Syndrome de la page blanche

Une pile de papiers chiffonnés débordait de la poubelle. La pointe de sa plume posée sur le haut d'une nouvelle page, l'écrivain cherchait frénétiquement une idée pour la suite de son histoire. Les deux premiers tomes de sa série nommée L'espoir d'un homme s'était vendu comme des petits pains. L'écriture de ces romans avait passé à la vitesse de la lumière, sans aucun pépin et l'auteur n'avait jamais été tant inspiré. Pour le dernier volume de la série il avait pensé à tout, tout sauf la fin. Durant l'écriture des 450 premières pages tout s'était bien déroulé et il s'était tellement attaché à ses personnages qu'il avait eu tout le mal du monde à les faire, pour certains mourir et pour d'autre disparaître dans la nature. Maintenant...que faire? Cette phrase tournait en rond dans sa tête. La fin devait être parfaite, finir en beauté, pas comme certains livres qui finissaient en queue de poisson.

Il se releva de sa chaise et alla se faire un café. Point adepte de cet arôme, le besoin de finir son livre dans les temps et le syndrome de la page blanche lui avait fait prendre conscience que son cerveau avait besoin de ce surplus d'énergie. Il s'accota à la fenêtre et sirota la boisson amer. Il y avait tellement de choix possible, tellement d'événement et de fin possible. Soudain l'envie d'aller faire une marche à l'extérieur le pris.

C'était la mi-automne et le temps était frais. Il enfila son long manteau et marcha vers le petit parc près de chez lui. Ses pas faisaient crisser les feuilles mortes sur le sol et son regard, perdu dans cet océan de couleur chaude, semblait tranquillement se détendre. Au loin une corneille croassa avant de prendre son envol et quelques enfants faisaient une bataille de feuilles entre deux éclats de rire. Tant d'innocence lui rappelait le début de sa saga. Une histoire dans un monde fantastique et sombre, qui débutait dans une ferme avec un jeune homme naïf, mais heureux. Après certain événement, le désillusionnement avait été brutal et cruel, se qui avait rendu le jeune homme malveillant. Il ne pouvait pas finir la trilogie avec le suicide de ce personnage principal, qui malgré sa cruauté qui se développait tout au long de l'histoire, avait conquis ses lecteurs par ses maladresses.

Il continua son chemin sur le petit sentier qui longeait une petite rivière. Son doux gargouillis accompagnait son esprit à travers les différentes péripéties qu'avaient vécut ses personnages. Son personnage favoris, une jeune Nijemienne du nom d'Anje, venait de rentré chez elle dans le royaume au nord de Saske Vel, là où se déroulait l'histoire principale, Nije. Elle lui rappelait sa douce moitié, Nala. Tout comme Anje, elle était une femme forte et déterminé. L'une chirurgienne, et l'autre une remarquable guerrière. Il était tombé en amour avec la première et c'était cet amour qui lui avait permis de créer la deuxième.On lui avait toujours reproché de mélanger le fictif et la réalité. Mais il savait que ce défaut lui avait permit de devenir celui qu'il était aujourd'hui. Malheureusement aucun auteur sensé ne mettrait fin à cette histoire, qui ressemblait tant à la vie de son triste créateur.

Soudain un vent frisquet s'engouffra dans son manteau, le sortant de ses pensées. Il regarda le parc désormais vide, tout le monde était partis à l'arrivée des gros nuages noirs qui peuplaient désormais le ciel. L'homme s'arrêta un moment pour contempler ce monde gris, un monde fade et inintéressante, comme sa vision de la vie sur terre. Soudain un éclair, suivit d'un lourd grondement, déchira le ciel et des trombes d'eau s'abattirent sur la ville. Et au cœur de l'œil de la tempête, cet écrivain atteint d'une maladie digne du malade imaginaire.

L'eau tombait à flot autour de lui. Les larmes du ciel coulaient sur sa tête, ses épaules et sur son dos. Les éclairs illuminaient le ciel en même temps que les pensés que l'écrivain, des idées brillantes mais qui était éliminées par l'espoir de la perfection. Il resta ainsi sous la pluie, droit comme un piquet, seul et dévoré de l'intérieur par ses idéaux.

Lentement une silhouette grise s'approcha, ont aurais dit un géant. Celle-ci devait bien faire les deux mètre. Un peu comme Dürth, le pirate à la jambe fantôme. Dürth n'était ni bon, ni mauvais. Fier cavalier des eaux, il avait des cheveux blonds et long, des yeux gris aciers et une assurance à tout épreuve. Son but, aussi fou que démesuré, était de détruire les dieux, une vieille histoire de vengeance, disait-il. Cet homme aurait pu devenir son meilleur ami, s'il ne s'était pas allié avec les nagas. La silhouette devenait de plus en plus sombre, à mesure qu'elle s'avançait. L'ombre s'affina, Puis elle arriva nez à nez devant l'homme. Elle était grande, plus grande que la plus part des humains qu'il avait vue au cours de sa vie. Malgré sa taille étonnante, elle était d'une beauté époustouflante. Elle avait de grands yeux noirs, de petites lèvres rouges et une peau sombre. Si cette magnifique dame avait eu deux ailes de plumes noires, elle aurait fait une magnifique ange déchue. Harmania, se dit l'auteur. À la fois cruelle et douce, maléfique et aimante, elle avait tout d'une femme fatale et d'un bourreau. Une vraie ode aux paradoxes.

La dame ne semblait point dérangée par la pluie qui tombait drue du ciel. Sa longue tunique noire était plaquée contre son corps et sa peau couleur chocolat ruisselante d'eau reflétait la lumière orangée des lampadaires. Elle lui sourit, d'un sourire vide de vie et la dame alla s'asseoir sur le banc où notre écrivain était un peu plus tôt. Elle continua de le fixer et des frissons parcoururent le dos de l'homme. De plus en plus mal-à-l'aise, il se retourna et dit d'une voix incertaine:

- Puis-je vous aidez?

Le sourire de la femme s'agrandit et elle lui fit signe de venir s'asseoir. L'auteur lui obéi et calmement, la femme se retourna vers lui.

- J'ai mal ici, dit-elle en pointant son cœur, et là, et là, et là.

Elle désignait à chaque fois une de ses vaisseaux sanguins, en passant par la jugulaires et la carotide, puis les artères et les veines de son poignet. L'homme la regarda un brin d'incompréhension dans son regard.

- Il vous manque quelque chose?

Un étincelle de désespoir s'alluma dans les yeux ténébreux de la sosie d'Harmania.

- Oui.. quelque chose, dit-elle en le fixant de plus en plus intensément .

Incommodé par la situation, l'écrivain recula sur le banc avant de continuer.

- Je...Je peux vous aider à trouver ce quelque chose. Enfin... si vous le voulez.

- Vraiment? Oh, comme c'est gentil! C'est si rare de trouver quelqu'un comme vous de nos jours.  Marchons un peu dans la parc, je vous expliquerai ce que je cherche.

Elle se leva et il en fit de même.  Un silence malaisant s'installa entre les deux inconnus. La grande dame prenait tout son temps, entre chacun de ses mouvements on pouvait compter les secondes. Elle semblait venir d'un autre univers. Était-ce une illusion ou simplement  la pure vérité? Le temps ne semblait pas vouloir se calmer et le manteaux de l'artiste fut rapidement détrempé. L'eau lui dégoulinait dans le dos et il frissonna de sans pourtant avoir froid, cette sensation était presque agréable.

Ils marchèrent longuement à travers la pluie. L'auteur se mit soudainement à trembler de tout son corps. Un mélange de fatigue, de malnutrition et de perte de chaleur lui fit prendre une teinte blanchâtre avec des tons vert malade. Sa tête se mit à tourner et il s'accrocha à l'épaule de la sosie pour se rattraper lorsqu'il faillit tomber dans un trou d'eau. La grande femme lui prit la main d'une poigne ferme et le força à l'arrêter. L'homme leva la tête pour pouvoir la regarder dans les yeux. Il passèrent une vingtaine de secondes à se fixer, ce qui lui en parut des heures. Harmania prit la parole.

« J'ai perdu quelqu'un de cher à mes yeux... il vous ressemblait beaucoup.
- Et vous êtes? Demanda l'auteur.
- Pardonnez-moi, je ne me suis pas présenté. Je m'appelle Alice.
- Vous êtes en deuil.
Elle hocha négativement la tête.
- Il doit être quelque part à s'amuser. Dit-elle en fronçant les sourcils
- Et qui es-ce?
- Mon neveu. Lorsque ma sœur est morte, je l'ai pris sous mon aile. Mais depuis quelques semaines, il a disparu. La police m'a appelé ce matin... il m'ont dit qu'ils avaient retrouvé son corps, noyé. Je suis allé à la morgue... ce n'était pas lui. Elle sourit d'un sourire vide de joie puis éclata en sanglots et s'accrocha au manteau de l'écrivain qui l'écoutait désemparé.
- Mon neveu n'a pas la peau si fripé, il n'a pas l'air gorgé d'eau et...
Elle ne pu finir sa phrase, secouée de sanglots violents et interminables.

La vérité fait tellement mal.

La femme déversait sa peine sur le manteau déjà détrempé de l'homme. Elle s'accrochait à lui tel à une bouée de sauvetage au milieu de la tempête, qui comme pour illustrer la douleur de la grande dame, se déchaînait par coup de tonnerre, d'éclair et de coup de vent qui faisait percuter la pluie sur le sol. L'artiste restait droit comme un piquet ne sachant réagir face aux émotions de la sosie de son personnage. Il finit par remonter ses bras et de les enlacés autour du corps secoué de sanglot.

La mort, l'auteur la connaissait bien. Une amie de longue date qui rôdait souvent dans son bureau pour venir kidnapper ses personnages. Parfois ils lui étaient presque méconnu, certaines personnes ont plus d'impact dans nos vies lorsqu'ils sont morts que vivants. Le grand roi Anathans de Narts-Illit était ce genre de personnes, il avait arrêté une guerre qui avait duré quinze longues années et qui s'était finalement conclut par un accord de paix, lorsque son prédécesseur Vanbert de Narts-Illit avait péri au combat. Anathans avait ramené la paix et l'avait conservé durant tout son règne. À sa mort, son esprit fut choisit pour devenir l'un des sages du Conseil de Selesus, qui se devait de guider les Dieux.
- Harmania... je vais vous aider, séché vos pleures.

Il prit un galet du sentier et lui tendit, en souriant.
- Il est toujours parmi nous, sinon vous l'auriez oublié. Pensé à lui. Vous le sentez, il est dans ce rocher.
La femme le regarda avec incompréhension. Elle resserra ses doigts tremblants sur le caillou avant de fixer l'auteur.

- Il n'est pas seulement là, continua l'homme, il est aussi dans votre cœur, dans le ciel étoilé de la nuit, dans le murmure du vent et dans la caresse du soleil. Tant que vous penserez à lui et que vous l'aimerez, il sera vivant parmi la nature qui nous entoure. Prenez tout le temps qu'il faudra pour vous en remettre. Mais je vous préviens, la douleur ne disparaît jamais. Elle est toujours là quelque part dans l'ombre a vous guetter. Mais il faut aller de l'avant. Même si ça fait mal et que les jours sont vides sans lui. Volez Alice, volez jusqu'à en perdre haleine à travers cette tempête et c'est seulement quand vous serez rendu à destination que vous pourrez revoir le soleil.

Une larme coula sur les joues de l'homme. Nala... sa douce moitié lui manquait tant. Il tenta d'en arrêter une autre. Et David, son meilleur ami d'enfance partit avec son scooter, Amanda, ses chers parents, la jeune fille de ses voisins, les patients de l'hôpital à quelques rues auxquels ils rendaient trop souvent visite pour voir Nala. Les premières larmes furent bientôt rejointes par des dizaines d'autres. Tous ces morts, toutes ces personnes si chères à ses yeux parti le laissant seul dans sa tête avec son cœur d'enfant.

Il pleurait toutes ses larmes qu'il n'avait jamais pleuré les enfouissant quelque part pour les transformer en créativité. Toutes cette douleur accumulée depuis les dernières années s'échappaient avec une fougue insoupçonnée. La pauvre Alice le rejoignit rapidement dans ses pleures. Et ses deux inconnus échangeaient leur peine, chacun serrant l'autre dans ses bras tel une bouée de sauvetage, la dernière qu'il reste dans cet océan de douleur qu'est le deuil. De longues minutes s'écoulèrent avant que les deux blessés finissent par se lâcher. Ils se sourient tristement et sans un mot se séparèrent avec la fin de la pluie et la promesse non-écrite qu'ils se reverraient dans ce même parc.

Il rentra tranquillement chez lui, le triste sourire d'Alice en tête. Il entra dans son bureau et s'assit face à la fenêtre. Le soleil brillait discrètement derrière les nuages qui, portés par le vent, s'éloignaient de la ville. Il ne pu s'empêcher de sourire mélancoliquement. Lui aussi devait tourner là pages et se débarrasser de ce fichu bouquin pour trouver un peu de joie. Maintenant il l'avait, la fin de son histoire.

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