NEUF

Première scène

La première fois qu'il l'a vue, elle avait déjà les cheveux bleus. Elle avait écrit son numéro au stylo bic dans sa main, dans le musée. Il y avait ce Matisse. Ce Matisse rouge et bleu que Jungkook observait yeux dans les yeux, face à face, comme il regarde la mort, comme il regarde le ciel, comme il regarde ce qui l'effraie le plus. Et puis elle était arrivée, l'avait observé quelques instants, lui qui ne la regardait pas.

"Elles sont folles ces couleurs, pas vrai ?

- Un peu trop même.

- Trop ?

- Elles sont beaucoup trop vraies."

Elle avait ri. Ils étaient revenus le lendemain, ils avaient parlé des couleurs. Elle avait une voix bien trop grave pour son visage, des yeux trop clairs. Un autre jour, elle lui avait écrit son numéro dans la main. Et quelques temps plus tard, il était venu. Il y avait le Matisse au dessus du canapé rouge.

C'était doux, puis c'était calme, et puis beaucoup trop grand pour lui. Un immense fatras de sentiments, en réalité. De sentiments trop grands qui se cassent, qui s'attaquent.

Et puis ce soir là.

Il n'avait plus jamais entendu sa voix.

Un autre qu'elle a ouvert la porte. Il y avait de la boue partout sur les lames de parquet. Un vélo rouge et vert dans l'entrée. Elle n'était pas là, pas encore.

"C'est Jungkook !

- Trente-quatre appels mon vieux, t'aurais pu répondre plus tôt !

- Vous avez volé son téléphone ?

- Emprunté, voyons. Emprunté pour la bonne cause.

- Elle va arriver dans quelques minutes, t'as failli tout faire rater !"

Deuxième scène

Ils ont laissé Jungkook dans un coin, ils en interrogent un autre, tout pâle, presque transparent.

"C'était son anniversaire... On avait tout organisé. Elle est arrivée pile à l'heure."

Taehyung le sait, y a quelque chose qui cloche dans cette putain d'histoire. Celui-là a un drôle de visage, un drôle de rictus. Comme si il faisait semblant d'être triste depuis des années. Il a mis des chaussures de marque immaculées. Comme si il faisait tout son possible pour retenir un sourire. Et Taehyung se demande si Yoongi le voit aussi.

Celui-là, souvent, il regarde dans le coin. Très discrètement. Et puis, le drôle d'air, sur son visage, disparaît. Pendant un quart de seconde, il se dévoile. Et c'est pas beau à voir. De la véritable haine, voilà ce que ça respire.

Alors quand Taehyung tape à la machine, il peut pas s'empêcher de penser qu'il recopie des mensonges appris par cœur. Qu'il va les retaper à chaque nouveau témoin. Que c'est vraiment dégueulasse. Depuis quelques minutes, Taehyung a l'esprit vulgaire et envie d'hurler sur tout le monde. Ça fait cet effet-là, parfois, les meurtres.

"Et qu'est-ce qui s'est passé ensuite ?"

Il hésite même pas une seconde.

"Ensuite c'était une soirée normale. Elle était contente, tout se passait bien. Et puis, quand on était dans la cuisine pour allumer les bougies, Jungkook est resté dans le salon avec elle. On est arrivés avec le gâteau et puis, pas très longtemps après, elle nous a dit qu'elle allait se coucher, qu'elle devait se lever tôt. Elle avait un rendez-vous très important aujourd'hui. Un photographe je crois. Mais Jungkook est resté."

Un joli petit discours. Jungkook ne bronche pas. L'autre gars ne peut pas s'empêcher de mettre du venin dans ses dents quand il siffle son prénom.

"Vous le connaissez bien, Jeon Jungkook ?

- Non pas du tout. Je l'ai rencontré ce soir là."

Taehyung échange un regard avec Yoongi. Il se demande s'il le sent, lui aussi. S'il sent toutes ces odeurs de mort. Et puis Taehyung regarde Jungkook et c'est comme si, chez celui-là, il n'y avait plus une seule fragrance de vie.

Entracte

Un soleil bleu et un soleil beige.

Jungkook et Taehyung regardent la pluie.

Elle tombe du plafond.

Il se passe quelque chose. 

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