans doute. Ça passe toujours.

Il rit tout seul. Des regards se collent à ses dents. Tant pis pour eux. Ils ont tous les visages des autres. Alors il monte le son, et puis il pédale plus vite. Il n'y a personne sur le trottoir, personne dans la nuit qui meurt. Ça ne fait pas beaucoup de bruit, comme agonie.

Il pédale plus fort encore. Il pédale en criant presque, parce qu'il est vivant. Et c'est jamais trop de le dire. Son téléphone vibre encore. Il freine brusquement, sans vraiment s'arrêter. "Regarde en haut" Taehyung s'arrête pour de bon. Et il le voit, au sommet du monde. Le soleil beige.

Il faudrait pouvoir pédaler en levant les yeux. Il faudrait pouvoir penser la bouche ouverte, embrasser des peaux sans les toucher. Regarder les éclipses sans broncher. Alors Taehyung recommence à pédaler. Il monte le son. C'est sa chanson préférée. C'est toujours sa chanson préférée.

Il se laisse emporter dans les nuages, des mèches frôlent sa nuque. Il érafle les murs, transperce les lignes blanches. Et puis le temps, doucement, s'écarte de la cadence. Son regard percute un regard, ils restent étendus dans le sable glacé, un peu de temps. Taehyung a perdu le nom de la chanson. Elle était belle. Alors il monte le son, mais ce n'est plus la même.

Entracte

Deux cris suspendus à la nuit.

Jungkook et Taehyung ont un étrange sentiment.

Ils se disent, à mi-mots.

Il se passe quelque chose.