Chapitre 54 🎭

Quelques minutes seulement que nous sommes là. Il fait chaud. Ma chemise est de moins en moins douce au contact de ma peau.

Le trac se fait ressentir chez tout le monde, et j’ai l’impression de l'absorber en intraveineuse, goutte par goutte.

Deux grandes pancartes ont été installées à l’entrée de la salle de théâtre. À côté de celles-ci se trouvent une table, des chaises, et une petite mallette qui servira à encaisser l’argent ; la billetterie pour ce soir.

Taehyung commence par des exercices de diction et d’improvisation, pour nous entraîner, nous détendre. Et surtout parce que nous n’aurons plus l’occasion d'en faire après ce jour.

Ces cours de théâtre vont me manquer, je pense, avec un goût amère au fond de la gorge.

Dire que j’exécrais ce domaine, auparavant. Je pensais que ce n’était fait que pour ceux qui savaient briller. Mais j’ai appris que si l’on ne brillait pas de l’extérieur, cela ne voulait pas dire qu’on ne pouvait pas briller à l’intérieur, et inversement, qu’on pouvait briller de l’extérieur en étant vide au fond de soi.

Tout est une question de jeu.

C’est à qui revêtira le plus beau masque.

Pour midi, chacun a ramené son repas. Nous mangeons à même la scène, dans un chahut que j’apprécie discrètement. Jimin n’arrête pas de piquer des chips à Soojin. Les figurants s'intègrent aux discussions. Ils se collent surtout à Seokjin. Ce dernier est un papillon qui attire tous les petits insectes à lui.

Les aliments passent de main en main, comme un gigantesque pique-nique. Chaeyoung, à mes côtés, attrape mon bras toutes les dix minutes en me murmurant qu’elle a peur d’oublier son texte. J’ai du mal à m’arrêter de sourire. J’en oublie presque ce qu’il va se dérouler, ce soir.

L'après-midi, nous révisons notre pièce. Nous la jouons deux fois, en entier, scène après scène, et bien que la première fois comporte encore quelques erreurs à cause de la pression grandissante, je suis soulagé de voir que la seconde est bien meilleure.

Nous enchaînons les actes, faisant de notre mieux sur la scène et chahutant dans les coulisses. C’est un chaos organisé. Taehyung s’assure que chaque chose soit à sa place, que tout le monde sache qu’est-ce qu’il doit faire, qu’est-ce qu’il doit dire, où, quand et comment.

Le temps s'accélère aussi vite que le sang s'écoule dans mes veines, bouillant. Je suis essoufflé. Je me demande si c’est tous les projecteurs, qui créent cette chaleur insupportable, ou bien la lourde veste que je porte. Ou peut-être est-ce seulement le trac ambiant qui fleurit dans mes artères.

Ce n’est pas une angoisse qui pourrait me faire perdre le contrôle, pourtant. C’est au contraire… plutôt encourageant. Une chaleur motivante qui me souffle de faire de mon mieux, de me jeter dans la peur pour en ressortir le plus satisfait possible. Si ça pouvait rester comme ça jusqu’à ce que je monte sur scène, ce serait parfait.

Bientôt, les lourds rideaux rouges se ferment. Ils ne se rouvriront plus tant que la pièce ne commencera pas.

L'après-midi arrive à sa fin, et je peux déjà entendre du remous derrière les murs de la grande salle. Des spectateurs doivent faire la file, attendant d’entrer. Je me demande qui assiste à ce genre d'événement. Les parents ? Les élèves ? Des passionnés de théâtre qui seraient capables de venir voir des lycéens jouer ?

Je suis dans les coulisses, et nous commençons à entendre des pas au loin. Des gens qui entrent. La pression monte instantanément. Je le ressens dans les yeux bruns de Chaeyoung, face à moi. Elle se balance d’un pied sur l’autre, et rigole nerveusement. En plus de son costume, tout droit sorti du dix septième siècle, elle a calé deux pâquerettes dans ses cheveux. C’est une habitude, chez elle, de mettre des fleurs un peu partout. Dans ses cheveux, sur ses tenues, ou dans ses poches pour en faire des couronnes plus tard. Son côté artistique, j’imagine.

“Tu trouves ça pas fou ?” me demande-t-elle soudain.

“De quoi ?”

“Je sais pas… Ça fait un moment qu’on travaille sur cette pièce. Il s’est passé tellement de choses, et… et maintenant, on s’apprête déjà à la jouer devant une salle remplie.”

J’acquiesce. Mes yeux se posent plus loin, sur Taehyung, qui parle avec deux garçons. Il leur donne des directives. Sa chemise bordeau lui tombe un peu plus sur une épaule que sur l’autre.

“Ça me fait bizarre aussi.” je fais, distraitement. “J’aurais jamais dû finir ici. Je ne voulais même pas faire de théâtre. Et maintenant, je crois que même si j’ai jamais autant stressé, j’échangerais ma place pour rien au monde.”

Soojin apparaît soudain dans notre champ de vision. Elle a l’air essoufflée, comme si elle avait couru partout. Elle regarde Chaeyoung, puis me regarde, semble hésiter, puis finit par s’adresser à Chaeyoung.

“T’aurais pas une serviette ? C’est assez urgent…” demande t-elle.

Quand les yeux de Soojin reviennent dans les miens, je recule, gêné.

“Oh, oui, je dois avoir ça dans mon sac.”

Soojin soupire de soulagement et la remercie. Je déglutis, n’étant pas sûr de devoir rester dans la conversation. Je souris à Chaeyoung, avant de m’éloigner, les laissant seules. En partant, j’entends :

“Je pense que les chutes du Niagara ont de la concurrence à ce stade.”

Chaeyoung éclate de rire face à la remarque de Soojin. Moi, je rougis un peu plus avant de quitter les coulisses.

J’ose m’aventurer sur la scène, non visible par le public, puis m'approche du grand rideau rouge. Il y a du bruit, au derrière, bien plus qu’il y a quelques minutes.

Des chuchotements, des conversations, des éclats de rire, des pas qui se déplacent un peu partout. Mon corps se raidit, à la fois excité et terrifié. J’ose m’avancer un peu plus, et passer un œil entre l’interstice des rideaux. Je fais un trou si petit que je suis certain que personne ne peut le remarquer.

Je manque de m’étouffer avec ma propre salive lorsque je perçois l’autre côté. La salle est entièrement éclairée, et des gens prennent leur place un peu partout. Les battements de mon cœur s’accélèrent drastiquement. Il y a déjà énormément de monde, et j’imagine qu’il ne reste plus beaucoup de temps avant que la salle soit quasiment complète.

J’aperçois quelques professeurs. Il y a beaucoup de lycéens, plus que ce que j’aurais pensé. Des gens que j’ai déjà pu croiser dans les couloirs. Des secondes, des premières, des terminales. J’aperçois même quelques têtes de ma propre classe. Je suis incapable de me souvenir si l’un d’entre eux a déjà pu m’intimider par le passé.

Il y en a eu tellement…

Mes mains se referment plus fermement sur le rideau alors que je lève les yeux, et observe les balcons plus hauts. Mon regard est immédiatement attiré par des yeux si bleus que leur éclat semble traverser la pièce. Ma mère est là. Mon père et ma sœur aussi. C’est étrange, de les voir autre part que dans notre maison, où les murs sont emplis d’ondes silencieuses.

Je me demande si Somi aussi me regardera ce soir, de là haut.

Mon cœur manque de s’arrêter lorsque je détecte finalement une tête aux cheveux noirs de jais, qui entre par la porte d’entrée. Une fille le suit de près. Elle est assez grande. Je dérive sur les tatouages qui recouvrent ses bras. Ses cheveux sont coupés au carré, et elle paraît émerveillée par la salle de spectacle dans laquelle elle entre. Je détourne bien vite mon attention pour me concentrer sur Yoongi, devant elle.

Il est là. En chair et en os, comme on l’avait convenu. Il est plus petit que ce que je pensais. C’est tellement étrange, de me dire que je lui ai parlé pendant toutes ces années, qu’il a été mon seul soutien émotionnel pendant si longtemps, et qu’il se tient maintenant à moins de vingt mètres de moi.

Ils s’installent dans les premiers rangs, au milieu.

La boule au ventre, je veux continuer mon inspection, avide, mais du mouvement derrière moi me stoppe. Avant que je ne me retourne, deux mains se déposent sur les miennes, qui tenaient fermement les rideaux pour laisser un passage à mes yeux intrusifs. Mes épaules s’affaissent alors que ces mains referment le petit trou. La chaleur dans mon dos m’enveloppe immédiatement.

“Ne fais pas ça.”

Sa voix, douce, aide à ralentir les battements de mon cœur.

“Plus tu regardes, et plus la pression va monter.”

Je me retourne, et plonge mon regard dans le sien.

Je manque de m’éloigner. Il est vraiment proche. Et si d’habitude, il est beau, et a toujours ce charme qui me rend pantelant, cette fois-ci, c’est un tout autre niveau. En plus de son costume, de sa chemise et de ses cheveux en bataille, son regard est approfondi d’un maquillage léger. Sa peau ressemble à de la porcelaine, alors que le marron sur ses paupières rend ses œillades bien plus sombres, intenses.

“Est-ce que ça ira ?” souffle-t-il.

Alors qu’il pose cette question, soudain, toute la précipitation qui courait dans ses yeux semble s’en aller. Comme s’il mettait de côté le contrôle de sa pièce, pour uniquement se concentrer sur mon état, sur moi.

Je comprends que si j’avouais ne pas être capable de monter sur scène, il m'écouterait, et ne m’en voudrait pas. Mais ça n'arrivera pas. Je me le refuse.

“J’angoisse beaucoup.” j’avoue, doucement. “La pression est immense, mais ce n’est pas hors de contrôle, et je ferai tout pour que ça ne le soit pas. Je veux vraiment combattre mes peurs ce soir. Pour moi. Mais surtout parce que ça compte aussi pour toi.”

Taehyung est toujours aussi proche, et bien que nous ne nous touchons pas, j’ai l’impression de le sentir sur chaque pore de ma peau. Ses orbes ne me quittent pas, autant que je n’ose pas m’évader des deux galaxies entières qui brillent au fond de ses pupilles.

Il me sourit, et ce simple mouvement de ses lèvres me donne envie de sauter dessus. Il faut que je me calme. Nous sommes seuls, tous les autres sont dans les coulisses, mais nous ne sommes pas totalement à l'abri des regards.

Un silence, long, intime, s’impose. Ça me fait du bien, de ne rien entendre, excepté le trac qui s'immisce dans nos respirations à tous les deux.

Soudain, Taehyung enfonce une main dans la poche de son pantalon. Il en ressort un objet que je ne vois pas très bien. Je frissonne lorsqu'il passe ses doigts de chaque côté de mon cou. Il manipule quelque chose contre ma nuque, et en baissant la tête, je réalise qu’il s’agit de mon collier. Le petit anneau pend maintenant contre ma chemise, alors que les mains de Taehyung quittent ma peau.

“Q-qu’est-ce que-” je bégaye.

“Il ne fait pas partie de ton costume, mais ça ne veut pas dire que tu ne peux pas le porter.”

Je me sens rougir de la tête au pied.

Taehyung a ce sourire en coin, celui que j’aime tant, celui qui me faisait peur au tout début, parce qu’il était synonyme d’une confiance que je ne pensais jamais pouvoir atteindre.

“J’ai remarqué qu’il te détendait.” s’explique t-il, avant de s’approcher encore un peu plus de moi. Je peux presque sentir son souffle sur mon visage. “Je veux que tu le portes.”

Je lui souris en retour avant de saisir mon collier entre mes doigts. Le contact de mes phalanges contre les bords de l’anneau m’est aussitôt familier, et m’offre un point d’ancrage qui me fait oublier un instant le brouhaha du public dans mon dos.

Je crois que le regard de Taehyung participe aussi à ce soudain silence intérieur.

“Merci.” je souffle.

Il me sourit pleinement, mais soudain, je peux voir une petite lueur vaciller dans ses prunelles.

“Quelque chose ne va pas ?” je demande, habilement. Je veux lui montrer que moi aussi, je peux être là. Que je ne suis pas si fragile, que je peux supporter toutes ses peurs si cela veut dire qu’il en sera allégé.

“Non. C’est juste que… que-”

Il se coupe lui-même, comme interrompu par ses propres pensées, ou ses propres angoisses, avant de regarder par-dessus mon épaule, là où se situe le rideau rouge.

“Hyung.” je l’appelle, pour qu’il redirige son attention sur moi. “Tu peux tout me dire. Si tu penses que me partager tes craintes va me mettre encore plus la pression, c’est faux. Au contraire, ça me donnera l’impression de la partager. C’est plus facile, à deux.”

Il se résigne, puis entrouvre les lèvres pour m’avouer ;

‘En réalité, c’est plutôt positif.” commence-t-il. “Enfin, je suis un peu sous le choc. Je comprends pas trop ce qu’il se passe. Comment ça se fait…”

Je retrouve le Taehyung décousu qu’il devient parfois quand le vase de mots déborde un peu, et ça m’alerte immédiatement, autant que ça m'attendrit.

“Qu’est-ce qu’il y a ?”

“Je-”

Il détourne encore une fois les yeux pour regarder derrière moi. Je finis par me retourner aussi, mais il n’y a que le rideau rouge, clos. Il passe une main dans ses mèches bicolores.

“Lee Ji-hoon.” énonce t-il. “J’ai fais la même erreur que toi, en allant espionner le public. Et il est là, au second rang. Je ne peux pas y croire…”

Lee Ji-hoon…?

Je fronce les sourcils. Et soudain, mon cerveau fait le lien.

Lee Ji-hoon. Le metteur en scène. L’acteur. Celui dont nous sommes allés voir la pièce au Asian Culture Center. Celui qui jouait Louis, dans sa représentation de Juste la fin du monde. Celui que Taehyung admirait profondément. J’écarquille les yeux, surpris.

“Tu es sûr ?”

“Certain.” répond-il, perturbé. “C’est juste une pièce de théâtre de lycéens, je ne comprends pas pourquoi il vient perdre son temps ici. Il va falloir que tout soit vraiment parfait, merde.”

Je pose mes mains sur ses épaules. J’effectue une légère pression dessus avec mes pouces pour essayer de le détendre. Sous mes doigts, j’ai l’impression que ses muscles sont rigides comme des briques.

“Sûrement parce que tu n’es pas n’importe qui. C’est un passionné de théâtre. Et tu as seulement dix-sept ans, tu as déjà joué dans une troupe qui faisait une tournée nationale, et tu montes tes propres pièces. Tout passionné de théâtre sensé viendrait te voir, Hyung. Parce que tu es doué, et parce qu’on peut tous ressentir à quel point tu es motivé à aller loin. Joue comme tu as toujours joué, mets en scène comme tu l’as toujours fait, et tout ira bien. Je t’assure que tu as déjà bien dépassé le niveau pour l'impressionner. Je ne te laisserai pas perdre confiance au dernier moment.”

J’ai tout débité d’une traite. Je suis étonné de l’autorité que j’y ai mis. Ça semble faire effet, puisque les épaules de Taehyung, sous mes doigts, descendent de quelques millimètres.

Son sourire ne vacille plus tant.

“C’est moi qui devrait te rassurer.”

Je lui lance un regard sans équivoque.

“On dirait bien que je suis de plus en plus confiant.” je laisse échapper, amusé.

Taehyung s’apprête à répliquer, mais quelqu’un l’appelle depuis les coulisses. Il m’effleure d’un dernier regard, avant de me quitter, à reculons. Mon sourire reste scotché à mes lèvres même après sa disparition dans les coulisses. Je m’y faufile aussi, retrouvant Chaeyoung, à laquelle je m’accroche mentalement pour garder cet esprit de confiance. Sa présence me fait du bien.

L’heure approche dangereusement. Les chiffres sur mon téléphone s'enchaînent les uns après les autres, devenant de plus en plus sérieux.

Dix minutes avant le début, Taehyung nous rassemble tous dans le couloir des loges, derrière la scène. Nous nous plaçons en un rond asymétrique, puis Taehyung nous ordonne de suivre certains exercices de respiration. Je les suis méticuleusement, ne pouvant pas m’empêcher de sourire à toutes les précautions qu’il prend pour ses élèves.

Il fait vraiment un bon metteur en scène, en plus d’être un bon professeur.

Une fois cela fait, nos mains se tendent vers le milieu du rond, pour un dernier encouragement commun. Je sens les doigts de Taehyung saisir les miens dans le méli mélo de toutes ces mains, puis nous nous séparons.

Chacun rejoint sa place dans les coulisses.

Cette fois-ci, il n’y a plus aucun doute, plus aucun épanchement possible.

Puisque le grand rideau rouge s'ouvre.

Le silence se fait dans la salle, où les lumières s'éteignent. Les souffles se retiennent dans le public, mais le mien aussi.

Premier coup de bâton.

Je sens mon coeur battre à une vitesse phénoménale. Je ne suis pas le premier à rentrer sur scène. Je pense que si ça avait été le cas, j’aurais été capable de m’effondrer au beau milieu de la plateforme.

Deuxième coup de bâton.

Je ferme les yeux un instant pour capter chaque bruit dans la salle. Les respirations douces et celles qui s'emballent. Les légers chuchotements, l'odeur de l'attente et celle du trac. J'embrasse le tout, et tente tant bien que mal de l'incorporer sans que ça ne me dévore.

Troisième coup de bâton.

Je rouvre les yeux.

Ça y est, ça commence.

C'est à moi de briller.






**•̩̩͙✩•̩̩͙*˚ ˚*•̩̩͙✩•̩̩͙*˚*



DSL DE VOUS QUITTER SUR ÇA JEBDKDBD

Les trois coups de bâton sont traditionnellement le signe que la pièce va commencer au théâtre ! (Je le précise parce que j'ai peur que des gens ne le sachent pas)

Vous pensez que ça va bien se passer pour nos protagonistes ? 😃

(J'crois je me mets trop la pression pour la fin d'SDTM mdrr, du coup je mets du temps à update, mais je vais essayer de juste faire comme d'habitude, de laisser couler les mots comme ils veulent couler, et tout ira bien)

(Il doit y avoir encore cinq/six chapitres je pense avant la fin d'ailleurs, ça va y a encore un petit peu de temps 😔👆 (jsuis dans le déni))

(J'adore les parenthèses (ma passion))

J'arrive pas à croire qu'on se rapproche des 50k c'est insane wtf

À bientôooot <333

-Elise-

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