Chapitre Vingt-trois

Je m'accrochai fermement à la rambarde de l'escalier en colimaçon, très peu à l'aise dans ces échasses aussi magnifiques que piégeuses. La lumière du ciel devenait de plus en plus ocre, signe que le soleil ne tarderait pas à rendre sa révérence.

Lorsque je franchissais les dernières marches m'amenant au patio recouvert de ces végétaux si reconnaissables du château, je surpris Eden en pleine conversation avec un homme en costume. Son visage ne m'était pas inconnu. J'avais dû le croiser dans un des longs labyrinthes de l'édifice. L'homme en question, leva le regard vers moi et se figea instantanément. Eden suivit son regard, et je la vis elle aussi, s'immobiliser durant quelques secondes. Je soupirai déjà, incommodée par les regards appuyés qu'ils me lançaient. Alors que je m'apprêtais à faire demi-tour, tentant de supplier Anastasia de me trouver une tenue plus correcte, Eden me rattrapa à grandes enjambées et leva la main en direction de son interlocuteur pour l'inviter à prendre congé :

- Tu es... Eblouissante ! affirma-t-elle, en me dévorant du regard, s'attardant plus particulièrement sur ma jambe dénudée.

- C'est ridicule ! Regarde-moi ! On dirait une nymphe millénaire, désespérée de plaire de nouveau ! râlais-je.

Elle se mit à rire comme à son habitude, et emprunta le dos de ma main pour y déposer un baiser.

- Tu es parfaite dans le rôle de ma fausse amante !

Je retirai ma main hâtivement, Eden n'était qu'une braise à allumer d'un clin d'œil. J'avais déjà eu du mal à briser ses rêves de romance, il n'était pas question d'en faire naître de nouveaux !

- N'y prends pas goût. lâchais-je, mal à l'aise dans ma tenue de soirée dévergondée.

- Laisse-moi vivre mon fantasme le temps d'un soir ! supplia-t-elle, en m'offrant un clin d'œil sensuel.

- Suis-moi. ordonna-t-elle, avant que je n'aie le temps de lui répondre.

Eden me guida dans un coin sombre du patio que je ne connaissais pas. Nous devions traverser le plus maudit des endroits du royaume, là où l'eau s'écoulait en rythme dans la fontaine de jouvence que je haïssais désormais.

- Est-ce une bonne idée tout cela ? soufflais-je, un peu trop fort pour que cette pensée perdure uniquement dans mon esprit.

Eden se retourna dans ma direction, arborant un regard interrogateur, ses pupilles opaques semblaient sonder mon âme pour comprendre ces doutes soudain. Cela faisait maintenant plusieurs jours, beaucoup trop de réveils sans aucune nouvelle d'Aaron, et ces pensées rongeaient ma confiance en moi pour les transformer en doutes persistants. Malgré moi, prendre autant de risque sans qu'il sache où je suis et sans que je n'aie conscience moi-même s'il était encore vivant ou mort, m'empoissonnait de l'intérieur. Toutes ces missions m'aidaient à garder pieds et m'empêchaient de sombrer dans une inquiétude destructrice, mais je ne pouvais faire autrement que de le voir à chaque coin de portes, à chaque cime d'arbres.

- Quel danger te fait si peur pour que tu veuilles tout abandonner au dernier moment ? m'interrogea Eden, en s'arrêtant contre un mur ombragé du patio.

Je jouais nerveusement avec un galet blanc qui s'était retrouvé sur mon chemin. Je ne savais pas si lui parler de mes doutes sur Aaron était une bonne idée. Le dernier exemple auprès de Sohann avait été assez parlant. D'un autre côté, j'allais passer la soirée à tromper l'assemblée en simulant une fausse idylle et une certaine confiance mutuelle avait éclos au fil des jours entre elle et moi.

- Mon petit ami ne me donne plus aucune nouvelle... Alors qu'il... Laisse tomber. me résignais-je, ma coiffure chatouillant le creux de ma nuque.

- Non, dis-moi ! m'encouragea Eden, en posant sa main fraîche sur mon épaule.

- Il... Il ne m'a plus écrit de courrier depuis des jours alors qu'il était censé le faire, peut-être même plus que d'habitude ! Je suis très inquiète, et me savoir ici alors qu'il est peut-être en train d'agoniser dans un sous-bois... expliquais-je.

Elle m'observait, semblant en pleine réflexion, puis, son visage se détendit et ses traits paraissaient plus détendus.

- Je connais quelqu'un qui pourrait t'aider à trouver ces réponses également. dit-elle d'une voix harmonieuse, pleine de promesses et de sous-entendus.

Ses sourcils bruns haussés et son sourire éclatant figea mes pensées éparses : il n'y avait qu'une personne qui pouvait m'aider.

- Mais cette fois-ci, ça sera sans moi, je ne peux pas lui demander plus de deux promesses sans qu'il me fasse un semblant de rébellion royale. expliqua-t-elle, emprise d'une fausse colère envers son frère.

Callum.

Je riais, gênée qu'elle puisse me penser capable de demander de telles informations au Prince.

- Je ne peux pas lui demander d'enquêter sur mon petit-ami ! m'insurgeais-je.

- Pourquoi pas ? questionna-t-elle, son regard beaucoup trop intéressé pour rester innocent.

- C'est mon ami ! affirmais-je, trop rapidement.

- Vraiment ? questionna Eden de sa meilleure voix ironique, ses yeux bruns plissés par suspicion.

Je secouai mes mains face à elle, avant que son esprit trop rongé par le complot n'en vienne à s'imaginer des choses complètement absurdes.

- On peut tout demander à un ami finalement. haussa-t-elle les épaules, amusée par la situation.

Callum avait toutes les réponses, ou du moins tous les moyens pour parvenir à les trouver.

- Quelle était la seconde promesse ? demandais-je, curieuse.

- De ne pas toucher à un seul de tes cheveux de lumière. répondit-elle, enjouée.

Je me souvenais de cette promesse lors des anciennes nuits passées à chercher quelconque information qui pourrait m'être utile dans les vieux grimoires du royaume. Rassurée, je repris ma route à ses côtés, dans les prochaines heures je supplierai Callum pour qu'il puisse retrouver Aaron. Grâce à son aide et ses pouvoirs si importants au sein du Royaume, nous serons sûrement très bientôt réunis.

Nous contournions les dernières portes en bois du patio pour nous glisser dans une impasse du château qui semblait inhabitée. Ce n'était qu'un recoin du château sans vie, les pierres étaient habillées de mousse verte et de toiles d'araignées. Je me demandais si Eden me faisait une blague. Nous pouvions à peine tenir à deux entre les remparts de l'édifice. Ma poitrine touchait presque son épaule lorsque je l'interrogeais :

- Quand tu disais vouloir vivre ton fantasme... Je pensais que tu allais quand même m'emmener à la soirée... dis-je, rigolant à moitié.

A l'aide de son pied habile elle souleva un tapis trompe-l'œil. Ce tissu était cousu de sorte à ce que l'on croit à une plaque de mousse végétale géante. Mais ce n'était qu'un leurre, sous ce piège se cachait une trappe en bois. Eden m'observa et me sourit si franchement que je pouvais ressentir jusqu'au fond de mon estomac que c'était le moment d'agir. Elle ouvrit la trappe à l'aide de l'anneau en métal noirci. Sous cette cachette y était renfermés des escaliers en pierre abîmés. Une faible lueur dansait en contre bas de ce qui ressemblait à une fosse à rat, elle semblait si lointaine que les marches devaient être nombreuses et trop peu large. Eden m'invita à m'y glisser avant elle, les marches étaient bien trop abîmées et pentues pour que je puisse descendre dans cette morgue sans prendre le risque de me casser une jambe.

Face à mon appréhension, la sœur du Prince, passa en première dans le tunnel étroit. Elle m'offrit sa fine main que j'attrapai avec plaisir, j'avais si peur de chuter que j'enfonçai mes ongles dans sa peau blanchâtre pour être sûre qu'elle me rattraperait.

Nous nous enfoncions dans une pénombre plus opaque que toute celle que j'avais appris à connaître dans le royaume. Mes cheveux soigneusement peignés recueillaient des dizaines de toiles d'araignées tandis que je fixai mon regard sur la mince lueur qui se rapprochait de nous à chaque marche franchie. Chacun de mes pas, était un effort intellectuel de plus pour ne pas perdre l'équilibre avec ces échasses et ces escaliers qui manquaient de s'effriter. Nos pas écrasaient la poussière des marches, le silence n'en était pas vraiment un. Un bruit de fond, sourd et répétitif semblait courir sur les murs du tunnel pour venir s'écraser contre les escaliers en piteux état.

C'était bien là, le seul signe de la vie nocturne qui se tenait derrière ces murs.

Le royaume était effrayant, Rosaceae était effrayant, mais si les pires bêtes du royaume devaient se cacher dans un sous-sol pour festoyer, j'avais de fortes raisons d'avoir le cœur qui palpitait trop fort. Le bras d'Eden se détendit quelque peu, je compris alors que nous atteignons enfin le sol plat.

La lueur que j'observai depuis l'extérieur du château était un chandelier sur pied à quatre branches. La cire blanche avait déjà bien brûlé et ses coulures se répandaient sur le sol en pierre brute. Alors qu'Eden et moi commencions à nous faire entourer par le tunnel de plus en plus étroit, la trappe extérieure se renferma dans un fracas résonnant qui me fit hurler de surprise.

- Mes tympans te remercient ! plaisanta Eden, devant moi, elle tenait toujours ma main pour me guider dans la pénombre.

- Et bien moi je ne te remercie pas pour cette tenue, il fait incroyablement froid ici, je vais mourir d'hypothermie ! râlais-je.

- Tu auras bien plus chaud dans quelques instants. affirma Eden dans une tournure de phrase que je commençais à haïr.

Le long couloir de pierre grisâtre devenait si étroit que plus qu'une personne pouvait déambuler en largeur dans cet endroit. Quelques chandelles étaient déposées dans les renfoncements du tunnel, semblant être creusés à la main par de pauvres esclaves devant obéir, sans réfléchir, à leur roi pour de multiples méfaits.

Une lueur faiblement dorée attira mon attention durant notre marche. Un crâne soigneusement déposé sur le mur en pierre, servait de bougeoir dans une normalité effrayante.

- Dis-moi que c'est un faux. soufflais-je à Eden.

- C'est un faux. répondit-elle, sans avoir à se retourner pour savoir à quoi je faisais référence.

- Dis-moi la vérité à présent. ordonnais-je, apeurée.

- Il appartient à un ancien ami de mon père. lâcha-t-elle, tout en continuant de m'attirer plus loin de la surface de la terre.

Sa sincérité me glaça la peau et chaque nouveau pas m'emmenait vers l'abattoir où je finirai peut-être comme l'ancien ami du Roi : En bougeoir à chandelle. La musique sourde s'accentuait à mesure que nous nous éloignions de la sortie. Des notes de basse et de percussion s'envolaient sur les parois du souterrain.

Je n'entendais presque plus nos pas marteler le sol, la mélodie recouvrant les bruits de notre présence.

- Est-ce qu'il y a un risque que je serve de recueil à cire fondue également ? demandais-je, en haussant le ton de ma voix pour me faire entendre.

Sous le reflet des faibles lueurs des bougies, j'observai aisément les boucles d'Eden se secouer pour s'entrelacer et se délasser dans un mouvement sensuel.

- Avec un visage comme le tien, on te mettrait plutôt dans un bocal de formol pour préserver cette beauté sans égale. répondit-elle, cachée devant moi.

J'imaginais déjà le sourire qu'elle devait arborer.

L'humour des habitants de Rosaceae était plutôt...Particulièrement macabre mais malgré tout, je me surprise à rire à sa boutade.

Tandis que l'obscurité devenait de plus en plus oppressante et bien trop longue pour rester supportable, les petites lueurs s'intensifiaient. Je me doutais alors que notre périple allait bientôt être récompensé par le lieu du harem de l'enchanteresse Eve. Alors qu'Eden ralentissait le pas, j'observai une petite porte en bois d'acajou surplombés par de petites parties métalliques subtilement forgées. La poignée en métal foncé était taillée de façon à faire penser à une tige de lierre, lorsqu'Eden posa sur la main sur celle-ci, elle se tourna face à moi.

Son sourire pervers aux lèvres, je n'étais plus en face de mon amie, elle m'attrapa brusquement par la taille. Nos plus beaux sourires et yeux de biche, je hochais la tête pour la prévenir que j'étais prête, prête à fausser la foule pour me faire remarque par Eve. Quand elle ouvrit la barrière en bois, la musique nous frappa, elle était forte, sensuelle. Ces notes de basse étaient là pour servir l'ambiance charnelle du festin qui se déroulait sous terre.

A peine avais-je posé le pied dans cette réunion monstrueuse, la sexualité à foison signa l'arrêt de mort de mon innocence, j'étais fasse à une véritable Orgie.

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