25. L'envol


Les phénomènes de convergence évolutive réduisent grandement la variance des expressions biologiques (carcinisation, schéma autotrophe, schéma hétérotrophe) et des comportements, résultant eux-mêmes d'un petit nombre de schémas biologiques (colonie, pod, tribu).

Cette convergence est le résultat d'une série d'optimisations locales opérées par sélection naturelle, qui atteignent parfois des optimums globaux.

C'est ce qui peut nous conduire à établir des parallèles entre des civilisations tout à fait distinctes, nées sur des planètes éloignées, qui ne se sont jamais connues, et qui ont pourtant suivi des chemins tout à fait comparables.

Notes de Morgane


La tour tombait, penchée à trente degrés ; cela donnait à Vardia l'impression que les débris de la voûte flottaient autour d'elle. Ou peut-être que le serveur d'environnement, mis à l'épreuve par une telle échelle de destruction, rognait sur les lois de la gravité ; que ces blocs de pierre et ces arêtes de métal demeuraient en place pour lui laisser une chance de se mouvoir.

Vardia zigzagua entre les traînées de poussière, tantôt portée par les cristaux attachés à ses poignets, tantôt se laissant tomber. Son Égide coupa en deux un bloc de pierre qui avait eu la malchance de se tenir sur son chemin. Son regard libéré tomba sur l'écrin de cristal censé protéger Mû, percé de toutes parts, qui accompagnait mollement la chute de la tour. Elle espéra que Rizal tenait le coup ; il avait disparu dans la poussière, et au travers de ce rideau tragique, elle ne pouvait voir que son sabre de cristal.

La Sysade sentit quelque chose effleurer son épaule ; elle crut qu'on l'attaquait par derrière, et renvoya son Égide sur le côté d'un geste vif. Une poutre de métal vomit une gerbe d'étincelles, et un câble rompu tournoya comme un serpent fou. Sa manche avait été déchirée et des gouttes de sang s'en envolaient une par une.

« Zora ! cria-t-elle, sans que personne ne pût l'entendre, car le tonnerre minéral étouffait jusqu'aux battements de son cœur. Mû ! Rizal ! »

Elle manqua sa descente et percuta le sommet du cristal, qui se brisa tel un vitrail. Les dents acérées de son Égide s'émoussèrent sur ce verre aussi dur qu'elle ; Vardia ralentit à peine et s'écrasa au milieu des cailloux, des livres ouverts, des peluches éventrées et des jouets écrasés. Se relever lui coûta un effort disproportionné ; elle avait le tournis. Cela faisait presque une heure qu'elle utilisait ses pouvoirs sans discontinuer, qu'elle naviguait en simultané dans la console et dans le monde réel. Elle ne pouvait pas maintenir une telle concentration beaucoup plus longtemps.

« Nous avons perdu. »

De la chambre de Mû ne subsistait qu'un fauteuil miraculé, occupé par l'Archisade aux cheveux rouges. Vardia chercha ce qui n'allait pas dans ses yeux dorés avant de comprendre qu'il s'agissait, pour la première fois, de résignation. Les mains posées sur le pommeau de sa canne, la femme la plus puissante d'Avalon semblait demeurer indifférente au monde qui s'écroulait autour d'elle.

« Je vais devoir réviser mes plans. »

Vardia essaya de dire quelque chose, mais ne put lâcher qu'une quinte de toux. L'interface holographique de sa console, toute de lumière dorée, afficha des logs inquiétants relatifs à son état de santé. Sa tension chutait au même rythme que la tour ; son activité cérébrale clignotait comme une lampe électrique en fin de batterie ; sa blessure à l'épaule devait être traitée.

« Où... où sont-ils ?

— Partis. Je n'ai rien pu faire, et Mû ne s'est pas défendue.

— Il faut... il faut... »

Même au bord de la syncope, Vardia ressentait le besoin impérieux de fuir. Elle se souvenait que Rizal était toujours suspendu à son sabre et que Henryk attendait d'être secouru à l'étage inférieur. Alors pourquoi Zora n'exprimait-elle qu'un désintérêt total ?

Parce qu'aucun d'entre eux ne comptait pour elle. Ils n'étaient que des pions, assemblés pour la bataille. Pour l'Archisade, l'importance des choses se mesurait à leur place dans ses plans. La mort de Rizal n'aurait été qu'un détail mineur. Les groupes de Sygiles et de Synfras pouvaient être remplacés. Même ceux sortis premiers du Château... car chaque année avait sa nouvelle promotion. Mais l'enlèvement de Mû, cela remettait en cause tout le destin d'Avalon, toutes les lignes qu'elle avait patiemment tracées ; Zora contemplait non pas sa défaite, mais le travail de reconstruction titanesque qu'elle devait désormais accomplir.

Vardia la laissa plantée là et plongea en direction des Paladins.

Il régnait autour d'elle une telle confusion, une telle saturation de son ouïe et de son regard, qu'elle se résolut bientôt à fermer les yeux. L'interface holographique de la console, toujours ouverte, s'agrandit en un écran transparent, sur lequel défilaient des milliers de caractères. Chaque objet chutant de la tour apparaissait dans ces lignes. Le Processus Avalon décidait du destin de chaque chose ; mais s'il demeurait réservé quant à leur futur incertain, il proclamait ses décisions présentes avec la force d'une cour d'appel. Les millions de logs ainsi générés passaient sans être lus, semblables aux rapports d'une chambre parlementaire, produits et consommés par le même organe, faisant le tour des bureaux sans jamais en sortir.

C'était une bibliothèque mouvante, dans laquelle les livres auraient changé d'avis à chaque seconde. Vardia ne faisait qu'en extraire de l'information utile ; les trajectoires de quelques débris, dont les traînes de poussière apparaissaient sur son écran mental sous la forme de comètes.

Plus personne, même les meilleurs Synfras, n'avait le pouvoir d'arrêter la chute de la tour. De tous les cristaux qu'elle attrapait en chemin, Vardia ne faisait que se constituer un parapluie. D'une poigne invisible, elle attrapa un Rizal à demi conscient, suspendu d'une main à son sabre accroché dans une crevasse. Ou du moins, un Processus MODL dont l'identifiant était celui de Rizal. Le code ne ment pas, comme disaient les Analystes.

Celui du jeune Paladin était indistinguable de tout autre ; il contenait la même quantité de données, il avait les mêmes sous-routines standardisées, qui fonctionnaient au même rythme. Si ce code ne mentait pas, du moins n'avait-il rien à raconter.

Elle prit Rizal sous les épaules et le mit à l'abri de son bouclier. Des pierres toujours plus grosses impactaient sa coupole de cristal ; là encore, Vardia ne les voyait qu'au travers des logs défilant dans sa tête. Plus loin, elle attrapa Henryk ; le code lui dit qu'il était conscient, mais elle n'entendit pas le moindre mot de lui, dans le vacarme qui noyait son audition.

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