Première scène

Jungkook a toujours eu peur du temps. Il a toujours eu cette sensation insupportable, au fond de l'estomac, qu'on ne peut pas rattraper ce qui tombe. Et Jungkook ne cesse jamais, de tomber. Plus loin chaque fois. Au fond du trou, un coup de téléphone parvient à l'enterrer un peu plus plus. Et il ne résiste pas. Ce n'est pas la peine.

Jungkook finit sa cigarette, sa capuche sur la tête. Il a une jambe dans le vide, l'autre dans la maison. Comme lui. Plus qu'à moitié effacé de la surface de la Terre. Derrière lui, ses parents ont un regard inquiet. Ils veulent voir son visage. Ils veulent connaître sa vie. Mais non, mais non, ce n'est pas vrai. La vérité, c'est qu'ils ferment les yeux parce que ça les arrange. Ça arrange tout le monde. Tout va bien.

Mais il faut bien répondre à cet appel. Il faut bien savoir. Jungkook, lui, sait déjà. Pas la peine de se dépêcher. Il faut profiter du silence. Respirer l'aube humide. Jungkook admire le silence, Jungkook déteste la pluie.

Il n'entend que les réponses.

"Oui, je suis son père."

"Qu'est-ce qu'il a fait ?"

Et puis deux regards, immenses, lourds comme le monde, qui pèsent sur sa nuque. La fenêtre est ouverte, mais il n'y a pas de vent. L'air est moite. Le soleil est bleu. Le temps s'est brisé, c'est fini. Mais tout est fini depuis longtemps déjà. Jungkook a un bleu immense près de l'œil droit. Jungkook n'arrive même plus à pleurer.

"Tu es convoqué au commissariat."

Deuxième scène

Taehyung et Yoongi ont escaladé la grande tour qui surplombe la ville. Ils ont couru sur toute la longueur, ils ont couru dans les escaliers, ils ont arrêté de respirer. Ils s'embrassent toutes les deux marches, et le reste du temps, ils se tiennent la main. Forcément, c'est un peu long. Mais Taehyung est heureux, à cet instant. Il a envie de rire, de crier pour que toute la ville l'entende, que ce con est un gars bien et qu'il l'aime pour encore quelques temps.

Ils parviennent au sommet. Il n'y a pas de vent, le vent s'est éteint. Il y a les yeux de Yoongi, les yeux gris qui le regardent sans cligner. Il ne sourit plus. Il le scrute, il le fige dans la pierre de son esprit. Cet instant est immobile. Le temps est mort. Un instant, ils ne respirent plus, leur cœur souffle. Et puis la pluie recommence à tomber. Elle n'est pas froide. L'air est vicié, car la ville est tombée.

Un téléphone sonne, ici aussi. Yoongi veut raccrocher, puis se ravise. Le silence est décontenancé. C'est important. Son visage prend une mine concernée.

"Oui, je comprends, j'arrive."

Taehyung ne l'interroge pas. Il n'est pas sûr de vouloir savoir. Il n'a pas peur de la mort. Ça ne l'intéresse pas, la mort. Il n'a pas cette curiosité-là.

"Accompagne-moi, s'il te plait."

Il cède quand même, il vient. Ils sont pressés, ils doivent dévorer le temps. C'est barbare. Yoongi monte sur le porte bagage. Il ne parle plus.

Qui a décidé que ce serait important ?

Qui a décidé que c'était plus important ?

Les gens meurent tout le temps.

Entracte

Le monde s'est déchiré dans un coin.

Jungkook et Taehyung se sont enfuis.

On les a retrouvés.

Il se passe quelque chose.