5. Vardia

Les civilisations les plus nombreuses dans l'histoire galactique sont les civilisations mono-planétaires. Hormis des excursions intra-stellaires, et des excursions extra-stellaires automatisées, une extrême majorité des civilisations ne dépasse pas ce stade.

La raison est simple : dans cet univers, l'espace et le temps sont tous deux immenses, sans commune mesure avec le cycle de la vie sur la plupart des mondes.

En montant sur la barque de Mû, sur cette Onde Close faite d'un miroir refermé sur lui-même, dans lequel nous demeurons sous forme de pure information, nous avons triché à ce jeu. Nous sommes les passagers clandestins d'une technologie dont seule disposait la civilisation du Foyer, qui l'avait volée aux Pangalactiques.

Journal de l'Archisade


Il était quatre ou cinq heures du matin lorsque Vardia ôta ses bottines trempées et se laissa tomber sur son lit. Il faisait chaud dans sa chambre d'hôtel sous les combles ; elle avait ouvert la fenêtre pour en chasser l'odeur de poussière. Elle ferma les yeux dans l'espoir de s'endormir aussitôt ; mais une fenêtre de lumière jaune subsistait dans son champ de vision. L'interface holographique de la console, remplie à craquer de glyphes de la langue des Précurseurs. Elle avait oublié de la fermer après le combat contre le champignon, et les logs s'accumulaient comme la file des clients mécontents devant la gare un jour de grève.

Le déblocage de ces interfaces avait pris des années aux Sysades ; les premiers humains d'Avalon devaient se contenter d'accéder aux paramètres dans leur propre tête.

Faire apparaître la fenêtre d'une console n'était pas un privilège de Codeuse-Analyste ; n'importe qui pouvait envoyer des requêtes au serveur d'environnement. En revanche, le Processus 01, tel un aristocrate guindé, faisait grand cas des privilèges accordés aux uns et aux autres. Seuls les Administrateurs manipulaient les cristaux, d'une manière intuitive, mais ultimement liée au code source de la Simulation.

Vardia avait toujours rêvé de devenir Codeuse-Analyste. Ce travail ne demandait pas des facultés innées d'instinct, de coordination ou de force mentale, qui lui avaient toujours manqué. Non, les Analystes étaient les bibliothécaires d'Avalon, ceux qui ouvraient tous les livres, qui en lisaient le plus possible, qui s'emplissaient du savoir infini caché derrière les Processus du monde errant. Les seuls capables de trouver l'erreur et sa solution, de réparer un bogue en une seule commande bien exécutée. Elle se sentait proche de ces travailleurs acharnés ; ils se félicitaient de trouver en elle quelqu'un qui comprenait si bien leur métier ; elle se préparait déjà à entrer dans leurs rangs.

Le concours ne devait être qu'une formalité.

Vardia se tourna sur le côté, en direction de la fenêtre ouverte.

Depuis qu'elle avait quitté le Château avec son insigne, trois mois plus tôt, elle n'avait fait que chuter ; elle s'écrasait contre des portes qui s'ouvraient aussitôt sur de nouveaux gouffres. L'Ordre des Sysades lui proposait une affectation ; elle se retrouvait sur un train en direction de Vehjar, avec toutes ses affaires comprimées dans une petite valise. La voici errant dans une ville inconnue à la recherche d'une caserne de Paladins, puis d'un dénommé Rizal, connu comme un tueur de Nattväsen solitaire.

Refuser, c'était rendre son insigne. Et bien que cette plaque de laiton ne fasse qu'attirer les regards de pitié et les sourires moqueurs, c'était la seule chose qu'il lui restait de son rêve.

Elle cligna des yeux. Un renard à la fourrure bleue se tenait en équilibre sur le bord de la fenêtre, se léchant la patte avec application. Un rayon lunaire perça son corps d'un halo de vide.

« Je croyais que vous étiez parti » dit Vardia.

Datu pencha la tête pour que leurs regards soient parallèles. Il n'était pas du genre à s'expliquer ou se justifier, réservant cela aux gens qui ont peur de mal agir.

« Vous avez fait bonne impression sur Rizal.

— Vous trouvez ?

— Ce n'est pas un homme très bavard, mais il suffit de lui sauver la vie une fois et il se sent redevable. J'espère que vous resterez dans son équipe.

— On ne m'a pas proposé d'autre affectation. »

La Lune s'était déplacée au loin, mais la Voie Lactée traversait le ciel d'Avalon comme une course de chars célestes. Quelques-unes de ces étoiles brillaient dans les yeux malicieux de Datu. Il jouait son rôle de Nattvas, comme Rizal celui de Paladin ; tous deux attendaient sans doute que Vardia se conforme à l'image des Sysades.

« Dans ce cas, je me félicite de nos collaborations futures.

— En tant que Symech, je n'ai pas le droit d'utiliser les arts du Glaive et de l'Égide. Mon diplôme n'a que trois mois, et si le Château l'apprenait, ils s'empresseraient de le mettre en pièces.

— De quoi parlez-vous, dame Vardia ? J'ai été coupé en deux par le champignon, je vous rappelle ; ma tête a roulé dans l'eau et pendant toute la durée de l'escarmouche, je n'ai vu que des cailloux. »

Ce n'était peut-être qu'un nouvel éclat creusé dans sa forme d'ombre, mais elle crut le voir faire un clin d'œil.

« Quant à Rizal, il a assez d'expérience pour savoir qu'au cœur de l'action, les impressions sont souvent trompeuses.

— Vous êtes très aimable, Datu, mais les logs ne mentent pas. Toutes les commandes des cristaux finissent dans la console attachée à mon Processus, et c'est la première chose qu'ils regardent quand on retourne au Château.

— Oh, je sais que les Sysades sont bien surveillés. Vous avez le souvenir de la Guerre des Précurseurs, tout comme les Paladins ont celui du Second Empire. Vos Ordres respectifs ont commis de grandes erreurs, et le système mis en place il y a quatre-vingt ans vise à éviter de telles dérives. »

Le Nattvas fit un pas en arrière ; elle crut qu'il allait perdre l'équilibre, mais une partie de son corps entra dans la lumière et se changea à nouveau en fumée.

« Il se trouve que vous allez bientôt au Château. Rizal ne le sait pas encore – je n'ai pas eu le courage de lui annoncer. Mais s'il y avait dans votre historique de commandes des logs qui vous vaudraient une dispute...

— Une révocation, corrigea-t-elle, insensible au ton badin du Nattvas.

— .... eh bien, vous avez encore quelque temps pour les effacer. C'est quelque chose qu'une Codeuse-Analyste douée comme vous devrait pouvoir faire en quelques instants. »

La jeune femme n'avait jamais rencontré de Nattvas avant Datu, Mais le renard intrigant correspondait exactement à l'idée qu'elle s'en était faite. Omniprésent, observateur, et très bien informé.

« Je ne suis pas Codeuse-Analyste, rétorqua-t-elle.

— Oh, mais j'ai entendu parler de vos notes au concours, dame Vardia. Je pense que vous valez mieux que tous les Analystes qui seraient tentés de faire les vérifications protocolaires. »


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