ONZE

Quelques scènes

Le reste de l'histoire de Jungkook se résume à quelques nuances de gris. Quelques murs. Leur nombre est souvent pair. Quelques juges, quelques mots qui se veulent plus durs que d'autres, beaucoup de regards torves, beaucoup de métal aussi. Il n'a plus de violet sur le corps, il n'a plus vraiment de peau, sur le corps. Il n'a plus vraiment de corps, Jungkook.

Son sweat jaune dort quelque part. On l'a habillé de gris, on l'a entouré de silence. Et le silence est troué par les cris de sa mère, de son père, lui si calme, lui si doux, même lui crie. Et Jungkook ne dit rien. Il demande une cigarette, parfois, dans la cour intérieure de la prison pour mineurs. Mais demain Jungkook ne sera plus mineur, alors les juges sont bien emmerdés. On est pas sûrs de pouvoir lui accorder le bénéfice du doute.

Un autre camion, d'autres murs. Une seule pensée lui parvient de toute cette buée, de cette nuée de mots, de ce brouillard de sons et de lumières. Tant pis. Tant pis. Tant pis.

Mais elle, a disparu. Plus personne ne lui rend visite, dans sa tête. Plus personne ne vient lui reprocher quoique ce soit. Les images, le grand fatras, les sentiments de ce soir-là. Il n'y a plus grand chose, il pourra s'endormir tranquillement. La nuit est tendre.

Il n'y a pas une seule averse. Pas de pluie, et personne pour s'en plaindre. Pour vouloir sauter dans les flaques étendues en reflets. 

Et le silence qu'il chérit tant, enfin, l'accueille entre ses bras.

Bientôt, tout s'éteindra. Tout devait s'éteindre. Mais il a fallu que l'autre se dévore de regrets, de larmes et de sourires. Il a fallu que Taehyung vienne à la prison. Il a fallu qu'il se soit passé quelque chose, bien avant. Il a fallu que leurs regards se croisent à nouveau.

De l'autre côté de la table, il l'observe en silence, et le silence est grand. Il observe les liens qui lient Jungkook à la chaise, il observe ses yeux de fusillé. Taehyung observe comme il observe rarement, tout en détails, tout en mots qui ne seront pas prononcés. Lui pourtant si prudent, s'est laissé dévorer par le remord.

Et par autre chose, peut-être, qu'on se refuse à voir.

Le plan était pourtant parfait.

C'était Taehyung qui, une nuit, lui avait offert ce pistolet. À elle, elle la fille aux cheveux bleus et aux yeux crevés. Il lui avait dit, la nuit est dangereuse pour ceux qui jouent comme tu le fais, il avait souri, elle lui avait resservi un autre verre de whisky. Comme à un ami. Comme à un ami qui lui offrait l'arme qui allait la tuer.

C'était Taehyung qui avait tout écrit. Même les silences. Même Yoongi, évidemment. Il n'avait peut-être pas prévu de s'attacher autant à cet abruti, ce genre de choses arrive même quand on est aussi prudent que lui. Heureusement, ce serait bientôt fini. Taehyung allait partir, lui si prudent. Il allait partir où la vérité ne pourrait jamais le rattraper.

Mais avant, avant de s'enfuir sans se le dire, il était venu. Admirer son œuvre, il aurait aimé le dire. Mais non. Pas vraiment. Ça n'avait pas de nom, ce qui l'avait amené dans cette prison, pas vraiment.

Il observe Jungkook, ses yeux vides, son visage sans chair.

Il entrouvre la bouche.

"Jungkook."

Il relève la tête. Une pensée se froisse quelque part. Taehyung voudrait monter le son, mais Taehyung n'a plus de musique dans la tête, plus aucune chanson, plus rien.

"Je...

- Te fatigue pas."

De l'air.

Il se passe quelque chose, enfin. L'assassin a compris, le fusillé aussi. Même la mort oscille.

"Pour la dernière fois...

- Pardon ?

- Pour la dernière fois, je voulais m'excuser.

- Ta gueule Taehyung. Tais-toi. Respecte le silence pour une fois. Respecte quelqu'un, qui que ce soit.

- Ça devait pas se passer comme ça.

- On sait parfaitement tous les deux  que c'est exactement comme ça, que ça devait se passer."

Voilà à peu près ce qu'ils auraient dit s'ils avaient été capables de parler.

Mais la vérité, la vérité. Personne ne veut comprendre, n'est-ce pas ?

Deux corps cognés dans l'obscurité d'une chambre. Deux corps et la sueur, et les sentiments nus, et toutes ses choses qu'on cache, qu'on gâche, sans en parler. Une pluie sans nom qui défigure les anges. Et tout le monde qui veut oublier. Qui oubliera, si Dieu le veut. Dieu ou un autre.

Ça a un parfum de trahison mais ça n'en est pas une. On ne s'est rien promis, personne n'a rien dit.

De toute façon, c'est bientôt fini. Seul Taehyung n'oubliera pas. Tant pis pour lui.

Il se lève avant qu'on ne le lui demande, range la chaise. Jungkook a comme un regain de haine, d'intérêt, de quelque chose qui n'a pas de nom et qu'on ne cherche pas à nommer. Parce que ça vaut mieux, comme tout le reste.

Jungkook a comme un regain de vie en le regardant partir, et puis c'est fini.

Final

Une histoire d'amour et d'argent.

Un ramassis de sentiments humains.

Certains regards n'ont pas de nom.

Il s'est passé quelque chose.

Mais c'était il y a longtemps

Bien avant tout ça. 

Fin

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