Cher journal, 

C'est la première fois que je te parle. Je me suis dit que ça ne pouvait pas me faire de mal... Tout le monde le sait : écrire, ça fait du bien. Je n'ai plus rien à perdre, alors autant essayer. Et puis, ce n'est pas comme si j'avais d'autres possibilités... Personne ne m'écoute.

Tu n'as pas de cadenas, rien qu'un élastique, mais je te fais confiance. Tu seras mon ami, et on ne trahit pas ses amis. Et puis, je peux toujours te prendre avec moi. C'est l'avantage d'un tout petit carnet comme toi. Sinon, je n'ai qu'à bien te cacher. Dans ma chambre. Personne ne te trouvera. Tu seras mon ami secret. 

C'est agréable, l'idée d'avoir un ami secret. Déjà, je ne suis plus seule. Tu es là pour me soutenir, et je sais que tu le seras toujours. Je me doute bien que tu n'es pas humain, mais ce n'est pas grave. Je dois bien t'avouer que je glousse un peu, toute seule sur mon lit. J'ai un secret. C'est agréable. D'habitude, je dis tout à maman - mais pas ça.

Je ne sais pas trop de quoi je peux te parler. Tu sais, je n'ai pas vraiment l'habitude de discuter avec les autres. Est-ce que je suis censée mettre la météo en avant ? Il pleut et, comme nous sommes au mois de janvier, il fait froid. Je suis quelqu'un de très frileux, alors je ne compte pas sortir de tout le week-end. De toute façon, maman ne veut pas que je sorte seule.

Sinon, je suppose que, afin qu'une amitié démarre sur de bonnes bases, je devrais te parler un peu de moi. Je m'appelle Amma — avant que tu ne me demandes, oui, j'aime mon prénom — et j'ai quatorze ans, quinze dans quelques mois. Je n'ai plus de père, et je crois que ma mère aurait voulu partir avec lui. Je suis une bonne élève, même si les professeurs écrivent toujours sur mon bulletin que je devrais participer un peu plus (mais je n'ose pas leur dire que je ne peux pas). Le physique n'est pas le plus important, mais je peux déjà te dire que je suis brune, que mes cheveux sont très longs (j'en suis fière !) et que je suis plutôt grande pour mon âge.

Je ne sais pas exactement quoi rajouter. Des détails inutiles ? Ma couleur préférée est le jaune, je rêve d'avoir un chat, je n'aime pas les légumes mais je les finis toujours, j'aime lire, à condition que personne ne me l'impose et que le livre en question ne soit pas trop gros, je n'écoute pas beaucoup de musique, je joue parfois aux jeux vidéos, mais je suis complètement nulle... Tu vois le tableau ? Je n'ai pas grand-chose de spécial dont je pourrais te parler, pas de passion, rien.

À part ça, je n'ai aucune idée de ce que je peux dire d'autre sur moi. Je ne sais pas quoi dire tout court. Je n'ai jamais vraiment su comment exprimer mes sentiments oralement, peut-être parce qu'on ne m'a pas appris à le faire, ou peut-être parce que je ne veux pas déranger maman avec tout ça. Je ne sais pas.

Des fois, j'ai envie de lui parler, de lui dire ce à quoi je pense, ce qui me tourmente, mais je n'ose pas. Peur de gêner... Et puis, je ne suis pas douée avec les mots. En écrivant, je peux réfléchir à ma prochaine phrase, ce qui est impossible à l'oral. Je n'aime pas ça, alors je me tais. 

Mais là, c'est trop. Je ne peux plus me taire. Mais comment parler de tout ça ? Personne ne m'écoute. C'est pour ça que je t'ai acheté hier soir, en attendant mon bus. Si je ne sais pas prononcer les bons mots, alors je les attirerai à moi. Je les écrirai sur le papier, là où il ne pourront pas s'échapper loin de moi comme ils aiment tant le faire. Cette fois, j'y arriverai.

Vider mes émotions, ça ne peut faire que du bien, pas vrai ? Surtout que j'en ai trop en ce moment. D'habitude, non. Mais plus rien n'est comme avant — il n'y a plus d'avant. Tout a commencé à changer il y a deux ans, et les choses sont de pire en pire.

J'ai l'impression d'écrire pour rien... Il est tard. Pendant toute la journée, je t'ai contemplé et je n'ai pas osé t'ouvrir, comme si tu étais un piège. Maintenant, je me rends compte que tu es voué à être mon ami. J'ai un peu trop tardé avant de t'écrire, et maintenant je suis fatiguée.

Bonne nuit. A bientôt,

Amma