La voilière
Mes cauchemars ne vivent pas que la nuit, lorsque j'ouvre les yeux, ils sont toujours présents.
Les deux pieds dans le sable, elle regardait le temps passer. Le doux bruit de la mer l'apaisait et un doux vent jouait avec ses cheveux noirs. Elle entendit des bruits de pas discrets derrière elle. Elle ferma les yeux pour profiter encore un peu de ce moment de répis.
- Crow !, l'interpella la voix qui provenait de l'endroit où les pas s'étaient arrêtés.
Elle détestait ce surnom, mais ici s'était le seul nom qu'elle avait. Crow se releva, prit ses bottes et regarda encore un peu la mer, espérant voir sa terre d'origine de l'autre côté de l'océan. Elle ne pourrait jamais y retourner, elle le savait. Là-bas, tout le monde la connaissait. Tout le monde la haïssait. Elle détacha son esprit de ses lointains souvenirs et se retourna vers la voix.
- Qu'y a-t-il, demanda-t-elle tout simplement en regardant le jeune homme.
- L'ornithologue veut te voir, répondit faiblement celui-ci.
Il devait avoir 17 ans, mais comme tous ceux qui vivaient ici, dans ses yeux ne brillait aucune lueur de joie ni d'espoir, qui d'habitude illuminait le regard des jeunes gens. Le jeune homme, surnommé Owl lui lança un regard à la fois fatigué et intrigué. Il devait se demander ce qu'elle avait fait pour devoir aller voir l'ornithologue. Le rencontrer n'était jamais une bonne nouvelle. Owl laissa échapper un bâillement. Il était un oiseau de nuit et il aurait dut être couché depuis longtemps.
- Vas-y, je vais le voir, dit-elle en soupirant.
Le jeune homme aux boucles brunes hocha la tête, soulagé, puis partit rapidement vers son nid. Crow s'engagea dans la voie menant chez l'ornithologue, pied nue marchant lentement sur le sol forestier. Avant d'atteindre le tournant menant chez le spécialiste des oiseaux, elle remit ses bottes noires et rabattit sa capuche de la même couleur sur sa tête. Devant la maison de l'homme, Crow prit une grande inspiration pour calmer ses tremblements. Chez tous les oiseaux, cet homme inspirait la peur. La jeune femme fit un bruit qui ressemblait à un croassement de corbeau et une voix lui répondit.
- Entre, dit-elle.
Le Corbeau s'exécuta rapidement et fit face à l'homme que tous les oiseaux détestaient. Il l'accueillit avec son sourire blanc et parfait qui mettait ses proies en confiance, mais qui horrifiait les oiseaux.
- Bonjour petit corbeau, dit-il en mettant sa main derrière l'épaule gauche de la jeune femme.
Crow réprima un frisson de dégoût. À cet endroit, se trouvait le tatouage qui la définissait comme un oiseau: un corbeau les ailes écartées comme pour prendre son envol. Elle déglutit entendant son cœur commencer à battre la chamade. Les yeux de l'ornithologue se mirent à briller dans la pénombre d'un éclat qui inquiéta la jeune femme. Elle essaya de reprendre son calme, mais la vue de celui qui avait démolit sa vie l'emplissait d'effroi et d'envie de meurtre.
- Pourquoi m'avez-vous appelé? demanda Crow, entre ses dents.
- Je voulais te voir, dit-il en enlevant la capuche de la tête du Corbeau.
Elle faillit protester lorsqu'il prit une mèche de ses cheveux et la porta à son nez pour la sentir.
- Tu restes toujours aussi fraîche, même si je t'ai mise en cage, Crow, dit-il en la regardant.
Comment pouvait-il dire cela. Maintenant, elle vivait dans cette fausse liberté, elle représentait la mort et le malheur, elle avait perdu son nom et elle était le corbeau domestique d'un homme qui se faisait appeler l'ornithologue. Maintenant, elle se sentait creuse comme s'il ne restait qu'une coquille vide d'elle-même.
Tout avait commencé il y a quelques mois, mais qui paraissaient avoir duré des années. Elle s'était faite arrêter pour un crime qu'elle n'avait pas commis: une série de meurtres, tous plus horribles les uns que les autres. En bon samaritain, cet horrible homme l'avait recueillit suite à son évasion de prison qui avait été d'une facilité impressionnante, personne n'avait put retenir l'ancienne acrobate. Personne, sauf cet homme. Riche et puissant, il possédait une île entière non loin du continent. Malgré l'allure calme et impassible de la mer, impossible de partir de cette horrible île sans l'aide d'un navigateur expérimenté, les courants marins étaient puissants et redoutables, renversant les radeaux de fortune sans le moindre effort. Plusieurs oiseaux rebels avaient été pris dans le piège marin et à chaque fois, on retrouvait les corps au petit matin sur les berges de l'île. Elle était une prison sans en être une, un piège aux allures de liberté et un cadeau venant des Enfers envoyé par un homme fourbe et psychopathe.
- Élène, murmura l'ornithologue voyant qu'elle divaguait.
Aussitôt qu'il prononça ce nom, Crow retrouva ses esprits et se mit à trembler légèrement. L'ornithologue lui afficha un sourire glacial.
- Arrête de divaguer ma chère, dit-il d'une voix de serpent, je sais à quoi tu penses, jamais tu ne sortiras d'ici, de toute façon, personne ne veut de toi, personne ne t'aime. Ta famille t'a tourné le dos. Jeanne Vilas, Mathias Gérençois, Aurélie Flangendish, Armand Tarliment, Fanelle Jyata, Milly Armando, Jack Newt et Arianne Pendimir, ta propre petite sœur, continua-t-il en murmurant, tous morts et tu es accusée de leurs meurtres. Tu es une meurtrière en cavale, ton seul choix est de rester ici.
Il s'éloigna d'elle et la regarda de la tête aux pieds. Ses yeux gris orageux fixaient un point invisible et laissaient voir qu'elle était perturbée. Sa beau blanche était couverte de petits tremblements, ses points étaient serrés et ses ongles s'enfonçaient dans sa main. Elle avait peur et ça réjouissait l'ornithologue.
- Tu peux partir maintenant, je vais attendre demain pour continuer, dit l'homme en lui tournant le dos.
Doucement, Crow ouvrit la porte, sortit et la referma doucement. Elle regarda sa main et ouvrit les doigts. Dans sa paume on pouvait voir clairement cinq petites encoches. Elle les regarda un instant, puis sa vue s'embrouilla. Une goutte d'eau salée tomba, puis deux autres.
Un oiseau ne pleure pas...il accepte tout, car il connait ses actes. Cette phrase. Elle essuya ses yeux puis continua son chemin jusqu'à son nid, dans sa tête des images sanglantes passant en boucle. Elle arriva devant l'arbre où elle vivait. Elle grimpa l'échelle de corde, puis arriva sur la plateforme qui lui servait de nid. Elle partageais ce petit espace avec trois autres personnes, Harfan, Loro (Perroquet en espagnol), Tsuru (Grue en japonais). Elle ne leur parlait que rarement, préférant être avec Corneille. Ironie du sort, sachant que ses deux espèces étaient cousines. Épuisée, elle se roula en boule sur sa paillasse, ramena la couverture sur ses épaules et s'endormit lentement.
- Élène!
La jeune acrobate relava la tête, continuant son étirement et sourit à son interlocutrice.
- Ari! Tu viens d'entraîner avec moi?
La plus jeune lui sourit et acquisa de la tête.
- Oui!
Les jeunes filles firent plusieurs figure avec l'aide du trapèze puis avec l'aide du fils de fer. Arianne était la plus gracieuse des deux, elle avait les cheveux châtains et les mêmes yeux rêveurs que sa grande soeur. Les deux filles étaient membres tout comme leurs parents d'un cirque ambulant. Les sœurs Pendimir continuèrent leurs numéros. Soudain tout devient noir. Élène se débattit dans les ténèbres, puis elle réussit à éloigner l'obscurité. À la place, une marre rouge, un cadavre, un couteau, un assassin et une vague d'haine, de rage et de douleur. Le meurtre de sa petite sœur avait éveillé une colère qui ne demandait que vengeance et elle venait de prendre l'assassin en flagrant délit. Elle avait pris un couteau de jet et s'était lancé sur le tueur. Puis elle l'avait mitraillé de coup, perforant sa poitrine de douze coups puissants, chacun suivit d'une vague sanglante. Ces mêmes douze coups qu'avait taper le juge de son marteau, lors de son arrestation. Et pas pour qu'un seul meurtre, pour huit. Elle allait attendre dans le couloir de la mort pendant deux semaines, puis elle serait pendue. Elle s'était échappée et après deux semaines de course-poursuite dans la nature, elle l'avait rencontré, l'ornithologue. Fin de la course dans une prison naturelle, sous le joug d'un être malveillant qui collectionnait les humains et les forçaient à vivre comme des volatiles. Elle revoyait encore ses yeux gris glacés qui la regardaient lorsqu'il lui avait annoncé, un mois après son arrivé dans la volière, la vérité. Il avait tout organisé, de la présence du meurtrier en série et du meurtre de sa sœur jusqu'à son emprisonnement et son évasion. Elle le détestait, elle n'avait plus aucune raison de vivre, tout désir de vengeance l'avait quitté. Il ne lui restait plus que la mort. Que la mort...
Crow ouvrit doucement les paupières et essuya son front mouillé par la sueur.《Encore, toujours le même rêve.》se dit-elle en observant le ciel. Il était particulièrement bleu, ce matin, d'un bleu uni et sans aucun nuage. Avec un lever de soleil éblouissant. Elle resta couché quelque instant, écoutant la lente respiration de ses camarades endormit. Elle se leva lentement et épousseta ses vêtements des quelques brins de pailles prit dans son chandail de laine . Il lui restait deux bonnes heures à tuer avant le petit-déjeuné à 7 heures. Elle s'assit sur le bord de la plateforme, les pieds pendants dans le vide. Elle aurait aimé être un vrai oiseau et pouvoir rejoindre le continent en volant. Elle regarda en direction de celui-ci. Le ciel dégagé le faisait briller au loin. Elle se releva et étendit ses bras comme pour s'envolé. Elle était un corbeau après tout. Elle laissa aller son pied droit dans le vide. Oui, elle était un vrai oiseau, malheureusement elle n'était qu'un oiseau en captivité. Elle sourit. Oui, un oiseau sans ailes.
Puis elle se laissa tomber.
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