8. Arthus

Je suis l'Archisade.

C'est moi qui ai inventé ce titre ; c'est moi qui lui ai donné son aura.

Mon seul souvenir de mon grand-père est une phrase qu'il prononçait tout le temps : « on n'y peut rien, c'est comme ça ». Il penchait alors légèrement la tête en signe d'extrême gravité ; il semblait alors avoir lu tous les livres, tout vu et tout vécu, éprouvé l'intégralité des lois qui régissent l'existence humaine.

J'étais prête à devenir comme lui. Mais à cinq ans, j'ai découvert mes pouvoirs de Sysade. Alors, tout est devenu possible.

Je vivais alors dans l'illusion que les Sysades étaient des surhommes, capables de tout, mais je les ai découverts plus petits que je ne l'imaginais. J'aurais pu dire comme mon grand-père : « on n'y peut rien, c'est comme ça » et poursuivre ma vie parmi eux. Mais avec raison, j'ai tourné le dos à cette philosophie qui amènerait tôt ou tard notre civilisation à sa fin. J'ai décidé de faire des Sysades ce que je voulais qu'ils soient.

C'est ainsi que j'ai construit le Château. À cette époque, je n'avais encore aucun crédit, aucun diplôme, mais j'avais dépassé la science de tous mes professeurs. Je voulais que les Sysades maîtrisent Avalon jusqu'à la limite ce que tolérerait Mû.

Journal de l'Archisade


En voyant le dénommé Arthus traverser les jardins d'un pas conquérant, Rizal se souvint d'un vieux dicton qui courait sur Avalon.

Le Château échappe toujours à ceux qui le cherchent ; mais si le Château te recherche, tu ne peux jamais lui échapper.

Arthus était un homme de son âge ; leur ressemblance s'arrêtait là. Il avait de petits yeux sévères, un grand nez d'aigle, une barbe parfaitement rasée. Mais plus frappant sans doute, il portait le grand manteau des Sysades. Sa couleur noire indiquait qu'il était Sygile, avant même qu'on voie son insigne rond, une Égide barrée d'un Glaive de la forme d'une aiguille. Quant aux losanges dorés frappant sa cape, ils faisaient de lui l'un des plus hauts fonctionnaires du Château, l'intersection entre une caste, une élite et une aristocratie.

Cet Arthus faisait preuve d'une grande mansuétude, pour s'abaisser ainsi à partager son temps avec deux Paladins, des hommes que les Sysades considéraient au mieux avec indifférence, et qui, comme toute chose en Avalon, avaient pour seule fonction à leurs yeux de répondre à leurs attentes.

« Messire Rizal, c'est un honneur. »

Le Paladin accueillit sa politesse avec froideur.

« Que me voulez-vous, messire Arthus ?

— On m'a envoyé vous chercher. J'ai seulement appris hier que vous étiez dans la région de Vlaardburg – vous êtes décidément un grand voyageur. »

Oui, Rizal ne tenait pas en place. À ses yeux, ce devait être suspect.

« Qui vous a envoyé ? »

Question rhétorique ; les losanges d'or l'avaient déjà trahi.

« L'Archisade. »

Rizal se tourna vers Roland et annonça d'une voix morne qu'il prenait son congé ; la nuit avait été longue, et il devait écrire son rapport. Médusé, Arthus attendit plusieurs secondes avant de se rendre à l'évidence ; le techno-Paladin lui tournait le dos.

« Paladin Rizal !

— Ne me parlez plus de l'Archisade. »

Il dit cela sur un ton froid et net, celui d'une vieille résolution, prise dans la nuit la plus sombre de sa vie. Si Rizal revoyait l'Archisade, c'était pour la tuer. Ou quelque chose comme ça. Plus d'une fois, il s'était battu contre elle en rêve, et contre ses Sygiles aux manteaux noirs qui flottaient partout tels des corbeaux.

« Faites quelque chose, Roland » implora le Sysade décontenancé.

Le Haut Paladin hocha la tête avec sympathie, sans rien ajouter, gardant ses bras ballants, comme si Arthus était un étudiant sous-payé qui lui présentait avec exaltation un prospectus sur les implants capillaires, et qu'il en prenait un juste pour lui faire plaisir. Puis il décida de leur fausser compagnie, en direction des brioches au sucre dont l'odeur émanait toujours du petit salon donnant sur les jardins, et dont, espérait-il, il restait quelques morceaux.

« L'avenir d'Avalon est en jeu » insista Arthus.

Le jeune homme lâcha un soupir pesant. Bien sûr, les Sysades ne manquaient jamais d'en appeler à l'avenir du monde, avec des yeux larmoyants ; sans doute n'avaient-ils que cela en tête ; en se brossant les dents devant leur miroir, en se rasant au millimètre, ils pensaient : Avalon ! Avalon ! Avalon ! Et c'étaient eux, les seuls élus prêts à prendre la barre. Ils étaient tels un parent qui vous a promis la voiture, mais se refuse à passer le volant, car ce n'est pas que je manque de confiance en toi, Christophe, mais je ne voudrais pas égratigner mon pare-chocs tout neuf.

« C'est au sujet de votre sœur. »

Le sang de Rizal ne fit qu'un demi-tour.

« Faites très attention à ce que vous allez dire, articula-t-il.

— Elle est en danger.

— Qu'est-il arrivé ? Qu'avez-vous fait ?

— Nous ne pouvons en parler qu'au Château.

— Évidemment. »

Des menteurs, tous des menteurs, et des manipulateurs. Les Sysades que Rizal rencontrait au jour le jour n'étaient que des rouages du Château ; il le leur pardonnait. Mais ceux qui se tenaient à sa tête, les suppôts de l'Archisade, les artificiers de ses manigances, il les considérait comme de véritables démons.

« Je ne viens pas seul. Mon équipe m'accompagne.

— Si vous le souhaitez. Des dispositions seront prises. Maintenant, vous me suivez ? »

Dans le flou de leur conversation, la seule conclusion à laquelle arriva Rizal, c'était que le Sygile ne souhaitait pas le piéger. Ils avaient donc un problème devant eux, un problème insoluble pour de seuls Sysades. Passé le moment d'exaltation de les savoir enfin faillibles, de savoir l'Archisade mise en échec, il ne put ressentir qu'une profonde appréhension.


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